La lutte emblématique menée par les salariés de Fralib (thé Éléphant), appuyée par la population de la cité phocéenne, vient d’obtenir un succès avec la décision du TGI d’annuler le plan de licenciement programmé. Cette entreprise, filiale du grand groupe Unilever était menacée de fermeture et sa production de délocalisation. Dans cette bataille, les salariés ont avancé des propositions alternatives originales, s’appuyant sur un projet industriel ancré dans le territoire et une appropriation par les salariés de l’outil de travail.
Ce qui se passe depuis plusieurs mois à l’usine FRALIB de Gémenos dans la banlieue de Marseille ressemble à première vue à un scénario malheureusement de plus en plus classique.
D’un côté, un groupe transnational, en l’occurrence Unilever, un des leaders mondiaux de l’agroalimentaire, propriétaire d’une multitude de marques qui remplissent quotidiennement les caddies du consommateur moyen, de la moutarde Amora aux déodorants Axe, en passant par les soupes Knorr et les dentifrices Signal. Unilever a réalisé en 2010 un chiffre d’affaire de 44,3 milliards avec un bénéfice net en hausse de 26 % de 4,6 milliards.
De l’autre, une unité de fabrication de sachets de thé et d’infusions pour les marques Lipton et l’Éléphant, propriétés d’Unilever. Cette unité de production est la dernière usine de la FRALIB, filiale d’Unilever. Elle emploie 182 salariés et 65 % de sa production est destinée au marché français. FRALIB est une société rentable, ne connaissant pas de problèmes de trésorerie, de bilan (2) ou encore de carnet de commande.
Seulement voilà, Unilever est un groupe insatiable : sous prétexte de restructuration industrielle, la direction a décidé en septembre dernier de fermer l’usine de Gémenos et de transférer la production en Belgique et en Pologne.
La direction d’Unilever n’a jamais voulu avouer que la fermeture de l’usine vise à augmenter les bénéfices du groupe. Pour elle, cette fermeture est une réponse « aux difficultés structurelles d’Unilever sur le marché du thé et des infusions en Europe de l’ouest ». Et d’ajouter comme suprême argument que l’usine de Gémenos « représente à elle seule 27 % des coûts pour 5,1 % des volumes de production européens ». Dans la foulée, un accord de méthode a été proposé aux salariés pour régler au plus vite la cession d’activité, accord de méthode que les représentants des salariés ont refusé de signer. La direction a aussi rapidement remis un PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi, nouveau cynisme pour désigner un plan social qui n’a rien de social au comité d'entreprise.
Histoire classique sauf que...
De la résistance exemplaire…
La première étape de la lutte menée par les salariés de FRALIB a été de contester les chiffres de la direction et de le faire savoir. Sans rentrer dans les détails (3), disons que les chiffres avancés par la direction, en plus d’être erronés car comparant des unités de productions différentes et des productions différentes, contredisaient des documents internes du groupe Unilever. De plus, ces chiffres n’étaient accompagnés d’aucun commentaire sur la politique d’investissement d’Unilever sur le site de Gémenos. Enfin, les employés de FRALIB ont pointé l’extrême faiblesse de la politique salariale de l’entreprise.
Dans un deuxième temps, en plus d’appeler à un boycott des produits Lipton, les salariés ont attaqué le groupe Unilever sur le domaine fiscal. En effet, la réorganisation d’Unilever au début des années 2000 a transformé l’Usine FRALIB en simple sous-traitant de volumes de fabrications dont la vente finale est facturée par une société filiale du groupe basée en Suisse, ce qui permet à Unilever de « passer à travers la fiscalité française et ainsi de voler en toute impunité 67 millions d’euros chaque année, depuis 2007, à la collectivité nationale » (4).
Enfin dans un troisième temps, le CE (Comité d’Entreprise) de FRALIB a décidé d’assigner le groupe Unilever devant le tribunal de Grande Instance de Marseille afin de contester la décision de fermeture et le PSE proposé, tant sur le fond argumentaire que sur la forme légale. Le résultat est une victoire : rendue avec une semaine d’avance, la décision du juge des référés est une véritable claque pour la direction d’Unilever Constatant des « irrégularités manifestes » dans la démarche de cessation d’activité entreprise par le groupe, le tribunal demande à Unilever de communiquer « au comité d’entreprise toutes les données utiles à apprécier la rentabilité de l’activité » ainsi que « toutes les données utiles à apprécier la dérive de compétitivité de FRALIB […], l’échec des mesures destinées à l’enrayer, en produisant les éléments de comparaisons indispensables… pour la branche et chacun des sites ». De plus, le PSE est annulé pour manque de clarté sur les moyens mis en oeuvre par Unilever, notamment en comparaison des plans « mis en oeuvre dans les périodes récentes ».
...à la proposition d’un plan alternatif
Cependant, et c’est là une forte originalité de cette lutte,les salariés de FRALIB ne se sont pas contentés de résister à la fermeture de leur site. Ils en sont aujourd’hui à l’élaboration d’un projet alternatif porteur d’une ambition industrielle des plus exigeantes.
Exigeant, ce projet l’est déjà par son analyse de départ.
Constatant que l’une des marques produite par le site de Gémenos, l’« Éléphant », possède un ancrage historique dans la région (plus de 100 ans de présence), il s’agit tout simplement de s’appuyer sur cette réalité pour développer autour de cette marque une dynamique locale, et donc en toute logique, de la conserver.
La marque l’« Éléphant » produit des infusions et du thé. Pourquoi ne pas porter un projet industriel basé en partie sur les productions tisanières régionales, comme cela fut d’ailleurs le cas pendant des années ?
En plus d’inscrire ce projet dans un contexte plus large de revalorisation de la production agricole locale, cette démarche s’inscrit aussi dans une exigence d’un développement écologiquement durable.
Exigeant, ce projet l’est aussi par sa démarche en termes de réappropriation par un collectif de salariés de l’outil de production. Constatant que les promesses d’investissements d’Unilever sur le site n’ont pas été tenues, le CE demande au groupe de rénover, comme promis, l’appareil de production et de le remettre pour un euro symbolique, ainsi que le foncier attenant, à un collectif de travail formé par l’ensemble des salariés de l’usine FRALIB de Gémenos. Cela constituerait un capital social collectif de base permettant de conserver au sein de l’entreprise un poids décisionnaire pour les salariés, même si des investisseurs rejoignent le projet du CE.
Car comme le fait remarquer Olivier Leberquier, délégué CGT du personnel, « la forme juridique qui porterait ce projet n’est pas encore définie ». Ce qui compte, c’est que le tour de table se fasse avec les collectivités locales, des investisseurs éventuels et le groupe Unilever. Aussi, dans les cinq années au moins suivant le démarrage de l’activité, « Unilever doit s’engager à maintenir l’accès à ses circuits d’approvisionnement et de distribution ». Les collectivités locales, en plus de leur intervention financière, devraient aider à la formation des salariés à de nouveaux métiers car comme le fait remarquer Olivier Leberquier « nous n’avons pas ici par exemple d’équipe commerciale, et c’est un tout autre métier que le notre ».
Il n’empêche que le projet alternatif, tel qu’il est esquissé et reposant sur une mixité du capital avec prépondérance majoritaire donnée aux salariés ainsi qu’aux collectivités territoriales, prouve au moins deux choses : les salariés sont capables – et volontaires- pour prendre en main la maîtrise de leur destin économique ; les salariés sont compétents pour inventer des formes de développement économique alternatives originales et respectueuses, plus que les multinationales, de l’environnement, des consommateurs et des producteurs, et de l’argent public. Cela, le salariat de notre région et au-delà, et plus encore le patronat, ne sauraient le négliger.
Indépendamment de l’aspect exemplaire de la lutte, les FRALIB démontrent que le maintien de l’outil industriel sur un territoire passe par une réflexion sur le sens de l’ancrage d’une activité sur ce territoire. Cette réflexion ne peut contourner le fait de se confronter à la logique du pouvoir de décision dans l’entreprise et à celle de l’appropriation au moins partielle des moyens de production pour renverser cette logique.
Cependant, l’aspect financier de toute réflexion sur l’ambition industrielle ne peut non plus être ignoré : il est évident qu’une collectivité territoriale, Région et/ou département, disposant d’un Fonds Régional Emploi Formation serait mieux armée pour accompagner et faire réussir un projet alternatif comme celui des FRALIB.
(1) PCF 13, collectif « Entreprises ».
(2) En 2009, Fralib a réalisé un chiffre d’affaire de plus de 27 millions d’euros, avec un EBE de plus de 8 millions !
(3) Voir le document de réponse des salariés disponible sur http:// cgt.fralibvivra.over-blog.com/pages/fralib-la-reponse-des-salariesaux- arguments-du-directeur-4243324.html
(4) Cf. document « Propositions des élus CGT-CFECGC du CE », résolution du CE Fralib-Gemenos 3 janvier 2011.
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