Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le système de santé solidaire en danger : organiser les luttes et construire l’alternative

Avis du Comité d’alerte, «franchises» Sarkozy

Alors que l’on vantait un prétendu retour à l’équilibre financier de l’assurance–maladie, voilà que les sirènes d’alarme hurlent à nouveau sur la hausse des dépenses de santé. Le Comite d’alerte, institution créée par la loi d’août 2004, a attendu le résultat des présidentielles avant d’annoncer comme incontournable la mise en place des franchises que recommandait le programme de l’UMP.  Ce Comité d’alerte est composé du directeur de l’INSEE, Jean-Michel Charpin, du président de la Commission des comptes de la Sécurité Sociale François Monier et, plus surprenant, de Michel Godet, président de l’Institut de conjoncture REXECODE proche du Medef.

Le comité d’alerte est chargé du rôle de «super gendarme» financier en intervenant lorsque les dépenses de santé dépassent de 0,75% l’ONDAM  (l’objectif national d’accroissement des dépenses de santé), fixé en automne pour l’année suivante dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité Sociale. Cet objectif était à un niveau particulièrement bas pour 2007 (2,5%). La procédure d’alerte a été déclenchée par un avis rendu par le Comité d’alerte le 29 mai 2007 et notifiée au Parlement, au gouvernement et aux caisses d’assurance maladie. Elle oblige d’ici fin juin l’adoption de mesures de redressement qui devront être approuvées par le comité d’alerte.

La hausse des dépenses de santé s’était ralentie en 2006, 3,1% au lieu de 4% en 2005. Le déficit de l’assurance maladie serait ainsi passé de 8 milliards d’euros en 2005 à 5,9 milliards en 2006, mais au prix d’une diminution des dépenses remboursables et d’un accroissement de la participation personnelle des malades. En réalité, les mesures de la loi Douste-Blazy conduisent au rationnement des plus pauvres, des plus malades (ceux qui sont en ALD), en entraînant pour ceux-ci un renoncement aux soins ou un report des soins, alors que ceux qui peuvent payer acceptent désormais l’idée de solliciter davantage les mécanismes privés et les assureurs. Mais, lors de chaque plan de maîtrise des dépenses, on assiste en général au bout de deux ans à une reprise de la hausse, si bien que les effets comptables de la loi d’août 2004 semblent déjà à bout de course. Ainsi, l’évolution  des dépenses de santé pour les quatre premiers  mois de 2007 indique-t-elle un fort dépassement relativement  aux quatre premiers mois de 2006,notamment en raison des soins de ville dont le taux de croissance s’élève à 5% alors  qu’il était programmé à 1,1%. Sur l’année pleine, le Comité d’alerte prévoit un dépassement de 2 points, soit 2 milliards d’euros de déficit supplémentaire par rapport à l’objectif initial de 3,9 milliards, donc un déficit total de près de 6 milliards  d’euros.

Le directeur de l’UNCAM, Frédéric Van Roekeghem , un proche de Philippe Douste–Blazy, a présenté à la CNAM un plan d’économie  de1,45 milliard d’euros Celui-ci comprendrait : une utilisation  accrue des médicaments génériques, la lutte contre les surprescriptions, une révision à la baisse des tarifs de certains spécialistes, des tarifs d’actes techniques tels que l’imagerie (scanner, IRM) en raison d’une forte progression des coûts (20% en 2006). Il reposerait sur la chasse aux arrêts de travail, surtout il viserait une pénalisation accrue des malades qui ne respecteraient pas les parcours de soins coordonnés, les remboursements seraient réduits à 50% Mais surtout, ce plan d’économies en appelle à la création de nouvelles franchises, dans la voie ouverte par l’euro par consultation et les forfaits sur les actes lourds restant à la charge des patients.  Ces franchises ne pourraient être prises en compte par les complémentaires santé mutualistes dans le cadre des «contrats responsables» bénéficiant d’avantages sociaux et fiscaux.

Il s’agirait en fait d’appliquer  quatre franchises de 10 euros chacune : une sur les consultations,  une sur les médicaments, une sur les actes biologiques  (examens, prises de sang, radiologie…), et une quatrième sur l’hospitalisation. Le total de 40 euros serait calculé par foyer, mais ceci sera particulièrement complexe à appliquer s’il faut cumuler les informations de plusieurs cartes vitales. Dans le même temps le forfait d’un euro par consultation sera augmenté, il pourrait atteindre 4 euros par jour en cas de consultations multiples. L’instauration de ces franchises démarrera dès la loi de financement de la sécurité Sociale pour 2008, alors que 61% des Français disent être contre, ce pourcentage montant à 69% chez les ouvriers et 72% pour les professions intermédiaires.(1)

Il s’agit, nous dit–t-on de responsabiliser les patients. Roselyne Bachelot souligne qu’il ne s’agirait pas seulement de lutter contre le déficit, mais de mettre en place un outil structurel, en évoquant l’exemple allemand où l’on a établi des franchises en fonction des revenus. On annonce que la franchise épargnerait les enfants et les plus pauvres, mais, dans ce dernier cas, sauf à ne retenir que le seuil de la CMU, on voit mal comment les médecins seraient susceptibles de«faire le tri»... Le président du puissant syndicat de médecins CSMF, Michel Chassang, relève lui-même que, soit l’on exonère les bas revenus de la franchise mais qu’alors sa rentabilité sera faible, soit on l’applique à tous, mais en freinant l’accès aux soins et en aggravant le renoncement pour raisons financières. Au bout du compte, les économies pour l’assurance-maladie estimées au départ à 2,7 milliards d’euros dans le programme de l’UMP pour une franchise de100 euros par personne, atteindraient 1,8 milliard pour 40 euros, et quelques centaines de millions si l’on en écarte les enfants et les bénéficiaires du RMI. Pourtant,  quelle que soit sa forme définitive,  la franchise entamera plus encore le principe de la Sécurité Sociale française, fondé sur des cotisations en fonction de la capacité contributive de chacun, mais ouvrant un droit égal aux soins quel que soit le revenu. On se dirigera de plus en plus nettement vers un système de santé inégalitaire et éclaté en fonction des revenus, ce qui est le cas aux Pays-Bas depuis les réformes des années 90 qui font la part belle au développement de l’assurance privée.

La «responsabilisation» dit vouloir s’attaquer aux comportements  «abusifs» vis-à-vis du système de santé, mais ceuxci sont loin d’être démontrés, puisque dans toutes les études sérieuses, le nomadisme médical et la surconsommation de soins apparaissent comme des phénomènes marginaux. Mais l’orthodoxie ultra-libérale n’en a cure et prétend que, comme pour l’assurance automobile, les franchises limiteront efficacement les dépenses, au risque de porter un coup définitif au système de soins solidaire. On peut déjà constater les conséquences désastreuses de la loi Douste-Blazy, car un récent rapport de l’IGAS estime que les dépassements d’honoraires  des médecins ont atteint 2 milliards d’euros en 2006, notamment du fait des spécialistes qui utilisent «au mieux» ce que la réforme de 2004 autorise, quitte à pénaliser financièrement leurs patients.

Le premier effet pervers sera qu’un bon quart des assurés (27% selon l’UNCAM) risque de ne plus percevoir aucun remboursement. Ces personnes jeunes et en bonne santé vont assimiler les prélèvements d’assurance maladie, cotisations et CSG, à un simple prélèvement fiscal. On peut alors imaginer l’accélération  des divers mouvements qui réclament à grands cris de pouvoir «sortir» du système actuel d’assurance maladie, au prétexte que pour certains, à un moment donné de leur existence, l’assurance privée apparaîtrait plus avantageuse. Ceci est un leurre, et les économies prévues risquent de fondre comme neige au soleil, car l’application des franchises se heurtera au phénomène bien connu des assureurs : une fois le montant fatidique dépassé, l’aléa moral ex post peut jouer à plein, les assurés tendant à légitimer des dépenses plus importantes  par compensation.

Dans les pays où une franchise sur les soins est appliquée, on observe systématiquement un renforcement des inégalités d’accès aux soins, une montée de l’assurance privée et donc des pratiques de sélection des risques. Au bout du compte, cela s’avère plus coûteux pour les finances publiques en raison de la concentration  des personnes les plus défavorisées et des pathologies les plus graves dans des systèmes socialisés vidés d’une large part de leurs ressources par cotisations.

Le refrain est connu des «réformes nécessaires pour sauver le système de protection sociale», mais ici la ficelle est très grosse La volonté de voir se développer un système de plus en plus privatisé, voire à terme un système  «à l’américaine» se profile. Or aux Etats-Unis : 20% de la population reste sans couverture  maladie, des personnes sont mal couvertes alors qu’elles souscrivent des assurances de l’ordre de 600 dollars par mois, 1 000 dollars pour un couple avec deux enfants, d’ailleurs les indicateurs de santé y sont en moyenne très médiocres. Certains proposent même la création en France de «comptes épargne santé» à grande échelle, forme de capitalisation financière privée sur le modèle des réformes menées par l’administration Bush aux Etats-Unis(2).

Le projet de TVA «sociale» pour financer la protection sociale apparaît, dans le programme de l’UMP, comme un complément indissociable de l’établissement de franchises sur les dépenses de santé, puisqu’il  vise également à faire supporter le financement des dépenses de soins sur les seuls ménages. À l’inverse, les vraies réformes, que nous devons faire monter par des luttes de résistance et de propositions alternatives élaborées avec les acteurs sociaux, ont pour objectif de maintenir et de développer un système de santé solidaire Cela impliquerait de modifier la rémunération des médecins en sortant du seul paiement à l’acte, développer la médecine en réseau et pratiquer une véritable politique du médicament qui refuserait de sacrifier aux profits financiers de l’industrie pharmaceutique. Plutôt que de pénaliser les assurés, il faut aller vers un système permettant  un accès aux soins gratuit en commençant par les plus modestes, réorienter le système vers la prévention en premier lieu, la prévention de la santé au travail. Sortir des inégalités régionales et des inégalités sociales de santé, implique d’affronter la crise de la démographie médicale et paramédicale. Au lieu d’amplifier les effets de la loi DousteBlazy à travers les mécanismes des franchises, il s’agirait de construire une autre réforme élaborée par les acteurs sociaux à partir du développement des luttes sociales rassembleuses et transformatrices Le débat est indispensable pour avancer des propositions crédibles pour un système de santé de progrès, en mettant au centre la question cruciale d’une réforme du financement de la protection sociale afin de répondre efficacement aux besoins sociaux Ceci exige de relancer le travail sur nos propositions alternatives pour une réforme efficace de l’assiette des cotisations patronales afin de développer et sécuriser l’emploi, la formation, le développement des salaires source de rentrées de cotisation. Cette réforme doit s’accompagner d’une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises afin que les fonds gâchés dans la spéculation soient réorientés vers l’emploi et le développement des ressources humaines, vers les investissements productifs centrés sur l’emploi et la croissance réelle ■

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(1) Un Appel contre cette franchise a été lancé par le Dr Christian Lehmann et a déjà recueilli 50 000 signatures : www.appelcontrelafranchise.org.

(2) Guy Vallancien qui dans «La santé n’est pas un droit», Bourin éditeur, mai 2007, préconise le développement de comptes-épargnes santé individuels sur le principe d’un rendement financier sur les sommes capitalisées et non utilisées en dépenses de soins. Cette formule existe déjà chez certains assureurs, ainsi la formule complémentaire dite «santé plus»des Mutuelles du Mans.

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