Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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EADS et AIRBUS : six ans de gestion libérale, un échec qui appelle une autre logique pour toute la filière aéronautique

S’il est un dossier industriel  et social qui mobilise l’opinion  publique,  c’est bien celui de l’aéronautique  et du spatial, tant celui-ci est inscrit dans les consciences comme un axe majeur de notre industrie, porté par les succès technologiques  d’ARIANE,  d’AIRBUS, voire  de DASSAULT. Quant au mythique CONCORDE, il représentera  encore longtemps la part de rêve et d’enthousiasme que suscitent les perspectives aéronautiques.

Les difficultés que rencontre  aujourd’hui  EADS révèlent en réalité les contradictions qui s’approfondissent autour d’une construction essentiellement financière. Celle-ci est bâtie sur des critères de rentabilité maximale et immédiate, mais dans un contexte de développement potentiel inédit des besoins aéronautiques au niveau mondial, dans une industrie de haute technologie qui nécessite la stabilité et des investissements lourds. Ceci évidemment contient des risques dans le cadre d’une politique industrielle ambitieuse.
Jusqu’au début des années 90, ces éléments  essentiels étaient assumés par les pouvoirs publics en France et partagés par d’autres partenaires en Europe.
Depuis lors, c’est à une phase de déconstruction-reconstruction qu’a été progressivement confrontée toute la filière aéronautique, les critères imposés par la politique Européenne néo-libérale ouvrant à un processus accéléré de désengagement public, sciemment orchestré par les pouvoirs successifs.

C’est dans cette période qu’a été initié le processus de fusion  SNIAS-MATRA, accompagné  d’une logique  de dénigrement et d’affaiblissement du concept Entreprise Publique : Restructurations multiples accompagnées d’abandons de sites et de pertes massives d’emplois, dégradation du statut salarial, autant d’évènements générateurs de désillusion et de perte de repères, constituant une préparation efficace à la privatisation, MATRA et Lagardère étant hissés sur un piédestal de la réussite : Innovation, souplesse, technologies de pointe, performances financières.

C’est ce désengagement délibéré et les mains libres laissées aux actionnaires privés et à leurs exigences prioritaires de profitabilité qui créent un paradoxe incroyable, moins de six ans après la création de EADS :

– Un carnet de commandes au plus haut niveau, des programmes nouveaux appelés à ouvrir un nouveau palier d’innovation et de croissance, un besoin incontournable d’embauches nombreuses…

– Mais une réponse à ces exigences, dévoyée sur le terrain de l’intérêt étroit des actionnaires avec un plan POWER8 désastreux, comportant à la fois des abandons industriels, des pertes d’emplois et une politique d’économies drastiques, en pleine phase de développements cruciaux pour l’avenir.

L’émotion et le rejet de POWER8 résident bien dans le sentiment largement partagé par les salariés et l’opinion publique que ce plan n’est pas justifié par la santé d’AIRBUS qui cumule 661 commandes fermes depuis janvier contre 495 pour BOEING.
Cet afflux de commandes  pesant 70 milliards d’euros va créer un accroissement considérable de trésorerie qui, ajouté aux 4,8 milliards actuellement disponibles devrait permettre la marge nécessaire afin de lancer les futurs programmes sans endettement majeur.
Pour autant, la direction EADS maintient le plan POWER8, le but poursuivi n’étant pas un redressement industriel qui n’a pas lieu d’être, mais la hausse du taux de profitabilité jugé insuffisant par les actionnaires. Fin 2006, l’ex-coprésident Enders n’hésitait pas à affirmer : « Il faut aller vers un modèle anglo-saxon pour l’actionnariat EADS qui fasse appel aux fonds de pension. Sans POWER8, EADS ne serait plus attractive pour les investisseurs privés ».
C’est cette orientation qui est appliquée à AIRBUS comme à toutes les filiales EADS et à laquelle est sommée de se plier toute la filière aéronautique.

C’est ainsi qu’EUROCOPTER multiplie les commandes mais ne réalise pas l’effort industriel et les embauches nécessaires pour assurer l’aboutissement de ses programmes…Le NH90 révèle les mêmes dérives que celles du A380 et certains n’hésitent pas à comparer les deux situations en imaginant les mêmes remèdes.
C’est ainsi qu’ASTRIUM se porte au mieux avec 35 nouvelles commandes de lanceurs ARIANE-5, mais retarde les investissements de recherche et les programmes à engager pour prolonger ARIANE-5 et élargir la gamme de lanceurs futurs… En attendant, les plans de réduction d’emplois se suivent et l’inquiétude grandit au centre de R & D des Mureaux.
C’est ainsi que le secteur défense et particulièrement MBDAF accroit régulièrement ses résultats et cède aux actionnaires chaque  année 100 millions d’euros (soit l’équivalent de son résultat), mais fait dangereusement l’impasse sur ses programmes futurs et reporte sans fin les plans d’embauches nécessaires… La moyenne d’âge du centre de R&D frôlant les 47 ans.
Quant aux filiales d’aéronautique SOCATA ou REVIMA, elles sont privées d’un véritable projet d’avenir, la direction du groupe se désengageant de tout investissement et n’envisageant une issue que par un repreneur… L’exemple SOGERMA montre le but recherché : une externalisation permettant  de baisser les coûts en pesant sur les statuts, les conditions et le temps de travail.
C’est cette démarche en cours dans EADS qui est destinée à toute la filière aéronautique. Mais c’est aussi cette même démarche qui rencontre des résistances fortes chez les salariés AIRBUS et de nouvelles convergences syndicales de construction, y compris dans la FEM (fédération  européenne de la métallurgie),  avec la volonté largement exprimée de gagner des espaces d’intervention en amont des décisions et de contester les choix financiers avec des propositions alternatives incluant les investissements et leur orientation, leur financement et le contrôle de leur utilisation, le rôle et la place des pouvoirs publics du niveau local au niveau européen.
Ces convergences autour d’une remise en cause de la domination des critères financiers se sont concrétisées dès février 2007 dans une plate-forme de propositions de la FEM impliquant :
– Une politique industrielle définie sur le long terme, avec des objectifs de création d’emplois, de statut social de haut niveau et de codéveloppement intra européen.
– Des rapports  de coopération  entre donneur d’ordres et sous-traitants, rejetant domination et dumping social.
– Des politiques et des budgets ambitieux en terme de recherche et d’innovation.
– Des droits nouveaux garantis aux salariés avec des prérogatives renforcées (CE et CCE), des représentants salariés au conseil d’administration.
Cette plate-forme est une réelle avancée de convergences mais on y perçoit très vite ses limites,  tant est prégnante l’absence de remise en cause fondamentale de la construction libérale du groupe  EADS et encore présente l’illusion que d’autres orientations industrielles et sociales seraient possibles, définies dans une « coopération constructive » avec le capital privé, sans remise en cause des fondements financiers qui régissent le groupe EADS.
Cependant, au fil des mois et des luttes, des positionnements plus ambitieux se sont exprimés, y compris au plus haut niveau de la FEM et de la CES, avec l’ouverture du débat sur les financements, leur orientation et leur contrôle, de réels pouvoirs pour les salariés permettant de contester les choix.

Quant au syndicalisme français, il opère autour du dossier AIRBUS un processus de débat, à la fois nouveau sur la nature et le niveau des propositions,  des rapprochements sensibles s’avérant possibles entre la CGT et FO sur le rôle des pouvoirs  publics, sa part dans le capital, son impulsion nécessaire pour orienter une politique industrielle ambitieuse, ouverte sur des objectifs de réponse aux besoins humains, la recherche et l’innovation créatrice de richesse et d’emplois. La CGT étant plus à l’initiative sur l’impératif du renforcement des droits et des pouvoirs d’intervention des salariés.
Le débat est donc loin d’être figé et les clivages antérieurs sont sérieusement bousculés. Mais pour autant, le dossier EADS et plus largement  le dossier de la filière aéronautique et spatiale ne peut faire l’impasse sur la construction d’un projet politique intégrant  l’ensemble de la problématique, allant jusqu’à mettre en débat une nouvelle cohérence, elle-même posant aux salariés-citoyens la question du choix de société.
Au cœur  du débat  EADS autour du quel se joue l’avenir de toute la filière européenne de l’industrie aéronautique, c’est bien un modèle de société qui se met en construction. Soit il s’imposera aux salariés et aux citoyens, soit une autre logique pourra émerger à partir de leurs résistances, en les nourrissant d’une visée politique alternative.
Ce débat révèle en profondeur les contradictions actuelles en œuvre dans la société française comme en Europe. Tout comme le referendum sur la constitution libérale, le plan POWER8 imposant la soumission de notre industrie aéronautique à des objectifs purement financiers, aboutit à un rejet citoyen majoritaire.
Pour autant, et les élections présidentielles et législatives l’ont bien montré, le prolongement des résistances par un processus de construction alternative conscient  et actif ne va pas de soi et nécessite le débat politique dans l’entreprise, parce que celle-ci est au cœur des choix qui orientent l’avenir de toute la société.
Il ne s’agit donc pas d’intervenir sur des prérogatives syndicales mais de donner un prolongement politique  à ce champ ouvert du contradictoire ; s’y refuser serait fermer toute possibilité d’alternative réelle, au mieux gagner conjoncturellement des conquêtes sociales selon le niveau des de rapport de forces.
Abandonner le débat politique dans l’entreprise, c’est aussi comme on l’a vu avec le programme de N. Sarkozy, permettre que deviennent crédibles des réponses dévoyées à des aspirations justes : La revalorisation du travail et de son paiement, la sécurité sociale professionnelle…
Les revendications salariales n’ont certes pas disparu avec l’échec électoral de la gauche et les responsabilités des organisations syndicales seront lourdes dans la période à venir pour porter les aspirations des salariés qui ne manqueront pas de s’exprimer, y compris en contradiction avec le bulletin de vote déposé dans l’urne.
Mais la faiblesse de l’organisation et de l’expression communiste dans l’entreprise doit nous interpeller.  N’est-ce pas paradoxal que le dossier  AIRBUS ait tant mobilisé l’opinion publique en pleine campagne électorale en pointant fortement l’absurdité d’un plan destructeur guidé par une logique de profit et que nos propositions alternatives de politique industrielle, de financement, de son orientation et de son contrôle, de sécurisation de l’emploi aient été tellement absentes du débat des communistes avec les salariés dans les entreprises ?
Nos assises pour l’emploi et notre proposition de sécurité emploi formation ont-elles été réellement portées avec la volonté de faire de chaque communiste dans l’entreprise un acteur de mise en crédibilisation  de nos propositions, face à l’insécurité sociale et aux attentes exprimées par les salariés et plus largement par l’opinion publique ?
Si le résultat des élections n’a pas tiré un trait sur les aspirations et les luttes sociales, il n’impose pas non plus la fin du débat politique sur le projet de société, en attendant les prochaines  échéances. Au contraire, les propositions communistes restent profondément d’actualité et s’enrichissent considérablement (voir Economie et Politique de mars/avril).
N’est-il pas temps de repenser notre activité et notre organisation communiste à l’entreprise ?
N’est-il pas urgent de réellement mieux partager entre militants communistes notre proposition de loi « pour une sécurisation de l’emploi et de la formation », le financement et l’orientation des fonds publics pour une autre politique industrielle plaçant l’humain et les objectifs sociaux au centre de toute décision ? Poursuivre ce « débat-construction » va bien au-delà de la démarche syndicale et ne lui nuit pas. Au contraire, l’absence de débat politique dans l’entreprise ne pourrait qu’être source de fatalisme, voire de désespérance à l’avenir.
En réinvestissant le champ politique dans l’entreprise, les communistes participeront  efficacement à donner du sens aux luttes des salariés-citoyens.
Décidons ensemble, dès cette rentrée de mettre en pratique cette démarche au cœur de la filière aéronautique, dans chaque entreprise et bassin d’emploi. Les communistes y sont en attente et disponibles, nous avons des propositions vraiment novatrices qui peuvent donner du sens aux luttes que mènent les salariés et leurs organisations syndicales. Faisons les vivre, mettons les en débat et ouvrons les à la pratique.C’est ainsi que nous ferons la meilleure preuve de l’utilité et de l’avenir du PCF

 

 

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