Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le secteur télécom au pied du mur

L’instauration de la concurrence dans le secteur des télécommunications et la privatisation de France Télécom ont eu des conséquences négatives très importantes,  même si globalement,  elles n’ont pas empêché le secteur de connaître une forte croissance appuyée sur une innovation continue en matière de services. Cependant  des propositions  de réforme alternative sont indispensables

Une forte croissance, symbolisée par la diffusion dans un très grand nombre de ménages de la téléphonie mobile et de « box » offrant l’accès à des offres « triple play » (voire « quadri play »). Ces développements spectaculaires ne doivent cependant pas nous faire oublier tout ce qu'ils doivent à l’héritage du secteur public (réseaux de qualité, personnel formé et animé de valeurs très fortes).

De nombreuses zones d’ombre  :

• La recherche exclusive d’un taux de profit élevé a conduit les opérateurs à ne répondre qu’aux besoins les plus rentables et à négliger les autres. Ceci a entraîné une rupture de l’égalité d’accès des Français aux services de télécommunications selon qu’ils appartiennent à de zones urbaines, périurbaines ou rurales.

• Le choix de donner la priorité  à une "croissance externe et au versement de dividendes, a eu pour conséquence une baisse des investissements productifs à long terme et des dépenses de  Recherche&Développement.

• Les relations avec la clientèle se sont dégradées :

La qualité de service souffre de l’insuffisance des investissements dans le réseau comme de la mise trop rapide sur le marché de produits et services nouveaux.

Les tarifs ont globalement peu baissé et sont biaisés par des transferts internes des particuliers vers les entreprises et des clients du fixe vers ceux de mobiles. La politique commerciale n’a plus pour objet de répondre aux besoins des agents économiques, mais de proposer aux clients les plus solvables, les produits dégageant la plus forte marge.

• Les conséquences sociales de la politique suivie sont désastreuses : diminution des effectifs (20% de 2002 à 2008 pour le secteur), pertes de compétence liées au développement de la sous-traitance et aux délocalisations, précarisation des statuts et des emplois.

• La politique dogmatique d’instauration de la concurrence menée par le régulateur est un échec : elle est tout au plus parvenue à la mise en place d’oligopoles.

Les enjeux  majeurs auxquels le secteur des télécommunications devra faire face dans les années à venir.

• L’exceptionnelle expansion des télécommunications ces dernières années a élargi et renforcé considérablement les besoins que le secteur doit satisfaire. Le téléphone mobile et Internet haut débit font partie aujourd’hui des besoins « incompressibles » des ménages. Il en sera de même demain pour le très haut débit. Il n’est pas aujourd’hui de secteur économique dont la compétitivité ne soit dépendante des télécommunications et de leurs progrès.

Il en va de même pour l’organisation de la vie sociale L’aménagement du territoire,  les progrès du développement durable, la modernisation des services publics, y compris de l’enseignement, l’adaptation au vieillissement de la population, sans parler de la défense nationale, passent, et passeront de plus en plus, par une prise en compte réelle des besoins en télécommunications et par la recherche permanente de ser vices adaptés.

L’organisation actuelle du secteur ne permet pas aujourd’hui, et ne permettra pas dans le futur, de satisfaire ces nouveaux besoins de façon adéquate. Le marché ne répond à une demande que si elle est solvable (empêchant ainsi toute égalité géographique et sociale des agents économiques pour l’accès aux services et toute prise en compte d’une rentabilité sociale). Cette logique sacrifie le long terme au bénéfice du court terme, comme le montre la baisse des investissements productifs. Le correctif que tentent d’apporter les collectivités locales n’est pas une situation satisfaisante : leur financement ne garantit pas l’égalité d’accès sur tout le territoire national et met à la charge des contribuables des dépenses que les opérateurs pourraient supporter. Enfin, le système actuel ne permet pas un choix "démocratique" dans la mesure où certains des principaux intéressés sont écartés du débat : usagers et consommateurs, salariés du secteur et, dans une certaine mesure, les collectivités locales (réduites au rang de supplétif), voire l’État qui s’est effacé derrière le « régulateur ».

• L’évolution des contenus, principalement sur Internet, va poser des problèmes très spécifiques :

La croissance du trafic vidéo : il pourrait représenter 90% du trafic résidentiel en 2012 cela remet en cause le modèle économique de la télévision classique et oblige les opérateurs à une adaptation de leurs réseaux fixes (remplacement du cuivre par la fibre optique) et mobiles (extension du spectre hertzien).

Seuls les contenus qui ont une valeur marchande à court terme sont développés ; or les contenus non marchands (éducation nationale, santé, culture, armée, transport,...) représentent un enjeu très important car ils ont un impact économique, social et politique majeur.

• En conséquence, des investissements massifs vont être nécessaires (de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros) dans un futur proche mais ils sont rendus difficiles, voire impossibles dans le modèle économique actuel.

Le coût le plus important est celui de la rénovation du réseau d’accès fixe, et ce pour deux raisons : son âge (30 ans en moyenne) et son architecture technique qui n’est plus adaptée à la montée des débits. Des investissements sont également nécessaires sur les cœurs de réseaux pour en augmenter la capacité, faire face à la montée en débit et offrir des fonctionnalités nouvelles. Or la concurrence sur les réseaux, telle qu’elle est organisée par le régulateur,  est un frein puissant à l’engagement de ces dépenses. En effet, elle oblige  celui qui a effectué l’investissement d’en faire bénéficier le concurrent qui en fait la demande, rendant ainsi la rentabilité aléatoire et peu attractive, tant sur le plan financier que sur le plan des avantages compétitifs escomptés. De plus, la tarification  au forfait, largement en vigueur depuis l’ouverture du marché, assure aux opérateurs une rente qu’ils ne sont pas pressés de faire disparaître. De plus, à supposer même que ces investissements soient lancés, ils ne pourraient pas être optimisés. Le nombre des opérateurs (en tenant compte des collectivités locales) empêcherait de bénéficier des économies d’échelles (très importantes dans les investissements de réseaux), rendrait difficile l’interopérabilité et risquerait de faire apparaître des redondances dans les secteurs rentables, et à l’inverse des sous-investissements dans ceux qui ne le sont pas/qui le sont moins.

Le maintien des compétences est un facteur clé pour les opérateurs comme pour le pays, ce qui suppose de changer drastiquement les orientations actuelles dans les domaines de la recherche fondamentale, abandonnée et remplacée par l’innovation commerciale et le marketing. Mais aussi la production industrielle, actuellement dans une situation économique catastrophique en France. Enfin la maîtrise des réseaux et des services par les opérateurs, à l'opposé de l’externalisation massive actuellement pratiquée, est indispensable.

Quelques propositions afin d’ouvrir un débat sur l’organisation du secteur, son financement et le statut des salariés.

En ce qui concerne l’organisation du secteur, nous proposons :

-La création d’une nouvelle institution démocratique de régulation. Elle devrait être l’émanation de la société civile et regrouper les collectivités territoriales, les consommateurs, les acteurs économiques et les organisations syndicales. Elle aurait la responsabilité de :

-Définir, et actualiser régulièrement, les besoins à satisfaire dans le cadre du service d’intérêt général ; celui-ci devrait inclure un accès à internet de qualité (triple play) et quadruple play avec la téléphonie mobile.

-Définir, par défaut, le périmètre de l’intervention purement marchande. Définir pour les services publics leur modèle économique ;

-Orienter les investissements et contrôler les prix des infrastructures et des services et réseaux sous monopole

-Prendre en charge le contrôle de la qualité des prestations ;

-Vérifier que les opérateurs respectent le droit social et que la qualité des emplois créés est réelle

-Exercer un contrôle sur les suppressions d’emplois, en  vérifiant notamment qu’elles ne visent pas à externaliser les activités avec des conditions de travail dégradées (délocalisations, pressions excessives sur les sous-traitants)

-Veiller au maintien d’un niveau de R&D significatif.

-Une organisation de la concurrence respectant les principes suivants :

-Pas de concurrence sur les réseaux, à l’exclusion des équipements spécifiques aux services à valeur ajoutée

-Concurrence sur les services à valeur ajoutée, hors ceux qui relèvent des services contenus dans la définition du service public

-Suppression du pouvoir d’initiative (autorité organisatrice) des collectivités territoriales pour participer à la création de nouveaux réseaux ou devenir opérateurs.

-La création d’un opérateur public, chargé, sous la supervision de l’instance démocratique de régulation, de gérer et d'exploiter le monopole sur les réseaux (fixes, mobiles et câblés) et les services d’intérêt généraux (notamment téléphonie fixe et mobile, accès haut débit). Parmi ses responsabilités principales figureraient, outre la mise en place de réseaux correspondant aux besoins présents et futurs des agents économiques :

- D’offrir l’égalité d’accès en tout point du territoire aux mêmes services et contenus de service public en appliquant une péréquation tarifaire pour l’ensemble de la population.

- De revenir à de véritables relations de service avec les usagers, intégrant la fonction de soutien et conseil aux consommateurs.

- D’établir des relations de coopération avec les opérateurs historiques dans lesquels France Télécom possède des participations.

• En ce qui concerne le financement des réseaux et services, il est nécessaire de revenir à un financement propre du secteur, sans faire appel à l’État, ni aux collectivités locales. L’autofinancement, l’emprunt auprès d’un pôle financier public ainsi que la péréquation des tarifs doivent permettre de faire face aux besoins.

Les  statuts des  personnels. Ces évolutions ne peuvent se faire qu’avec un personnel motivé et compétent. Il est donc nécessaire d’appliquer aux personnes travaillant dans le secteur un nouveau statut du travail salarié, avec notamment une sécurité sociale professionnelle et une sécurisation du parcours professionnel. Ce nouveau statut ne doit pas entrer en conflit avec le statut de fonctionnaire, qui est plus protecteur sur certains points que le statut de droit privé, mais qui donne moins de droits aux fonctionnaires sur d’autres sujets (CHSCT, activités sociales et culturelles). L’objectif est également de mettre fin aux délocalisations et à la précarisation croissante des salariés des entreprises sous traitantes.

(1) article collectif écrit par les militants CGT, Jean-François Davoust, ancien membre du Conseil d’administration de France Télécom, vice Président du Conseil Économique et Social de la région Centre et militant syndical, Jean-Michel Gaveau, membre du Conseil d’Administration de France Télécom et militant syndical. Jean-Pierre Sébille, militant syndical. Daniel Trouillard, militant syndical. Etienne Wallaert, militant syndical.

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