Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Financer une autre politique à gauche : l’enjeu européen

C’est à l’échelon européen que se prennent des décisions parmi les plus déterminantes : politiques de libéralisation des marchés, carcan du « pacte de stabilité » enserrant les politiques économiques, et surtout le pouvoir de la Banque centrale européenne sur la monnaie et le crédit.

La victoire du « non » à la Constitution européenne, en France puis aux Pays-Bas, a exprimé avec une force insoupçonnée l’attente d’une autre construction européenne dans les domaines politique, social, économique et monétaire. On en trouve une trace très affaiblie dans les critiques de Nicolas Sarkozy contre la politique de l’« euro fort » et dans l’intention affichée par Ségolène Royal d’« inscrire dans les statuts de la Banque centrale européenne l’objectif de croissance-emploi » et de « créer un gouvernement de la zone euro ». On voit pourtant qu’il ne s’agit pas de mettre fin à la toute-puissance de la BCE sur l’orientation du crédit en Europe. Que gagnerait-on à soumettre la BCE à un « gouvernement économique européen » si ce gouvernement reste lui-même au service des marchés financiers et à la merci des décisions des détenteurs de portefeuilles de titres ?

On voit donc le besoin de mettre en œuvre des solutions beaucoup plus radicales : un nouveau type de croissance mobilisant les moyens financiers des États, des entreprises et des banques en faveurs d’objectifs sociaux précisément définis – emploi, formation, services publics – en conquérant et en exerçant à cet effet des pouvoirs accrus, à tous les niveaux, pour les travailleurs et les citoyens.

Lenjeu de la BCE

Au niveau européen,  cela veut dire négocier un nouveau traité européen pour, en particulier, placer la Banque centrale européenne sous le contrôle du Parlement européen et des Parlements nationaux, instaurer une représentation du monde du travail au sein de ses organes de direction, et inscrire son action dans un dispositif d’ensemble au sein duquel elle userait de ses puissants moyens d’action pour inciter les banques européennes à financer les investissements favorables à la croissance, à la création d’emplois qualifiés, à la formation et au développement des nouvelles technologies.

La BCE, à travers le refinancement à taux avantageux qu’elle accorde aux crédits financés par les banques, et à travers des réglementations comme celle des réserves obligatoires, dispose des instruments  nécessaires pour mener une telle politique monétaire sélective. Elle pourrait, en particulier, réserver son soutien aux crédits bancaires que les fonds régionaux ou nationaux pour l’emploi et la formation auraient désignés comme particulièrement  utiles du point de vue économique et social.

Les banques centrales nationales comme la Banque de France recevraient à cet effet une autonomie d’action au sein du Système européen banques centrales, sous le contrôle des conférences nationales pour l’emploi et la formation.

La Banque européenne d’investissements, élément central d’un pôle public financier européen, serait autorisée à élargir ses opérations en empruntant non seulement sur les marchés financiers mais aussi, directement, à la Banque centrale européenne.

Leuro pour une coopération de co-développement

La politique de l’« euro cher » destinée à rivaliser avec Wall Street dans l’attraction des capitaux à la recherche de la rentabilité maximale serait remplacée par une politique de coopération avec les pays du Tiers monde et les pays « émergents » (y compris la Chine) en matière commerciale et monétaire, en vue de mettre fin progressivement au rôle central du dollar et de favoriser le développement de toute la planète avec des prêts à long terme et à faible taux d’intérêt dispensés dans une monnaie commune mondiale dont la création serait régulée par un Fonds monétaire international profondément transformé, où tous les peuples auraient leur juste représentation.

Un pacte européen de progrès social

Dès lors, imposer  un « pacte de stabilité » destiné à asseoir lacrédibilité de la BCE pour les marchés financiers n’aurait plus de sens ; il serait remplacé par un pacte de progrès social pour l’emploi et la croissance qui s’imposerait non seulement aux gouvernements européens, à la Commission de Bruxelles mais aussi à la Banque centrale européenne.

Ce pacte  contiendrait en particulier des engagements de solidarité entre gouvernements européens pour interdire le « dumping fiscal », c’est-à-dire l’octroi par un pays donné d’avantages fiscaux aux capitaux susceptibles de s’investir sur son territoire pour les détourner des pays voisins.

Au lieu d’une concurrence mutuellement destructrice, la libération du crédit bancaire et un objectif commun de développement de l’emploi en qualité et en qualité tireraient vers le haut la croissance et l’efficacité économique de tous les territoires européens.

Promouvoir une sélectivité d’efficacité sociale des financements.

Ainsi, entre septembre 1997 et septembre 2006, la quantité de crédits et autres financements mis à la disposition  de l’économie de la zone euro par les banques a presque doublé, augmentant  de 4 400 milliards d’euros ; mais dans le même temps la quantité de richesses créées chaque année dans la zone (le produit intérieur brut en volume) n’a augmenté que de 20 %, soit 1 200 milliards d’euros.

Quel manque d’efficacité du crédit ! Une grande partie de cet argent est venue gonfler les prix des titres financiers, les prix immobiliers. Une autre partie s’est échappée hors de la zone sous forme de sorties de capitaux.

Si l’on en juge d’après des expériences antérieures (par exemple le programme d’Amsterdam de soutien aux PME européennes par des bonifications d’intérêts mis en place après la récession de 1993), mettre fin à ces gâchis de crédits permettrait de relancer les économies européennes en créant entre 30 et 40 millions d’emplois à l’échelle de la zone euro : de quoi trouver du travail pour tous les chômeurs recensés, et sécuriser l’emploi de ceux, au moins aussi nombreux, qui vivent dans la précarité