Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La politique salariale dans la Fonction publique

Les salariés, en France, subissent depuis plus d’un quart de siècle une politique  dite de modération salariale. Cette politique a de lourdes conséquences sur la conception du partage de la valeur ajoutée et sur la part revenant aux salaires pour les salariés des entreprises de production de biens et de services.

Aucun secteur n’a été épargné. Et les salariés de la Fonction publique ont subi, au cours des 25 dernières années le même processus de remise en cause de leur salaire.

Un regard extérieur, encouragé par l’idéologie dominante, pourrait nous faire croire un instant que la Fonction publique est « à part » et peu touchée par ce phénomène. Les arguments sempiternels des fonctionnaires protégés des aléas de la conjoncture et cumulant de multiples avantages, y compris salariaux, sont très prégnants dans une partie de la population qui accepte l’idée de concurrence entre salariés…

Cet angle de lecture fait l’impasse sur les véritables responsabilités du pouvoir et du patronat dans l’exploitation des salariés, quel que soit leur secteur d’activité et gomme du même coup les enjeux de classe. Sur une population de 5,2 millions d’agents publics, plus d’un million ne sont pas des fonctionnaires titulaires. Ils sont en CDD, CDI, contrats aidés… Ces derniers subissent, pour une partie, en plus de salaires dévalorisés au regard de leurs qualifications, l’incertitude de l’emploi face au lendemain et la précarité sous toutes ses formes.

Une vision d’ensemble :

Les trois versants de la Fonction publique affichent des spécificités majeures en matière de quotité de travail : temps partiel, multi-activité, saisonnalité, …

Deux autres phénomènes sont à prendre en compte : la part des non-titulaires et la répartition  par catégorie socio-professionnelle dans chacun des trois versants de la Fonction publique.

Pour les cadres, c’est hors enseignants pour la FPE et hors médecins pharmaciens pour la FPH qu’il est possible d’établir des comparaisons. Dans la FPE, sans la prise en compte des enseignants le salaire mensuel net moyen des cadres est supérieur de 1 056 euros. Dans la FPH, sans la prise en compte des médecins et pharmaciens le salaire mensuel net moyen des cadres est inférieur de 509 euros.

Éléments de comparaison de salaires nets par grandes catégories FPE/privé, hors enseignants, police et prisons en 2005 : Sources rapport annuel FP 2006-2007

Sur une base établie de 1,7 million de fonctionnaires de l’Etat, au 31-12-2006, seuls 80 000 d’entre eux (4,7 %) sont rémunérés au dessus de 2506,87 euros nets, indemnité de résidence comprise (indice 650)

La détermination  de la rémunération  :

Le traitement brut des fonctionnaires est déterminé en multipliant l’indice détenu dans le grade par la valeur du point d’indice.A cette somme s’ajoutent l’indemnité de résidence et différentes indemnités variables selon les grades et les différents employeurs publics. Les différentes indemnités, au-delà de l’indemnité de résidence entre 1 % et 3 % peuvent varier de 0 % à 40 %, voire plus dans quelques cas. Ces disparités sont source de division entre les personnels et d’arguments spécieux contre les fonctionnaires. Mais d’une part la majorité des fonctionnaires perçoit moins de 15 % en indemnités et d’autre part la confusion est grande du fait de différents travaux et heures supplémentaires rémunérés sous l’appellation « indemnité ».

Les syndicats revendiquent une révision de l’ensemble de la grille des rémunérations sur une échelle de salaires prenant en compte les qualifications tout en intégrant la dimension des primes et indemnités.

Le resserrement de l’amplitude de la grille :

Il est le résultat de la politique du pouvoir. On retrouve ce même phénomène dans le privé.

Les seules augmentations qui maintiennent l’amplitude de la grille sont les augmentations générales. Une négociation, avec remise à plat et prise en compte des qualifications des agents publics, s’impose d’autant plus que la distorsion entre qualification initiale réelle et qualification requise pour l’entrée dans la Fonction publique par concours externe, s’accentue considérablement. Cette distorsion à la défaveur des agents entraîne un déclassement individuel et collectif de l’ensemble des catégories de personnels de la Fonction publique.

Ce phénomène  n’est d’ailleurs pas spécifique à la Fonction publique. Que l’employeur  soit public ou privé, dans tous les cas, il y a utilisation et exploitation d’une qualification non reconnue et par conséquent non rémunérée. Cette exploitation se mesure sous deux angles, le pouvoir d’achat du salaire et la reconnaissance sociale. Au prétexte de la très grande acuité du premier aspect, négliger le second aspect, reviendrait à négliger les rapports sociaux à l’entreprise et le rôle social du travail.

Part fixe / part variable / augmentation générale / intéressement :

Le rapport des forces et les luttes ont contribué, au fil du temps, à « stabiliser » une partie des primes et indemnités. Mais, si la perception de rémunération globalisée, là où les primes et indemnités sont les plus fortes, existe chez certains personnels, pour le pouvoir il n’y a pas de confusion, bien au contraire.

Le gouvernement tente de sortir de cette pseudo stabilisation et d’ancrer dans les faits l’existence d’une part variable et aléatoire. Celle-ci « normalisée » mesurerait le profil du poste (donc remise en cause implicite des grilles) d’une part et le fameux mérite, plus proche du comportemental et du « bien plaire », que de l’investissement réel dans la manière de servir d’autre part. L’institution récente de la prime de fonction et de résultats (PFR) va dans ce sens.

Lors des dernières discussions salariales de février 2009, Eric Woerth confirmait sa volonté de ne pas

augmenter la valeur du point d’indice au regard des pertes cumulées vis-à-vis de l’IPC (indice des prix à la  consommation), autrement dit de ne pas attribuer d’augmentations générales sauf à la marge.

La prévision annoncée par le Ministre pour 2009 est : + 0,5 % en juillet 2009 et + 0,3 % en octobre 2009, c’est à dire en moyenne annuelle + 0,325 % !

En revanche, dans sa feuille de route de mars 2009, le ministre déclarait : « la rémunération des fonctionnaires en fonction de leurs résultats sera développée :  extension du bénéfice de la prime de fonction et de résultats, instituée en 2008, et mise en place de l’intéressement collectif, à partir des conclusions à venir du rapport présenté par  un député, M. Diefenbacher. »

La perte sur la valeur du point d’indice comparée à l’IPC, est de janvier 2000 à janvier 2009, de 7,51 % hors tabac et de 8,56 % avec tabac.

En janvier 2009, et pour cette seule période 2000/2009, sur la base de l’indice hors tabac, cela fait une perte mensuelle de pouvoir d’achat de 154,66 euros, pour un fonctionnaire Technicien supérieur en fin de carrière. Mais les fonctionnaires et agents de la fonction publique subissent perte de salaire, perte de pouvoir d’achat et remise en cause des qualifications, depuis la désindexation de 1982.

La désindexation  :

De 1981 à 2008, le point d’indice a ainsi perdu, par rapport à l’IPC, 20 % de sa valeur en brut et 26 % de sa valeur en net. Cela consacre une dégradation  considérable des salaires et du pouvoir d’achat des fonctionnaires.

La garantie individuelle de pouvoir d’achat ou GIPA : Ce système mis en place récemment est une fausse solution pour maintenir le pouvoir d’achat et une scandaleuse tromperie. Par périodes d’environ 4 ans un calculateur mesure la perte de pouvoir d’achat et dans certains cas, restitue après « correction », une  compensation d’une partie des pertes subies (…). Sont exclus de la détermination de la GIPA, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et tous les primes et indemnités.

L’amalgame entre augmentation générale, augmentation individuelle, rémunération de l’acquisition d’une technicité et grilles d’avancement de carrière  est total. Le ministre affiche avoir distribué en 2008, au titre de la GIPA, 100 millions d’euros à 150 000 agents de la FPE et

23 millions d’euros à 46 000 agents de la FPH. Traduction  : seulement 6 % des 3,2 millions des personnels FPE+FPH ont perçu avec retard une compensation partielle de la perte de pouvoir d’achat subie sur une période 2003/2007 !

Parité et rémunération  :

Le système de rémunération dans la Fonction publique pourrait laisser penser que les discriminations de salaire n’existent pas entre les hommes et les femmes. Il est certain qu’à même grade et même échelon un homme et une femme perçoivent le même traitement brut. C’est un acquis non négligeable. Les disparités et discriminations sont ailleurs : dans les primes et indemnités, dans l’avancement plus ou moins accélérée de carrière, dans la grande proportion de temps partiels chez les femmes et surtout dans la faible attribution de postes de responsabilité.

On trouvera ainsi, une proportion extrêmement faible de femmes dans l’encadrement et l’encadrement supérieur.

La part des rémunérations dans la comptabilité publique  :

L’ensemble des dépenses de personnels de l’Etat ( titre 2) s’élève à 119, 912 milliards d’euros en 2007, soit 6,1% du Pib.

Les dépenses de personnels des collectivités territoriales en 2007 se sont élevées à 44,6 milliards d’euros (*)

Les dépenses des personnels de la fonction publique hospitalière se sont élevées à 37,4 milliards d’euros en 2007. (*)

Dépenses de personnels dans le budget de l’État en 2007 :

Sources rapport FP 2007-2008

Voir PDF

(*) résultats de relevés provisoires.

A   noter   :   L’ensemble   des   fr ais   de   personnels  (salaires+primes+cotisations sociales+retraites) des 3 versants de la fonction publique a reculé de 1,1 point de Pib entre 1997 et 2005, soit de 18, 8 milliards d’euros. Sources UGFF-CGT 2008

Le ministre du budget, toujours dans sa feuille de route de mars 2009, annonce que l’Etat consacrera 3 milliards d’euros à l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires, dont 1,6 milliard d’euros au titre des progressions automatiques de carrière et 513 millions d’euros au titre des mesures catégorielles.

Sans entrer dans les détails de répartition, d’autant plus qu’il s’agit d’annonces, ces déclarations ministérielles se placent  dans la parfaite continuité d’une régression de la rémunération de l’ensemble des agents de la fonction publique.

Le gouvernement pratique le chantage, et prétend dans un discours éhonté, qu’avec des suppressions massives d’emplois de fonctionnaires, (non remplacement d’une partie des départs en retraite) il contribuera à améliorer les rémunérations des personnels en place.

Or, il n’en est rien, bien au contraire : rapportés à la population sur plusieurs décennies, les effectifs globaux de la Fonction publique n’augmentent pas, tandis que, rapportées au Pib, les dépenses de personnels sont dans une tendance à la baisse.

Les perspectives  :

La destructuration massive du tissu industriel à partir des années 80 a inévitablement orienté le mouvement social dans la bataille contre la casse industrielle et pour le maintien de l’emploi. Cette focalisation était d’autant plus prégnante que le mouvement syndical était le plus fortement implanté dans ces lieux d’activité.

La montée du chômage et de la précarité qui ont suivi, ont, dans cette logique, amené les mouvements de lutte vers la défense du pouvoir d’achat des salariés les plus démunis.

Ce n’est que récemment, à partir des années 2000-2005 que la bataille pour l’ensemble des salaires s’est redimensionnée. Les espaces laissés vacants, en terme de bataille d’idées et de lutte par le mouvement social et la majorité des forces de gauche, ont été occupés par le candidat à la présidence de la République élu dans sa bataille du «  travailler plus pour gagner plus ». Dans un même mouvement, il s’appropriait, à des fins idéologiques évidentes les notions de salaire et de travail.

Par ailleurs nous sommes entrés dans une économie de la connaissance où les niveaux de qualification et de diplômes ont considérablement augmenté. C’est dans ce contexte que le patronat exerce une pression de plus en plus forte sur le paiement de la force de travail et la reconnaissance des qualifications. L’université, les grandes écoles et les écoles de la fonction publique sont dans le collimateur du pouvoir, qui entend façonner les étudiants et futurs salariés dans une intégration continuée au système capitaliste, car avec le déplacement du centre de gravité des niveaux de qualification, ce sujet devient éminemment stratégique.

On pourrait penser que la Fonction publique, sans être totalement à part, est en marge des politiques salariales d’individualisation basées sur le comportemental et le « bien plaire » avec des objectifs/et/des résultats contractualisés, puisque le fonctionnaire est dans un lien statutaire et non dans un lien de subordination, vis-à-vis de son employeur. Or, même s’il n’est pas question de gommer les différences  statutaires et de fonctionnement » de la Fonction publique et du privé, le  gouvernement intègre et applique parfaitement les visées managériales et les méthodes d’exploitation du salariat mises en œuvre dans le privé par le patronat.

La crise financière actuelle repositionne de fait les mouvements sociaux sur l’emploi et sur les salaires d’une façon intimement liée. La Révision générale des politiques publiques, les suppressions massives d’emplois dans la fonction publique, les lois et projets de loi contre la Poste, les Universités, l’Hôpital, … viennent démontrer que le public et le privé subissent une même politique favorisant la rémunération du capital et des actionnaires au détriment de l’ensemble du salariat.

Les luttes fortes qui se développent en ce début d’année montrent que les exigences sur l’emploi ne sont pas antinomiques des revendications sur les salaires.

Gageons, que les luttes à venir permettront le développement des convergences d’intérêt entre la Fonction publique et les autres secteurs public et privé.

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