«À mesure que la mondialisation de l'économie se renforce, le besoin d'une action coordonnée des États au niveau international, pour tenter d'en encadrer les dérapages, qu'ils aient pour nom réchauffement climatique, instabilité financière, montée des inégalités internationales, etc., est d'autant plus pressant.
Or, c'est justement le moment où les institutions économiques internationales traversent, collectivement, l'une des phases les plus difficiles de leur histoire» écrivait la revue Alternatives économiques à la veille de la crise qui a secoué la planète financière cet été(1).
On ne peut s’en étonner. Cette contradiction est beaucoup plus claire si l’on se rappelle que l’idéologie, la doctrine et la pratique de la mondialisation capitaliste actuelle sont portées par une hargne de destruction des cohérences nationales et le dénigrement des fonctions des États pour donner aux marchés toutes libertés pour faire ce qui leur plaît puisque «le marché a toujours raison» ! La nouvelle religion place la richesse monétaire (et le profit) au premier rang des objectifs des sociétés.
Toutes les organisations internationales ont été enrôlées dans cette croisade pour la libéralisation des forces du marché : elles ont si bien réussi qu’elles ont fini par scier les branches sur lesquelles elles étaient installées.
Comment faire accepter une coopération «inter nations» lorsque l’on prône l’excellence du privé ? Et que finalement ce sont bien évidemment les plus forts qui ont tiré les marrons du feu.
Le terme même de mondialisation désigne une réalité, le développement d’échanges croisés à l’échelle du globe, mais pas si équilibrés que ça. Il cache la domination et l’exploitation par un petit nombre de pays, euxmêmes hiérarchisés, sur l’ensemble de la planète. Le tout est dominé par un système financier de plus en plus concentré et dirigé de fait par un système dollar verrouillé en dernière instance par ses propres contradictions et les émissions monétaires de la banque centrale des USA, ellesmêmes plus contraintes que voulues.
Le FMI souffre de nombreux maux, dont le moindre n’est pas son image de grand doctrinaire et de destructeur de nations. Alors qu’évidemment les USA, premier actionnaire mais aussi premier endetté au monde, n’ont jamais eu affaire à lui, il s’essaye à tricoter un statut d’État en faillite (prémonition ?). Mais de plus en plus de gouvernements se refusent à faire ce qu’il conseille fortement puisqu’il n’a pas su prévoir, il y a moins de dix ans, une grave crise financière en Asie du Sud-Est et qu’il continue impavide à promouvoir clystères et saignées pour soigner souvent les conséquences de ses propres remèdes (par exemple les privati-sations des services publics).
Et par les temps qui courent, alors que la répartition des pouvoirs dans l’institution ne correspond vraiment plus à celle des puissances économiques du Monde en termes de production et de commerce (l’Inde et de la Chine, surtout, ne sont pas représentées à la hauteur de leur importance dans l’économie mondiale), il se trouve à court d’obligés, notamment parce qu’à force de prôner le marché, même ses plus mauvais clients trouvent (ou ont trouvé) assez régu-lièrement les ressources utiles sur le marché ou auprès des consortiums bancaires.
D’autres ont quasiment fait sécession : Chavez a fait se retirer le Venezuela du FMI et de la Banque Mondiale, l’Argentine a remboursé par anticipation ses encours auprès du FMI mais continue de flirter avec le Club de Paris et les Marchés financiers.
C’est dans ce contexte que Dominique Strauss-Kahn s’em-ploie à convaincre(2) de l’excellence de sa candidature au poste de directeur général des USA adoubée par la Commu-nauté Européenne et par Nicolas Sarkozy.
Il en est de même pour la Banque Mondiale, où malgré un encours important de prêts, le total diminue car les nouvelles opérations se font rares, les grands pays qui ont eu recours à ses services (Brésil, Inde, Chine…) se voyant courtisés par les marchés.
Pour les autres pays, ceux qui ont moins de moyens, les éligibles à l’Agence Internationale de Développement (AID), on s’achemine tant bien que mal vers un allègement obligé, aucune autre solution n’étant praticable.
Même si les deux organismes financiers multinationaux centraux ne sont actuellement pas en situation d’intervenir puisque les États ne les sollicitent pas, on peut s’inquiéter de ce que leur déficit de légitimité pourra être un obstacle lorsque les temps seront moins cléments.
L’OMC, qui est par construction garante de la liberté du commerce international multilatéral, piétine dans son obstination à vouloir faire sauter tous les obstacles au commerce international alors qu’elle ne cesse de tancer les plus riches, à commencer par les USA, qui ont les moyens de ne pas appliquer les règles qu’ils promeuvent pour les autres, et mettent en place toutes sortes de barrières non tarifaires qu’ils ont, eux, les moyens de faire respecter.
En dépit de négociations permanentes discrètes, les intérêts en jeu sont trop importants : le cycle actuel de négociations pour la libéralisation du commerce international dure depuis 2001 et il y a peu de chances que des progrès substantiels puissent être enregistrés entre – par exemple – les grandes zones de production de céréales. D’autant que l'OMC doit faire face à l'explosion du nombre de traités bilatéraux de commerce. Portés par les ÉtatsUnis, les pays d'Asie et redevenus priorité politique de l'Union européenne à la fin de l'an dernier, il en existe environ 300 et leur nombre a été multiplié par plus de cinq depuis 1990. Plutôt qu'une libéralisation négociée, c'est un protectionnisme organisé que mettent en place ces accords.
L’OCDE, après avoir lancé la machine de guerre de l’Ajustement Structurel qui a conduit aux privatisations sans rivage et à l’arasement de nombre de services publics parmi les État les plus faibles, s’est trouvée en nécessité de nommer à sa tête un Mexicain, Angel Gurria(3), petite consé-quence de sa large extension(4), après avoir subi un terrible camouflet avec l’échec de l’AMI qui prétendait quasiment supprimer toute souveraineté nationale dans les services publics, même ceux de la santé et de l’éducation.
Organisme plutôt technique, haut lieu de la diplomatie économique internationale, où seuls les hauts fonctionnaires sont admis (environ 40000 d'entre eux passent chaque année par l'organisation pour participer à plus de 200 comités techniques souvent axés sur la formulation de normes). Toujours à la pointe de la « flexibilisation » du travail, cette organisation a mis moins d’énergie à combattre les risques portés par la prolifération des places off shore, notamment bancaires.
Il n’est pas jusqu’à la Banque des règlements internationaux (club de riches s’il en est) qui ne soit le centre de rapports troubles dans son domaine, la Banque. Les États-Unis par exemple ne se sentent pas prêts à appliquer la dernière mouture de l’accord de Bâle qui avait instauré une règlementation sur les fonds propres des banques, au moins internationales.
Alors que les concepts anglosaxons, par l’intermédiaire de leurs organisations d’audit privées(5), ont fait une intrusion massive dans la conception des normes applicables aux banques et aux entreprises cotées («juste valeur»), les USA freinent des quatre fers pour appliquer les normes nouvelles à leurs propres banques(6).
Pourtant, en accrochant la valeur de leurs bilans aux fluctuations des marchés, ces normes deviennent «procycliques». elles sont plus laxistes quand les marchés montent et plus contraignantes quand ils baissent. Elles tendent ainsi à rendre encore plus instables les marchés financiers, alors que les Banquiers centraux, maîtres de la BRI, ont sourdement peur de la survenance d’une «crise systémique», et qu’ils se savent à la remorque de l’injection continue(7) de dollars pour contrer les risques aggravés issus de l’inflation financière boursière.
Il reste que dans ce paysage de contradictions plus ou moins sourdes et de rapports de forces affleurant de temps à autre, les peuples ont commencé à se faire entendre. Les mouvements altermondialistes ne cessent de suivre à la trace les manifestations les plus outrées / voyantes de la gouvernance mondiale capitaliste (G5/7/9 etc., Forum de Davos…) et de réclamer des dispositifs qui ne fassent plus du profit l’alpha et l’oméga de la création de richesses. Seules ont fleuri quelques maigres réponses sous forme d’objurgations bancales, telle le concept de «croissance soutenable», pour le moment.
Le monde a besoin d’institutions internationales solides, influentes mais aussi répondant aux besoins des peuples d’aujourd’hui en ayant une vision forte de l’avenir, et des contraintes que cela suppose en matière de gestion de la planète(8).
Le système mondial de l’ONU (dont font partie, il faut le souligner le FMI et la Banque Mondiale) a vieilli.
Les énormes bureaucraties qu’elle a générées sont plus à l’écoute des problèmes des multinationales et des pays riches que des besoins de la planète.
Et c’est souvent contre les préceptes qu’elles appliquent que certains pays en développement ont plus ou moins réussi. Bâti pour résoudre les problèmes après la seconde guerre mondiale, le système de l’ONU ne correspond ni à l’état des forces en présence, ni aux aspirations des peuples, ni surtout au nouvel état des problèmes à résoudre.
Il a certes évolué, s’est enrichi, mais s’est aussi fortement bureaucratisé(9) ; et la symbolique de l’emplacement de son siège principal, New York, est plutôt représentative d’une certaine forme d’impérialisme. Par exemple, un dépla-cement des sièges de l’ONU, du FMI et de la Banque Mondiale pourrait être le signe d’un changement de perspective, dans le sens d’une moindre dépendance des pays riches.
On ne peut plus concevoir une quelconque gouvernance mondiale sans prendre soin de la niche écologique humaine, bref sans tenir compte des avertissements venant par exemple d’un Jared Diamond(10), ni faire comme si la crois-sance des inégalités entre les hommes, fruit de la mondia-lisation capitaliste, était seulement le fruit des inégalités de talents naturels.
La raison des marchés conduit à la catastrophe.
Une nouvelle hiérarchie des priorités mondiales doit être établie ■
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(1) Alternatives économiques Juin 2007.
(2) DSK a fait appel à deux agences de relations publiques américaines, l'une pour la presse et l'autre pour les décideurs internationaux, TD International. Cette dernière, dirigée par trois anciens diplomates du département d'État, s'est fixée pour devise « Tertium datur », autrement dit « une troisième voie est possible.
(3) Lui aussi épinglé pour népotisme : « selon l'hebdomadaire britannique The Economist , emploi offert à sa fille à l'OCDE, avant qu'elle ne quitte précipitamment le poste »
(4) Club de pays riches au départ (1960), l’organisation compte désormais 30 membres et tente de s’ouvrir encore à l'Estonie, à la Russie, au Chili, à Israël et à la Slovénie. Même si ses activités sont extrêmement diverses, elle fait quelque peu doublon avec les organisations universelles rattachées plus ou moins à l’ONU.
(5) Ce qui d’ailleurs favorise les grands cabinets internationaux.
6) Et pourtant au début août American Home Mortgage s'est déclaré incapable de financer de nouveaux prêts et n’a pu rembourser certains prêts venant à échéance en raison des difficultés croissantes de ses obligés à effectuer leurs remboursements. Ce qui a déclenché un tohu-bohu certain à la bourse.
(7) Compte tenu de la hiérarchie des marchés et de la puissance des premières entités bancaires mondialisées (surtout américaines) la gestion des taux d’inté-rêts est plutôt à la remorque des marchés dérivés que des moyens traditionnels des banquiers centraux, qui doivent «marcher sur des œufs» pour ne pas risquer d’entraîner un phénomène de dominos. Ils sont alors conduits à soutenir en quasi permanence la fameuse «exubérance rationnelle des marchés».
(8) L’Humanité Dimanche du 5 juillet dernier à levé un lièvre qui rôde depuis longtemps : «la surconsommation des riches pollue». Développement social, réduction des inégalités et aménagement écologique pour l’homme ne peuvent qu’aller de pair. On peut rappeler ici que le pays le plus pollueur, les USA, n’a toujours pas adhéré même formellement au Protocole de Kyoto, pourtant déjà bien vieux et quelque peu minimal.
(9) Entre les organes centraux les organismes spécialisés et autres bureaux et secrétariats la centaine de sigles est allégrement dépassée.
(10) Voir «Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie», Gallimard Essais juin 2006.
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