Comme chaque année, en cette période, le chef du gouvernement est venu présenter fin septembre les grandes lignes du budget 2010. Disons-le tout de suite, il n’y a eu aucun effet de surprise. Tout était tellement préparé depuis des mois que ce qui devait arriver arriva.
Sous de faux airs de relance keynésienne, c’est en effet le dogme libéral qui triomphe. Le credo du gouvernement, c’est la baisse des prélèvements fiscaux pour les plus riches et les entreprises et cela quel que soit le coût social qui en découle. Rien ne doit venir entraver la dynamique du marché.
Alors que depuis 2007, 12,6 Mds d’euros de cadeaux fiscaux ont été accordés aux contribuables les plus aisés et aux entreprises, celles-ci s’apprêtent à connaître une nouvelle année faste en 2010. D’un côté la politique d’exonération massive de cotisations sociales est appelée à se poursuivre et à se renforcer, de l’autre une baisse de 11,7 Mds d’euros de la taxe professionnelle est décidée, décision qui met d’ailleurs un terme à l’existence de cette taxe remplacée sine die par la CET (Contribution Economique Territoriale). Par contre, le citoyen moyen et les ménages ne bénéficieront pas de la même aubaine. Pour eux est prévu un nouvel impôt. Au prétexte d’écologie, ils devront supporter au titre de la taxe carbone, un prélèvement supplémentaire sur leur consommation de 2,6 Mds d’euros auquel pourra s’ajouter une hausse de la TIPP, via une augmentation de la part régionale.
L’aggravation de l’injustice sociale que comporte de telles orientations rend insupportables les choix gouvernementaux. Mais au-delà de cette réalité, il en est une autre tout aussi inquiétante pour l’avenir. Derrière cette valse des impôts, s’affirme une volonté évidente de modifier en profondeur la structure de la fiscalité dans notre pays en engageant une transformation radicale de l’assiette des prélèvements fiscaux. Les récents propos de M. Fillon et de Mme Lagarde confirment amplement cet objectif l’un reconnaissant dans une réponse à un journaliste de l’AFP que
la taxe carbone «est un transfert de fiscalité», l’autre expliquant au journal télévisé de 20 heures que par la taxe carbone , «il s’agit surtout d’opérer une réforme de l’assiette des prélèvements fiscaux».
Dans les faits le constat est limpide. Poursuivant avec assiduité le plan de réformes qu’il s’est fixé, le Président Sarkozy avec son Premier Ministre et le gouvernement sont passés en cette fin 2009, après la phase RGPP maintenant bien sur les rails, à l’étape RGPO (révision générale des prélèvements obligatoires). Baisse des prélèvements sur les riches, hausse pour les pauvres, tel est le programme d’un gouvernement qui a choisi résolument une orientation néo-reaganienne, laquelle se heurte pourtant aux réalités de la crise.
Car, dans sa course folle au taux de profit et face à une crise colossale de suraccumulation, le système capitaliste a besoin pour exister, de capter de plus en plus d’argent frais, c’est-à-dire d’argent issu directement de l’économie réelle. D’où une lutte acharnée qui se développe sur le front de l’utilisation des richesses produites et de la composition de la valeur ajoutée.
L’orientation recherchée par le gouvernement est de transférer sur les ménages et les salariés le poids du financement des budgets publics et sociaux afin d’alléger le plus possible les «charges» sociales des entreprises. Il s’agit d’utiliser la richesse créée pour alimenter les marchés financiers laissant pour compte le financement des budgets sociaux.
Ainsi la boucle est refermée. D’une part, le gouvernement transfère les prélèvements fiscaux sur les ménages et en dispense de plus en plus le capital. De l’autre, il joue sur la baisse des recettes qui inévitablement en découlera, pour faire pression sur l’ensemble des services publics et les engager dans des gestions de plus ne plus régressives, laminant emplois et missions, ce qui momentanément au moins a pour effet de limiter la demande.
Ce choix de la contrainte se combine donc parfaitement avec la politique de rationnement de la dépense publique qui pour 2010 mettra à nouveau à rude épreuve le fonctionnement de la fonction publique, des services publics et de la protection sociale.
Ainsi, le budget 2010 prévoit après deux précédentes années de profondes saignées la suppression de 33 754 emplois dans la fonction publique. En trois ans, 100 000 emplois de fonctionnaires auront ainsi disparu. L’État a le triste privilège d’être de tous les employeurs, celui qui dégraisse le plus ses effectifs. Est de même très avancée une hausse significative du forfait hospitalier.
De manière générale, la tendance hyper restrictive de la politique budgétaire de la France est confirmée avec un engagement à baisser annuellement de 1,5% les dépenses de personnels de l’État accompagné d’une baisse de l’ordre de 3% en moyenne de ses autres dépenses jusqu’en 2012. Une nouvelle fois, en 2010, les dépenses de l’Etat connaîtront une réduction en volume. Il s’agit pour le gouvernement, même s’il déclare vouloir se donner du temps, (3 ans), de revenir au plus vite dans l’orthodoxie du pacte de stabilité consistant selon les critères maastrichtiens, à contenir le déficit public sous la barre des 3%. Il est vrai que depuis le mois d’avril, la France fait à nouveau l'objet d'une procédure de la Commission européenne pour « déficit excessif ».
Le motif qu’invoque le gouvernement pour justifier ses choix est le poids de l'endettement public par rapport au PIB. Le gouvernement a choisi d’en faire une campagne de premier plan. Rien ne doit être laissé au hasard, tout doit passer sous les fourches caudines de la réduction du déficit. Voilà pourquoi, 2010 risque malheureusement d’être l’année des collectivités territoriales avec une attaque sans précédents, portée à la fois contre leur maillage, le nombre et celui de leurs élus et surtout contre les effectifs de fonctionnaires territoriaux qui sont le premier objectif visé par le projet de réorganisation territoriale.
C’est à se demander pourquoi avec un tel objectif, le gouvernement lance un grand emprunt public dont la traduction sera immanquablement un accroissement du déficit public ? Mais là ne semble pas être le problème. L’essentiel est de faire croire à une volonté gouvernementale de relancer l’industrie. Et si cela peut participer à nourrir un peu plus les marchés financiers pourquoi s’en priver ?
Naturellement la campagne politico-médiatique sur la nécessaire réduction du déficit public est destinée à délivrer un message. En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, le débat est ainsi passé du thème de la crise à celui du déficit public.
Le gouvernement n’a pas choisi pour rien de mettre l’accent sur les 141 milliards d’euros de déficit de l’Etat auquel il ajoute celui qui est prévu pour les organismes sociaux. En annonçant un déficit public total au-dessus des 160 milliards d’euros, soit 8,2 % du produit intérieur brut (PIB), les pouvoirs publics escomptent vraisemblablement tirer profit de la situation. Sans doute ne verraient-ils pas d’un mauvais oeil la montée de quelques peurs supplémentaires parmi la population. Cela pourrait servir à préparer le terrain à de futures restrictions budgétaires. Car les perspectives pour 2011 malgré les annonces rassurantes risquent de s’avérer encore plus compliquées. On voit en effet mal comment la perte de recettes fiscales enregistrées en 2009 (53 Mds d’euros) pourra être compensée en 2010. La situation sur le front de l’emploi ne va pas s’améliorer, de nouvelles dégradations sont même à attendre. Les salaires ne vont pas augmenter, la consommation va donc continuer à stagner voire à régresser, ce qui donne peu de crédit à une embellie sensible des rentrées fiscales l’année prochaine : à plus forte raison si on ajoute les nouveaux allégements prévus.
Dans ce matraquage idéologique, il y a un oubli de poids. Par exemple, que le creusement du déficit est le résultat des aides publiques colossales accordées aux banques et aux grandes entreprises pour se sortir de l’impasse financière dans laquelle leurs propres choix de gestion les avaient plongées.
Et aujourd’hui, ce sont les même qui vont bénéficier des largesses fiscales du projet de loi de finances
2010 accentuant leur déresponsabilisation sociale. On frôle la provocation lorsque le gouvernement se permet en signe d’allégeance de vanter les mérites de sa politique en affirmant qu’ en 2009 il aurait fait baisser de deux points le taux des prélèvements obligatoires, lequel se situerait à 40,7% du PIB. Les baisses totales d’impôts et le remboursement des cotisations sociales par l’État en 2009 et 2010 représenteront chaque année plus de 40 milliards, dont les trois quarts bénéficieront aux grosses entreprises et aux plus favorisées. De facto, le projet de loi de finances 2010 prend prétexte de la crise pour accentuer les réductions fiscales en direction de ceux qui n’en n’ont pas besoin. Ce sont ces choix qui participent à creuser le déficit, car en rien ils ne contribuent à une relance réelle de l’économie et de la croissance, à la création de vraies richesses.
S’il faut se garder de hurler avec les loups sur une telle question, il s’agit néanmoins de prendre très au sérieux cette situation déficitaire et ses risques de dégradations.
L’accentuation des déficits est une des causes premières de la détérioration de la dette publique. Dans un climat pouvant laisser croire en une reprise, les investisseurs à la recherche obsessionnelle de la rentabilité financière maximale voudront faire remonter les taux d’intérêts de la dette, pouvant engendrer une croissance exponentielle de son montant alors qu’en réel, aucune nouvelle croissance durable n’aura été construite. Un tel environnement peut très rapidement devenir porteur de risques graves d’un krach sur les financements publics. Éviter une telle issue, implique des choix à l’opposé de ceux que soutiennent le projet de loi de finances
2010 et un certain consensus régnant entre la droite et le parti socialiste sur ces questions. Ils exigent l’engagement d’une tout autre politique fiscale impliquant une réforme qui fasse de cet outil économique un instrument à la fois de répartition de la richesse, et d’incitation forte à la création de nouvelles richesses.
En lien avec une autre politique du crédit et de nouveaux droits et pouvoirs d’intervention des salariés et des citoyens dans les gestions des entreprises, des services publics et de la fonction publique, une politique fiscale moderne et efficace serait aussi un des moyens de réformer en profondeur les critères de gestion de la dépense publique.
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