Face à l’insécurité sociale grandissante, des thèmes idéologiques nouveaux ont progressé. Ils pourraient devenir des forces décisives en s’emparant des consciences, du moins s’ils étaient développés dans l’action, en relation avec l’exigence de nouveaux droits sociaux effectifs. En effet, ces idées nouvelles demeurent encore très ambivalentes. Elles sont surtout récupérées, pour le moment, afin de renforcer le système existant et les pratiques dominées par les exigences du marché financier, à l’opposé de la mise en cause effective des gestions et des politiques développant le chômage et de la précarité par des transformations radicales.
Le thème montant le plus fondamental, du point de vue de l'insécurité sociale, concerne les exigences de sécurité associée à la mobilité. Cela renvoie à des pratiques développées, depuis une vingtaine d'années, de précarisation et de mobilité forcée avec perte d’acquis et dégradation des situations pour beaucoup, à l'opposé des mobilités volontaires et de progression pour les individus. Face aux besoins de souplesse et d’adaptation des nouvelles technologies, transformées en exigences de flexibilité du marché du travail, d’insécurité des emplois et de démantèlement des protections sociales, et face aux protestations contre les maux sociaux de la précarité s'est graduellement développée la thématique d'une flexibilité accompagnée de sécurité. Et cela, grâce à des négociations sociales entre syndicats, patronat et Etat ainsi que leur sanction législative.
C'est le thème de la « flexcurity » ou « flexi-sécurité » ou encore de la souplesse avec sécurité qui a progressé dans les pays de l'Union européenne, en entraînant diverses tentatives et pratiques institutionnelles. Mais, en fait, prédominent des mesures d'accompagnement de la progression d'une flexibilité d’insécurisation, échangeant le démantèlement des protections sociales antérieures contre de petites limitations nouvelles (Voir l’encadré sur l’étude de la DARES « Souplesse et sécurité de l’emploi » de juin 2003).
Aussi, peuvent monter, au contraire, au-delà des promesses affichées non tenues, les aspirations à une sécurité effective avec une mobilité de promotion de tous, pour des parcours professionnels avec des revenus et des droits préservés et améliorés pour tous, y compris les passages par la formation ou d’un poste à un autre ou d’un emploi à un autre. Le développement suivi des capacités de chacun et des équipes de travail est désormais, en effet, la meilleure garantie d’une expansion massive et d’une utilisation efficace des nouvelles technologies, en même temps qu’il répond aux nouvelles aspirations.
Cela se relie à l’émergence d'un second thème devenu crucial : celui de la formation tout au long de la vie pour chacune et chacun. Mais ici aussi, à cet objectif général affiché de façon idéale, correspondent les dispositifs effectifs nouveaux extrêmement inégalitaires et largement insuffisants de la formation continue. Sans compter le problème du débouché en emploi de la formation qui loin d'être assuré fait trop souvent défaut (Voir le débat sur la formation continue et les enjeux des dispositions récentes). D’où encore l'aspiration à de nouveaux droits, pouvoirs et contenus concernant les formations professionnelles des adultes. Cependant, les faiblesses et perversions persistantes, relevées à propos de ces deux premiers thèmes mobilisateurs et des pratiques correspondantes, renvoient avant tout au comportement des entreprises.
Or, c'est à leur sujet que monte précisément un troisième thème porteur : celui de la responsabilité sociale des entreprises. Toutefois, lui aussi se présente pour le moment de façon largement trompeuse, en définitive. Non seulement sa portée pratique reste extrêmement limitée du point de vue de la question décisive de la prévention des licenciements ou des bons reclassements pour tous. Mais il tend à accompagner en fait, par des mesures très insuffisantes, les effets dommageables grandissants de l'irresponsabilité sociale des entreprises face au chômage. Ou encore, ce thème de la responsabilité peut dévier vers la rédaction de « codes d’éthique sociale » des entreprises, tout particulièrement à propos des conditions de travail et d’environnement des productions des entreprises multinationales dans les pays émergents, en dérivant vers des opérations de marketing. Les pouvoirs de gestion accaparés par les entrepreneurs capitalistes et la recherche de la rentabilité financière maximum, dans les conditions de la mise en concurrence exaspérée et des nouvelles technologies utilisées sous la domination des marchés financiers mondialisés, l'emportent sur toutes les déclarations et mesures nouvelles. Ces dernières restent largement velléitaires face aux licenciements en rafales et à l'insécurité proliférante de l'emploi.
Et pourtant, le quatrième thème d'idées montantes renvoie à la revendication de démocratie participative, qui pourrait aller jusqu'à de nouveaux pouvoirs d’intervention de tous. Mais ici aussi cela ne débouche pas encore sur des pouvoirs nouveaux effectifs, partagés jusqu'à chacun, depuis les bassins d’emploi, sur les moyens nécessaires pour la maîtrise de son sort et le dépassement de l’insécurité sociale grandissante.
Cependant, l'appui sur ces idées nouvelles peut favoriser les rassemblements dans l'action sur des propositions concrètes de sécurisation effective de l'emploi et de la formation. De même, ces actions peuvent contribuer à dépasser les ambivalences et les limites actuelles de ces idées à partir des exigences de transformation des pratiques et des institutions existantes.
Le gouvernement de droite se livre à un mélange de démagogie sur la valeur travail et le retour à l’emploi en acceptant des bas salaires, de mini mesures prétendues novatrices, et surtout d'agression contre les droits et les soutiens sociaux pour leur diminution, ainsi que de dispositions hyper libérales d'incitations aux emplois pauvres du « workfare » à la française. La riposte ne peut se contenter de dénonciations et de protestations. Elle doit pouvoir pousser les idée montantes, dans l’action, jusqu’à la réclamation de nouveaux objectifs sociaux, de sécurisation et de promotion des emplois et des formations, de nouveaux pouvoirs, des syndicats, des élus, des associations, des intéressés eux-mêmes et de leur organisation, de nouvelles utilisations des fonds publics et du crédit bancaire, avec leur contrôle social du point de vue de l’emploi. Il est possible de s'appuyer sur les idées nouvelles, toutes récupérées qu’elles soient encore par la démagogie du gouvernement UMP, pour les développer autrement et rassembler sur des exigences concrètes d'avancées favorables à tous ceux qui souffrent de l’insécurité sociale dans la diversité de leur situation. Cela renvoie aux différents chantiers concrets d'actions de la campagne nationale pour sécuriser l'emploi et pour avancer, par leurs convergences, vers la construction d'un système de sécurité d'emploi ou de formation. ■
UN DOCUMENT DE LA DARES
Souplesse et sécurité de l'emploi : Orientations d’études et recherches à moyen terme
Le document d’études de la DARES ( « Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques » du Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité) coordonné par Carole Yeroschewski, de juin 2003, est très intéressant.
Après un état des lieux sur la mobilité et la précarité en France et en Europe, il comprend surtout plusieurs analyses sur les pratiques dites de « flexsécurité » dans différents pays européens. Il se distribue en « pratiques nationales », « pratiques d'entreprise », « pratiques et agencements locaux ».
Même s'il y a des tentatives suggestives, les pratiques et institutions se réclamant de la « flexsécurité » ou « flexcurity » ont trop souvent été idéalisées. Le plus souvent, elles renvoient à un échange de quelques sanctions et limitations contre l'appui et le développement de politique de précarisation des emplois et d'insécurité sociale des entreprises, au nom de la flexibilité et de la lutte contre les " rigidités " du marché du travail. Les analyses du document de la Dares, tout en pouvant aussi verser l’idéalisation à partir des dispositifs affichés, pointent néanmoins à plusieurs reprises ce renforcement d'une flexibilité d'insécurité.
Ainsi, à propos de la loi « flexibilité et sécurité » de 1998 aux Pays Bas, on y remarque qu'avec la suppression des protections antérieures des travailleurs contre la flexibilité, il y a eu un échange où « le recours aux emplois flexibles par les employeurs a été juridiquement stabilisé, mais la protection des travailleurs flexibles renforcée ». En Espagne, avec l'accord confédéral syndicats/patronats de 1997, il y aurait eu « un échange comme aux Pays-Bas entre l'assouplissement des conditions de licenciements économiques contre un encadrement des emplois temporaires ». À propos des Pays Bas, il est précisé : « les intéressés disent qu'il s'agissait dès l’origine de mieux réguler l'emploi flexible non de mettre en cause la possibilité d'y recourir ». Mais bien plus : « l'évaluation montre qu'il existe deux conceptions de la régulation, chez les syndicats et le patronat ».
Cela pointe, en fait, les enjeux des polarisations et des luttes de classes nouvelles sur ces compromis sociaux, pour le moment dominés par le patronat et le néo-libéralisme.
Cela renforce le besoin d'une autre conception de la mobilité, volontaire et de progression de chacun, dans une sécurité effective d'activité et de revenus. Ce qui renvoie à d'autres pouvoirs et à d'autres financements pour infléchir les gestions des entreprises. Cela concerne tout particulièrement un tout autre crédit, qui pourrait être impulsé par la Banque Centrale Européenne, à l'opposé de la domination des marchés financiers, pour un autre modèle social européen.
Un des articles évoque d'ailleurs la « sécurité sociale professionnelle » de la CGT. Et il cite une série de droits pour un nouveau statut du travail salarié. Mais il ne parle pas de nouveaux financements, ni de nouveaux pouvoirs sur l’utilisation des fonds des entreprises, pour un nouveau statut d’entreprise. Ces questions avancent pourtant dans la CGT et elles sont cruciales pour une « Sécurité d'emploi ou de formation », projet sur lequel tout le document ne souffle mot.
L'article sur « le droit du travail à l'épreuve de la flexsécurité », tout en soulignant l'importance de principe de l’obligation de reclassement de la loi de modernisation sociale, insiste lui aussi sur les « droits de tirage sociaux » du juriste Alain Supiot, tout en ne considérant pas du tout les pouvoirs sur les financements des entreprises ni sur le contrôle des institutions monétaires et de crédit. ■.