Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pendant la crise, la guerre des places financières continue

« Nous sommes dans un moment où les places financières se livrent à une concurrence roce », déclarait Christine Lagarde aux Échos le 18 octobre dernier. C’était quelques jours après les bonnes intentions de coopération internationale affichées par les chefs d’État au sommet de Pittsburgh ! La crise financière qui est, d’une certaine façon, un produit de cette concurrence, est donc loin d’avoir appor une trêve ; elle exacerbe au contraire la guer r e incessante que se livr ent les capitaux à la recherche de la rentabilité maximale, chacun s’appuyant sur le soutien de son État national.

Dans cette guerre de tous contre tous, un atout déterminant est de disposer d’une place financière active, c’est-à-dire d’un marché l’on achète et l’on vend des titres de propriétés des entreprises (actions), des titres de dettes des agents économiques publics ou privés (obligations ou titres du marché monétaire émis par les États, les collectivités territoriales, les grandes entreprises ou les banques), et les « produits dérivés » qui servent à spéculer sur ces titres (contrats à terme, options, swaps et toutes les combinaisons imaginables entre ces produits). Il y va de cette valeur suprême que les financiers appellent la liquidité : la possibilité de vendre à tout instant un titre dont la rentabilité paraîtrait moins prometteuse que celle d’un titre concurrent. Les financiers exercent ainsi un chantage permanent sur les gestions d’entreprises et sur les politiques publiques. C’est un des leviers principaux qui ont renfor la domination du capital lorsque la libéralisation financière a été inaugurée au tournant des années soixantedix et quatre-vingt, lorsqu’il s’est avéré que le monde

capitaliste était entré dans une crise structurelle et durable. Un des attributs essentiels de la puissance économique réside ainsi dans la capacité des capitaux dominants à s’investir là où les promesses de rentabilité sont les plus fortes.

Une « mondialisation » financière toujours dominée par les États-Unis

Les États-Unis disposent dans ce domaine d’une supériorité évidente : la place financière de New York est la plus grande et la plus liquide du monde. L’attraction de capitaux venus du monde entier a beaucoup contribué à financer l’avance des groupes multinationaux américains dans les secteurs stratégiques qui se sont développés depuis trente ans et qui exigent des investissements énormes en recherche-développement et en réseaux informationnels : informatique, télécommunications, biotechnologies...

Cependant, la place de New York n’est pas seule au monde. L’activité financière ne s’interrompant jamais, elle doit pouvoir s’exercer successivement au fil des heures sur trois continents : les Amériques, l’Asie et l’Europe. Dans la première zone, la suprématie de New York est incontestée, même si le berceau des « produits dérivés » est Chicago et si le pouvoir politique et monétaire est à Washington, lieu où se réunit le conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale. En Asie, la place géante est celle de Tokyo ; son essor a cependant subi un coup d’arrêt avec le krach de 1990, dont l’économie japonaise, vingt ans après, n’est toujours pas remise. Depuis ce temps, Singapour, Séoul, Hong Kong et maintenant Shanghai ont affirmé leurs ambitions. (voir tableau).

Tableau: voir le PDF

Source : Fédération internationale des Bourses de valeurs.

régions La situation est encore plus compliquée en Europe, la crise, particulièrement violente en Grande-Bretagne, peut jeter un doute sur la prétention de Londres à conserver son rang de capitale financière du monde mais où, pour des raisons diverses, Francfort et Paris peinent à faire apparaître une alternative crédible.

Les États au service de la finance

Toutes les politiques économiques peuvent être lues à la lumière de cette guerre des places financières, depuis la construction de l’euro conçue avant toutes choses dans le but d’édifier un marché libéralisé, rival de New York dans l’attraction des capitaux jusqu’au projet de « grand Paris » destiné à rouler un tapis rouge devant les « investisseurs » des pays développés ou des pays émergents. La construction monétaire européenne s’est-elle traduite par une solidarité entre les places de la zone euro ? On en est bien loin, et la compétition est presque aussi sévère entre elles qu’avec Londres. La concurrence entre les bourses de valeurs du continent en a apporté la démonstration lorsque Paris et Francfort se sont révélées incapables d’unir leurs efforts face à Londres. Au contraire, elles sont allées jusqu’à présenter des offres concurrentes pour tenter de prendre la majorité du capital de la société qui re la Bourse de Londres ! Finalement, Francfort qui conserve l’avantage d’abriter le siège du pouvoir monétaire dans la zone euro a choisi de miser sur quelques secteurs d’activités spécialisés ce dont la puissance des groupes multinationaux à base allemande ne souffre pas trop si l’on en juge par les performances qu’ils réalisent sur les marchés internationaux au détriment de leurs concurrents européens (1). Paris, associée à Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne au sein d’Euronext, reste seule à prétendre disputer les premiers rôles à Londres. Une prétention qui peut paraître dérisoire au regard de la concentration de compétences et de capitaux qui distingue de loin, encore aujourd’hui, la City. aussi lorsqu’on songe que la Bourse de Paris a fini par devenir une annexe du New York Stock Exchange (NYSE) en intégrant le groupe NYSE Euronext en 2007.

Sarkozy, meilleur serviteur des marchés financiers ?

Pourtant, servir par tous les moyens les intérêts de la place financière de Paris reste plus que jamais le credo du gouvernement Sarkozy. Christine Lagarde ne manque jamais une occasion de prodiguer son soutien à l’association Paris Europlace qui regroupe tous les banquiers, financiers et autorités administratives qui comptent sur la place. Elle préside le « Haut Comité de place » mis en place par Nicolas Sarkozy en 2007, avec une obsession : « renforcer l’attractivité de la place financière française et la compétitivité des infrastructures de marché, des émetteurs d’instruments financiers, des intermédiaires financiers et de la gestion collective pour compte de tiers ainsi que des activités qui y sont liées, tout en veillant à la bonne information des investisseurs et à la stabilité financière ». Pour Paris Europlace, « le système financier français a mieux résisté à la crise que les autres grandes places financières et la place de Paris entend utiliser cette opportunité pour consolider son industrie financière face à ses grands concurrents ». Il s’ensuit un vaste programme d’actions touchant des domaines aussi divers que l’adaptation de la législation française au droit communautaire, l’adaptation du cadre juridique français aux particularités de la finance islamique (la compétition pour attirer les pétrodollars est encore plus acharnée qu’aux lendemains des premiers « chocs pétroliers »), la révision des normes comptables internationales (qui favorisent outrageusement les multinationales américaines), ou encore une idée à laquelle le président Sarkozy tient tout particulièrement : la « lutte contre la pénalisation excessive du droit des affaires qui constitue une source d’insécurité juridique, handicape l’esprit d’entreprise et pèse sur l’attractivité économique de la France (2) » !

Pour une poignée de microsecondes…

Un exemple récent suffira à mettre en lumière le degré d’exacerbation que peut atteindre la concurrence entre places financières de nos jours. La Bourse de Paris (NYSE Euronext pour l’appeler par son nom) justifie la délocalisation à Londres d’une partie de ses services informatiques par un gain de temps dans la transmission des ordres électroniques : « notre migration va nous permettre de gagner une microseconde, explique un responsable C’est pourquoi nous allons rapprocher nos serveurs des arbitragistes pour leur garantir la vitesse, de façon à assurer la liquidité pour tout le monde et en particulier les courtiers (3)». Une microseconde ! La concurrence sur les marchés financiers est désormais sensible au temps que les signaux électroniques mettent à traverser la Manche, à la vitesse de la lumière… Cela vient de l’importance prise par les systèmes automatiques de négociation, pilotés par ordinateur. Qui ira vérifier les « bugs » de ces systèmes en cas de krach, lorsqu’ils déchaîneront des mouvements incontrôlables sur les marchés (ce n’est pas de la science-fiction, cela s’est déjà produit) ? Enfin, la décision d’Euronext consiste bien à reconnaître que le business (au moins pour les ventes et achats d’actions) est à Londres et non à Paris.

C’est à la lumière de ces objectifs, qu’on peut comprendre la fureur qui a saisi la City et la presse britannique à l’annonce de la nomination d’un ministre de l’actuel gouvernement français comme commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, chargé entre autres attributions de superviser la réglementation financière en Europe. Plus que d’une réaction idéologique et xénophobe à de supposées tendances étatiques et interventionnistes des élites françaises (après tout, le PDG actuel du London Stock Exchange est de nationalité française quant à Michel Barnier, il n’est jamais passé pour un champion de l’antilibéralisme !), on peut surtout y lire un épisode du combat inégal mais acharné que Paris s’obstine à livrer à Londres pour s’attirer les bonnes grâces des financiers de la planète, au mépris des efforts qu’il faudrait mener pour libérer l’emploi et la croissance de l’étau des marchés financiers.

 

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