Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Mouvement social et perspectives

Un mouvement d’ensemble

La puissance de la journée d’action qui a rassemblé 2,5 millions de personnes le 29 janvier a surpris beaucoup d’observateurs  – tant par le niveau des grèves dans le privé que par le nombre de manifestants. Elle a en fait révélé la montée d’une véritable lame de fond de protestation et d’attente de changement dans toutes les catégories du salariat et de la population.

L’analyse selon laquelle les crises ont un effet anesthésiant est battue en brèche. Dès la fin 2008, les lycéens français ont infligé de premiers camouflets au pouvoir et les émeutes des jeunes diplômés  grecs à 700 euros ont alerté tout un chacun sur la gravité et le sérieux d’une situation où la crise de société est patente.

Toutes les générations et catégories se mettent à bouger. En témoigne le mouvement des universités lancé par les enseignants-chercheurs qui, comme celui des professionnels de la santé, met en cause les choix ultralibéraux où la logique privée et de marchandisation  généralisée prend le pas sur toute démocratie et sur l’intérêt collectif.

À l’autre bout du prisme social, la mobilisation dans les DOM-TOM et singulièrement en Guadeloupe confirme que rien n’est artificiel et qu’une telle levée en masse s’est construite en profondeur. 25 % de la population dans l’action correspond au plan de son ampleur à 15 millions de personnes en métropole. La détermination renvoie aux caractéristiques  des mouvements sociaux actuels : radicalité et pragmatisme. L’état d’esprit de responsabilité et l’unité autour d’un contenu ont prévalu et obtenu une victoire historique, la première victoire nette contre la crise qui passe par faire plier le gouvernement et le patronat.

Si d’autres mouvements se dessinent au plan international, comme en Irlande ou en Italie, il reste que l’annonce d’une nouvelle journée d’action syndicale le 19 mars en France prend une résonance d’autant plus forte qu’elle apparaît comme un repère commun susceptible d’agréger tant les inquiétudes et les mécontentements que des éléments de réponse à la crise actuelle.

Une telle mobilisation unitaire interprofessionnelle autour d’un contenu commun est une réelle nouveauté. La déclaration syndicale commune du 5 janvier traite de l’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat, des services publics, de la protection sociale… Le contenu revendicatif appelle clairement à des changements dans les priorités et la politique menée par le pouvoir en place, qu’il soit gouvernemental ou patronal.

L’incapacité de Nicolas Sarkozy à désamorcer  les choses est significative. Les mises en scène médiatiques et les discours simplistes butent sur l’expérience des derniers mois et la violence des symboles affichés par le capitalisme en crise : des centaines de milliards pour les banques et la finance et des miettes pour le Peuple.

Affrontés à la crise, les salariés ne supportent plus le baratin et la langue de bois. Le chômage explose, la précarité s’envole, le pouvoir d’achat chute, le PIB décroit… Ce sont les finalités qui sont aujourd’hui questionnées. Les pleins pouvoirs laissés aux actionnaires et à la logique privée dans tous les domaines, ça suffit !

Les luttes ont aujourd’hui largement débordé les services et le secteur publics dont les politiques libérales mettent en cause tant les statuts que la nature même de leurs missions.

Des luttes anti-crise

Les luttes des salariés de l’automobile  dépassent aussi nettement les périmètres des constructeurs où la présence syndicale est plus forte. Des solidarités  nouvelles s’expriment entre salariés, donneurs d’ordre et sous-traitants, entre précaires et statutaires, entre ouvriers et ingénieurs prestataires.

L’annonce d’un sondage où 58 % des cadres disent soutenir le mouvement  de grève du 19 mars est symptomatique. La mobilisation de cette catégorie est en enjeu essentiel dans ce contexte de tensions croissantes. À l’heure où pointe une décorrélation  entre leurs responsabilités professionnelles et leur niveau de vie, leurs revendications de pouvoir d’achat s’apprécient comme devant porter sur une revalorisation  des salaires reconnaissant les qualifications et non sur des miroirs aux alouettes comme l’actionnariat salarié ou l’intéressement.

La question du salaire, touché également de plein fouet par des mises en chômage technique, apparaît comme un enjeu central de luttes et de rassemblements.

Contrer la financiarisation à tous les niveaux est également au centre des batailles pour l’emploi et pour des changements de stratégie des entreprises et de l’administration. La lutte met la sortie de crise à la portée de chacun.

Il reste que le mouvement social a encore besoin de s’élargir, notamment dans le secteur privé et les PME où les salariés subissent des pressions maximales. L’autre obstacle est le niveau d’appréciation des enjeux et de politisation au sens fort ainsi que le déficit de perspectives politiques qui interroge sur la possibilité  d’aboutir  à des changements concrets.

C’est aujourd’hui  la question de mode d’organisation de la société qui est posée, la manière dont sont produites et réparties les richesses.

La division est l’arme essentielle du pouvoir gouvernemental et patronal, d’où le besoin d’un débat important sur les enjeux dans le salariat et la population.

Les partis de gauche ont récemment produit une déclaration commune de soutien au mouvement social. Pour importante qu’elle soit, une telle initiative ne peut suffire. Une perspective  politique fait cruellement défaut et ce n’est pas le rôle du syndicalisme de la traiter Il y a manifestement besoin de poursuivre débats et réflexions sur les rapports entre syndicalisme et politique.

Aujourd’hui, les partis de gauche soutiennent un mouvement social construit autour d’un contenu syndical unitaire. La situation est diamétralement opposée à ce qui se passait il y a quelques décennies, au moment où les syndicats soutenaient un programme commun de gouvernement élaboré unitairement  par les partis de gauche. Quelle bascule ! Les limites des deux démarches plaident pour que les outils politiques et syndicaux que se donnent  le monde du travail et la population soient chacun acteurs sur des contenus transformateurs et unitaires dans leurs champs de responsabilités respectifs.

Ce n’est pas qu’une question de pratiques. Certes certaines pratiques nocives des rapports entre partis politiques et syndicats persistent encore (instrumentalisation,  entrisme, confusion des genres) et ont besoin d’être dépassées et combattues. Au-delà, c’est la nature de l’intervention  syndicale (luttes revendicatives, négociations, conquêtes sociales) et politique (lutte, loi, gestion) sur un même terrain qui est celui de la réalité vécue par les salariés et la population, qui se doit d’être précisée dans la pratique.

Clarifier et rassembler

Dans la période à venir, les élections européennes peuvent certes être un atout selon leurs résultats pour le monde du travail. Pour autant, la demande de politique ne peut s’y réduire. Plus que jamais, le monde du travail a besoin de partis qui nourrissent des débats politiques non partisans, comme a su le faire le PCF au moment du référendum sur la Constitution Européenne.

Au plan politique comme au plan syndical, ce sont toujours les questions du travail qui tirent les dynamiques de rassemblement les plus solides. Les questions posées aujourd’hui appellent des réponses. Est-ce que oui ou non on impulse l’action partout pour mettre la finance à sa place et on ne la laisse pas se refaire une santé en gérant « sa première crise de la titrisation mondialisée », comme le dit le P.-dg de HSBC.

Les débats de société montent rapidement à mesure que la crise d’aggrave. Les recherches de sens qui préexistaient se confrontent  à des difficultés matérielles plus prégnantes et débouchent sur des interventions et des questionnements de toute nature sur les finalités et le mode de gestion. C’est vrai pour l’école, l’université, les médias, l’hôpital, l’industrie, l’environnement, les services publics, la place du travail, le rôle des banques… Les valeurs ou les non-valeurs sur lesquelles s’appuie le libéralisme sont contestées.

Sans ce travail de politisation,  les programmes des différents partis n’apparaissent que comme des recettes sans lien avec une alternative crédible. Il est par ailleurs manifeste qu’en l’absence de contenu politique mobilisateur, la radicalité profite aux discours uniquement dénonciateurs, sans risque pour le pouvoir en face.

La volonté de Nicolas Sarkozy de jouer du populisme et de la division entre catégories est elle aussi manifeste. Celui-ci a placé récemment dans son discours les classes moyennes au niveau du SMIC. Les ouvriers et employés n’existent plus. Il y a plus pauvres qu’eux. Et haro sur les cadres. Ces pratiques,  comme les phénomènes de repli sur soi ou de recherche de boucs-émissaires par temps de crise, sont autant de germes de division visant à empêcher le rassemblement du monde du travail. Au moment où les mobilisations s’effectuent des Antilles aux universités, des ouvriers de l’automobile aux cadres de l’hôpital, tout indique que c’est justement cette extension du mouvement social à la plus grande part du salariat qui crée une donne nouvelle.

Face au mépris affiché par le sommet de l’État et à l’arrogance de la finance, la force du mouvement en cours tient autant à sa radicalité qu’à son caractère pragmatique visant l’obtention de reculs et de succès concrets.

À l’image de l’ouvrier guadeloupéen et de l’enseignant-chercheur de la Sorbonne, c’est à une dynamique de rassemblement de l’ensemble du salariat qu’il s’agit de donner corps.

Même si c’est de manière différente, cette situation est pleine d’exigences stimulantes tant pour le politique que pour le syndicalisme.

(1) Secrétaire général adjoint de l’Ugict-CGT.

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