Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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RATP  à la croisée des voies

Alors que les besoins de transport explosent avec l’urbanisation croissante des territoires et la montée des enjeux environnementaux, la concentration du secteur s’intensifie. Quelques grands groupes internationaux se partagent le marché et ne cessent, à force de rachats et fusions, de grossir. La RATP entre dans la course. à la veille de l’ouverture à la concurrence de son réseau, elle cherche des relais de croissance hors de l’Île-de-France. Cette stratégie, menée tambour battant, est engagée depuis maintenant plus de dix ans.

La Régie Autonome des Transports Parisiens  a connu depuis les années 2000 de profondes mutations, liées à la fois aux changements institutionnels et législatifs et aux orientations qui lui ont été données par sa tutelle, l’État français. Ces orientations, directement inspirées des rapports Bergougnoux et Barbier de la Serre sur la gouvernance des entreprises publiques, ont encouragé l’État à se comporter comme un actionnaire et favorisé les stratégies de diversification et de croissance externe afin de permettre des remontées de dividendes. Dans nombre d’entreprises publiques comme EDF, GDF, France Télécom ou Air France, elles ont mené à une ouverture du capital voire à une privatisation. Elles ont aussi eu pour effet de fragiliser les collectifs de travail et le système de valeurs qui fondait un sentiment d’appartenance fort.

De la loi SRU…

Pour bien comprendre les changements  qui ont touché l’entreprise, il faut remonter à la loi Solidarité Renouvellement Urbain de 2000. Cette loi, en plus de consacrer l’entrée de la Région au Syndicat des Transports Parisien (STP, devenu STIF (1)), permet à l’entreprise de déroger au principe de spécialité STIFgéographique qui est attaché à son statut. Elle peut désormais se doter de filiales afin de « construire, aménager et exploiter  des réseaux et des lignes de transport public de voyageurs » hors de l’Île-de-France. Cette évolution juridique, souhaitée par l’entreprise et encouragée par l’État, s’est accompagnée d’une modification  des modalités de financement du service de transport. Alors qu’auparavant  l’écart entre le coût du service et les recettes tarifaires était équilibré chaque année par une indemnité compensatrice, versée par le STP, un contrat est désormais conclu entre celui-ci et la RATP, qui assoit la rémunération de l’entreprise sur des prévisions pluriannuelles de charges et lui permet donc, si elle contient ses coûts, de dégager un résultat. Ce résultat permet à l’entreprise de limiter la croissance de sa dette (2) en améliorant sa capacité d’autofinancement  et de financer son développement.

La régionalisation du STIF qui suit à la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004, et le désengagement financier de l’État des transports franciliens plaident pour une vigilance accrue des élus régionaux quant à l’utilisation des résultats obtenus par l’entre- prise dans le cadre du contrat. Cette régionalisation se traduit également par des prérogatives renforcées de l’autorité organisatrice et notamment par la capa- cité d’exercice de la maîtrise d’ouvrage des projets de transport, qui était jusqu’alors  réalisée par la RATP dès lors qu’elle était désignée par le STIF comme futur exploitant de l’infrastructure. Même si le STIF n’a pu pleinement assumer cette nouvelle mission dans un premier temps, faute de compétences internes, il a progressivement usé de sa capacité à confier à des tiers, via des appels d’offres, la conception et la réalisation de nouvelles infrastructures. Or, dès lors que la maîtrise d’ouvrage est mise en appel d’offres, la maîtrise d’œuvre du projet ne peut être réalisée par la même entreprise selon les dispositions de la loi Maîtrise d’Ouvrage Pu- blique, qui s’applique désormais lorsque le marché n’est pas confié de gré à gré à la RATP. Ce qui signifie pour l’entreprise une perte de parts de marché dans le domaine de l’ingénierie des projets et se traduit par une incertitude quant au plan de charge de ses équipes d’ingénieurs. La RATP prend prétexte de cet argument en 2006 pour créer une nouvelle filiale d’ingénierie, Xelis, dans laquelle elle détache une partie de ses ingénieurs  et qui démarre avec des portefeuilles d’affaires détenus par l’EPIC (3). Xelis a pour vocation d’être le bras armé de l’entreprise pour se positionner, à moindre coût, en Île-de-France et ailleurs, et se trouve en concurrence directe avec Systra, détenue à parité par la RATP et la SNCF (qui a elle-même créé la même année sa propre filiale, Inexia).

 

…au règlement OSP

En dotant le STIF de la compétence de maître d’ouvrage, la loi a rapproché le cadre réglementaire francilien du cas commun. Pour autant, l’organisation des transports collectifs franciliens reste très éloignée des principes définis dans la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI), qui s’applique hors de l’Île-de-France. L’organisation des transports y est régie par le décret du 14 novembre 1949 et l’ordonnance du 7 janvier 1959, qui donne aux transporteurs publics et privés désignés par le STIF des droits de ligne de durée illimitée. Ce cadre réglementaire  se trouve bouleversé par le règlement européen  sur les obligations  de service public de 2007 (dit règlement OSP). Ce règlement impose la passation de contrats de service public de durée limitée. Il ne tolère la désignation de prestataires pour l’exploitation de services de transport que dans quelques cas bien précis, l’appel d’offres étant la règle. Ces dérogations peuvent s’appliquer aux services de chemin de fer et aux services de transport assurés par une entité contrôlée par l’autorité organisatrice et dont l’activité se limite au périmètre de transports sur lequel elle exerce. Elles ont été obtenues à force de lobbying par des pays comme l’Allemagne ou la France, qui souhaitaient préserver leurs régies locales. Le règlement OSP ne bouleverse donc pas le paysage des transports urbains, à l’exception notable de l’Île-de-France, dont les règles de fonctionnement ne peuvent perdurer. C’est l’article 5 de la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) de décembre 2009 qui, en modifiant l’ordonnance de 1959, définit une date d’échéance pour les droits d’exploitation de la RATP. Les lignes qu’elle exploite seront donc mises en appel d’offres en 2024 pour le bus, 2029 pour le tramway et 2039 pour le métro et le RER. Les conditions de transfert du personnel concerné par un changement d’opérateur ne sont pour le moment pas définies. Le matériel roulant est désormais propriété juridique du STIF, qui pourra s’il le souhaite se porter repreneur des dépôts de bus en 2024.

Outre permettre la mise en concurrence de l’opérateur historique, cet article lui confie la gestion de l’infrastructure du réseau métropolitain (et RER qu’elle exploite, soit une partie des lignes A et B). Il consacre ce faisant le maintien dans l’entreprise d’une activité qu’elle exerce de fait depuis son existence, mais engage également ce qui pourrait être une des grandes étapes de la remise en cause de l’intégration de l’entreprise : la séparation comptable entre ses activités d’exploitant  et de gestionnaire d’infrastructures. Celle-ci pourrait bien faire figure d’étape avant une future séparation juridique. Elle vise à séparer les activités rentables — l’opérateur de transport RATP étant incité à mettre à profit la période de transition pour réduire son écart de coût avec ses principaux concurrents — des activités non rentables, qui restent dans le champ monopolistique parce que très consommatrices de capital. L’entreprise a pris le parti d’inscrire cette évolution dans son organigramme, en modifiant à la marge seulement son organisation et en n’y affectant  que les activités de maintenance des infrastructures de transport. Pourtant, elle introduit progressivement une logique de contractualisation interne qui risque d’engendrer des surcoûts, afin dit-elle de se prémunir d’éventuels recours de concurrents soupçonnant des subventions croisées entre activités exposées ou non au champ concurrentiel. La perspective du futur réseau du Grand Paris, dont l’entreprise n’a la garantie d’assurer ni la conception, ni la réalisation ni l’exploit ation, pourrait précipiter ce mouvement. D’autant que ses concurrents regarderont sans doute de près la position qu’elle sera amenée à tenir dans ce projet(4).

Un groupe qui change de dimension

Le développement du groupe reste très limité à la suite de la loi SRU dans la mesure où les moyens dont il dispose sont sans commune mesure avec la force de frappe financière d’entreprises comme Veolia Transport, Keolis ou Transdev. RATP Développement, entité qui chapeaute les filiales dédiées à l’exploitation de réseaux de transport, se cassera plus d’une fois le nez au jeu de la compétition sur les grands appels d’offres de réseaux urbains. La tentative de partenariat avec Transdev (25 % de participations  croisées) est un échec stratégique même si elle permet des remontées de dividendes pour la Régie. En 2008, le chiffre d’affaires des filiales ne représente toujours qu’à peine 7 % de celui du groupe. Le plan d’entreprise 2008-2012 fixe alors pour objectif de multiplier par trois le chiffre d’affaires des filiales en 5 ans. La Régie réoriente sa stratégie de développement, en tournant sa prospection  en France sur les villes moyennes  et en favorisant les montages partenariaux et les rachats  d’entreprises.  Mais c’est en fait la fusion entre Veolia Transport et Transdev qui offrira à l’entreprise l’opportunité de connaître un développement fulgurant. Elle permet en effet à l’entreprise de récupérer la quote-part détenue dans Transdev sous forme d’actifs du nouvel ensemble, et de prendre du jour au lendemain la tête d’entreprises présentes sur les réseaux de Gênes, Londres, et en France de Bourges, Moulins, Vienne ou Vierzon. Les 16 nouvelles filiales ajoutent 6 500 salariés à l’effectif du groupe et permettent à RATP Développement de multiplier son chiffre d’affaires par trois.

La stratégie de Pierre Mongin depuis son arrivée à la tête de l’entreprise repose sur un double langage. D’une part, il exerce un constant lobbying pour que les activités de la RATP en Île-de-France soient préservées (dans le cadre de l’élaboration de la loi ORTF, il a milité activement auprès des parlementaires pour que la gestion de l’infrastructure du métro soit confiée à l’entreprise et il a défendu, avec moins de succès, l’instauration  d’une co-maîtrise d’ouvrage RATP/Société du Grand Paris dans le cadre de la loi sur le Grand Paris). D’autre part il adopte une attitude très offensive via sa filiale RATP Développement, n’hésitant pas à aller concurrencer des entreprises publiques et à imposer des conditions de travail et de rémunération plus d’une fois contestées aux salariés des réseaux concernés. Cette stratégie, en plus de donner une image assez peu flatteuse de l’entreprise, a un effet très déstabilisant en interne. L’alignement  sur les pratiques du secteur privé ébranle une des raisons d’être de l’engagement et de l’attachement de nombreux salariés aux valeurs de l’entreprise. Elle a également pour effet d’exacerber les conflits avec le STIF (5) dont dépend pourtant directement l’avenir de l’activité de l’EPIC, et qui pourraient être lourds de conséquences alors que s’amorce la négociation du prochain contrat. Elle se traduit, en interne, par des réorganisations incessantes dont le sens échappe aux salariés, et par une recherche effrénée de gains de productivité à coup de suppressions de postes et d’alignement par le bas des conditions de travail. 

 

(1) Syndicat des transports d'Île-de-France.

(2) La dette de la RATP n’a toutefois cessé de croître en raison de modalités de financement de ses investissements atypiques par rapport aux règles usuelles de la profession (financement par l’entreprise d’une partie des infrastructures et de l’intégralité de son matériel roulant).

(3) Établissement public industriel et commercial.

(4) Ce que montre la saisine de l’Autorité de la concurrence par le syndicat professionnel Syntec Ingénierie, visant les dispositions de la loi sur le Grand Paris qui permettent à la SGP, dans un certain nombre de cas, de déroger à la mise en concurrence de marchés d’ingénierie.

(5) Conflits qui ont connu  leur apogée avec  la loi ORTF et portent en particulier sur la propriété des actifs gérés par la RATP, sur l’exercice de la maîtrise d’ouvrage et sur le financement et le choix des  investissements.

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