Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Un pacte au service des marchés contre les peuples

Les dirigeants européens ont peur. Les dispositions adoptées en mai dernier après l’effondrement grec n’arrivent pas à faire retrouver « la confiance des marchés ». Pire, elles enveniment les difficultés, les politiques d’austérité brisant les ressorts de la croissance, banques et BCE gardant le même cap fondamental.

Le spectre d’une contagion à l’Espagne hante Berlin et Paris car les masses à financer (600 milliards d’euros) sont d’une tout autre ampleur que pour la Grèce, l’Irlande ou le Portugal. Un risque de défaut d’un tel calibre pourrait faire sauter tout le système ac- tuel de l’euro devenu si nécessaire à la domination mondialisée des capitaux allemands et, sous leur houlette, des capitaux français face à « l’imperium » américain et à l’irrépressible montée des pays émergents.

Austérité budgétaire accrue

Fin mars dernier, les vingt-sept ont décidé, en Conseil, d’accélérer la fuite en avant en renforçant « la discipline budgétaire » et en l’assortissant de sanctions financières. Un État dont la dette dépassera 60 % du PIB sera tenu de la réduire d’un vingtième par an, sinon il devra faire un dépôt de 0,2 % du PIB, transformable en amende. Certes, cela ne sera pas automatique, mais la menace sera effective dans le cadre du « semestre européen » qui oblige chaque gouvernement à soumettre son budget dés le mois d’avril à ses pairs et à la Commission, en vue de « recommandations », avant le vote par son parlement national à l’automne. Pour la France, les nouvelles règles adoptées en matière de déficit public pourraient nécessiter un effort de 1,5 % de PIB chaque année pendant vingt ans (1) !

On mesure l’ambition d’intégration à ce projet quand on relève que les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars derniers soulignent que « dans le cadre de la mise en œuvre de ces politiques et pour obtenir une large adhésion à ce processus […] les parlements nationaux,  les partenaires sociaux, les régions et d’autres  parties  prenantes y seront pleinement associés ».

Autre disposition, le pacte de compétitivité re-dénommé « pacte pour l’euro plus ». La monnaie unique était censée faire « converger » toutes les économies vers le niveau allemand. En fait, les dissymétries au sein de la zone euro n’ont cessé de croître, la domination allemande faisant exploser les déficits intra-européens. Et avec le déclin de la croissance, les investissements directs faits par des résidents européens à l’étranger, États-Unis et pays émergents surtout, n’ont cessé de croître, en contradiction avec l’objectif  d’attractivité financière d’un « euro fort ».

Pacte de compétitivité et normes allemandes (2)

D’où le choix d’une « coordination  renforcée pour la compétitivité et la convergence » aux normes allemandes et à la schlague, avec l’obsession de la baisse des « coûts salariaux ».

Les salaires devront « évoluer en accord avec la productivité » du travail, contre tout nouveau partage de la valeur ajoutée. Les mécanismes d’indexation des salaires seront « réexaminés », de même que « le degré de centralisation du processus de négociation », contre  les accords nationaux et de branche.  Dans le secteur public, ces accords devront « soutenir les efforts de compétitivité consentis dans le secteur privé ». Quoi qu’il en soit, « les augmentations significatives et durables (de salaires) pourraient provoquer une érosion de la compétitivité notamment si elles viennent s’ajouter à un déficit croissant de la balance courante et à une diminution des parts de marché à l’exportation ». Cela concerne notamment le France.

Flexisécurité (3) et chantage à l’endettement

Au nom de l’emploi, il faudra « favoriser la flexisécurité » défendue par S. Royal en 2007 et promue, depuis, par Sarkozy cherchant à récupérer l’idée de « sécurité sociale professionnelle » chère  à la CGT ou de « sécurisation des parcours professionnels » mise en avant par d’autres syndicats. Et il faudra accentuer « la réduction des charges fiscales pesant sur le travail », en fait sur le capital et les profits !

Au nom de la « viabilité  des retraites », il faudra relever l’âge de départ en fonction de l’espérance de vie, comme le veut, en France, la droite et comme s’y est résolu le PS, à la fin du grand mouvement social de l’automne dernier, en affirmant ne pas vouloir revenir sur le processus d’augmentation de la durée des cotisations actuellement à l’œuvre.

Enfin, chaque État membre devra introduire dans sa loi fondamentale (Constitution) un « frein à l’endettement », comme le préconise le rapport Camdessus en France (4), sur le modèle de ce qu’a déjà décidé de faire l’Allemagne.

Dés 2012, ces réformes devront entraîner des changements législatifs dans chaque pays, « sur une base volontaire »…C’est dire l’enjeu d’une rupture du consensus sur le traité de Lisbonne entre la droite et le PS pour la prochaine élection présidentielle française, avec des propositions alternatives radicales et réalistes, au lieu de se contenter de rabâcher qu’il faut « sortir du Traité ».

Renforcer les marchés financiers

Troisième dispositif, le mécanisme européen de stabilité (MES). Il est censé pérenniser, au-delà de 2013, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) lancé en mai 2010. Il sera doté d’un capital de départ de

700 milliards d’euros apporté par les États, lesquels, sans doute, se procureront l’argent nécessaire par emprunt sur les marchés financiers surtout, car leur fiscalité devra reculer au nom de la compétitivité.

Le MES pourra prêter jusqu’à 500 milliards d’euros qu’il empruntera lui-même sur les marchés avec une note « AAA » exigeant  fortes rentabilité et solvabilité. Aussi re-prêtera-t-il cet argent au taux du marché moyen augmenté de 2 % pour les prêts inférieurs à 3 ans et de 3 % au-delà… de quoi assommer les États qu’il prétendra aider avec, à la clef, le massacre des services publics et des privatisations, ainsi que s’y est déjà pleinement engagé le social-libéral Papandréou en Grèce.

Exceptionnellement, le MES pourra acheter de la dette publique directement auprès des États, sur les marchés primaires. Cela mettra un terme à un processus qui, depuis la crise grecque, tend à mettre au défi la BCE de créer de la monnaie pour racheter de la dette publique, ce contre quoi ses dirigeants  luttent de toutes leurs forces au nom des dogmes fondateurs de cette institution. Pendant ce temps, aux États-Unis, la FED fait, elle, marcher à fond la « planche à billets » pour soutenir la politique économique.

Plans d’ajustement

L’activation de l’aide sera décidée par les ministres de la zone euro, après évaluation de la Commission, avec la BCE et le FMI, en contrepartie d’un « plan d’ajustement macro-économique » drastique, étroitement surveillé. Ainsi, après les tristement célèbres PAS (plans d’ajustement structurel) imposés aux pays en développement pour les piller avec la dette, voici donc les PAM pour, au nom de la dette, faire « suer le burnous » des européens !

Doté d’un Conseil des gouverneurs, « organe décisionel suprême » formé par les ministres de la zone, le MES aura un conseil d’administration et un directeur général. Bref toute une machinerie institutionnelle supranationale se met ainsi en place de façon, pour l’heure, intergouvernementale.

Mais cela prépare, de fait, le terrain pour une folle fuite en avant fédéraliste, avec le pari d’un super- endettement public européen prétendant rivaliser avec les États-Unis dans l’attraction des placements, chinois notamment. Cela marche de pair avec toute une restructuration de l’Europe, au sud notamment,après l’est, avec privatisations  massives et surenchères à la baisse des « coûts salariaux ».

Les dirigeants européens, qui craignent de ne pouvoir arriver à faire avaler une telle pilule, font alors la promesse « de réfléchir à l’instauration  d’une taxe sur les transactions financières à l’échelle mondiale  et de développer cette idée »…

Besoin d’alternative

Cette volonté frénétique de fouler au pied la démocratie pour faire payer aux peuples la rapacité des marchés financiers, alimentée elle-même par des États qui cherchent à remplacer le soutien des endettements privés à l’accumulation capitaliste, explosé en 2008, par le soutien des endettements publics, prépare de nouveaux épisodes beaucoup plus aigus de crise en Europe. Ils se conjugueraient,  alors, avec une crise du dollar pour déboucher sur une guerre monétaire mondiale particulièrement violente.

Cette gravité exceptionnelle de la situation est cachée, alors que, de partout, montent les luttes contre l’austérité et le désaveu des partis politiques pro-Lisbonne, en même temps que les récupérations populistes de la souffrance sociale.

C’est dire le besoin de débat démocratique avec des propositions alternatives pour une tout autre utilisation de l’euro, au lieu de « la sortie » illusoire  et dangereuse, telles celles avancées par le PCF, reprises par le PGE, d’un Fonds social de développement européen. Il mobiliserait la création monétaire de la BCE pour financer un très grand essor concerté des services publics, tandis que le crédit bancaire servirait à sécuriser l’emploi, la formation et les salaires. Cela permettrait aussi de faire contribuer l’Europe, via des dons de monnaie en euros de la BCE aux banques centrales arabes, à un « plan Marshall » sans domination pour les pays du Maghreb et du Makrech, en pleine ébullition et vis à vis desquels elle a une grande responsabilité. Cela permettrait une mobilisation  massive du crédit pour un développement de l’emploi, de la formation, des salaires, de concert avec celui des investissements réels, des deux côtés de la Méditerranée. 

(1) Interview de P. Weil, Président de l’OFCE, Les Échos du 24/03/11.

(2) Voir l’article de Bruno Odent p. 5.

(3) Voir l’article de Sébastien Elka p. 14.

(4) Rapport de la Commission présidée par M. Michel Camdessus sur la règle constitutionnelle d’équilibre des  finances publiques. 25 juin 2010.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.