Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour une rentrée sociale combative

Un entretien avec Marie-José Kotlicki, secrétaire de l'Ugict-Cgt

Question  : Quel  constat faites vous  de l’impact de la crise sur  les salariés ? Quelle  perception en ont-ils  ? L’appréciation de la crise par les salariés est ambivalente. Elle comporte le risque de mettre sous l’éteignoir de nombreuses revendications, mais elle peut aussi favoriser la prise de conscience de la déroute du système, être porteuse de nouvelles perspectives, d’opportunités et d’actions.

La crise et ses effets d’aubaine, particulièrement  son instrumentalisation par les grands groupes sont ravageurs pour le monde du travail et l’économie du pays : explosion de la précarité, destruction, en quelques semaines, de 600 000 emplois, montée du chômage dans toutes les catégories de salariés ; 15 à 20 % de l’industrie productive française rayée de la carte… Une situation qui détruit le présent et sacrifie l’avenir, surtout lorsque les 740 000 jeunes qui sortent du système scolaire se retrouvent  face à une pénurie drastique d’offres d’emploi, voire de stages ou contrats d’apprentissage. Cependant, cette crise du capitalisme financiarisé et mondialisé apporte aussi un nouveau contexte politique qui ouvre un champ de débats, de réflexions alternatives à la pensée unique et (ou) au fatalisme. Le foisonnement des luttes cet été, bien au-delà des plus médiatisées, témoigne d’un profond mécontentement et de la volonté de résistance du monde du travail, aboutissant à certains succès significatifs comme à la SBFM.

Il existe donc une autre perception de la crise que celle du rouleau compresseur et une disponibilité des salariés aux propositions et à l’action.

La crise illustre l’effondrement des dogmes libéraux, tels la « loi d’airain de Maastricht » contraignant les déficits publics ou le culte de la concurrence libre et non faussée et la main invisible du marché. Aujourd’hui, on appelle à la rescousse la Puissance Publique, on s’aperçoit que le système social amortit  la crise. Mieux, aux USA, les banques sont étatisées. Les parachutes et bonus dorés sont vilipendés au nom d’un capitalisme propre et… vert. L’issue à la crise force à sortir du statu quo et fait émerger des questionnements nouveaux dans l’opinion publique : que ce soit à travers le rôle de l’État, des services publics, béquille du capital ou garant de l’intérêt général et de l’égalité d’accès  ? :

●  La définition de l’entreprise : communauté de travail ou société d’actionnaires ?

● Le rapport des grands groupes à la sous-traitance : loi de la jungle ou coopération ?

● Décroissance ou contenu de la croissance ?

Ce contexte contraint le gouvernement à une vaste opération marketing pour reconquérir et stériliser la confiance de l’opinion publique. Le gouvernement s’insurge donc contre le comportement des directions des banques, après la distribution sans contrepartie de millions d’euros, tandis que livre de la jeunesse vert et capitalisme en habits verts fleurissent, tout comme les promesses de discussions, sur le partage des richesses, avec les partenaires sociaux (autre que l’intéressement et le travail du dimanche ?)

«  In front office »  le président s’active et propose de partager son indignation et son fatalisme. Il suffit d’attendre et de protéger notre compétitivité.  D’ailleurs la reprise serait au rendez-vous, puisque les cours de la Bourse remontent (tandis que la dévalorisation du travail s’accroît !)

« In back office », gouvernement et Medef passent à l’offensive pour accélérer la réalisation de leurs objectifs. Chaque mesure gouvernementale ou restructuration d’entreprise ou de secteur vise à engager la France plus encore dans la financiarisation. Ainsi en est-il de la décision d’avancer la date des négociations sur l’avenir des retraites de 2012 à 2010, soutenue par une campagne gouvernementale outrancière, orchestrée contre le système solidaire par répartition. L’objectif est de mettre à disposition une nouvelle manne financière et de libérer de l’argent « stérilisé non rentable », dixit les financiers, dans un système de solidarité.

Ainsi la responsabilité des grands groupes, de la financiarisation, le comportement des banques, la montée des inégalités entre capital et travail sont largement entendus par le monde du travail qui rejette massivement dans l’action, la note à payer. Pour autant, il y a peu ou prou de corrélation entre montée du mécontentement et comportement électoral dans les élections politiques (cf. les élections européennes qui en plein mouvement social n’ont pas spécialement sanctionné le gouvernement). Plus que de la défiance politique, l’électorat salarié exprime par l'abstention, notamment, son désarroi face à l’absence de projet ou contre projet politique factuel, concret, lisible. Ce ne sont pas les scories d’instrumentalisation du syndicalisme, pas plus que les incantations à un appel à la grève générale immédiate, les seuls discours d’accompagnement et soutien aux luttes ou la recherche du meilleur candidat en 2012 sur l’échiquier de gauche qui vont répondre aux aspirations de changer la donne… dès à présent !

Au-delà de la nocivité du libéralisme, c’est bien la question des perspectives et la construction du changement qui est posée. Est-il possible de faire autrement que de gérer la crise ? L’issue à la crise est-elle aussi à la portée de chacun ou dépend-elle exclusivement d’un grand soir ou d’un renversement de tendance ? Comment conjuguer des temps de rassemblement qui s’épaulent au plan local, national, européen ? Sur quels leviers s’appuyer ? Que peut-on obtenir ?

Question   : Frustrations et  attentes vis-à-vis  de  perspectives politiques et  côté  syndical, quels enseignements du  mouvement social ? Quelles perspectives pour une rentrée sociale dynamique ?

L’unité des organisations syndicales au plan national, à laquelle a travaillée la CGT, a donné lieu en pleine crise à un mouvement social inédit, dans sa dimension unitaire, porteur d’axes revendicatifs rassembleurs et a permis une expression publique forte du mécontentement du salariat, notamment le refus de payer la note de la crise et l’exigence de réponse aux besoins d’emplois, en quantité et qualité, de salaires et de reconnaissance des qualifications, points de départ à un autre contenu de la croissance. Si cette unité syndicale et les appels aux actions nationales ont suscité de grands rassemblements, le fléchissement de la mobilisation depuis le 1er mai et l’échec de la journée nationale de rassemblements le 13 juin, appellent à identifier les obstacles rencontrés et à tirer les enseignements pour poursuivre la nécessaire construction du mouvement social.

Tout d’abord, on a constaté un grand écart entre la construction unitaire nationale et sa quasi absence sur les lieux de travail. Le canevas revendicatif apparaît juste, mais trop généraliste, insuffisamment élaboré à partir des luttes concrètes et entretenant au final la délégation au sommet, au lieu du débat et de l'action des pistes de changements, de transformations concrètes de l’entreprise à l'ensemble du pays. Les luttes de terrain s'en sont souvent retrouvées centrées sur les fermetures d’entreprises et les actions construites à partir de stratégies de résistance, de dédommagements indispensables, mais très frustrantes et globalement insuffisantes.

Ainsi, si l’unité entre centrales syndicales est un facteur très important de mobilisation et de dynamique, assurer sa pérennité passe par des ancrages unitaires locaux autour d'objectifs revendicatifs élevés. Nous avons donc besoin de passer à des étapes complémentaires, à partir d’un travail revendicatif plus intense, d’articuler propositions macroéconomiques de la CGT et construction de revendications élaborées par les salariés eux-mêmes sur les lieux de travail.

Par ailleurs, alors que se manifestent de grandes attentes envers le syndicalisme, celui-ci montre de grandes faiblesses, notamment en ce qui concerne l’état de la syndicalisation et plus particulièrement  l’implantation syndicale.

Comment mieux assurer l’existence du syndicalisme dans les PME et TPE, auprès des salariés précaires, au sein des différentes catégories du salariat comme les ICT, y compris dans les secteurs dits protégés tels la Fonction publique ? Dans ce secteur, ils sont enjeux et vecteurs de la transformation du service public et subissent la souffrance au travail avec la tentation du repli sur soi, aux conséquences collectives qui vont bien au-delà des fonctionnaires. Enfin dernier point, si un mouvement social n’est jamais linéaire, il n’a pas véritablement été entendu et n’a pas fait changer de cap les politiques mises en œuvre, même si des luttes gagnantes ne sont pas à minorer.

Question   : Comment concilier  des  temps différents dans les constructions unitaires et les mobilisations et redonner confiance au mouvement social ?

Là aussi nous ne partons pas de rien. Les luttes au plan industriel, comme par exemple à la SBFM, qui ont empêché le dépôt de bilan et imposé à la direction de Renault la récupération de l’entreprise dans le groupe, ont été gagnantes grâce à l’intervention coordonnée de salariés, d’organisations syndicales, de la population et d’élus. Nous avons donc besoin de travailler à l’élargissement  des luttes avec l’ensemble des acteurs. Il nous faut tendre nos efforts sur les formes nouvelles d’actions pour travailler la durabilité du mouvement social : ancrage des luttes sur le terrain, travail revendicatif sur les projets unitaires, stratégie de l’entreprise, construction unitaire du local au national en proposant des initiatives et l’élargissement de l’implantation syndicale.

En ce sens, la CGT imprime de nouvelles initiatives interprofessionnelles dont les enjeux dépassent les frontières d’une profession : autour des 24 et 25 septembre sur les questions de la fiscalité, du 3 octobre sur la défense du service public de la Poste, avec une consultation de la population impliquant élus de collectivités et syndicats ou le 22 octobre, sur la politique  industrielle  avec des rencontres et actions décentralisées. Là encore, en impliquant la responsabilité économique et sociale des maisons mères et des groupes donneurs d’ordres qu’il convient d’interpeller.

Mais, il s’agit aussi d’agir pour une revalorisation du travail, pour la conquête de droits nouveaux pour les salariés, permettant de suspendre les plans sociaux et d'opposer des contre-propositions  de développement économique et social en intervenant sur les stratégies d’entreprises. Il s'agit aussi de conjuguer initiative nationale unitaire et intervention des salariés sur les lieux de travail.

Ainsi le 7 octobre, l’appel de la Confédération Syndicale Internationale (CSI) donne à nouveau un caractère unitaire à l’action. Il est proposé de la construire, non pas comme une simple déclinaison de la journée mondiale « pour le travail décent », mais une journée nationale interprofessionnelle pour l’emploi, les salaires et les retraites : rompre avec le sacrifice des salariés et répondre à leurs attentes pour une réelle issue à la crise.

Construire un mouvement social solidaire et durable requiert un renouveau qualitatif des interventions syndicales.

La CGT place donc, au cœur de son prochain congrès, les réflexions sur la stratégie des luttes et les moyens d’interprofessionnaliser l’action, la construction d’un syndicalisme rassemblé et les transformations de ses structures pour être en phase avec le salariat, ses attentes et élargir le rapport de force.

L’avenir du syndicalisme passe bien entendu par la prise en compte des besoins et attentes de la jeunesse.

Parmi l’ensemble des jeunes sortant du système scolaire chaque année, 17 % sont sans qualification particulière,

18 % titulaires du CAP-BEP, 25 % ont le Bac et 40 % sont diplômés de l’Enseignement supérieur, BTS ou plus. Quels emplois vont-ils trouver ? Avec  quel statut et quelle rémunération ? L’Apec indique que les jeunes diplômés demeurent dans l’encadrement la population la plus fragilisée au moment où l’emploi des cadres chute du tiers en un an de juillet 2008 à juillet 2009.

Au-delà même des difficultés d’insertion professionnelle, il existe une nouvelle donne pour les jeunes diplômés. La précarité des jeunes diplômés aboutit à une paupérisation durable due à un décrochage généralisé entre niveau de diplôme, hauteur des responsabilités assumée et niveau de salaire.

Ainsi, dès la rentrée, l’Ugict entend promouvoir, en coopération avec l’Unef, une campagne pour des embauches sur les contrats non précaires et pour la reconnaissance salariale des diplômes. Elle entend aussi poursuivre l’action avec les autres organisations syndicales, l’Unef et Génération Précaire, pour une réglementation des stages avec l’interdiction des stages hors cursus.

La jeunesse mobilisée, en 2006, contre le Cpe avait vu juste : laisser les rênes de notre avenir aux ultralibéraux de la finance constitue un drame de société majeur. Cette jeunesse a aussi ouvert la voie du renouveau en montrant que l’épanouissement de l’individualité  peut se conjuguer avec des capacités de mobilisation collective fortes, propres à faire reculer tous les pouvoirs. Sauf à faillir à ses responsabilités, le syndicalisme se doit d’offrir  à cette jeunesse les moyens de s’organiser collectivement de façon pérenne. Pour la CGT, il s’agit de faire en sorte que la réponse à ses besoins et à ses attentes dans toute leur diversité devienne un axe stratégique de son activité.

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