Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le RSA règlera-t-il le problème des travailleurs pauvres ?

Le RSA va être expérimenté dans des bassins d’emplois sélectionnés dans une quarantaine de départements, de manière limitée en raison des faibles moyens budgétaires déployés. Le rapport de Martin Hirsch en 2005 (1) estimait le coût des mesures préconisées entre 6 et 8 milliards d'euros, alors que la loi Tepa (Travail, emploi et pouvoir d'achat) adoptée en juillet dernier ne tablait que sur 25 millions d’euros, assortis ensuite d’une rallonge de 10 millions en novembre dans le cadre de la loi de finances 2008. Le dispositif pourrait dans ce cas concerner entre 50 000 et 80 000 allocataires du RMI (sur plus de 1 200 000) et entre 5 000 et 8 000 bénéficiaires de l’allocation parent isolé, soit 90 000 personnes au maximum. Certains analystes disent en attendre beaucoup, mais d’autres n’y voient qu’une version à peine réaménagée des politiques d’activation des minima sociaux menées depuis une dizaine d’années, en insistant sur de nombreux effets pervers, notamment un encouragement pour les entreprises à poursuivre leurs politiques de bas salaires et une volonté accrue de discrimination entre «pauvres méritants» et «paresseux assistés».

Les économistes sont en effet partagés sur l’efficacité possible du RSA. Ainsi, Denis Clerc (2), qui fut membre de la Commission Hirsch en 2005 considère qu’il constituera un bon  moyen de lutter contre la pauvreté laborieuse de travailleurs précaires et/ou à temps partiel en venant compléter leurs bas revenus du travail. L’avantage essentiel du RSA viendrait de la pérennisation envisagée des  aides, alors que le système actuel d’intéressement (*) est  limité dans le temps. Quand on objecte que le RSA laissera inchangée la situation des  ménages pauvres hors de l’emploi, Denis Clerc argue qu’en 2005, sur 7,1 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (3), 4,6 millions vivaient dans un  ménage où  un  adulte au moins est en emploi  ou au chômage. Il n’en reste pas moins que le RSA ne concernant que les Rmistes et les bénéficiaires de l’allocation de parent isolé  (API) laisse d’office de côté les titulaires d’autres minima sociaux, ainsi  les  personnes âgées  au minimum vieillesse (623 euros, soit  nettement au-dessous du seuil  de pauvreté de 828 euros), et les chômeurs fin de  droits percevant l’allocation de  solidarité spécifique (ASS) dont le montant est  identique au  RMI. D’autres  économistes, comme Jean  Gadrey,  jugent que  le RSA pourrait certes contribuer à réduire la pauvreté à court terme s'il était mis en œuvre  selon le scénario élaboré en 2005. Ainsi une  majorité des travailleurs pauvres (4) seraient susceptibles d’obtenir un  complément de  revenu pour échapper au seuil de pauvreté de 60% du revenu médian, soit 828 euros par mois pour une personne seule (5). Mais l’auteur estime que  «le RSA  ne  paraît  pas  de  nature  à réduire réellement la pauvreté salariale»,  car  il reste prisonnier de  l'idée  que  la lutte contre la pauvreté passe d'abord par  des  incitations monétaires à la mise au travail, et en réalité à n'importe quel travail. Ceci encourage l’expansion des « petits boulots » qui participe du coup à la pauvreté salariale que l'on est supposé combattre. Éradiquer la pauvreté salariale supposerait de réduire le nombre de ces  «  petits boulots » et de l’ensemble des emplois à temps partiel contraint, alors que le revenu de solidarité active va contribuer à leur  développement en  n’envisageant qu’un  accompagnement social de  ce  qui  est  admis comme une «fatalité». Jean Gadrey rappelle que dans les pays  nordiques, où les petits boulots et les salariés  pauvres sont  très peu  nombreux, il n’est  pas besoin de dispositifs du type RSA. De son côté,  Pierre Concialdi met  l’accent sur  la multiplication des trappes à bas  salaires et  des  emplois à temps très partiel et sur  la concurrence avec  les emplois existants compte tenu de «l'énorme subvention implicite  » qui  découlera du  revenu minimum de  solidarité, «schéma qui suppose qu'une large fraction des salariés soient  subventionnée pour  accéder  à l'emploi»  (6). L'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) souligne que «le RSA risque de fonctionner comme une subvention  aux  entreprises (...),  notamment s'il  devenait pérenne. N'y a-t-il pas danger à les conforter dans une politique  de bas  salaires  ?». En ce sens,  le RSA ne ferait  que s’inscrire dans la litanie des politiques qui ont favorisé l'explosion des «petits boulots» précaires à temps partiel, laquelle est la cause déterminante de la  pauvreté laborieuse. Un rapport du Conseil  de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc)  a montré qu’en 2002, les 10% de salariés ayant les plus faibles salaires annuels n'avaient travaillé en moyenne que  13 semaines dans  l'année pour  une  durée  de travail hebdomadaire moyenne de  22 heures, alors que les  10% les  mieux  payés avaient travaillé en moyenne 51 semaines à raison de 38 heures (7). Denis Clerc ne nie pas ce risque, mais estime qu’il ne faut  pas  le majorer et  rappelle que  les  pouvoirs publics sont  autant responsables de la multiplication des «travailleurs pauvres» que les entreprises. Le projet initial de RSA de 2005 prévoyait d'en appeler à la négociation collective de branche pour fixer des objectifs (et un calendrier) de réduction des emplois précaires sous  peine  de sanctions, notamment de moindres allégements de cotisations sociales patronales. Selon lui, ceci  n’est  pas  envisageable dans la phase d’expérimentation qui s’entame, mais  celle-ci permettra de juger dans les zones sélectionnées si les employeurs tendent à adopter des  comportements relevant de «l’effet d’aubaine».

Le mécanisme du RSA : l’enfer  est pavé  de bonnes intentions

Le RSA se fonde  sur  ce constat ancien d’un  faible différentiel entre les prestations de RMI et des autres minima sociaux avec les revenus du travail en cas de prise ou de reprise d’emploi. Ce qui est vrai, c’est que l’on considère que  la norme d’entrée dans l’emploi pour les  personnes concernées est  de  l’ordre d’un SMIC à mi-temps, au mieux d’un 3/4 de temps, ce qui est  le cas  de  la plupart des  contrats aidés, dont le dernier en date, le contrat d’avenir. La reprise d’emploi se traduit alors souvent par  des  pertes ou des réductions de prestations sociales, si bien  que  le gain  de revenus est  très faible,  voire  quelquefois négatif. Cette vision de la «désincitation» au travail en raison des minima sociaux a agité les économistes du travail depuis de fameuses controverses, notamment lors des campagnes électorales de 2002, avant d’être martelée par le candidat Sarkozy jusqu’à  mai 2007 (8). Le rapport de Martin Hirsch en 2005 (9) suivait cette ligne  en  adoptant comme axe  la lutte  contre la pauvreté à travers l’incitation financière au travail, se rangeant du coup à la conviction d’une «désincitation» en raison des minima sociaux, même s’il prenait acte dans le même temps de l’explosion du phénomène de pauvreté laborieuse. Ceci n’est pas sans contradiction d’ailleurs, car  il s’agit  d’admettre à la fois  que  des personnes «choisissent» de vivre de minima sociaux, mais en  acceptant pour  nombre d’entre eux  de travailler sans pourtant échapper à la pauvreté.

La commission Hirsch proposait donc l'instauration d'un revenu de solidarité active (RSA) consistant en un complément social  de revenu destiné à remplacer le dispositif actuel des  minima sociaux et celui de la prime pour l'emploi. Selon cette proposition, le RSA devait être versé à toute personne tel que l'emploi, dès la première heure travaillée, lui assure des  revenus supérieurs au seuil de pauvreté fixé à 60% du revenu médian, le montant du RSA devant prendre en compte le nombre d'heures travaillées et la composition du ménage.

Le RSA de  Martin  Hirsch s’est  donc donné comme ambition de faire échapper à la pauvreté les « pauvres méritants » qui travaillent épisodiquement, en souhaitant éviter, de manière plus  pérenne que les dispositifs d’intéressement préexistants, une éventuelle perte de revenus lors  de la prise d’emploi. Le principe est de garantir aux bénéficiaires des minima sociaux RMI et API, que tout travail procure un gain net de l’ordre de  60% à 70% à travers le maintien d’une  part des prestations. C’est donc bien une logique du «travailler plus pour gagner plus» qui est au cœur du RSA, et qui peut expliquer la présence de Martin  Hirsch dans le gouvernement actuel.

Le décret d’août 2007 ne fixe pas  le montant du RSA pour  les  bénéficiaires du RMI. En effet,  conformément à la Loi TEPA, ce  montant est  librement  fixé par les départements, mais beaucoup disent vouloir s’aligner sur ce qui est préconisé pour l’API Il s’agirait de garantir aux bénéficiaires de minima sociaux que les revenus éventuels du travail ne puissent pas être amputés de plus  de 30% par  la suppression d’aides qu’ils  percevaient. À titre  d’exemple, si le revenu d’un  travail procure un salaire net  de  300 euros, le revenu total (salaires + aides) devrait augmenter d’au moins 201 euros. La condition d’activité est définie au sens large : reprendre une activité ou voir son nombre d’heures travaillées augmenter, créer son entreprise ou  encore entreprendre une  formation professionnelle  rémunérée. Toutefois, et  de  manière assez contradictoire avec les principes énoncés au départ, il semble que l’éligibilité  au dispositif ne vaudra que si l’activité professionnelles représente au moins un quart-temps. Le calcul est «familialisé», l’objectif étant que  le ménage du  bénéficiaire du  RSA ne puisse se situer en deçà du seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian, soit  actuellement 690 euros  par  unité  de consommation (10).

En définitive, le calcul du RSA répond à une formule simple  : le revenu garanti serait égal  au RMI taux plein  (selon la composition  familiale) + 0,7 x la moyenne trimestrielle des  revenus d'activité du trimestre de  référence. Dans  ces  conditions, l’allocation différentielle de solidarité active  se calcule ainsi :

RSA = revenu garanti RMI différentiel forfait  logement   prestations familiales revenus d'activité autres ressources.

Si l’on considère le cas d’une  famille monoparentale avec  un enfant, pour laquelle l’API s’élève  actuellement à 748 euros, si la personne reprenait un travail à 3/5 de temps au SMIC, soit un salaire net de l’ordre de 650 euros / mois, le RSA lui garantira un revenu de 748 euros + (650 euros x 07), soit 1 203 euros / mois. Ceci  pose d’ailleurs un  énorme problème de  seuil, puisque ce  revenu sera supérieur de  150 euros  au revenu d’une  personne seule avec  un enfant de plus de trois ans effectuant un SMIC à plein temps sans être passée par le RMI ou l’API… lièvre que ne semble pas avoir soulevé les promoteurs de la loi. À l’inverse, les bénéficiaires du  RSA pourraient avoir  quelques surprises en faisant leurs comptes, puisqu’ils perdent d’office  la prime pour l’emploi  s’ils la percevaient. Au total, le RSA risque bien d’être  un dispositif parcellaire et discriminant pour tenter d’atteindre l’objectif affiché  par  Martin  Hirsch  et  Nicolas  Sarkozy  de «réduire la pauvreté d’un tiers en cinq ans». Mais il y a désormais plus de 7 millions  de pauvres en France, et on ne voit guère  comment un maximum de 90 000 contrats de RSA remplirait cet  objectif. Les bonnes intentions de  Martin  Hirsch, hormis le fait que  les effets  pervers seront nombreux, butent aussi sur  la faiblesse des marges de manœuvre budgétaires dont dispose désormais ce  gouvernement qui  s’est empressé de distribuer d’importants cadeaux fiscaux en priorité auprès des  catégories de populations les plus  aisées financièrement.

De véritables alter natives pour  lutter  contre  la pauvreté

Les  dispositifs d’activation de  l’emploi  se  sont succédés sans créations d’emplois stables, ni d’action efficace sur le taux de pauvreté. Les abondantes allusions à la sécurisation des  parcours professionnels lors des campagnes électorales n’ont été suivies d’aucune  recherche sérieuse. Des contre-propositions sont  indispensables Cf. Economie et Politique sur une proposition de Loi de Sécurisation de l’emploi  et de la formation ; une rotation emploi et formation viserait à éradiquer le chômage et la pauvreté en supprimant le passage par  la case chômage, en travaillant à une  transformations des  emplois précaires en emplois à temps pleins, en s’attaquant aux licenciements et en oeuvrant, avec les salariés pour le maintien et le développement de l’emploi. Ceci demanderait un essor considérable de la formation continue, avec une continuité de droits  et des revenus relevés, Ceci exigerait des  créations massives d'emplois, des financements nouveaux, de nouvelles institutions de sécurisation, de nouveaux droits  et  pouvoirs des salariés et des  chômeurs.

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(1) Martin Hirsch Familles, vulnérabilités, pauvreté, ministère des solidarités, de la Santé et de la Famille, La Documentation française, 2005

(2) Voir Alternatives Economiques, n° 261, sept. 2007

(3)Le seuil de revenus en dessous duquel un ménage est considéré comme pauvre est de 50% en France ou de 60% du revenu médian d'un pays dans l’Union européenne. Ce seuil de revenu en France est tel que la moitié de la population gagne plus et que l'autre moitié gagne moins. En France en 2006, le seuil de pauvreté était de 690 euros par mois (seuil à 50%) et de 828 euros pour le seuil à 60%, norme  européenne à laquelle la France a dû se  soumettre. En raison d’une concentration très forte de personnes dans la zone de revenus concernés, le nombre de «pauvres» varie du simple au double selon le seuil retenu : 3,7 millions en 2005 avec le seuil à 50%, mais 7,1 millions avec le seuil à 60%.

(4) On définit comme «travailleur pauvre» une  personne ayant travaillé au moins un mois dans l'année et vivant dans un ménage dont le niveau de vie (calculé en tenant compte de la composition du ménage) est inférieur au seuil de pauvreté

(5) Pour un couple, qui représente 1,5 unité de consommation selon le barème OCDE-INSEE, le seuil de pauvreté est de 1 242 euros par mois. Il suffit d’ajouter ensuite 0,3 unité de consommation par enfant de moins de 14 ans (0,5 s’ils ont dépassé 14 ans) pour calculer le seuil de pauvreté selon la composition de la famille. Par exemple, pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans qui représente 2,1 unités de consommation, le seuil de pauvreté est de 828 euros x 2,1 soit 1738,8 euros / mois.

(6) Pierre Concialdi, «Le RSA, une forme de pensée unique», Alternatives économiques, n° 260, juillet. 2007..

(7) Rapport du CERC, 2006. Pour ceux qui ont travaillé en moyenne 51 semaines, les congés payés légaux sont évidemment pris en compte comme des périodes travaillées.

(8) Pour une étude de ces débats, voir Catherine  Mills et José Caudron, Protection sociale. Économie et politique. Débats actuels et réformes, Gualino, 2006. Parmi les nombreuses études sur ce thème, il faut citer en premier lieu, Guy Laroque, Bernard Salanié, «  Une décomposition du non-emploi en France »,  Économie et Statistique, n° 340, juil. 2001, .Marc Gurgand, Davis Margolis, « RMI et revenus du travail, une évaluation des gains financiers à l’emploi », Économie et Statistique, n° 346-347, déc. 2001,  Jérôme Gautié, Alain Gubian, « Réforme du RMI et marché du travail », Droit social, Juil.-août 2000.

(9) Rapport de la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté » présidée par Martin Hirsch alors président « d’Emmaüs France ». (10) Dans sa version 2005, le RSA devait permettre d'assurer un revenu supérieur au seuil de pauvreté à 60% du revenu médian à une personne employée à quart temps,  soit 828 euros par mois en 2005. Mais, devant la commission de l'Assemblée nationale, Martin Hirsch a avancé le chiffre de... 564 euros par mois, soit le seuil de pauvreté à 50% du revenu médian de 1994!

 

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