Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le coût du capital révélé par les données individuelles d’entreprises

Prolongement du numéro de novembre-décembre 2018 d’Économie et Politique, cet article précise à partir des statistiques de données individuelles des entreprises de l’INSEE le poids du coût du capital dans l’économie nationale.

 

L’utilisation de données individuelles peut permettre de détailler les données de la comptabilité nationale sur le coût du capital (voir dans notre numéro 772-773 l’article de Frédéric Boccara « De l’analyse du coût du capital à la recherche d’une autre régulation de l’économie »). En effet, l’INSEE met en ligne sur son site des comptes des entreprises issus des liasses fiscales société par société, et par catégories de taille ou par secteur d’activité. Ces chiffres vont tout à fait dans le même sens que les chiffres agrégés. Ils permettent aussi de faire apparaître des éléments qui disparaissent dans l’approche de la comptabilité nationale, ainsi que des disparités tout à fait suggestives.

Source : INSEE (Esane, d’après Alisse ; Comptes nationaux, pour les dividendes ). Champ : tous secteurs (y compris secteurs fnanciers).

Le tableau 3 confirme sur données individuelles le constat des comptes nationaux concernant l’importance des coûts du capital. Il en permet aussi une vision plus précise et plus fine, même si en revanche, les doubles comptes entre filiales d’un même groupe ne sont pas éliminées. Dans le même temps, cette approche est plus complète en termes de composantes couvertes.

En moyenne, le coût du capital apparaît plus élevé que le coût du travail, si l’on tient compte des dividendes distribués. Catégorie de taille par catégorie de taille, le coût du capital apparaît au moins aussi élevé que le coût du travail : chacun pesant de 18 à 20 % de l’ensemble des coûts des entreprises. Pour les grandes entreprises (celles de plus de 250 salariés) le coût du capital est même nettement supérieur, en moyenne, à celui du travail, ce qui est d’ailleurs logique pour deux raisons : elles sont généralement plus capitalistiques et on y a agrégé les holdings et sociétés assimilées. Le détail des différentes dépenses montre que ce sont les achats qui constituent la part la plus importante des coûts (environ 60 % des coûts), tandis que l’on peut remarquer que les différents impôts récapitulés dans les comptes des entreprises ont un poids inférieur à celui des intérêts bancaires, sauf pour les grandes PME (20 à 250 salariés). Au sein du coût du capital, les « autres charges financières » constituent un poste important pour les grandes entreprises (plus de 250 salariés) et holdings, renvoyant probablement en grande partie au financement de marché (obligations…). Enfin, on note l’importance des dotations aux amortissements et provisions, ainsi que le rôle non négligeable des loyers versés (qui comprennent à la fois des loyers de locaux, immeubles et certains loyers d’utilisation d’actifs immatériels).

Pour mieux cerner les disparités, il serait nécessaire d’adopter une approche en termes de groupes d’entreprises, au sens des liens de détention et de contrôle entre sociétés. Il faudrait d’une part séparer les entreprises indépendantes, d’autre part disposer d’une consolidation des comptes par groupes d’entreprises, car ceux-ci se versent en leur sein des rémunérations qui, souvent, sont enregistrées comme des coûts du capital : loyers, redevances, paiements d’intérêts, dividendes, etc.

Ici, on utilise une approche par « unité légale » juridiquement autonome, qui est celle des comptes sociaux (c’est-à-dire à peu près une approche société par société), où ces coûts peuvent être dispersés dans des unités de différentes tailles et de différents secteurs d’activité d’un même groupe2. Dans le même sens, il faudrait distinguer les firmes multinationales, qui représentent aujourd’hui plus de la moitié de la valeur ajoutée des entreprises (cf. F. Boccara, Hecquet et alii, 2013).

Le graphique 3 montre l’importance des disparités par secteur d’activité des sociétés, mais il suggère aussi le rôle de l’organisation en groupes d’entreprises dans ces disparités observées. Il repose en effet sur des données par « unités légales » ne distinguant pas dans un même secteur les sociétés indépendantes et les filiales d’un même groupe, dont la société peut avoir un rôle d’unité fonctionnelle spécialisée, porteuse de certains coûts spécifiques, au sein d’un groupe dont la, ou les, activités principales se situent dans un autre secteur. Ainsi, les coûts en capital d’un groupe peuvent être concentrés dans ses filiales financières ou immobilières, tandis que ses coûts du travail se concentrent dans ses filiales opérationnelles, de type industriel par exemple. L’on observe précisément une forte disparité sectorielle pour le coût du capital. Il s’étage entre 18 % et 77 % des coûts. Tandis que le coût du travail s’étage moins (entre 14 % et 31 %), les trois secteurs où le coût du travail étant le plus élevé traduisent une réalité plus proche de la nature de la combinaison productive, l’activité proprement dite, et non de ce que seraient les coûts d’une filiale spécialisée dans une fonction au service de l’ensemble d’un groupe. Ce sont les secteurs de l’hébergement et de la restauration (31 %) de la construction (27 %) et du transport (26 %).

 

1. Les dividendes de la colonne « ensemble » sont ceux donnés par la comptabilité nationale. Ceux par catégorie de taille d’entreprise ont été estimés par nous-mêmes, car ceux-ci ne sont pas présents dans les comptes d’entreprises agrégés par taille mis en ligne par l’INSEE. Pour ce faire, on est parti du total macro-économique des dividendes, donné par la comptabilité nationale, que l’on a réparti entre les catégories de taille d’entreprise, d’une part au prorata du poids du coût du capital de la catégorie dans le total

des coûts du capital toutes catégories ; d’autre part en ne donnant aux TPE (0 à 9 salariés) que 20 % des dividendes que ce premier calcul de leur poids pourrait leur affecter (ceci revient à corriger leur poids à la baisse en tenant compte que les TPE (0 à 9 salariés) fonctionnent très peu par versement de dividendes, du fait notamment de leur forme juridique.

2. L’INSEE réalise certaines consolidations, mais d’une part elle sont limitées aux variables situées en amont du calcul de la VA, et excluent notamment les charges financières et les dividendes, d’autre part elles sont réalisées sur des périmètres qui peuvent être plus restreints que des groupes : des ensembles de filiales d’un même groupe mais d’activité relativement homogène entre elles. Chacun de ces sous-ensembles, l’INSEE l’appelle une « entreprise ».

 

 

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