En s’appuyant sur de nouvelles séries temporelles de leur cru, qui constituent certainement une ressource précieuse pour l’avenir de la recherche économique sur la Chine, Rémy Herrera et Zhimming Long traquent la rupture dengiste. Car c’est bien à partir de ce moment que la question de la nature du régime chinois se pose. à rebours d’un satisfecit des économistes dominants qui tendent à dater le décollage économique de la Chine à sa conversion au marché au début des années 1980, il est démontré ici que la croissance chinoise, comme un certain nombre de ses déterminants (investissement en capital physique, éducation…), s’inscrit dans une continuité avec la politique entreprise sous l’ère Mao, qui permettait déjà d’observer des taux de croissance élevés. Si l’économie chinoise a pu connaître les plus forts taux de croissance au monde sur les dernières décennies, c’est qu’elle s’est appuyée sur une paysannerie et un paysage industriel largement préparés par la période maoïste.
La dite rupture de l’ouverture libérale est donc largement à contraster. La Chine actuelle continue de remplir un certain nombre de critères considérés comme caractéristiques du socialisme. Ce livre présente la complexité de la situation chinoise, et s’ils prennent position en faveur d’une qualification socialiste du régime, les auteurs ne méconnaissent pas l’ampleur du rapport de force en cours. Dans un système « avec capitalistes mais non capitaliste », l’enjeu est de savoir si les classes laborieuses auront les moyens de tenir écartés lesdits capitalistes du pouvoir politique. La lutte, y compris en interne du PCC, déterminera l’avenir du pays qui peut glisser vers un capitalisme sauvage comme poursuivre la voie engagée vers la construction du socialisme.
L’ouvrage a le mérite de dresser un tableau relativement complet de l’économie chinoise replacée dans sa dynamique historique. Les adorateurs de graphiques en apprécieront la richesse, et la qualité du travail de construction des données. Les plus insatiables regretteront l’absence d’un graphique résumant l’évolution de la part des différentes formes de propriétés du capital (étatisé, collectivisé, privé), réalisation certainement épineuse dans la construction des données, mais indubitablement éclairante sur les évolutions en cours. Le sujet des formes de propriété reste largement traité dans l’ouvrage, notamment à travers les grandes questions des banques, de la propriété foncière et des grands secteurs industriels.
Les deux auteurs ouvrent des perspectives particulièrement stimulantes en ce qui concerne l’étude de l’économie chinoise. Le rôle du secteur public comme fournisseur de biens intermédiaires et services à bas coût est analysé comme l’un des fondements de la réussite du tissu industriel y compris privé. L’efficacité de ce capital public dont l’État chinois accepte une faible valorisation est explicitement mise en contradiction avec les « critères de gestion de plus en plus explicitement marchands » (p. 98) qui ont pu (ou peuvent) prévaloir dans le secteur public depuis les années 1990. Le rôle central du crédit bancaire, de la modulation administrative des taux d’intérêts, du contrôle de l’offre de crédit par la People’s Bank of China pour contrer les « oligopoles de la haute finance mondialisée » est aussi singulièrement détaillé, sans occulter la tendance engagée depuis 2005 d’ouverture au privé des capitaux des grandes banques chinoises.
Rémy Herrera et Zhiming Long nous offrent un ouvrage documenté qui aborde la République populaire, non en voulant la faire rentrer de force dans des catégories prédéfinies, mais dans la complexité de ses contradictions et la lutte de classe intense qui s’y joue. Un livre qu’on ne peut que conseiller.
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.