Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La Crise du cinéma à l'ère numérique

Nous avons déjà débattu de la révolution informationnelle et retenu que le numérique constitue un bouleversement dans tous les modes de la création, de la diffusion et de l’appropriation de la connaissance et des œuvres de l’esprit par le plus grand nombre.

Ce bouleversement technologique constitue une chance pour la culture et le savoir s’il facilite l’accès, le partage et l’échange de l’information et des œuvres de l’esprit pour les hommes et les femmes du monde entier.

Ouvrant des perspectives inédites pour un accès universalisé aux œuvres de l’esprit, ces nouvelles technologies ne doivent pas, pour autant, remettre en cause le droit moral des artistes et des auteurs ni leur juste rémunération.

Dans un contexte de marchandisation croissante des œuvres de l’esprit, le développement du numérique devrait pouvoir constituer un point d’appui à la fois pour renforcer les droits des auteurs et des artistes et pour démocratiser  l’accès à la culture. Nous devons l’affirmer avec force et agir dans ce sens.

Mais, comme chacun sait, le cinéma est dominé par la première puissance économique du monde : les étatsUnis qui assoient ainsi leur influence économique et idéologique sur la planète entière, laissant croire qu’en dehors des lois du marché, point de salut, et que le libéralisme et les lois de la concurrence sont des valeurs immuables, absolues et indiscutables.

Le libéralisme et le processus de mondialisation de la concurrence ont contraint les pays comme la France depuis longtemps,  souvent leader en la matière, à instaurer des systèmes de protection et de régulation économique pour le cinéma souvent  désignés sous le vocable de « l’exception culturelle » française  qui a permis la sauvegarde des créateurs et d’une industrie cinématographique nationale (en très mauvais état actuellement).

Ceci étant, les résultats ne sont pas négligeables. Les investissements dans le cinéma, l’an dernier, ont représenté plus d’1 milliard d’euros et les recettes nationales ont atteint 1 139 millions d’euros avec 421,5 M€ à l’exportation représentant un poids économique non négligeable même si on l’estime insuffisant.

Mais la prééminence toujours grandissante des logiques de marché et de concurrence, de marchandisation des œuvres de l’esprit, induit d’importants risques sur l’ensemble de la filière (auteurs, réalisateurs, producteurs, distributeurs, exploitants et industries techniques) et nécessite en permanence notre vigilance.

Cette logique tend à laminer la solidarité professionnelle et interprofessionnelle, à diviser les professionnels entre eux, à réduire le soutien du public cinéphile et à mettre en cause l’existence de la diversité culturelle dont la garantie doit être en permanence réaffirmée auprès de tous et en particulier à l’endroit des Pouvoirs publics dont c’est la responsabilité.

L’impact des effets de déstructuration est d’autant plus violent que les systèmes collectifs de régulation s’épuisent et ne parviennent que difficilement à redéfinir leurs modalités d’intervention.

C’est l’enjeu actuel du passage à marches forcées du cinéma au numérique qui risque de laisser sur le bord de la route les plus faibles et frapper en première ligne les jeunes auteurs, les petites salles, les petits distributeurs, la création et le public, et, plus généralement le cinéma indépendant.

Le cinéma français en chiffres en 2009

La fréquentation a progressé de 5,7 % entre 2008 et 2009, mais cette évolution n’a pas été homogène, elle a profité essentiellement à la grande exploitation (+7,9 %) alors qu’elle  régressait de 9,8 % dans la moyenne exploitation et de -13,2 % dans la petite exploitation. Ce qui est particulièrement préoccupant à la veille d’importants  investissements des petites et moyennes  salles à envisager pour s’équiper en numérique.

En 2009, les films français  ont reculé, passant de 86,14 millions d’entrées  en 2008 à 74,46 millions (sur un total de 200,85 millions d’entrées). Les films français (effet en 2008 « Bienvenue chez les Ch’tis » avec 20,36 millions d’entrées) qui réalisaient en 2008 plus d’entrées que les films américains,  ont vu chuter leur part de marché de 45,3 % à 37,1 % face à 49,8 % contre 43,2 % en 2008, pour les films américains qui ont enregistré une progression de 21,8 % en un an.

Voyons les chiffres comparés de 2009 par rapport à 2008 : (voir le PDF)

Selon des informations européennes recueillies aux bonnes sources, sur les 30 000 salles existant en Europe 10 000 au moins risquent d’être victimes de la numérisation du cinéma.

En France, un cri d’alarme a été poussé par les salles françaises le 4 novembre dernier où 2 100 cinémas entre 18h et 19h ont éteint leurs écrans pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur leur situation critique.

Sur le diagnostic et sur les solutions, l’unanimité n’est pas évidente à réaliser. Les circuits, les salles moyennesen réseau, les salles indépendantes  et les petits distributeurs vivent cette mutation technologique de façontrès différente et pour les plus petits cela peut être dramatique. Une solution collective impliquant le CNC, les professionnels  de toute la filière et les collectivités territoriales aurait dû s’imposer.

La numération des écrans représente un investissement  de l’ordre, pour la salle de 80 000 € avec 10 000 € de maintenance, pour les petits distributeurs, s’ils doivent à la fois contribuer financièrement d’une façon quelconque à la modernisation des salles et à la confection de « masters » en remplacement ou parallèlement à des copies 35 mm, avec cerise sur le gâteau, une réduction de leurs recettes, c’est mission impossible.                

Pour les circuits et pour les salles importantes cet investissementinvestissement est facilement envisageable et certains l’ont déjà réalisé, pour être les premiers sur la ligne de départ. 550 écrans seraient déjà numérisés en France et UGC qui traînait les pieds a fini par équiper ses salles, pour exploiter, la mine d’or, qu’a constitué l’exploitation du film «Avatars».

UGC ne s’attaque pas à ses grands concurrents : Europlace, MK2… mais très souvent aux salles indépendantes, municipales, comme à Montreuil contre le Méliès ou à Lyon contre le Comedia, salle indépendante, et plus généralement contre les salles municipales surtout aux salles existantes pour répondre mieux à la demande de leur public, ou s’oppose aux nouvelles implantations indépendantes, municipales ou autres.

C’est pourquoi l’on ne peut que se féliciter quand le public se mobilise comme  à Paris (XIIIe) contre le projet de Gaumont de faire disparaître le Grand Ecran Italie, fermé depuis 2 ans, et, que la lutte du public continue… pour maintenir une activité cinématographique dans ce quartier de la capitale (Paris se prétendant, la capitale du cinéma du monde, pourrait, peut être, en tant que collectivité locale, se montrer aussi allant, sur ce dossier qu’il l’est sur les projets de Marin Karmitz dans la périphérie parisienne…).

Ce qui peut inquiéter par ailleurs, c’est la progression des entrées dans les multiplexes (au nombre de 174) qui dépassent les 57 % du total des entrées nationales face aux 2 000 autres salles… et face au recul des entrées dans les salles moyennes et petites, salles indépendantes plus particulièrement en province, du fait des difficultés d’accès aux copies des films dits porteurs.

C’est pourquoi la numérisation ne doit pas servir d’alibi pour faire disparaître une seule salle de cinéma, nous devons être vigilants et inscrire cet objectif dans toutes les politiques publiques, de l’Europe à la commune.

Il existe des systèmes de soutien du cinéma au niveau européen (programme Media) au niveau national (le CNC), au niveau régional, départemental et commu nal pour faciliter la circulation des films et l’accès du public aux films, ils doivent prendre en compte le défi de la numérisation comme une chance pour développer une amélioration sur le territoire de l’aménagement des infrastructures cinématographiques  et faciliter ainsi l’accès à tous les publics des meilleurs films du monde.

Ces mesures des autorités européennes et nationales sont urgentes, car dans ce marché ultra concurrentiel où les plus puissants sont les meilleurs pourvoyeurs de l’agressivité du cinéma américain en France, le risque est grand, à la faveur du numérique, de mettre à bas 60 ans de politique nationale du cinéma qui a maintenu le pluralisme, la création cinématographique face à la standardisation, la marchandisation des œuvres et s’est opposée  à la concentration monopolistique qui reste à l’œuvre avec les circuits de salles, les chaînes de télévision et les sociétés de l’industrie de la communication.

Or pour nous, le cinéma c’est le film, le film vu dans la salle, c’est le seul lieu de rencontre du créateur avec son public. Le vrai public populaire, en partie à reconquérir. C’est pourquoi, il faut encourager que les écoliers, collégiens, lycéens puissent continuer à visionner dans les salles de cinéma de la commune dans le cadre éducatif, les films inscrits dans les programmes pédagogiques, de Collège au Cinéma, de Lycée au Cinéma ou des Enfants du Cinéma, pour les primaires.

Le cinéma ne se résume pas au seul problème de la numérisation, une nécessaire réflexion doit s’engager avec les professionnels, les pouvoirs publics et les élus pour adapter le fonds de soutien afin qu’il joue son rôle de régulateur du marché s’accompagnant d’une meilleure répartition du financement en faveur des indépendants, en faveur de mesures spécifiques favorisant  l’accès aux écrans des films d’auteurs portés en général par les petits distributeurs, d’une amélioration de leur diffusion par les télévisions publiques et privées etc.

Cela passe par une démocratisation du CNC, gestionnaire du fonds de soutien.

Il y aurait lieu également de s’interroger sur la défense du cinéma d’auteur contre le cinéma commercialement dominant.

Notre choix va à un cinéma qui s’adresse à la sensibilité, à l’intelligence et à l’imaginaire des spectateurs.

La défense du film d’auteur et du cinéma indépendant est un acte éminemment politique.

L’industrie cinématographique subit de profonds bouleversements depuis 20 ans, il importe que nous soyons à l’initiative, que nous proposions à toutes les parties et d’abord  aux professionnels une remise à plat de l’organisation de la profession avant que les blockbusters, les multiplexes, l’irruption des nouvelles formes diffusion du film par internet et autres, les exigences des télévisions  à l’ère  numérique, n’empêchent  les pouvoirs publics (le CNC, le ministère de la Culture) les institutionnels,  les auteurs et le public à maintenir le soutien et l’existence même du cinéma indépendant face aux stratégies de domination des grands groupes de communication.

De nombreuses communes (communistes, en particulier) interviennent en faveur du cinéma, de façon positive et de façon très variable selon la conception qu’elles se font de leurs responsabilités et du rôle de la culture dans la ville.

Au lendemain des élections  régionales, il n’est  pas inutile, de rappeler que les Régions  interviennent, depuis plusieurs années, et, de plus en plus, dans le financement du cinéma en particulier dans le domaine de la production et de la diffusion avec un soutien du CNC qui joue alors bien son rôle.

Certaines Régions ont décidé de s’intéresser à l’équipement des salles en numérique afin de pallier la carence du CNC en la matière qui en d’autres temps aurait pris l’initiative d’une mutualisation de ces investissements.

Soyons attentifs et vigilants à la survie de ces milliers de petites salles de cinémas réparties sur tout le territoire qui sont autant de vigiles pour rassembler  les publics et faire que les films et le cinéma vivent.

 

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