En une campagne électorale où l’attention se focalise, à juste titre, sur les conditions de financement des pro grammes des candidats en compétition, l’élaboration d’une loi pour la sécurisation de l’emploi et de la forma tion est un exercice de grande actualité : on vise à mettre en place des institutions qui concrétisent et rendent pos sible un changement radical.
Radical parce qu’il s’agit d’éradiquer le chômage. La construction d’un système de sécurité d’emploi ou de formation suppose une autre croissance mettant les moyens financiers au service du développement des hommes : santé, éducation, formation, recherche… Pour cela, il ne faut pas seulement changer la répartition des richesses (la « part de gâteau » des salariés), il faut aug menter la taille du gâteau, et aussi, changer la recette avec laquelle il est préparé en changeant les critères de gestion des entreprises. La réorientation des moyens financiers s’inscrit en cohérence avec la conquête de nouveaux pouvoirs pour les salariés et les citoyens, en vue de mettre ces moyens financiers au service d’objec tifs sociaux ambitieux.
Cette introduction se contente de récapituler rapide ment les quatre principales sources de financement sur lesquelles il importe d’exercer une maîtrise démocrati que nouvelle, et trois types d’institutions à construire ou à transformer pour y parvenir.
1. « Changer la recette du gâteau », cela veut dire qu’il faut changer l’utilisation des profits des entreprises en com mençant par les dégager de la pression des marchés financiers.
Cela veut dire de nouveaux pouvoirs pour les salariés et leurs représentants sur la stratégie des entreprises, y compris dans le domaine le plus déterminant, celui de leur financement.
2. Cela veut dire une utilisation différente de l’argent public
D’abord pour financer de façon sélective les dépenses publiques utiles au développement des hommes ; Ensuite pour créer un environnement qui incite les entre prises à la création de richesses et au développement de l’emploi et de la formation, en faisant jouer pleinement leur rôle incitatif à la fiscalité (modulation de l’impôt sur les sociétés, de la taxe professionnelle) et aux prélève ments sociaux (modulation des cotisations patronales).
3. Cela veut dire surtout une utilisation différente de l’argent des banques.
La vie des entreprises, petites et gran des, surtout dans les moments difficiles, dépend des banques.
Le pouvoir des banques vient de ce qu’elles créent de la monnaie chaque fois qu’elles font une opération de cré dit. Aujourd’hui, le développement du crédit sert priori tairement aux exportations de capitaux, aux opérations financières comme les « LBO » (« Leveraged Buy Out », ou rachat d’entreprises à crédit dans un but de rentabilité maximale). Cela pèse gravement sur la croissance et sur l’emploi.
Réorienter le crédit serait donc le levier le plus puissant au service d’une politique de sécurisation de l’emploi — tout comme, actuellement, il est un levier très puissant en sens inverse.
D’où la puissance d’instruments tels que les bonifica tions d’intérêt ou les garanties d’emprunts. Leur rôle est de déclencher une décision de crédit là où elle n’aurait pas lieu si le marché fonctionnait sous la seule pression des critères de rentabilité du capital. Ainsi, la mobilisa tion de fonds public, démultipliée par le « levier » que constitue le crédit que cette action publique permettrait de débloquer, peut avoir des effets considérables sur l’activité économique et sur l’emploi.
Par exemple, en remplaçant les 23 milliards d’euros, aujourd’hui dépensés contre l’emploi sous forme d’exo nérations de cotisations sociales patronales, par des garanties ou des bonifications d’intérêts, on pourrait déclencher environ 230 milliards de crédits destinés au financement des investissements : un chiffre à comparer au total des crédits à l’investissement aux entreprises non financières, qui atteignait 250 milliards d’euros à la fin 2006. On financerait ainsi au moins 300 milliards d’in vestissements : une fois et demie le montant total des investissements réalisés chaque année par les entrepri ses et par le secteur public en France !
4. Cela veut dire, enfin, une autre utilisation de l’argent européen : celui des fonds structurels, celui de la Banque européenne d’Investissements et surtout celui de la Banque centrale européenne.
Ces institutions permettent de concrétiser le principe d’une réorientation des moyens financiers au service de l’emploi et de la croissance réelle.
Fonds régionaux et Fonds national pour la sécurisation de l’emploi et de la formation
Chaque région, en liaison avec les conférences régiona les pour l’emploi et la formation, confierait à un fonds régional pour l’emploi et la formation (FREF) le pouvoir de décider l’attribution d’aides aux entreprises. L’action du FREF serait décidée par un comité régional pour l’em ploi et la formation, agissant au nom et par délégation du Conseil régional, qui compterait en son sein des repré sentants des institutions financières, des entreprises, des administrations économiques, des élus locaux et régionaux, des salariés, des associations de lutte contre l’exclusion et le chômage.
Les FREF tireraient leurs ressources d’une réorientation des aides publiques : au lieu d’alléger les coûts salariaux supportés par le patronat et les actionnaires (exonéra tions d’impôts et de cotisations sociales), les aides allé geraient les charges financières pesant sur les entrepri ses par la technique des bonifications d’intérêt ou des garanties d’emprunts bancaires.
L’intervention d’un FREF se déroulerait en quatre temps :
● des forces sociales (salariés, syndicats, élus et acteurs économiques locaux…) se mobilisent en faveur d’un projet d’investissement efficace en termes de création de valeur ajoutée et d’emploi,
● elles le soumettent au FREF qui décide ou non de soutenir le projet par une garantie ou une bonification,
● incitées à le faire par ces aides, et placées sous la pres sion de la mobilisation sociale, une ou plusieurs banques prennent la décision d’accorder les crédits nécessaires au lancement de ce projet : il peut donc être réalisé,
● au cours de la réalisation du projet, si les engagements de créations d’emplois et de mise en formation ne sont pas tenus, l’aide et arrêtée, à titre de sanction. Dans le cas contraire, à l’issue du projet, la valeur ajoutée créée permet de rembourser l’emprunt.
Au niveau national, les fonds régionaux coopèrent entre eux dans le cadre d’un Fonds national pour la sécurisation de l’emploi et de la formation.
Pôle financier public
Les institutions financières publiques, parapubliques ou mutualistes existantes sont en crise profonde : Caisse des dépôts, caisses d’épargne et leurs filiales, Banque pos tale, Banque de France. Il ne s’agit pas seulement de les restaurer dans leur fonction traditionnelle consistant à exercer des missions spécialisées d’intérêt général (finan cement du logement, des collectivités locales, des PME). Il s’agit de construire, à partir de ce secteur public qu’il faudra élargir, un ensemble cohérent dont la fonction essentielle, en coopération avec les FREF, est de peser sur le marché bancaire pour favoriser la mobilisation du crédit au service de l’emploi et de la croissance réelle. Le pôle financier public n’a de sens, dans notre projet, que s’il est une arme, un « bras séculier du mouvement social », pour dégager l’économie des marchés financier.Le pôle public a vocation à développer des coopérations au niveau européen avec d’autres institutions financières publiques nationales (comme les caisses d’épargne alle mandes) et avec la Banque européenne d’investissement.
La BCE
La Banque centrale européenne est l’institution la plus puissante en ce qui concerne l’orientation du crédit. Elle a pour mission de réguler le crédit bancaire, ce « carbu rant » de l’économie.
Elle le fait, en particulier, en « refinançant » une partie des crédits que les banques financent. Elle pourrait utiliser cette arme de façon sélective, pour décourager les cré dits alimentant l’inflation financière et immobilière, les sorties de capitaux, les délocalisations, et pour encoura ger les crédits soutenus par les FREF et les Fonds natio naux pour l’emploi et la formation. Les masses financiè res ainsi mobilisées pourraient être énormes. Cela peut paraître difficile à obtenir. Mais la victoire du non au réfé rendum a montré que même dans ce domaine le mouve ment populaire peut être le plus fort. Et au cœur même du système financier, des luttes sociales existent qui peu vent aider à aller dans le même sens, comme c’est le cas, par exemple, à la Banque de France.
Gagner des droits et pouvoirs nouveaux pour les salariés et les citoyens sur les entreprises, responsabiliser socialement les entreprises par rapport aux salariés, aux territoires, et à tous les citoyens :
● C’est non seulement redonner de l’espoir, combattre le sentiment d’impuissance, face à libre circulation des capitaux, face à la mondia lisation capitaliste, mais c’est aussi et surtout entrer de plein pied dans un processus de transformation sociale s’appuyant sur une appro priation démocratique qui soit le fait de tout notre peuple.
● C’est se placer en situation d’anticiper et pas seulement de lutter pour sauver des emplois, de l’activité ou négocier au mieux les plans dit sociaux.
● C’est en fait, commencer par les fins en se donnant les moyens de mettre au centre la question de la réponse aux besoins humains, la question de la finalité du travail.
Cela doit être le sens de notre démarche, cela doit être l’objectif de notre projet de loi qui bien sûr est à compléter et à enrichir. Autour de ces points d’entrée, il y a eu débat dans notre atelier entre deux écoles :
● Celle de partir des individus en s’emparant des GPEC, de la question de l’emploi (sa qualité, sa durabilité), de la formation, en faire un cheval de Troie pour retourner les stratégies patronales et financières.
● Celle de partir des besoins humains à satisfaire, des stratégies des entreprises et de l’orientation des dépenses de formation et de recherche & développement.
L’idée de nouvelles institutions de type prud’homal permettant une action collective sur les choix de gestion des entreprises est jugée utile.
Cependant, de nombreux intervenants ont souligné qu’il fallait se garder de tomber dans une judiciarisation des rapports sociaux et économiques.
Il nous faut répondre à l’urgence sociale avec des moratoires sur les plans de restructuration. Il faut nous donner les moyens d’anticiper fortement sur les stratégies patronales et d’imposer en amont d’autres choix au quotidien.
Il a été souligné qu’il nous faut travailler encore plus sur l’articulation entre–établissement–entreprise–groupe et–région–nation Union européenne.
La question des PMI/PME, des TPE est centrale : C’est là où souvent l’arbitraire patronal est le plus fort, mais dans le même mouvement ces entreprises et leurs salariés deviennent les variables d’ajustement de la stratégie des grands groupes.
Il existe un lien fort entre nos propositions sur la VIe République et notre vision de la responsabilité sociale, sanitaire et environnementale de l’entreprise.
Notre objectif n’est pas seulement de contrôler les fonds publics ou d’obtenir du donnant donnant sur l’emploi, il s’agit de permettre aux citoyens d’un territoire d’agir sur les choix de gestion et les choix stratégiques de l’entreprise. La responsabilité sociale d’une entreprise ne doit plus être un argu ment commercial mais un devoir encadré par la loi.
De véritables pouvoirs d'interventions doivent être dévolus aux sala riés sur les gestions. Si les salariés d’Airbus avaient eu ces pouvoirs face aux actionnaires, la catastrophe industrielle de l’A380 n'aurait pas eu lieu ou aurait eu de faibles conséquences.
Le recours à une propriété et à un financement très majoritairement publics à l'échelle de l'Union européenne, comme à l’échelle de la nation ou de la région n’ont plus à être tabou, y compris les systèmes d’avances remboursables, ou de crédit auprès d’un pôle public bancaire. Seule la propriété sociale est capable d'assumer à long terme des projets industriels ambitieux au service de tous.
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