Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Revenu de Solidarité Active (1) : insuffisances et risques

Le revenu de solidarité active, dont on propose aujourd’hui  la généralisation,  est né d’un constat et d’une conviction partagés : le constat du développement de la pauvreté laborieuse et la conviction de la nécessité de proposer des réformes urgentes.

Nous sommes tous convaincus des insuffisances de notre système de protection sociale qui, malgré la diversité des dispositifs de lutte contre la pauvreté, n’a pu faire barrage à l’accroissement du nombre de travailleurs  pauvres – près de 4,6 millions aujourd’hui  –, sachant que 7 millions de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté, comme l’a rappelé Martin Hirsch.

Nous ne pouvions donc être a priori hostiles à la proposition de réviser en profondeur les différents minima sociaux, d’en simplifier et unifier les dispositifs,  de les adosser à des mesures efficaces touchant  l’insertion professionnelle et l’accompagnement social.

En outre, nous sommes les premiers à considérer qu’il n’est humainement pas possible d’attendre que le marché du travail s’améliore et que des emplois de qualité se créent pour proposer, dès à présent, la mise en oeuvre de dispositifs d’aide aux millions de travailleurs pauvres et à leurs familles.

Même si nous militons  en faveur d’une allocation à vocation plus universelle que le RSA, même  si nous restons convaincus que la priorité doit être accordée à la revalorisation substantielle des minima sociaux, l’instauration et la généralisation du revenu de solidarité active aurait pu, sur le principe, recueillir notre assentiment.

Nous aurions pu considérer ce dispositif comme un premier pas, à tout le moins comme le socle d’un consensus social dans la lutte contre la précarité et la pauvreté. Tel n’est malheureusement plus le cas. Les craintes que nous avions exprimées lors du débat sur le Grenelle de l’insertion,  en janvier dernier, se trouvent en effet toutes confirmées aujourd’hui.

La réflexion conduite par la commission famille-vulnérabilité-pauvreté, en 2005, est venue visiblement s’échouer sur l’écueil du sarkozysme. Le projet de loi proposé aujourd’hui en porte les stigmates. Le revenu de solidarité active a été détourné de son objet, dévoyé notamment afin de mieux répondre aux besoins des entreprises en termes de maind’œuvre et de baisse du coût du travail.

Isolé du train de mesures cohérent dans lequel il avait vu le jour et qui lui aurait permis de fonctionner comme un véritable outil de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, le RSA est devenu en quelques mois un instrument au service de la politique  conduite par le Gouvernement depuis un an, un véhicule du discours populiste sur la prétendue revalorisation du travail, un dispositif aux nombreux effets pervers.

Des signaux d’alerte ont été adressés, à Martin Hirsch Haut-commissaire aux solidarités actives, tant par les conseils généraux que par des économistes et la plupart des associations qui avaient pourtant, à l’origine, accueilli avec enthousiasme la promotion du RSA. Il a été délibérément décidé d’ignorer ces avertissements.

Le Martin Hirsch de 2005, président  d’Emmaüs, a dû en rabattre pour privilégier le Martin Hirsch haut-commissaire. Il est surprenant que celuici n’ait pas daigné prêter une oreille plus attentive à ceux des membres de la commission de 2005, qui, comme Denis Clerc, pointent aujourd’hui avec exactitude les lacunes du dispositif, soulignant le risque qu’il conduise à l’élargissement  de la pauvreté laborieuse et à l’institutionnalisation d’emplois précaires.

Inventaire des publics oubliés

Les objections sont nombreuses. En premier lieu, on peut dresser l’inventaire des publics oubliés par cette réforme, des personnes en situation de précarité sciemment tenus à l’écart du bénéfice du dispositif, à commencer par les jeunes de 18 à 25 ans.

Les jeunes qui travaillent, comme ceux qui n’ont pas d’emploi, se trouvent à ce jour exclus  du RSA. Cette position est incompréhensible. On ne peut continuer à tenir les jeunes à l’écart des minima sociaux, comme c’est actuellement le cas sauf pour ceux qui sont chargés de famille.

Chaque année, plus de 60 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualification.  À l’évidence, il faut saisir ce problème à bras-le-corps, pour leur permettre de disposer d’un minimum de ressources et de bénéficier d’un accompagnement dans un parcours de formation et d’insertion sociale et professionnelle, fût-ce en le formalisant dans un contrat.

Or, dans le projet de loi, rien ne vient apporter la moindre réponse au désarroi de ces jeunes. Ajoutons que, dans le même mouvement, se trouve évacué le nécessaire débat sur le dossier connexe des étudiants, dont nous savons pourtant que la paupérisation compte parmi les faits sociaux les plus marquants de ces dernières années.

Alors même que le Haut commissaire prétend porter l’ambition d’unifier et simplifier les différents minima sociaux, de mieux les articuler aux dispositifs d’insertion et de formation, l’absence de toute référence à la situation des jeunes constitue une première grave lacune.

D’autres publics se trouvent encore de façon surprenante tenus à l’écart du dispositif : les détenus, dont la garantie des moyens de subsistance constitue pourtant un enjeu majeur en termes de réinsertion sociale et professionnelle ; les quelque  400 000 allocataires de l’allocation de solidarité spécifique ou encore les 770 000 personnes  qui perçoivent l’allocation aux adultes handicapés.

Plus largement, que deviennent tous les publics qui ne peuvent travailler ou dont la réinsertion ne peut s’envisager, qu’à travers un suivi de longue haleine, sur plusieurs années, et pour autant que l’on accepte d’y consacrer les moyens  nécessaires  ? Ce sont les laissés pour compte de cette réforme, dont l’ambition se trouve dès lors largement réduite.

De fait, nous sommes très loin des deux millions de salariés pauvres potentiellement concernés par le RSA évoqués dans le rapport de 2005 ! Nous sommes surtout très loin de disposer d’un instrument efficace de lutte contre la pauvreté.

Cette formidable réduction de l’ambition de cette réforme est le résultat des arbitrages successifs qui ont vidé la réforme de son sens sans vous y faire pour autant renoncer. Pourtant pourquoi un texte dès l’automne, avant l’échéance de la période d’expérimentation ? L’urgence que réclame la situation des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’imposait pas d’agir dans la précipitation, non plus que d’avaler les couleuvres gouvernementales ou de céder aux sirènes de Bercy.

La précipitation  sur ce dossier, de même que la réduction drastique et savamment orchestrée de l’ambition du projet, n’ont été guidées, chacun le sait, que par de purs motifs d’opportunité politique. Le seul signal fort qu’a voulu lancer le Gouvernement à travers cette réforme, c’est qu’il ne saurait être question de verser des allocations à quiconque sans une contrepartie  en termes d’activité.

L’obsession du chômage volontaire et du retour à l’emploi forcé

« Pas un centime n’ira à l’inactivité », a-t-on  pu déclarer. Pauvre slogan, triste dérive que ce discours qui ignore délibérément que l’inactivité n’est pas un choix  ! Martin Hirsch a dû faire sienne cette approche moralisatrice du chômage, selon laquelle « qui ne travaille pas ne mangera pas ». Cette maxime dont l’indécence le dispute à la barbarie est inscrite en filigrane sur chaque page de ce projet de loi. L’inacceptable a été inscrit dans le texte : un article qui prévoit la suspension de tout ou partie  du RMG, en cas de non-signature ou de non-respect du contrat par le bénéficiaire.

Cette simple disposition nous replonge des années, sinon des siècles en arrière. Elle conduit en effet à considérer qu’il y aurait éventuellement lieu de distinguer entre une pauvreté en quelque sorte méritée et une pauvreté méritante, et qu’il serait donc d’une certaine façon légitime que la Nation prive certains de nos concitoyens de tout moyen d’existence.

Nous ne suivrons pas les « bons apôtres » dans cette voie, qui est une trahison des valeurs les plus fondamentales de la République.

Faut-il rappeler que, jusqu’à plus ample informé, le travail est, dans notre pays, un droit de valeur constitutionnelle,reconnu par le préambule de notre texte fondamental, et qu’à défaut de pouvoir assurer à chacun la jouissance de ce droit, il revient à la Nation de fournir aux personnes privées d’emploi ou empêchées de travailler, des moyens d’existence dignes leur permettant de se loger, de se vêtir, de se nourrir et de nourrir leur famille  ?

La majorité  ne peut s’exonérer si facilement de ses responsabilités politiques pour mieux faire peser sur autrui, en l’occurrence les plus fragiles de nos concitoyens, des sujétions aussi lourdes que celles qui  sont proposées, au mépris des personnes comme des réalités de la conjoncture économique.

Il est en outre parfaitement inacceptable de laisser entendre, en permanence de manière implicite, que le chômage est un choix volontaire. Seules 2 % des personnes privées d’emploi ne souhaitent effectivement pas retrouver du travail. Ce qui signifie que 98 % de nos concitoyens le souhaitent et peinent à retrouver des emplois stables, correctement rémunérés, à temps plein ou correspondant  à leur qualification.

Plutôt que de travailler significativement sur l’accès à la formation et l’exercice du droit de formation professionnelle tout au long de la vie, de faire en sorte que la lutte contre l’illettrisme soit réellement une priorité nationale, de renforcer la proximité et la cohérence de l’action territoriale, d’assurer le financement des missions de l’ensemble des acteurs de l’insertion, de renforcer les moyens d’accompagnement des bénéficiaires des minima sociaux, le pouvoir choisit l’unique voie de la subvention des emplois « paupérisants ». Quelle aubaine pour les entreprises soucieuses de diminuer encore le coût du travail ! On les encourage à proposer davantage d’emplois à temps partiel ou très partiel, on leur fournit une main-d’œuvre piégée par le dispositif d’emploi contraint.

Certes certains emplois à temps très partiel, qui ne trouvent pas preneurs aujourd’hui, pourraient être désormais pourvus. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces emplois trouveront preneurs moins parce que les salariés y seront plus enclins que parce qu’ils seront contraints de le faire. Dans la nouvelle logique de droits et de devoirs que vous mettez en place, il y aura davantage de pression sur les candidats pour qu’ils acceptent ces emplois, qui sont « paupérisants ». Les secteurs  d’activité très exposés, tels que les services à domicile  – où la durée de travail hebdomadaire moyenne est de huit heures  –, l’hôtellerie et la restauration, vont voir affluer de nouvelles légions de travailleurs pauvres, que l’on cherche simplement à rendre un peu moins pauvres, modérément puisque on ne leur propose que d’atteindre péniblement le seuil de pauvreté, dont il faut donc croire que celui-ci pourrait servir de référence à un revenu dit décent, ce qui ne saurait bien évidemment pas être le cas.

Une amélioration pas substantielle

Pour être réelle, l’amélioration des revenus attendus du RSA n’est, en d’autres termes, pas substantielle. Elle ne permettra à la plupart des bénéficiaires que de disposer, au mieux, de 50 % du revenu médian, soit à peine 800 euros. Quelle formidable réduction, là aussi, des ambitions du dispositif !

Cela permettrait sans nul doute de prétendre faire baisser de manière mécanique les statistiques de la pauvreté, mais quant à ouvrir aux bénéficiaires du RSA de réelles perspectives d’avenir, force est de constater que ce projet reste sur ce point curieusement silencieux. Cela condamne, avec ce dispositif, la majorité de nos concitoyens parmi les plus pauvres à le demeurer longtemps, voire indéfiniment. Cela les enferme dans une précarité moins abrupte, peut-être, mais plus inéluctable.

Non content de renvoyer les personnes les plus éloignées de l’emploi  vers une pauvreté sans aucun moyen de subsistance, le pouvoir condamne des millions de nos concitoyens à vivre dans la précarité, ballottés par les exigences d’entreprises auxquelles on ne demande aucune contrepartie en termes de rémunération, de conditions de travail ou de requalification des contrats précaires. Cette situation est d’autant plus choquante qu’elle condamne le dispositif à l’échec.

Échec d’autant plus certain, en termes de lutte contre la pauvreté, que la généralisation du RSA ne s’accompagne d’aucune réflexion sur le montant des minima sociaux, dont tout porte dès lors à croire que le gouvernement les juge satisfaisants, contrairement aux nombreuses associations qui, comme nous, réclament la mise en œuvre d’un véritable plan pour les revaloriser à hauteur  de 25 % en cinq ans.

La réussite du RSA est plus compromise encore par le fait qu’aucun moyen nouveau n’est consacré à l’accompagnement social

Le projet de loi proclame, certes, le droit à l’accompagnement, en particulier pour les personnes sans emploi. Mais cette louable proclamation ne suffit pas à dissiper les craintes que nous pouvons légitimement nourrir quant aux garanties d’un accompagnement social et professionnel de qualité. Il nous semblait pourtant que le RSA avait pour vocation de permettre aux bénéficiaires de sortir de la précarité.

Qu’en sera-t-il des moyens réellement affectés à une politique d’accompagnement personnalisée ? Qu’est-ce que le Gouvernement envisage, au-delà d’un nouveau transfert de charges aux collectivités  locales ? Le service public de l’emploi aura-t-il les moyens d’accompagner les 300 000 à 400 000 personnes  nouvelles  qui vont s’inscrire sur les listes des demandeurs d’emploi ?

À toutes ces questions, le projet de loi n’apporte aucune réponse. Seule certitude : la baisse de 14 % des crédits de la mission « Travail et emploi » annoncée par le Gouvernement dans les prévisions pour les projets de loi de finances de 2009 à 2011, ce qui augure mal du succès du dispositif.

Le refus de dégager des financements conséquents

Prétendre permettre aux plus modestes de sortir de la pauvreté sans se pencher sérieusement sur la question du financement et des transferts de charges, sans tenter une mise en cohérence des différents dispositifs existants, cela s’appelle se payer de mots. L’assemblée des départements de France l’a d’ailleurs  signifié de manière claire, sans que leurs légitimes inquiétudes n’aient été dissipées. Le débat sur le financement du dispositif en offre une autre illustration. Le feuilleton du financement, aura occupé longtemps le devant de la scène et occulté pour partie le débat de fond. Nous en connaissons l’épilogue : la commission des finances de l’Assemblée nationale a adopté un amendement instaurant un plafonnement global des niches fiscales, dont la majorité revendique la paternité, et qui prévoit que les rentrées fiscales supplémentaires concourront au financement du RSA. Le Président de la République a ajouté à Toulon que ce financement irait décroissant.

Nous avons dénoncé cette mesure comme dilatoire. L’évidence s’impose en effet qu’au prétexte de faire concourir  les niches fiscales au financement du RSA, cette proposition va aboutir au maintien des avantages exorbitants que comportent certaines d’entre elles au bénéfice des ménages les plus riches et de certaines grandes entreprises. Que devient le nécessaire débat sur la remise à plat de ce maquis de dérogations  fiscales  ? Il passe à la trappe.

Or les niches fiscales représentent une masse financière de quelque 73 milliards d’euros cette année, somme sur laquelle la majorité ne prévoit de prélever que 200 malheureux millions.

C’est le Gouvernement, qui a augmenté le nombre des niches fiscales. Une nouvelle est encore née dans le cadre de la discussion du texte sur les revenus du travail. De 416 en 2003, le nombre  des niches est passé à 486 en 2006 – et à 487 ce soir –, soit une aggravation de la dépense fiscale de quelque 23 milliards  d’euros.

Ces dépenses somptuaires  sont restées sans effet sur la croissance, sur l’emploi ou sur le pouvoir  d’achat. Elles sont donc inutiles, et auraient été mieux employées dans le relèvement des minima sociaux, l’investissement  dans la recherche, le financement des dispositifs de formation et d’insertion ou celui de la protection sociale.

La manœuvre du Gouvernement et de sa majorité  est assez grossière. Elle élude totalement la question de la taxation du capital ou du patrimoine des plus aisés, d’une caste de privilégiés et d’une poignée de grandes entreprises, qui, malgré les dénégations, continueront à bénéficier des niches fiscales au prix d’un très léger sacrifice, et éviteront ainsi de participer à l’effort de solidarité nationale à hauteur de leurs facultés contributives, comme le veut pourtant la Déclaration des droits de l’homme.

Pour ce qui nous concerne, l’enjeu est d’asseoir le financement du RSA sur un authentique dispositif d’imposition du capital, comme notamment la taxation de la distribution des stock-options. Nous avons déposé un amendement en ce sens – la majorité  en a déposé un autre presque identique –, ainsi qu’un autre amendement  visant à faire échapper la taxation de 1,1 %, somme  toute minime, au scandaleux couperet du bouclier fiscal.

Reste que ce débat sur le financement  du RSA permettra de mettre l’accent sur les limites de la volonté politique du Gouvernement de réduire effectivement la pauvreté dans notre pays.

Il permettra également d’observer que le Gouvernement s’est, en cette affaire, beaucoup plus attaché à parfaire sa communication qu’à satisfaire aux exigences de cohérence, ce qui est bien regrettable.

La multitude des questions cruciales encore en débat, le nombre de points qui restent à éclaircir pour éviter que le RSA ne se transforme  en outil de gestion de la précarité au seul bénéfice des entreprises – nécessité du relèvement des minima sociaux, engagement de nouveaux moyens en faveur de la formation et de l’insertion, ont conduit les élus communistes à voter contre ce texte.

(1) Intervention prononcée à l’Assemblée nationale au nom du groupe communiste.

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