Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Retraites : toutes dans le collimateur

Le 5ème  rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR). Comment donner des arguments au gouvernement  pour organiser l’« irrésistible  ascension » de la durée de cotisation : 41 ans en 2012… et après ?

De façon contradictoire, le rapport de fin 2007, qui doit orienter le gouvernement pour le rendez vous de 2008 sur les retraites, prend la mesure de l’échec de la loi Fillon de 2003 mais pour préconiser son accélération avec un nouvel allongement de la durée de cotisations.

La réforme de 2003 a échoué à endiguer les déséquilibres, notamment financiers, qui grèvent l’avenir du système de retraite, la cause fondamentale de cet échec résidant dans le refus d’envisager une véritable réforme et un développement du financement. Elle a au contraire choisi des mesures drastiques destinées à freiner les pensions sans que cela ne réalise l’équilibre financier annoncé. Malgré cet échec, pourtant reconnu par le rapport de 2007, le COR vise à donner des arguments pour allonger la durée de cotisations requise pour la retraite à taux plein. On s’achemine ainsi vers 41 ans de cotisations en 2012, en fonction de l’évolution de l’emploi et de la situation financière des régimes, alors que c’est précisément dans la loi de 2003 le pari d’une augmentation de la durée d’activité pour permettre l’allongement de la durée de cotisations qui n’a pu être tenu.

Le taux d’emploi des seniors n’a pratiquement pas augmenté depuis 2003

Le taux d’emploi des seniors en France est très bas : 37,8% pour les 55-64 ans, soit loin de la moyenne européenne (42,5%) et pour les 55-59 ans il n’atteint que 53%. Le rapport du COR souligne  que les comportements des employeurs et des salariés sont restés globalement inchangés, malgré le « plan emploi des seniors ». Ceci  est lié aux politiques d’emploi des employeurs  à l’égard des travailleurs vieillissants mais aussi, selon le rapport, à l’attitude des salariés qui, comptetenu de leurs conditions de travail et de l’incertitude face à leur retraite future, aspirent à partir en retraite le plus tôt possible.

Le rapport stigmatise le poids des départs anticipés : mise en préretraite ou au chômage, avec «dispense de recherche d’emploi» jusqu’à l’âge de la retraite, et surtout le succès du dispositif dit des carrières longues, qui permet à ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans de prendre leur retraite à 57 ans, s’ils ont accumulé le nombre de trimestres cotisés nécessaire. La réforme Fillon avait sousestimé le nombre de personnes concernées en escomptant un maximum de 200 000 ou 300 000 en 3 ans, mais ce sera plus de 400 000 fin 2006, soit largement plus de 100 000 par an. La validation, dans la limite de quatre trimestres, de périodes d’apprentissage avant 16 ans, ou d’aides familiaux dans l’agriculture a en effet fait grimper sensiblement le nombre de personnes éligibles au dispositif, qui devrait toutefois baisser avec les générations pour lesquelles la scolarité est devenue obligatoire jusqu’à 16 ans.

Au final, comme le confirme le rapport, les comportements de départ en retraite n’ont que très peu changé puisque les salariés du privé n’ont retardé en moyenne l’âge de départ d’à peine 0,2 année. La contradiction apparaît manifeste entre le report souhaité de l’âge de la retraite et les difficultés du maintien dans l’emploi des salariés à partir de 55 ans. Pourtant, alors que les négociations sur la réforme des régimes spéciaux ne sont pas terminées, le gouvernement publie les décrets d’application dès janvier et annonce, au – delà de l’harmonisation des durées de cotisation à 40 ans pour tous, que le passage à 41 ans est largement programmé, mesure à laquelle le rapport du COR vise à donner des arguments. Dans le sillage de la loi Fillon de 2003 qui définissait l’objectif de stabiliser le rapport entre le temps passé au travail et celui passé à la retraite, l’accroissement de l’espérance de vie devrait irrémédiablement s’accompagner de celui de la durée de cotisation. Mais en définitive, comme le souligne la CGT dans ses commentaires du rapport du COR, comme les salariés ne retardent pas véritablement leur départ et que dans la plupart des cas ils ne le peuvent pas, l’effet des mesures de 2003 et celles à venir ne peut qu’engendrer un « ajustement » par le bas des pensions.

Une forte tendance à l’érosion des retraites

Le rapport du COR relève lui-même la dégradation des pensions de retraite. La prise en compte  des 25 meilleures années au lieu des dix meilleures pour le régime général (mesure prise en 1993), devrait représenter d’ici 2050 un écart de 23% entre la pension moyenne et le salaire moyen. A cela, il faut ajouter les conséquences de l’indexation sur les prix au lieu des salaires. La décote, ou minoration de la pension par trimestre de cotisation manquant, a des effets très lourds, alors que la surcote concerne très peu de salariés : ce n’est qu’entre 5 et 6% des liquidants potentiels qui prolongent leur activité pour bénéficier d’une pension majorée par trimestre cotisé en plus. Le résultat conjugué de ces mesures est que le taux de remplacement (rapport entre la pension et le dernier salaire) baisserait de 10 points entre 2003 et 2050, pour un salarié du privé liquidant sa retraite à 65 ans au lieu de 60 ans…

Une situation financière  plus dégradée que prévue à court terme.

En dépit du freinage de la progression des pensions, la situation financière du système de retraites est plus dégradée que prévue, ce qui signe l’échec le plus flagrant de la loi Fillon puisqu’en 2007, le déficit de la branche vieillesse sera proche de 5 milliards d’euros. Sans financements nouveaux, avec un emploi et des salaires déprimés, une croissance molle, les régimes de retraites doivent faire face à la montée en puissance des départs en retraites des générations du baby boom. Le rapport du COR note d’ailleurs, qu’en dépit de l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans en 2012, le financement des retraites resterait problématique. Il est donc probable que l’on passerait à 42 ans en 2020 au plus tard.

Même en anticipant le retour au taux de chômage dit de plein emploi fixé à 4,5% d’ici à 2015, ce qui apparaît très hypothétique, il resterait un besoin de financement équivalent à 1 point de PIB en 2020. Or, les besoins de financement nous semblent déjà très sous-estimés : lors du premier rapport du COR en 2001, en fonction de différentes hypothèses liées à la démographie et au marché de l’emploi, on annonçait une part des prestations vieillesse dans le PIB d’au minimum 15%, mais dans ce dernier rapport de 2007, il est question de 2 ou 3 points de moins. Les explications de ce revirement sont diverses. En premier lieu, les hypothèses démographiques avaient été largement dramatisées, et comme le taux de fécondité va en réalité approcher le taux de remplacement des générations, ceci avantage à terme le ratio cotisants / retraités, à condition que l’on s’attaque sérieusement à relever l’emploi et les salaires. La deuxième raison expliquant la faiblesse relative de l’augmentation de la part des prestations vieillesse dans le PIB, c’est désormais l’intégration dans les prévisions d’un fort ralentissement des prestations de retraites. Enfin, les hypothèses de retour au « plein emploi » en 2015 avec un taux de chômage à 4,5% et un relèvement de la croissance du PIB sont très optimistes, et d’ailleurs le COR émet-il lui-même des réserves sur ces projections.

Perspectives à moyen et long terme et préconisations

L’évolution de la démographie, nettement moins défavorable que dans les prévisions de 2000, fait que la dégradation des comptes, qui devrait certes se prolonger jusqu’à 2050, serait moins prononcée. Cette évolution s’explique par le taux de fécondité à la hausse, mais aussi par un ralentissement de la progression de l’espérance de vie des femmes. En définitive, le besoin de financement pour 2050 serait d’environ 1,7 point de PIB au lieu de 3,1 points. La loi de 2003 tablait sur un transfert de points de cotisation à l’assurance chômage vers des points de cotisation retraite, le chômage étant censé se réduire.

Le rapport du COR de 2007 préconise soit une réduction des prestations retraite, avec un réexamen des avantages sociaux et familiaux, soit de nouvelles recettes, mais ceci de manière évasive. En rendant responsable du déficit actuel l’absence de modification des comportements de départ en retraite, le COR prévoit à moyen terme une dégradation accentuée des perspectives financières. S’il est bien obligé de reconnaître, sans s’avancer plus, que «l’examen d’hypothèses  alternatives de financement est rendu nécessaire», il se contente de plaider comme le rapport de la Cour des comptes pour un réexamen des exonérations fiscales et sociales sur les salaires (en premier lieu les exonérations sur cotisations patronales) et sur les revenus comme les stock-options. Ainsi, la non soumission des stock-options à cotisation représenterait-elle un manque à gagner annuel de 3 milliards d’euros pour la Sécurité sociale, et la non soumission à cotisation de l’épargne salariale représenterait de son côté entre 3,8 et 5,2 milliards d’euros. L’ensemble des exonérations ou non assujettissement à cotisations se traduirait par une perte de recettes de 50 milliards d’euros dont 20 milliards pour le financement des retraites.

Malgré des remarques lucides sur l’échec de la loi Fillon de 2003, le rapport ne mise réellement que sur un nouveau durcissement des règles de droit à la retraite : l’allongement de la durée de cotisation, la remise en cause du droit au départ anticipé pour carrière longue, de la dispense de recherche d’emploi pour les chômeurs âgés, ainsi que des mécanismes de compensation pour les personnes qui doivent attendre 65 ans pour percevoir le minimum vieillesse. Le président du COR, Raphaël  Haddas-Lebel, insiste sur la nécessité de relever le taux d’emploi des seniors, «condition cruciale d’équilibre des régimes», en jugeant décevantes les mesures prises après 2003, en premier lieu la surcote et le CDD senior. Certains  membres de l’organisme demandent s’il ne faudrait pas organiser d’abord réellement l’augmentation du taux d’emploi des seniors avant d’allonger la durée de cotisation. Le rapport suggère que les salariés soient mieux informés des dispositifs les incitant à prolonger leur carrière, mais ceci implique que les entreprises réfléchissent aux conditions de travail et aux moyens de profiter de l’expérience des seniors. On ne peut pas, déclare le président du COR, faire comme si les choses n’avaient pas changé avec une retraite qui dure 25 ans alors qu’en 1949 elle durait 2 ans et rappelle que tous les pays européens ont reculé l’âge de la retraite.

La position des syndicats et le besoin d’alternatives

La CFDT pose comme condition «qu’il ne saurait être question d’allonger la durée de cotisation pour réduire les pensions» et estime que le gouvernement devrait être plus volontariste avec les employeurs pour que tout allongement de la durée soit compensé par une meilleure prise en compte de la pénibilité, des carrières accidentées. Jean – Louis Malys pour la CFDT considère que les prévisions ne sont pas si catastrophiques et se dit prêt à discuter dès 2008 du transfert de cotisation de l’Unedic vers les caisses de retraites ainsi que d’une activation du Fonds de Réserve pour les retraites pour 2020 à la condition de ne pas le piller d’ici là.

La présidente de la CNAV, Danièle Karniewicz (CGC) défend la garantie d’un taux de remplacement élevé afin de garantir la confiance dans le régime par répartition. FO considère comme plusieurs autres représentants syndicaux que la mesure d’allongement prévue d’ici 2012 n’est ni souhaitable ni efficace et que le passage de 40 à 41 ans de cotisation n’est pas inéluctable. FO insiste sue le fait que les 25 milliards d’euros qui manqueront en 2020 sont «un objectif à portée de main quand le gouvernement consent un paquet fiscal de 15 milliards d’euros aux plus riches pour 2008».

Plusieurs syndicats FO, la CGT, la FSU craignent une baisse du niveau des retraites et font des propositions alternatives au niveau du financement. La CGT juge surprenant, qu’au vu de la dégradation des pensions, on puisse envisager d’aller plus loin dans l’allongement de la durée de cotisation. FO et la CGT insistent sur la nécessité de rechercher des ressources nouvelles, ce qui contraint le rapport du COR à garder une porte ouverte sur l’examen d’hypothèses alternatives de financement.

La remise de ce rapport à François Fillon, pour le rendez vous de 2008 suscite des inquiétudes. On profite ainsi de la trêve de Noël pour annoncer le passage à 41 ans de cotisation en 2012 pour les salariés du régime général et en 2016 pour les régimes spéciaux. Le débat, on le constate, est loin d’être terminé. Il en est d’autant plus urgent de faire monter les luttes et les alternatives, notamment sur la question du financement.

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