La généralisation du RSA s’est faite le 1er juillet pour les plus de 25 ans, mais aucun bilan réel ne peut encore en être tiré. On sait en premier lieu que 1,2 million d’allocataires, les anciens bénéficiaires du RMI et de l’API, ont été recyclés dans le nouveau dispositif. Pour ceux qui n’ont aucune activité salariée, le RSA n’a pas apporté de modification de la situation financière, mais le contrôle des ressources s’est encore durci, avec les risques de sanction qui s’y rattachent.
Pour les ex-Rmistes qui travaillent, la disparition des dispositifs d’intéressement (une fraction du RMI maintenue en cumul d’une activité salariée peu rémunératrice) ne doit pas en théorie se traduire par une perte de revenu, mais les calculs pour déterminer le RSA sont terriblement complexes. D’une part, on réintègre l’ensemble des prestations familiales perçues (allocations familiales, complément familial, allocation-logement…) pour calculer un RSA résiduel et, d’autre part, le RSA inclut la prime pour l’emploi (qui disparaît donc pour les personnes concernées). En définitive, certains Rmistes désormais au RSA peuvent percevoir moins qu’auparavant…
Concernant les travailleurs pauvres non-Rmistes bénéficiant du RSA, les chiffres divergent. Selon certains, ils seraient pour l’instant moins de 300 000, mais le chiffre atteindrait 350 000 selon le Haut Commissariat aux solidarités actives alors que la « cible » potentielle selon Martin Hirsch se situerait à pratiquement 2 millions de personnes. Dans un rapport paru le 15 octobre, ses services estiment « Afin de prendre en compte la montée en charge du dispositif, on suppose un taux de recours de 25% au troisième trimestre 2009 et de
50% au quatrième trimestre pour les foyers qui n’étaient pas bénéficiaires auparavant de l’API ou du RMI ». mais pour comprendre la faiblesse actuelle du nombre des allocataires, on peut aussi invoquer d’autres raisons. En premier lieu, le très long délai d’examen des dossiers : sur les 800 000 parvenus, la moitié seulement serait traitée pour l’instant, avec à la clef un embouteillage assez monstrueux dans les CAF (qui du coup fonctionnent à guichets fermés une bonne partie de ce mois d’octobre).
En second lieu, il semblerait que nombre de travailleurs pauvres renoncent à adresser un questionnaire d’inscription, celui-ci s’avérant particulièrement inquisiteur, même s’il a été modifié après recommandations de la CNIL. Qu’on épluche la situation familiale du demandeur, ceci est de règle, mais le questionnaire rappelle qu’avant d’accorder le RSA, on fera jouer l’ensemble des obligations familiales éventuelles, auprès des ascendants (voire des descendants), comme auprès des conjoints devant verser une pension alimentaire. On insiste aussi beaucoup dans le même temps sur la récupération possible sur succession des allocations versées. Bref, si ceci reste commun à la législation sur l’ensemble des aides sociales, on ne peut s’empêcher de penser que tout est mis en oeuvre pour stigmatiser et décourager les demandeurs à travers un formulaire imprégné de l’idéologie ambiante selon laquelle tout bénéficiaire de minima sociaux reste un
« fraudeur » en puissance. En troisième lieu, l’allocation de RSA devient tellement marginale quand on approche du SMIC (quelques euros) que nombre de personnes peuvent la juger insuffisante pour entreprendre des démarches longues et contraignantes, ce que suppose d’ailleurs le dernier rapport cité plus haut en évoquant un taux de recours maximal de 50%.
Les travailleurs pauvres bénéficiaires du RSA perçoivent en moyenne, selon les services de Martin Hirsch, une allocation mensuelle de l’ordre de 180 euros, mais il est très complexe de discerner le véritable gain de revenu apporté par le revenu de solidarité active luimême, puisque le calcul est fait, nous l’avons dit, en réintégrant les possibles prestations sociales perçues auparavant. Seuls sont véritablement très sensiblement gagnants les travailleurs sans enfants qui percevaient peu de prestations, a fortiori aucune. Ce qui ne fait pas de doute en revanche, c’est que ces bénéficiaires occupent des emplois très partiels (moins d’un mi-temps en moyenne) et peu rémunérés. Le RSA confirme ainsi sa vocation à encourager l’emploi précaire, en renforçant une trappe à basses rémunérations de manière évidente, car on imagine mal les employeurs améliorer volontiers les salaires jusqu’au plafond du SMIC mensuel où l’allocation s’annule, alors que justement le RSA fonctionne pour eux comme une subvention indirecte.
C’est l’un des paradoxes du RSA, accroître précarité et pauvreté en déclarant les combattre : la non-limite dans le temps pour la perception de l’allocation laisse présager un enfermement dans l’assistance, alors que le dispositif est censé ouvertement glorifier l’emploi.
Dans un nouveau déploiement médiatique, Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch ont annoncé l’extension du RSA aux jeunes de moins de 25 ans, l’objectif affiché étant de réaliser « ce que la gauche n’avait pas fait », puisque les 18-25 ans étaient inéligibles au RMI... L’honnêteté aurait été de rappeler en même temps que la droite s’était opposée à la création de l’API, puis à celle du RMI en 1988, mais l’enjeu présidentiel est trop grand de tenter de regagner des points auprès d’une tranche d’âge majoritairement hostile. La majorité UMP, inquiète d’une transgression du principe de ne pas verser de minimum social aux jeunes, s’est vite montrée rassurée, puisque le projet est en définitive d’une effarante timidité... Les conditions d’éligibilité au RSA-jeunes s’avèrent en effet tellement drastiques que cela ne pourra concerner qu’une fourchette de 120 000 à 160 000 jeunes, soit bien moins d’un sur vingt ! La condition d’éligibilité revient en effet à pouvoir justifier de deux années d’activité salariée dans les trois dernières années précédant la demande. Or, les jeunes dans cette situation peuvent en général percevoir une allocation-chômage et il est notoirement précisé qu’il ne sera pas possible de cumuler celle-ci avec un quelconque RSA.
En définitive, seules donc quelque 150 000 personnes entre 18 et 25 ans, nécessairement des travailleurs pauvres effectivement dans l’emploi, devraient percevoir un RSA d’un montant situé entre 50 et 100 euros par mois. C’est donc à très bon compte que l’on prétend aider une tranche d’âge particulièrement touchée par le chômage, pratiquement un actif sur quatre. Les étudiants travaillant pour financer leurs études échapperont au dispositif, non cumulable avec une bourse d’études. Pour ceux-ci, la seule disposition du « plan-jeunes » résidera dans le versement d’un dixième mois d’allocation (au lieu de neuf). Comme les offres d’emploi pour des « jobs d’été » ont baissé de 30% en 2009 par rapport à 2008, ce dixième mois de bourse ne suffira pas à empêcher la situation des étudiants de globalement s’aggraver. Le dixième mois de bourse va en outre s’accompagner d’une pression intense sur l’enseignement supérieur pour un allongement de l’année universitaire qui n’est absolument pas garant d’une meilleure formation.
Le drame est que cette soi-disant générosité risque de clore le débat sur une action véritable pour aider les jeunes à sortir de la précarité. Au contraire, c’est un nouveau message envoyé aux employeurs pour maintenir des politiques d’emploi tournées vers la flexibilisation extrême dans les stages et les emplois précaires bassement rémunérés. Fidèle à l’idéologie développée par Nicolas Sarkozy, le RSA–jeunes fait ainsi quasiment figure de contre-modèle aux espoirs d’une véritable allocation-autonomie qui permettrait à tous les jeunes d’aborder la vie active dans des conditions un peu plus favorables.
Le seuil de pauvreté monétaire se calcule avec un seuil initial fixé à 60% du revenu médian, soit un revenu mensuel net de 876 euros en 2006 et de 890 euros en 2007 pour une personne seule. Le 17 octobre 2007, à l’occasion du vingtième anniversaire de la Journée mondiale du refus de la misère, Nicolas Sarkozy, qui entrait en campagne, avait annoncé un objectif de réduction de la pauvreté d’un tiers en cinq ans… Comme le taux de pauvreté était de 13,1% en 2006, la promesse du candidat Sarkozy consistait à ramener ce taux à 8,7% en 2012. Outre le RSA, il était prévu de revaloriser de 25% le minimum-vieillesse et l’AAH, mais en fait la hausse n’a été que de 6,9% en 2 ans et demi. Quelques mesures sporadiques sont venues s’ajouter dans le « plan de relance » de février 2009 (revalorisation des aides au logement et des prestations familiales de 3%, versement d’une prime dite de solidarité active de 150 euros en juin …). Certaines de ces mesures sont en réalité de purs effets d’annonce, tel le versement d’une prime exceptionnelle de 500 euros aux demandeurs d’emploi ayant travaillé au moins 305 heures sur les 28 derniers mois mais ne bénéficiant pas de l’assurance chômage et ayant perdu leur emploi depuis le 1er avril 2009 : ceci n’ayant pour l’instant concerné qu’un peu plus d’ un millier de personnes en raison des conditions particulièrement restrictives…
Pour revenir au RSA, celui-ci ne permet pas systématiquement aux allocataires de sortir de la pauvreté alors que c’était l’intention première affichée par Martin Hirsch avant de rallier le gouvernement. En fait, il faut que les revenus du travail soient pratiquement 700 euros mensuels (soit un deux-tiers de temps au SMIC) pour qu’avec l’allocation RSA, le seuil de 890 euros soit atteint.
Martin Hirsch continue pourtant de pratiquer la méthode Coué, en affirmant que l’objectif de réduire d’un tiers la pauvreté reste envisageable. On voit poindre dans le même temps à travers différentes études, tant à la Commission européenne qu’au gouvernement français, l’hypothèse d’un changement de définition de la pauvreté. Celle-ci pourrait glisser de l’approche relative actuelle (une proportion du revenu médian) vers une approche plus absolue où l’on prend en compte le simple minimum vital pour survivre. C’est ainsi que fleurit dans les rapports l’idée (non vraiment neuve d’ailleurs) que le revenu monétaire n’est qu’un élément parmi d’autres pour juger de la pauvreté. S’il ne fait pas de doute que la solitude, la nécessité des liens familiaux et des liens sociaux, les facteurs géographiques, la différence entre vie en milieu rural ou en milieu urbain, le taux d’endettement, etc. méritent la construction de politiques sociales aptes à réduire ces facteurs de pauvreté ; il ne s’agirait pas de faire passer du même coup à l’arrièreplan l’aspect purement monétaire : emploi et salaires constituent les déterminants de la pauvreté. Celui-ci est essentiel pour juger des inégalités grandissantes que secrète le modèle économique dominant et de l’incapacité actuelle à inverser ce mouvement, alors qu’explosent l’inflation des profits financiers et les hauts revenus.
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