Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Vers des tensions franco-allemandes

Le mini-Traité issu du Conseil européen du 23 juin, présenté comme une co-production Sarkozy-Merkel, marque-t-il le retour du moteur franco-allemand dans la construction de l’Europe libérale ? Au crépuscule de la présidence allemande de l’Union européenne, les embrassades ostentatoires de Nicolas Sarkozy et Angéla Merkel lors du Conseil européen de juin, ne doivent pas donner le change sur l’apparition à court terme de fortes tensions franco-allemandes.

Des dossiers lourds de divergences

En effet, les sujets d’opposition et de divergence entre les milieux de la grande bourgeoisie industrielle française qui soutiennent l’action de Nicolas Sarkozy et les milieux d’affaires allemands ne manquent pas. Ils concernent : l’euro et l’avenir industriel de l’Union européenne, EADS, l’énergie, les négociations de l’OMC, les relations économiques transatlantiques, la Méditerranée, l’application de la règle limitant à 3% du PIB le déficit budgétaire.

Sur l’euro, lorsque Nicolas Sarkozy déclare «nous n’avons pas créé la deuxième monnaie du monde pour que (…) on ne puisse plus construire un seul avion sur le territoire de l’Europe (…) je demande qu’on fasse avec l’euro, ce que les Américains font avec le dollar(1)» , il s’oppose frontalement à Angéla Merkel qui n’a eu de cesse pendant sa présidence, de répéter que l’appréciation de l’Euro par rapport au dollar ne constituait pas un problème et que l’indépendance de la Banque centrale européenne ainsi que son obligation de s’attacher à l’objectif prioritaire de la stabilité des prix, constituait le fondement économique de l’Union européenne.

Cet affrontement, par déclarations interposées, traduit l’opposition forte entre les intérêts de l’industrie française et ceux de l’industrie allemande. En effet, avec l’Euro fort, les produits industriels français, en particulier dans les domaines à forte valeur ajoutée comme l’aéronautique, subissent de plein fouet la concurrence des productions de la zone dollar ou yen, alors que l’industrie allemande, forte de son actuel quasi-monopole mondial sur les machines-outils, tire au contraire profit de la situation monétaire. Jusqu’ici, les groupes industriels français, les PMI/PME, ont utilisé des stratégies d’externalisations et de délocalisations par contre balancer les effets de l’euro fort, mais celles-ci commencent à atteindre leurs limites alors que le dollar continue à s’effondrer par rapport à l’euro(2) .

Dans ce contexte, le projet d’une vaste zone de libre-échange transatlantique portée par la présidence allemande de l’Union européenne, soulève une hostilité sourde de la part d’une frac-tion importante de la bourgeoisie industrielle française. L’Euro fort permet aussi à l’Allemagne d’alléger fortement sa facture énergétique puisque le coût de son électricité dépend essentiellement de ses achats en gaz et pétrole, payés en dollar, alors que la France, avec une électricité à plus de 80% d’origine nucléaire ou hydraulique, échappe aux aléas du marché pétrolier et gazier.

Sur la limitation du déficit des dépenses publiques à 3% du PIB, comme Berlusconi en son temps, Nicolas Sarkozy aime-rait bien avancer l’idée de sortir du calcul du déficit budgé-taire les dépenses d’investissement en infrastructures(3) et les achats d’armements, ce qui va bien sûr à l’encontre de l’or-thodoxie financière prônée par le gouvernement allemand, la Commission européenne et la Banque centrale européenne.

L’avenir d’EADS constitue un autre point de frictions entre allemands et français. Nicolas Sarkozy souhaite revenir sur le pacte des actionnaires(4) qui avait présidé à la naissance d’EADS, en organisant une opération équivalente à celle qu’il avait initiée pour «sauver» Alstom lorsqu’il était ministre des finances et de l’industrie du gouvernement Raffarin. Sarkozy entend, dans un premier temps, augmenter la participation de l’Etat dans le capital de l’entreprise et acquérir voix au chapitre dans le Conseil d’administration. Dans un deuxième temps, une fois le plan power 8 réalisé, l’Etat vendrait ses parts de capital au profit d’actionnaires de référence plus «passionnés» par l’activité aéronautique que Lagardère et Daimler Benz(5).

Il s’agit en fait de nationaliser les pertes actuelles et d’assurer le financement de l’A350 XWB, afin d’assurer la privatisation des profits futurs. Cette position française rencontre l’hosti-lité farouche du principal actionnaire outre-Rhin : Daimler Benz, et l’on voit mal Angéla Merkel aller contre l’un des principaux acteurs industriels allemands.

Sur les négociations du cycle de Doha de l’OMC, Angéla Merkel, rejoindrait volontiers les positions du Commissaire

européen au commerce international, Peter Mandelson. Elle sacrifierait sans état d’âme l’agriculture européenne sur l’autel du libre échange intégral. C’est une position que Sarkozy ne peut se permettre, en particulier pour des raisons électorales et économiques. Cependant, il faut noter qu’il a concédé lors des négociations sur le mini-traité, le fait que l’agriculture devienne l’objet de décisions prises à la majorité qualifiée. Nicolas Sarkozy souhaite fortement réactiver la zone Euro-Méditerranée avec sa proposition d’une Union de la Médi-terranée. Cette proposition vise en particulier les pays du Maghreb : l’Algérie pour son gaz naturel, le Maroc et la Tunisie comme destinations traditionnelles des délocalisations des entreprises françaises (textile, aéronautique, centre d’appels...). Or les Allemands, appuyés par les Polonais, les Hongrois et les pays baltes veulent au contraire orienter le centre de gravité de la politique de voisinage de l’Europe vers l’Est avec comme point de focalisation l’Ukraine, le Bélarus(6). Or l’enveloppe actuelle du budget de l’Union européenne ne permettra pas d’investir de manière substantielle dans les deux zones, il y aura donc un choix à faire qui provoquera d’importantes tensions entre la France et l’Allemagne, au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen.

La question énergétique risque aussi d’opposer l’Allemagne à la France. L’Allemagne fit le choix funeste d’abandonner le nucléaire civil, en 2001 à un moment où l’occident en général et l’Allemagne en particulier pillaient en toute impunité les ressources gazières russes. Depuis la Russie a repris le contrôle légitime de ses ressources énergétiques, et entend faire payer à un juste prix son gaz. Face cette situation qui fragilise le choix de politique énergétique de l’Allemagne, Angéla Merkel, au nom de la «solidarité européenne» a tenté d’enrôler dans une croisade contre la Russie l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne. Or cette politique de

tension sur la question de l’énergie avec la Russie, conjuguée au refus d’inclure le nucléaire comme moyen de lutte contre l’effet de serre au moins au même titre que les énergies dites renouvelables, se heurte aux choix français du nucléaire(7) et du gaz algérien.

Certes tous ces désaccords européens entre actions gouver-nementales françaises et germaniques, ne sont pas le reflet de divergences idéologiques de fond entre Nicolas Sarkozy et Angéla Merkel, mais ils trouvent leurs sources dans des conflits profonds d’intérêts économiques entre une partie des bourgeoisies industrielles françaises et allemandes. C’est pourquoi, dans les années à venir, la vie des institutions européennes va être traversée par un affrontement, à la fois «soft et hard», entre les gouvernements français et allemands. Le moteur européen franco-allemand est mort, tué proba-blement par l’euro et la gouvernance actuelle de la Banque centrale européenne ■

----------------------------

-(1) Discours de Nicolas Sarkozy, le 23 juin 2007, au 47e Salon international de l’aé-ronautique, au Bourget

(2) Entre octobre 2000 et avril 2007, l’euro s’est apprécié par rapport au dollar de 66,82%

(3) Cf. le discours de Nicolas Sarkozy, le 25 juin lors de l’inauguration du nouvel aéro-gare de Roissy.

(4) Ce «pacte des actionnaires», voulu par les Allemands et accepté par le gouver-nement Jospin, délègue au conseil d’administration, les pouvoirs de vote de l’Etat français actionnaire à 15% d’EADS, au groupe privé Lagardère actionnaire à seulement 7,5%.

(5) Voir l’éditorial de Pierre Condom dans Air&Cosmos du 29 juin 2007

(6) En appuyant dans ce pays un changement de régime

(7) Avec en particulier les nouveaux réacteur EPR

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.