Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le monde des Télécoms miné par la réglementation et la finance : De nouvelles pistes à inventer

Le secteur des télécoms, pourtant en pleine croissance, souffre d’une régulation incapable de répondre  aux besoins élémentaires exprimés comme la couverture fixe et mobile uniforme du territoire, des tarifications  transparentes. L’exemple le plus démonstratif  est celui de la mise en concurrence des services de renseignements téléphoniques. Plus sournois est l’obstacle que crée le régulateur pour la construction d’un réseau Fibre optique unique jusqu’à l’abonné, estimant qu’elle remettrait  en cause le dogme de la « concurrence libre et non faussée ». Le monde des télécoms, c’est aussi un secteur miné par les exigences de rentabilité financière et de rémunération du capital à l’exemple de France Télécom mais aussi de l’ensemble des opérateurs et équipementiers. De formidables  opportunités sont ainsi gâchées, les innovations n’étant portées que sur les seules activités à valeur ajoutée et ne nécessitant qu’un investissement sans risque. Un groupe de travail mis en place par le gouvernement après le plan social chez Alcatel-Lucent préconise seize pistes d’actions. Elles ne suffiront pas à sortir le secteur télécom de la neurasthénie  si on ne s’attaque pas aux véritables causes : la réglementation, la financiarisation.

La réglementation sectorielle entretient la défiance, freine l’investissement, la croissance

Viviane Reding, la commissaire européenne de la Société de l’Information souhaite « promouvoir le développement d’opérateurs paneuropéens », et ainsi « remédier à un manque de concurrence ». Elle préconise d’autre part « un seul régulateur européen», estimant que «les réglementeurs nationaux sont trop laxistes et non cohérents ».

Pourquoi aller plus loin alors que la concurrence «libre et non faussée », mise en place à partir des années 90 sur le secteur des télécoms, n’en finit pas de démontrer au quotidien sa nocivité ? Question  peu posée d’autant que ce processus enclenche des mécontentements croissants. Les contentieux entre opérateurs se multiplient les obligeant à intégrer dans leurs comptes des réserves financières conséquentes. Telefonica doit payer 152 millions  pour abus de position dominante sur le marché du haut débit suite à une plainte de France Télécom présent en Espagne.

Nous pouvons lire ainsi dans les documents de référence et bilans financiers annuels des « risques directement liés à l’opérateur », des  « risques liés au secteur des télécommunications », des «risques liés aux marchés financiers ». Des mesures conservatrices sont systématiquement mises en œuvre pour parer à toute éventualité. Une paranoïa s’est ainsi installée dans un secteur où les frontières entre mondes des réseaux, de l’audiovisuel et de l’informatique se chevauchent et se tuent entre eux. S’y ajoutent les associations de consommateurs – dont certaines en font un commerce  – qui multiplient lesenquêtes, sondages et tests, placent devant la justice les opérateurs, en revendiquant une loi class-action permettant une action de masse par un grand nombre de personnes qui ont toutes individuellement subi le même préjudice. Notons que la plupart des associations ne remettent pourtant pas en question la logique de « concurrence libre et non faussée ». L’UFC souhaite même plus de concurrence en revendiquant un 4e opérateur mobile en France…

Un secteur en pleine phase de consolidations

Cette défiance détériore la confiance entre consommateurs et acteurs des télécoms, mais aussi entre opérateurs et investisseurs. N’oublions pas que les principaux acteurs ex-monopoles publics nationaux sont aujourd’hui tout ou partie privatisés. Il suffit d’observer l’évolution des cours de l’action des principaux  opérateurs européens et équipementiers pour constater une désaffection chronique des valeurs du secteur. La moindre mauvaise annonce est immédiatement sanctionnée. Le secteur est en surtension.
La Commission présentera à l’automne le nouveau cadre réglementaire qui s’appliquera au secteur entre 2010 et 2015. Le ton est ainsi donné d’une volonté de passer un cran supplémentaire visant à casser toute structure nationale « qui pourrait freiner le processus d’intégration européenne ».
Cette démarche encouragera une consolidation autour des principaux acteurs.
Elle est déjà très sérieusement  menée en France où trois opérateurs fixes dominent le marché : France Télécom, Neuf-Cegetel, Iliad-Free et trois opérateurs mobiles : Orange, SFR et Bouygues. Ajoutons y les réseaux câblés et TDF sous la tutelle de LBO. La consolidation  n’en est qu’à ses débuts. L’heure est à la convergence des réseaux et des services indépendamment du lieu et du terminal. D’une logique de monopoles et services publics nationaux, puis de l’apparition d’une multitude  d’opérateurs de niches ou de fournisseurs d’accès, le secteur tend à se concentrer  pour se façonner à terme autour de quelques oligopoles multinationaux privés. Mais d’autres bouleversements arrivent…

Lintrusion réelle du monde informatique sert de prétexte à des restructurations capitalistiques sans précédent

La communauté des télécoms s’est élargie. Les nouveaux espaces qu’offre Internet  changent les règles en matière de support, de technologie, de rémunération. Les opérateurs télécoms ne peuvent plus survivre à terme en louant simplement les lignes téléphoniques et la facturation  des appels (conséquence du dégroupage et de la téléphonie illimitée). De même, les diffuseurs de télévision, les producteurs de films et de disques ou les éditeurs de livres et la presse écrite, jusqu’alors relativement préservés dans leurs précarrés, se voient malmenés par des «intrus » qui «squattent » les réseaux gratuitement, absorbent les revenus publicitaires, développent leur culture anglo-saxonne (Google, Skype, Yahoo, Ebay, Microsoft, Apple,…). L’Europe est incapable de rattraper son retard, conséquence d’un laxisme politique dramatique. La Chine et l’Inde réagissent avec beaucoup plus d’efficacité.

Le chevauchement d’activités et de métiers entre les opérateurs de réseaux et le monde informatique  bouscule tous les repères et les modèles économiques.

D’un travail de fournisseur d’accès au téléphone, à l’Internet et au mobile de moins en moins rémunérateurs, les opérateurs de réseau deviennent créateurs, producteurs et fournisseurs de contenus. Ils espèrent ainsi compenser leur perte de revenus. Simultanément, les opérateurs historiques doivent assumer l’entretien et la modernisation des réseaux fixe et mobile, les commercialiser dans le cadre d’une réglementation très stricte. Les coûts en personnel à France Télécom représentent par exemple 16 % du chiffres d’affaires contre 10 % chez les opérateurs alternatifs, encore moins pour les milieux informatiques dont les outils de travail sont dématérialisés. Paradoxe, l’arrivée des nouveaux contenus exige des réseaux de plus en plus performants. La reconstruction d’un réseau en fibre optique jusqu’à l’abonné est devenue une exigence. L’installation d’une prise revient de 1 000 à 2 000 euros selon les lieux d’implantation. Les opérateurs historiques, constatant une réglementation européenne qui les pénalise, rechignent à investir dans ce réseau.

La financiarisation  des entreprises de réseaux et le poids croissant des actionnaires privés sur les décisions stratégiques empêchent toute perspective d’investissement dont la durée d’amortissement  excède plusieurs années. C’est ainsi que Bruxelles encourage des financements publics dans le cadre du même esprit « concurrence libre et non faussée ».

La financiarisation et la recherche de baisse des coûts

Tous les opérateurs sans aucune exception visent « l’excellence opérationnelle » et accélèrent les cessions-fusionsacquisitions. Tous deviennent des proies ou/et des prédateurs. Une recomposition s’opère en France et en Europe évidemment, mais surtout vers les pays à fort potentiel de développement (Afrique, Asie, Amérique latine). Des capitaux considérables se mobilisent  dans le cadre d’un Monopoly mondial (Fonds d’investissement,  Fonds de pension, LBO,…). Pour se faire acheter et dégager de fortes plus-values mais aussi pour acheter de nouveaux actifs, l’obsession d’une rentabilisation du capital maximale est essentielle. Il s’agit, pour attirer des capitaux, d’attribuer de très confortables dividendes aux actionnaires.
Pour réduire les coûts, tous les moyens sont utilisés : transfert des opérations vers le consommateur (automatisation), sous-traitance (réseaux), externalisation (le cœur de métier se réduit à une portion congrue), délocalisation (centres d’appels), points d’accueils physiques franchisés, baisse des coûts par une mise en concurrence sous forme d’enchères, partenariats stratégiques visant à mutualiser les coûts et les risques, une R&D axée sur l’innovation et moins sur la recherche fondamentale, financements croisés entre opérateurs et Fonds d’investissements,…
Ces choix stratégiques,  de gestion et de financement occasionnent des restructurations gigantesques qui cassent tout le tissu social (métiers, statuts des salariés, rémunérations, qualité de l’emploi, formation,…).  Une perte des compétences occasionne des dysfonctionnements  et une dégradation de la qualité de service.
Pour comprendre, il suffit d’analyser la stratégie du Groupe France Télécom qui, au nom de la concurrence et malgré des résultats financiers insolents, organise depuis 2006 et jusqu’en 2008, 10 000 mouvements internes, 22 000 départs et seulement 6 000 recrutements.
Au total, sur les 17 000 suppressions d’emplois prévus à l’échelle du Groupe, 16 000 se réalisent en France dans un contexte de transformation complète des métiers.
Les dirigeants de France Télécom se vantent « de ne pas avoir fait de plans sociaux ni d’externalisation des sureffectifs » contrairement aux autres opérateurs européens comme Deutsche Telekom. Pourtant, rien qu’en France, les effectifs sont passés de 156 620 salariés à 108 888 de 1997 à 2006. Signalons au passage que les emplois créés par la concurrence n’ont pas compensé les suppressions d’emplois à France Télécom puisqu’au total, le déficit se situe d’après l’Idate à 20 000 emplois  en Europe.
En France,  SFR est en passe de mettre la main sur Télé2 et cherche à externaliser ses plateformes.  Des luttes fortes du personnel sont en cours. Neuf Cegetel fait son marché en achetant les fournisseurs d’accès en vente (AOL, Club Internet,...).
Là encore de nombreuses restructurations et des luttes. Ce sont les réseaux câblés Noos-Numéricâble rachetés par des Fonds d’investissements qui à force de compression de personnel laissent l’usager dans une panade inextricable.
Soulignons enfin TDF et les activités satellites aux mains là encore des fonds d’investissements et dont les salariés sont confrontés à des choix de gestions drastiques.

Quelles perspectives du secteur des télécommunications en France et en Europe ?

Un groupe de travail  sur les télécoms, à l’initiative du gouvernement Villepin a rendu son rapport suite à l’annonce par Alcatel-Lucent de supprimer  12 500 emplois dont 1 468 en France. Le rapport présidé par Pascal Faure s’est penché sur « les tendances de fond de l’ensemble du secteur » et a élaboré « des recommandations stratégiques ».
Ainsi, il est dit par exemple que « malgré le dynamisme du secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), cette filière fait des économies en licenciant une partie de ses employés ».
L’analyse met en évidence que le secteur des équipementiers en télécommunications est engagé dans une mutation structurelle, progressive et nécessaire, conséquence d’une pression concurrentielle aujourd’hui très forte et résultant de deux facteurs principaux : leurs clients opérateurs et les concurrents chinois.
Le groupe de travail estimait toutefois impropre, d’un avis partagé, de parler de crise du secteur dès lors que l’on constate une croissance globale et toujours très soutenue en volume.

A partir de ces réflexions, le groupe de travail préconise un ensemble de seize recommandations regroupées en 5 thèmes

1) Démultiplier les efforts de R&D et d’innovation par le renforcement des partenariats entre les acteurs, la mise en œuvre d’expérimentations et de projets-pilotes à grande échelle et un soutien renforcé aux PME innovantes. (Pôles de compétitivité).

2) Définir et mettre en œuvre une politique publique vigoureuse en faveur des infrastructures et des usages pour donner à l’effort de R&D et d’innovation un terrain d’application pertinent et utile à l’ensemble des citoyens.

3) Promouvoir au niveau européen un écosystème fort et innovant favorisant le développement du secteur des technologies et services de l’information et de la communication.

4) Préserver le potentiel de compétences accumulées en engageant, sous la forme d’un accord-cadre, une réflexion prospective permettant aux entreprises et aux partenaires sociaux de mieux anticiper les évolutions structurantes du secteur.

5) Mettre en place un cadre de gouvernance national et européen adapté à la conduite des mesures préconisées et proportionné à l’enjeu majeur que représentent les TIC pour la croissance et l’emploi.

Si, sur une partie du diagnostic et de certains thèmes, le rapport pointe de vrais enjeux et expose de véritables alternatives comme la proposition  No 8 d’un des thèmes « Arrêter, sous l’égide du Premier ministre, un programme thématique pour le déploiement des TIC dans le cadre de missions de service public reconnues prioritaires et lancer des projets-pilotes ambitieux pour préparer sa mise en œuvre », aucune ne remet en question la financiarisation  des entreprises ni la réglementation basée sur la « concurrence libre et non faussée ». La puissance publique devrait donc pallier les gâchis industriels et sociaux. Inacceptable évidemment d’autant que la multiplication des initiatives publiques en matière d’infrastructures n’ont abouti qu’à une duplication des réseaux sur les territoires les plus rentables et la poursuite de la désertification numérique et culturelle.

Ce sont aussi les énormes profits des entreprises  confisqués par les actionnaires (dividendes) et les banques (frais financiers liés à l’endettement) qui empêchent un développement durable des opérateurs de réseaux, d’accès aux services et aux contenus.

Cependant, au travers de ce rapport qui devrait servir de bible aux négociateurs français à Bruxelles dans le cadre de la révision des Directives européennes, des opportunités  de contre-propositions restent crédibles pour sor tir un maximum d’activités du secteur des télécoms de l’emprise marchande. Une appropriation  publique  des activités réseaux et services est plus que jamais d’actualité.  Les arguments ne manquent pas.

Il s’agit bien de remettre en question la régulation actuelle pour une autre, dont la mission consisterait à ne pas avoir pour dogme le développement de la concurrence mais plutôt des idées au service de l’intérêt général et dans l’esprit d’un service public de la communication, de toute la communication. Pour mettre en œuvre ce processus, les salariés, les usagers et les élus doivent s’écouter et rechercher les convergences d’actions. Il faut permettre à tous les acteurs d’accéder et de peser dans tous les lieux de décisions dans l’entreprise, évidemment, mais aussi dans des instances qui restent à inventer au niveau local, national et international

 

 

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