Jusqu’à présent, les réformes engagées par les gouvernements de droite comme de gauche ont été des réformes paramétriques. Elles visaient, en premier lieu, l’équilibrage des comptes de la branche vieillesse par une baisse de sa dépense, et, en second lieu, à éviter le recours à la hausse des cotisations sociales, surtout patronales (d’où la fiscalisation progressive de la Sécurité sociale, dont la branche vieillesse par la CSG), pour financer le déséquilibre imputable à l’évolution démographique. Sans changer la nature du système de retraite, elles se sont, d’une manière ou d’une autre, résumées principalement en mesures de recul de l’âge de départ à la retraite ou en mesures (bases de calcul du droit à pension) aboutissant à une baisse du taux de remplacement (rapport dernier salaire/première pension). Afin d’assurer leur acceptation sociale à terme, ces mesures ont été conçues pour être appliquées progressivement (aucune application immédiate du recul et montée en charge progressive dans le temps) et non uniformément (divisions public/privé et droit commun/régimes spéciaux).
Bien qu’elle vise le même objectif de plafonnement de la part de la richesse produite consacrée aux pensions de retraite et de déresponsabilisation sociale des entreprises, la réforme Macron ne répond pas au même schéma. Elle ne propose pas de reculer l’âge de la retraite ni de diminuer le taux de remplacement. Elle est plus pernicieuse. En invoquant certains principes et revendications du mouvement social, elle propose de modifier le mode de calcul des pensions pour l’ensemble des régimes de retraite par l’introduction d’un mode de calcul par point qui en sera le régulateur unique et de les unifier en un seul régime où un euro cotisé donnera le même droit à pension pour tous. C’est un changement de paradigme de notre système de retraite.
D’abord, parce qu’en cherchant à unifier l’ensemble des régimes en un seul, la réforme va, au nom de l’application du principe d’universalité, achever d’effacer les singularités de chaque régime construites historiquement et justifiées professionnellement. Par exemple, si les égoutiers ont bénéficié de droits à départ à la retraite à 50 ans, la raison en incombe à la nature de leur activité qui se traduit par une espérance de vie inférieure de près de 10 ans à l’ensemble des autres professions.
Ensuite, parce qu’en imposant que chaque euro cotisé se traduise par le même droit à pension pour tous, la réforme impose une conception marchande de la retraite. Ainsi, la réforme va, au nom du principe d’égalité, supprimer le principe de solidarité à la source de notre système de retraite. Ce principe originel revendique que chacun bénéficie d’un droit à protection sociale selon ses besoins et qu’il le finance selon ses moyens. Avec ce principe, il n’y avait pas d’équivalence entre ce qui est cotisé et ce qui est perçu par chacun. Certains pouvaient cotiser plus qu’ils ne recevaient et réciproquement. En imposant pour chaque euro cotisé le même droit à pension pour tous, le gouvernement impose l’égalité stricte en faisant sauter la solidarité entre assurés sociaux pour lui substituer un principe de rente marchande.
Enfin, parce qu’avec l’institution d’un mode de calcul des pensions par points dont la valeur sera définie pour maintenir la dépense sociale de pension à 14 % du PIB maximum, la réforme va, au nom du principe de solidarité dans l’adversité, introduire une « règle d’or » qui anéantira le principe de répartition du système. Avec la hausse du nombre de retraités, tout plafonnement de la dépense se traduira par une réduction du niveau des pensions par tête. De plus en plus nombreux, les retraités devront se partager une part plafonnée de la richesse produite. Au fur et à mesure, les actifs financeront de moins en moins les pensions des inactifs. Ceux-ci seront contraints d’allonger leur durée d’activité ou de capitaliser durant leur vie active pour obtenir les moyens de vivre à la retraite. Non seulement l’objectif de « sortir nos vieux de la misère » que s’était fixé le Conseil national de la résistance sera remis à bas, mais avec lui le principe d’une solidarité intergénérationnelle qui fait que la richesse produite par les actifs finance les pensions des inactifs.
Les orientations de la commission Delevoye en charge de la mise en œuvre de la réforme Macron avancent l’impératif d’une « soutenabilité du nouveau système ». Elles précisent que ce « nouveau système sera construit dans le respect des grands équilibres financiers actuels ». Pour y parvenir, J.-P. Delevoye s’est fixé l’objectif de maintenir un niveau de dépense de retraite par rapport au PIB constant dans le temps, malgré la hausse à venir du nombre de retraités. La dépense actuelle est de l’ordre de 14 % du PIB, il propose d’en faire un plafond. Notamment au moyen d’une sous-indexation des pensions et d’une réduction de leur niveau par un ajustement de la valeur du point de retraite selon le rapport cotisants/retraités. C’est l’application de la règle d’or pour les retraites. Ainsi, malgré la hausse attendue du nombre de retraités, la part du gâteau (la part de PIB) qui leur sera consacrée sera la même au fil du temps, ce qui réduira la part par tête. Les futurs retraités n’auront d’autre choix que retarder leur départ en retraite pour conserver les moyens de vivre.
Opposés aux propositions du gouvernement, certains considèrent qu’il suffirait d’une autre répartition du gâteau, qui accroisse la part affectée aux retraites en proportion du nombre de retraités (16 % du PIB, 20 %, 30 %…), pour répondre aux besoins de notre système de retraite à l’avenir. Bien que de justice sociale, cette mesure resterait pourtant insuffisante. Elle ne permettrait pas de répondre aux besoins non satisfaits et aux besoins à venir. Actuellement de l’ordre de 300 milliards d’euros, la dépense de retraite nécessite par exemple bien plus de 50 milliards d’euros supplémentaires pour rattraper la seule perte de pouvoir d’achat des pensions depuis 1987. Par ailleurs, sans croissance significative du PIB (sans augmenter la taille du gâteau), cette mesure pourrait même au bout du compte mettre en difficulté l’économie générale du système. En captant une part croissante du gâteau, les retraités réduiraient alors effectivement les parts disponibles pour les autres (autres besoins sociaux, mais aussi besoins économiques).
Pour assurer une réelle soutenabilité financière du système tout en faisant croître la part du gâteau affectée aux pensions de retraites, il est impératif de faire croître massivement la taille du gâteau (le PIB ou la richesse produite). Et cela nécessite :
– De s’opposer aux politiques d’austérité.
– De développer les cotisations sociales pour permettre d’inciter à étendre la base « salaire », à la fois l’emploi (en quantité et en qualité) et les bons salaires.
– De permettre aux actifs de se constituer des droits à pension assurant un haut de niveau de retraite :
• En instituant un SMIC européen, et un rattrapage progressif des rémunérations des pays européens les plus avancés en matière de rémunération des travailleurs par les autres membres de l’Union européenne.
• En luttant contre la précarisation de l’emploi et des salaires, et les logiques de baisse du coût du travail. Le meilleur moyen d’avoir de bonnes retraites, c’est d’avoir eu un emploi stable tout au long de sa vie et d’avoir pu ainsi bénéficier d’une progression salariale continue.
• En instituant une sécurité d’emploi ou de formation en France et en Europe. En permettant la mobilité professionnelle et sociale tout au long de la vie sans perte de rémunération par un aller-retour emploi-formation-meilleur emploi, la sécurité d’emploi ou de formation assurerait une ouverture des droits avec une bonne pension.
• En luttant en France et en Europe contre le coût du capital que les entreprises payent et font payer à leurs salariés, afin de leur permettre de dégager les moyens de financer des investissements de développement ainsi que les emplois qualifiés et les salaires qui vont avec.
Toutes ces propositions ne s’opposent évidemment pas aux mesures nécessaires et à prendre immédiatement de rattrapage du pouvoir d’achat des pensions par un accroissement de la part du gâteau affectée aux retraités.
La bataille pour des retraites dignes est de même nature que celles pour une protection sociale de haut niveau ou pour le développement des services publics utiles aux gens et aux territoires. Elle place au cœur du débat public la question de l’appropriation de la plus-value tirée de la richesse produite. Faut-il qu’elle serve à la rémunération du capital ou qu’elle serve à la réponse aux besoins des populations ?
Macron et son gouvernement proposent de limiter la part de cette richesse affectée aux besoins sociaux pour privilégier la rémunération du capital. Pour le PCF, c’est l’inverse. Et pour trois raisons au moins. La première, parce que les populations et les territoires en ont besoin pour vivre et se développer. La deuxième, parce que la part qui va aux besoins sociaux ne va pas à la rémunération du capital, ce qui fait reculer la prédation de la finance sur la société. La troisième, parce que répondre à ces besoins contribue à améliorer l’efficacité économique et sociale.
Cette bataille pour l’appropriation sociale de la richesse produite est au cœur du projet de refondation de l’Europe.
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