Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Formation et théorie : De l’analyse du coût du capital à la recherche d’une autre régulation de l’économie

Le coût du capital, ce sont des chiffres que révèlent la comptabilité nationale et les comptes des entreprises. C’est surtout une logique – l’obsession du taux de profit maximum pour l’accumulation du capital – qui imprègne tout le fonctionnement de l’économie. Révéler cette logique permet de concevoir comment une autre régulation, visant au développement de toutes les capacités humaines, donnerait aux travailleurs de nouveaux pouvoirs pour mobiliser les moyens financiers des entreprises et des banques au service de nouveaux objectifs sociaux et écologiques.

- Qu’est-ce que le coût du capital 

- Faut-il parler d'un excès du coût du capital

 - Ce qu'il faut combattre : la logique dont est porteur le capital 

- Une autre régulation est possible 

- Bibliographie

Qu’est-ce que le coût du capital

 

La notion de coût du travail fait florès depuis une vingtaine d’années. Popularisée notamment par un rapport du commissariat général du Plan (Minc, 1994 1), elle est au cœur de nombreux travaux publiés par l’administration économique ou par des universitaires (voir par exemple Zylberberg, Cahuc, 2005). Parallèlement, le patronat, les forces politiques dominantes, parlent sans cesse du « coût du travail ». Ce serait au nom du coût du travail trop élevé que les entreprises françaises rencontreraient des difficultés. Toutes les réformes économiques devraient être engagées pour faire baisser le coût du travail. Devenue dominante, cette idée vient de loin : elle est développée avec constance par le patronat français depuis au moins l’accession au pouvoir de F. Mitterrand en 1981, avec Yvon Gattaz alors président du CNPF. Elle justifie notamment toutes les politiques de baisse des cotisations sociales employeurs, ces dernières vues uniquement comme des coûts pesant sur les entreprises. Tous ces travaux et discours ont un fondement théorique assez étroit et spécifique dans des corpus théoriques ancrés peu ou prou sur la théorie néoclassique et la micro-économie où l’existence des entreprises est peu avérée et où, surtout, la valeur ajoutée – découverte majeure de l’économie classique avec A. Smith – le travail et la production (comme activités créatrices de richesses nouvelles) sont absents (voir par exemple F. Boccara, 2014, mais aussi E. Renault, 2016). En outre, dans la mesure où, dans les fondements théoriques néoclassiques, le profit existe essentiellement comme exception, la valeur ne peut pas durablement dépasser les coûts de production, comme l’a dénoncé notamment Marx et au contraire de ce qu’il a montré avec sa « découverte » de la plus-value.

Évaluer le « coût du capital » est un élément de réponse pour développer une autre approche théorique, conceptuelle et pratique des coûts que l’analyse dominante. Au-delà, il s’agit aussi de pousser la controverse théorique avec l’orthodoxie économique sur une baisse nécessaire des coûts2, mais pas n’importe lesquels et pas à tout prix. En ce sens, nous voulons mettre en lumière ce que nous appelons les coûts du capital, image d’une régulation dominée par le capital et sa rentabilité pour l’accumulation, qui est dans une crise profonde, systémique, ouverte dès le début des années 1970 et qui a connu un approfondissement très important en 2008-2009.

Ainsi nous voulons aussi mettre en évidence la possibilité d’une autre façon de baisser les coûts que celle qui, dans le fonctionnement capitaliste normal (lors des phases de tendance à l’expansion), passe par l’accumulation matérielle et le remplacement des travailleurs par des équipements matériels. Nous verrons qu’il s’agit de promouvoir d’autres dépenses qui permettent de baisser les coûts : dépenses pour les capacités humaines, les recherches et les services publics en lien avec les conditions technologiques très nouvelles. C’est la voie d’une autre régulation économique. Nous proposons ainsi de relever le défi de la dite « économie de l’offre » par une hétérodoxie qui soit aussi une hétérodoxie de l’offre, ne portant pas uniquement sur la demande mais articulant les deux, en prenant au sérieux le rôle du taux de profit comme régulateur de l’opération fondamentale de la production et de la répartition des revenus, et donc en prenant au sérieux le besoin de critères alternatifs.

Qu’est-ce que le coût du capital ?

Ce peut être en première approche ce que l’entreprise paie pour l’utilisation du facteur de production « capital ». Mais on peut aller un peu plus loin, en seconde approche, vers une notion de coût d’usage, incluant les amortissements ainsi que les royalties, droit d’utilisation des marques – à condition de préciser la définition du capital3. On peut enfin étendre l’estimation aux coûts en capital financier, notamment les pertes en capital financier.

Première approche : dividendes et charges financières

En première approche ce que l’entreprise paie pour l’utilisation du facteur capital, ce sont les dividendes versés par les entreprises et leurs charges financières d’intérêts bancaires.

Ces seuls coûts, d’après l’Insee, représentent macro-économiquement un prélèvement de 268,9 milliards d’euros sur les « entreprises non financières » en 2015. Il se décompose en 212,8 milliards d’euros pour les dividendes et 50,6 milliards d’euros de charges d’intérêts (hors SIFIM4). C’est un prélèvement considérable sur les richesses créées : 24 % de la valeur ajoutée de ces mêmes entreprises ; soit aussi 1,6 fois leurs cotisations sociales employeurs effectives, qui, elles, s’élèvent à 168,7 milliards d’euros en 2015. Ce prélèvement de dividendes et intérêts est aussi supérieur aux dépenses d’investissements matériels et de R & D de ces mêmes entreprises non financières (253,7 milliards d’euros en 2015)5.

Depuis le début des années 1990, ce coût du capital a vu son montant plus que doubler en euros courants (il passe de 126 milliards d’euros à 269 milliards d’euros). En pourcentage de la valeur ajoutée de ces mêmes entreprises (car il faut tenir compte de la croissance de la VA intervenue depuis), son poids s’est accru de 20 % en 1997 à 24 % en 2015 en passant par 35 % en 2008 (il était de 13 % en 1980).

Ces courbes recèlent un autre ensemble d’informations intéressantes. En effet, si on s’intéresse à l’ensemble de la période, on constate que les évolutions du coût du capital dessinent une périodisation qui est porteuse de sens concernant la périodisation de la crise systémique et ses différentes phases (ceci est matérialisé par les barres verticales en trait plein du graphique 1).

Ainsi, durant toute la période de phase économique ascendante, depuis l’après-guerre jusqu’à 1967, le poids du coût du capital est relativement constant dans la valeur ajoutée. Il commence à dériver précisément avec le début des difficultés de longue période, dès 1967-1969. Mesuré par notre indicateur il s’accroît ensuite par paliers durant chaque crise « intermédiaire » : 1981-1983, 1989-1993, 1999-2001, puis 2007-2009. Factuellement, cela traduit une forme de dérive des coûts, une difficulté à les contrôler ainsi qu’un déplacement vers les coûts du capital. Cette montée pourrait constituer, par hypothèse, une manifestation des difficultés de régulation et des transformations de la régulation elle-même, tant au niveau des entreprises elles-mêmes qu’au niveau global. Bien que le sens de causalité soit difficile à déterminer, on peut noter que cette hausse et sa périodisation vient à l’appui de l’analyse de la crise en termes de suraccumulation du capital par l’école systémique, y compris de sa distinction entre cycles moyens (de type « Juglar ») et le cycle long (de type « Kondratief », cf. P. Boccara, 2013-2014).

Dans cette analyse, le coût du capital est à la fois une cause et un effet, un effet qui rétroagit ensuite sur le système économique et sur les entreprises, les amenant à se transformer. Ces transformations sont constitutives d’une action régulatrice des entreprises de type correctif (les entreprises étant des « unités actives », pour reprendre le mot de F. Perroux). Celle-ci, cependant, au lieu d’être une correction qui « annule » les excès (comme cet excès de coût du capital) accroîtrait un autre excès (les produits financiers) pour tendre à « compenser » le premier excès (charges financières) dans une sorte de « fuite en avant ». La croissance des produits financiers du capital « compense » ainsi de plus en plus les charges financières dans le solde des revenus financiers des entreprises. Cela signifie une financiarisation de l’activité et de la structure du capital des entreprises. Cela peut s’accompagner d’un report des coûts du capital sur les autres entreprises selon diverses modalités (par exemple par la sous-traitance ou par l’organisation en groupes d’entreprises, qui peut s’analyser en termes de dévalorisation du capital de nature individuelle). Cette action régulatrice inclut aussi des transformations plus qualitatives (technologies, organisation du travail et internationalisation) qui en sont inséparables.

Une autre manifestation de cette dérive des coûts peut se lire dans la montée par paliers du poids des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée. On constate en effet la montée de ce poids, par paliers, dès la phase d’après-guerre de tendance à la prospérité de longue période (phase dite A du Kondratiev ouvert après-guerre6). On note ensuite un temps de retournement, entre 1983 et 1986, qui précède une phase de diminution du poids des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée. Cette diminution apparaît comme l’autre face d’une réaction du système aux difficultés survenues auparavant sur le coût du capital. En tout cas, comme une manifestation de cette réaction. Et l’on sait, par ailleurs, que tout ceci est concomitant du retournement de la politique économique dit « de la rigueur » puis du lancement de la première phase de déréglementation financière. À partir de 1989, la hausse du coût du capital amène celui-ci à dépasser durablement les cotisations sociales employeurs.

Même si notre propos est centré sur le coût du capital des entreprises non financières, on peut cependant citer celui qui pèse sur les sociétés financières (banques, assurances, auxiliaires financiers). Pour les seuls dividendes versés7, il s’élève à 27,8 milliards d’euros (en 2015) : plus du quart (29 %) des 95,8 milliards d’euros de valeur ajoutée réalisée par ces mêmes entreprises financières… ! On peut y ajouter les 74 milliards d’euros d’autres « revenus d’investissements » versés par ces mêmes sociétés. Il s’agit des revenus versés aux détenteurs d’obligations et autres instruments financiers. Une fois tenu compte des revenus que les sociétés financières reçoivent, il reste 56,7 milliards d’euros versés en net, soit plus de la moitié de leur valeur ajoutée.

Il faut aussi souligner que l’État et les administrations publiques supportent aussi des charges financières d’intérêt élevées puisqu’elles représentent 42 milliards d’euros, en 2017, soit presque autant qu’un budget de l’Éducation nationale au sens étroit (50,8 milliards d’euros pour l’enseignement scolaire public des 1er et 2e degrés) ; ceci ne concerne que les seules charges d’intérêt de l’Etat8. Avec la même dette, mais un taux proche de 0 %, cette charge d’intérêt disparaîtrait quasiment, générant un ballon d’oxygène de 42 milliards d’euros cette même année.

Situer les coûts du capital dans l’ensemble des coûts des entreprises

La notion de « coût » contient une certaine charge idéologique, ou tout du moins un élément conventionnel : c’est un coût par rapport à un certain périmètre : un coût « pour quelqu’un ». Ce périmètre dans le cas d’espèce est une intersection entre une forme institutionnelle, « l’entreprise » (plus exactement la société), et les « apporteurs de capitaux » (ces derniers renvoyant à une seconde construction institutionnelle : les titres financiers et le marché financier), le tout étant représenté avec certaines conventions dans des comptabilités (la comptabilité nationale, mais aussi la comptabilité privée d’entreprise, qui lui est sous-jacente car pour l’essentiel on part d’elle pour les données élémentaires). Dans la première évaluation proposée, on a pris en quelque sorte les prélèvements dits « extérieurs » sur l’entreprise, et c’est en cela qu’il s’agit d’une première approche, car il y a d’autres coûts du capital. Le grand intérêt c’est que ces flux financiers sont incontestables comme flux vers « le capital et sortants de l’entreprise » : leur caractère de prélèvement est incontestable en tant que tel.

Pour prendre un peu de distance, il est utile d’utiliser la notion plus neutre de « dépense ». Par exemple, un salaire est bien une dépense de l’entreprise, mais tout en pouvant être aussi une dépense de développement9.

Ainsi, dans le système de comptes nationaux, le compte des « sociétés non financières » (SNF)10, élaboré par l’Insee, permet de récapituler leurs différentes dépenses, bien que celles-ci soient cependant agrégées pour l’ensemble du secteur institutionnel des SNF.

Pour comprendre, on peut partir de la diversité des dépenses des entreprises. Si elles n’avaient que des salariés à payer, cela se saurait, et la profession de gestionnaire serait assez facile. Or bien évidemment, ce n’est pas le cas. Les entreprises achètent des matières, des produits semi-finis, des marchandises, paient des services, elles ont des salariés à payer, occupent des locaux, elles utilisent des machines, qu’elles achètent et amortissent, elles ont des emprunts, paient des impôts, paient aussi des dividendes, etc.

Ainsi, leurs achats de matières, produits intermédiaires, services et marchandises constituent autant de « consommations intermédiaires », pour 1 392,8 milliards d’euros, en 2015. Elles paient aussi différents impôts, soit à la production soit sur leur bénéfice, pour 99 milliards d’euros. Elles paient bien sûr des salaires et cotisations sociales, pour un total de 731,1 milliards d’euros (le fameux « coût du travail »). Il y a encore des charges d’intérêts et des dividendes prélevés (les 268,9 milliards d’euros), c’est le coût du capital « première approche » (ou définition 1).

Mais il y a d’autres coûts encore que l’on peut considérer comme des coûts du capital : quelques autres revenus de la propriété (11 milliards d’euros), mais aussi des amortissements11 (ils sont estimés macro-économiquement à 145 milliards d’euros) et dont une partie – difficile à évaluer  – peut être gonflée. On peut encore compter les charges de crédit-bail, mais aussi les loyers des immeubles, voire les royalties des brevets ou des marques, qu’on peut estimer à environ 100 milliards d’euros, mais qui sont incluses (noyées) dans les paiements de services. Au total, si on additionne ces trois derniers ensembles, on obtient un coût du capital de 554,9 milliards d’euros. C’est le coût du capital « deuxième approche » (ou définition 2).

La logique qui participe de cette deuxième approche est une logique en termes de « coût d’usage » : (1) non pas seulement les prélèvements sous forme de dépense immédiate, (2) mais aussi les coûts provisionnés (2) pas seulement ce qui rémunère le facteur capital, mais aussi le paiement de son utilisation (redevances, royalties, crédit-bail, loyers, etc.). Un point demande à être précisé et justifié, celui qui concerne les royalties, redevances, etc. En effet, on pourrait considérer que ces flux ont pour justification des actifs dont il est contestable qu’il s’agisse de capital, au sens du capital matériel. Et, de fait, il faut se replacer dans un cadre plus large. Il faut s’appuyer sur l’analyse de Marx, qui consiste à dire que le capital, ce n’est ni les machines et biens matériels de production « en soi », ni une masse d’argent en soi, mais « une valeur qui cherche à se mettre en valeur », une valeur qui cherche son surcroît (K qui cherche K’= K + ΔK). Dans ces conditions, les actifs qui justifient ces différents flux et rémunérations (redevances, royalties, loyers…) constituent bien des valeurs accumulées qui cherchent leur accroissement. Il s’agit bien d’une composante du coût du capital.

Le coût du capital constitue un prélèvement sur la richesse créée. Une partie est nécessaire, mais une partie est excessive, voire peut être parasitaire. L’excès de prélèvement n’est pas simple à évaluer. Tout ce coût n’est pas un excès : (1) il y a d’une part des éléments en trop, par exemple prendre tout l’amortissement ne veut pas dire que tout l’amortissement serait excessif (même s’il peut y avoir excès d’amortissement) (2) et il y a d’autre part des éléments manquants, car il faudrait aussi tenir compte des prélèvements des profits proprement financiers et spéculatifs (plus-values ou moins-values de cession, etc.) que la comptabilité nationale n’affiche pas (soit qu’elle les considère comme une consommation de capital, récapitulée dans le compte de variation du patrimoine des SNF, soit qu’ils sont noyés dans les bénéfices des SNF et constituent des coûts pour les autres agents économiques).

Une partie de ces autres coûts du capital sont aussi cachés dans les consommations intermédiaires, comme les dépenses de crédit-bail, pour les équipements détenus sous cette forme. Mais il y a aussi les services d’intermédiation financière que les banques perçoivent en même temps que les intérêts (les SIFIM12) et que, semble-t-il, l’Insee compte dans les consommations intermédiaires des entreprises non financières. D’autres prélèvements du capital peuvent être réalisés au sein des groupes d’entreprise, par des facturations excessives en faveur de filiales étrangères. Ces prélèvements sont traités comme des consommations intermédiaires des filiales résidentes, au sein desquelles ils sont donc noyés.

Cela ouvre tout un ensemble de questions à se poser lorsque l’on aborde une entreprise donnée, dans les débats de gestion et les contestations syndicales ou les luttes des salariés.

Au total, sur les 2 822 milliards d’euros de coûts des entreprises (cf. tableau 2), ce sont les achats et relations avec les fournisseurs (y compris importations) qui représentent la majorité des coûts13 (49,3 %). Les coûts dits « du travail » représenteraient 25,9 % des coûts, mais ceux « du capital » presque autant avec 21,2 % des coûts totaux, et peut-être plus en incluant les SIFIM et tous les autres prélèvements que l’on a cités.

Cependant, il ne s’agit là que des coûts directs et d’une totalisation macro-économique, qui élimine un certain nombre d’échanges entre entreprises. Au niveau élémentaire d’une entreprise donnée, on va plutôt avoir un poids du coût du capital autour de 17 %, en moyenne, notamment dans l’industrie, et de 15 % pour le travail. Gardons à l’esprit aussi qu’il y a d’importantes différences entre les secteurs.

Consommation de capital

Amortissement et consommation en capital fixe

Les amortissements et provisions financières pèsent entre 7 et 10 points dans les coûts du capital. La question de leur évolution est donc importante. Leur poids a-t-il augmenté sur la période ? Pour cela, il est nécessaire d’utiliser des séries longues agrégées de la comptabilité nationale, car les agrégations de données individuelles ne permettent pas de remonter assez loin et posent en outre d’importants problèmes de comparabilité dans le temps.

Sur le fond, les amortissements et provisions financières constituent des flux de dépense en capital qui sont accumulés dans l’entreprise, et dont la raison est – normalement – la perspective de renouveler le capital fixe ou de compenser une dépréciation de valeur importante, voire soudaine (ce dernier point notamment pour les provisions financières, mais aussi pour l’immatériel). Ces éléments font donc partie du « coût » du capital, ils constituent très exactement des prélèvements au bénéfice du capital et donc des éléments du coût du capital, même s’ils sont stockés à disposition de l’entreprise (plus exactement à la disposition de la société… de capitaux). D’ailleurs, la rationalité à laquelle ils obéissent est bien celle d’un calcul de coût du capital : coût anticipé, dans la plupart des cas, coût constaté parfois, notamment dans le cas de dépréciation d’immobilisations financières.

Macro-économiquement, la comptabilité nationale utilise la notion de consommation de capital fixe (CCF). Cette notion présente des différences conceptuelles avec la notion d’amortissement, et encore plus avec celle de provision, mais, pour ce qui nous intéresse, la CCF constitue un indicateur relativement valable14. Sur le fond cependant, la CCF concerne uniquement le capital fixe (au sens de la comptabilité nationale, donc y compris capital immatériel, brevets, etc.). Elle est une notion « normative », différente de celle d’amortissement : elle évalue l’usure du capital fixe, sur la base du stock de capital fixe et de la durée de vie économique « normale » (probable ou moyenne) des différentes catégories de biens concernés15. Il est donc légitime d’avoir un écart entre CCF et le total agrégé des amortissements et provisions car ce sont deux notions conceptuellement différentes (même si, dans la pratique, les amortissements des entreprises peuvent être utilisés par les comptables nationaux comme un indicateur contribuant à évaluer la CCF macro-économique, ce qui contribuenà empêcher de bien voir la différence conceptuelle).

Les amortissements constituent aussi un confluent entre les exigences de rentabilité et l’accélération de l’obsolescence liée à la concurrence et aux technologies : si on considère qu’un équipement doit être renouvelé tous les 5 ans, même s’il est encore utilisable, alors on applique un taux d’amortissement de 20 %. En revanche si on considère (du fait de la concurrence et de l’accélération technologique) qu’il faudra une nouvelle génération de produits tous les 3 ans, alors ce taux montera à 33 %, et le coût du capital y afférant montera d’autant. Le taux de rentabilité attendu d’un capital donné devant permettre d’assumer ce coût, toutes choses égales par ailleurs, les exigences de rentabilité augmentent alors lorsque le besoin d’amortissement s’accroît. Il en est de même avec la CCF, malgré ses différences conceptuelles avec l’amortissement. Comme, en outre, c’est la seule des deux qui soit un agrégat économique suivi dans le temps c’est à la CCF que l’on s’intéresse.

Après une période de diminution du poids de la CCF depuis 1982-1983 (en % de l’EBE) jusqu’à la fin des années 1990 autour de 45 %, puis sa stabilisation à ce niveau diminué, on constate une remontée du poids de la CCF. Elle pèse à nouveau plus de 60 % de l’EBE. Si l’on combine les deux composantes du coût du capital estimables macro-économiquement, à savoir la CCF et les revenus de la propriété versés (dividendes, intérêts), on s’aperçoit que cette montée de la CCF est venue – depuis 2008-2010 – effacer en grande partie la baisse post-crise financière de la composante « revenus de la propriété versés » du coût du capital (graphiques 4.a et 4.b). Au total, ces deux composantes représentent quasiment 100 % des profits bruts des entreprises. Elles absorbent quasiment tous les profits bruts (EBE + revenus de la propriété reçus) 16.

Consommation de capital financier

S’ajoutant à celle de capital matériel et immatériel, ce qu’on pourrait appeler la « consommation en capital financier » représente conceptuellement un autre élément important du coût du capital17. Cet élément est d’autant plus important avec la financiarisation croissante de l’activité des entreprises, y compris des entreprises de production industrielle ou de service. Cependant, on ne dispose pas de beaucoup d’informations macro-économiques sur cette consommation. Un indicateur de celle-ci est constitué des provisions financières, telles que reflétées dans la comptabilité individuelle des entreprises dans le poste « autres charges financières » et « provisions et autres charges exceptionnelles ». Ces deux éléments agrégés représentent en effet, toutes tailles confondues, 2 % et 6 % des coûts. Ce qui est important (cf. tableau 3).

On peut tenter d’appréhender macro-économiquement cette consommation en capital financier par les pertes en capital financier. Pour la comptabilité nationale, ces gains et pertes en capital sont normalement reflétés dans les comptes de variation de patrimoine (qui sont des comptes de stocks et de variation de stocks) et non dans les comptes de flux (ce qui constitue une différence avec la comptabilité d’entreprise qui les reflète à la fois dans le compte de résultat et dans le bilan)18.

L’estimation par l’Insee de ces gains et pertes nets est reprise dans le graphique 5, le premier graphique (5a) inclut les ré-évaluations des portefeuilles de titres financiers. Ces ré-évaluations comprennent des pertes virtuelles dont une partie ont des effets réels, car elles sont enregistrées comme des coûts (dotations aux provisions financières voire enregistrement de pertes financières). Elles influencent ainsi les gestions qui débouchent sur des décisions réelles et effectives d’embauche, d’investissement, de salaires, etc. Le second graphique (5b) est hors ré-évaluations. L’ordre de grandeur est différent. Celle-ci ne donnant pas de tendance très claire, on a effectué un lissage sur 5 ans. Cela fait apparaître plutôt trois périodes : de la crise de 2002 à celle de 2008, de 2008 à 2012 (fin des effets les plus durs de la crise financière, avec la crise des dettes souveraines), 2012-2015. Les deux dernières années étant marquées par des gains importants. Mais globalement, on observe plutôt une sorte de comportement cyclique qui reflète probablement les évolutions boursières. Plus que les données individuelles de base, la mécanique d’estimation macro-économique sous-jacente aux comptes nationaux amène probablement à reproduire ce type d’inflexion.

Il faudrait aussi pouvoir isoler les rachats d’actions. L’étude annuelle Vernimmen, qui fait référence en la matière, donne pour les entreprises du CAC 40, le chiffre de 39,2 milliards d’euros en 2017. C’est considérable, cependant, il s’agit de groupes mondiaux et ces chiffres n’isolent pas la partie dépensée à partir de la France. Ils donnent donc là, certes, une évaluation d’une composante du coût du capital pour ces groupes mondiaux pris dans leur globalité, mais elle ne peut être rapprochée des chiffres de comptabilité nationale utilisés ici.

Indications sur les multinationales et le rôle de l’internationalisation

L’internationalisation des entreprises vient perturber nos lectures, tout en jouant un rôle très important. On sait l’importance des firmes multinationales (FMN) dans nos économies. Ne serait-ce qu’en France, les FMN emploient dans leurs propres filiales résidentes la moitié des salariés des entreprises de l’économie française (F. Boccara, V. Hecquet et alii 2013). On sait aussi l’importance de l’extension à l’étranger des entreprises françaises, avec tout particulièrement le couple IDE (investissement direct à l’étranger) et développement à l’étranger de filiales de FMN à base française (elles y occupent la moitié de leur effectif monde, voire en moyenne 80 % pour les grandes FMN, et la France présente un des ratios IDE/PIB les plus élevés parmi les grands pays capitalistes développés, voir notamment Insee, 2017, p. 104-107). Au total, la trace de ceci en balance des paiements est très importante, puisque les revenus des capitaux internationaux représentent 129 milliards d’euros entrants et 108 milliards d’euros sortants19 (revenus des investissements internationaux directs + revenus de portefeuille + revenus des prêts internationaux).

Cela illustre la base de prélèvements internationaux au profit du capital qui existe en France. Mais cela signifie aussi qu’une partie importante du capital de ces FMN est situé à l’étranger, et donc que l’on en a une vision tronquée : dans ce cas, une partie du coût de leur capital est enregistré à l’étranger et/ou le coût observé en France reflète pour partie le coût d’un capital situé à l’étranger. Des estimations que nous avons effectuées dans d’autres travaux font au total ressortir des coûts du capital plus élevés en France de 7 points pour les sociétés appartenant à des FMN que pour les entreprises franco-françaises, du moins sur l’année 2001 (cf. tableau 4, extrait de F. Boccara 2005). Cela souligne l’importance des coûts du capital dans les sociétés réputées être les plus efficaces, mais aussi les limites mêmes de cette notion, voire de sa mesure, sur un périmètre national et va dans le sens d’une opposition entre coût local et coût global – ce dernier étant reflété en partie dans le coût du capital – développée dans ma thèse en lien avec la révolution technologique en cours (F. Boccara, 2013b).

 

Dividendes nets ou bruts?

Les dividendes bruts des sociétés non financières sont les dividendes payés par elles. La notion de dividendes « nets » est le calcul dividendes payés moins dividendes perçus.

1. Pour les dividendes, le brut et le net comptent tous deux car

- Le montant des dividendes bruts payés est un indicateur de ce qui est soustrait aux négociations entre travailleurs et patronat sur le partage de la VA et au débat (dans les comités d’entreprises, par exemple). Car même au sein d’un même groupe ce ne sont pas les mêmes sociétés qui paient les dividendes et qui les reçoivent. Si ce sont des petites sociétés qui les perçoivent, elles ne sont pas soumises aux mêmes obligations à la fois sociales et fiscales que les grandes.

- Même si nous avions un solde net égal à 0, cela ne signifie pas la même chose en termes de financiarisation d’avoir, par exemple, -100 milliards d’euros payés et +100 milliards d’euros reçus plutôt que -1 Md et +1 Md.

- Les données « individuelles » de dividendes payés, publiés à partir d’Esane par taille d’entreprise montrent aussi une grande disparité selon les entreprises, et des flux nets de dividendes importants pour certaines catégories.

- Enfin on peut considérer aussi qu’un « coût », conceptuellement, c’est quelque chose de « brut », ce n’est pas un solde, alors qu’un revenu est plus proche d’une grandeur nette. Par exemple, on ne parle pas de salaire des ménages qui serait net de leurs dépenses salariales pour les frais de garde à domicile… Sauf quand on s’intéresse aux revenus.

Et donc, si on prend le net, alors autant parler de revenu du capital, mais plus de coût…

2. Les Sociétés financières

- Une partie des dividendes est payée dans un même groupe par les filiales non financières à des filiales financières.

- Il y a un gonflement des prix par prix de transferts intra-nationaux.

- Il faut donc prendre aussi les dividendes des sociétés financières : là, les chiffres sont étonnants :

les revenus nets des sociétés financières deviennent négatifs en 2015 (quasiment pour la première fois…)!. Est-ce que cela signifierait un comportement particulièrement prédateur des banques sur leurs propriétaires… ! ??

 3. Les FMN

- Il y a une certaine incertitude sur le montant des dividendes des FMN avec l’étranger, pour la partie bénéfices réinvestis selon que l’on regarde la Balance des paiements (+6,6 milliards d’euros en net en 2016*) ou selon que l’on regarde la comptabilité nationale (4,3 milliards d’euros)

- Il existe un coût du capital déguisé, ou indécelable, via les prix de transfert internationaux et les intérêts sur les prêts intra-groupe, outre celui sur les royalties (ce dernier n’est pas identifié dans les chiffres de comptabilité nationale, noyé dans les consommations intermédiaires en revanche il est identifiable dans les comptes des sociétés, comme on le voit dans le tableau 3).

4. Investissement «net»

- Certains mesurent investissement net, comme FBCF-CCF ; en proportion de la VA des entreprises il tendrait à diminuer par palier depuis son niveau de 5 % en 1978, et serait de 3 % de la VA en 2016 (soit 38,6 milliards d’euros à comparer 50 milliards d’euros d’intérêts et dividendes nets payés). En ajoutant les Sociétés financières (SF), cela donne un total (SNF + SF) de 62 milliards d’euros nets versés au capital et elles réalisent en outre un investissement matériel + en R & D « net » de 62,7.

— Cet investissement n’inclut pas le capital financier, y compris celui qui a pour contrepartie des investissements matériels à l’étranger ; il ne comprend que l’investissement en capital fixe +… En définitive, il est toujours difficile de prendre une grandeur en net et pas les autres… et de savoir où on « arrête » le net.

C’est pourquoi le brut, avec sa robustesse, présente un intérêt important.

*D’après la balance des paiements de la France publiée par la Banque de France pour 2017.

1. Les références bibliographiques de cet article et des suivants renvoient à la bibliographie générale figurant à la fin de cet article.

2. À l’orthodoxie dans l’économie, correspond une orthodoxie dans la gestion mais aussi une séparation du champ de l’économie de celui de la gestion, mais aussi une séparation avec l’histoire ainsi qu’avec la sociologie, l’économie n’étant pas considérée par l’orthodoxie comme faisant partie des sciences sociales. À son passage à la limite impérialiste, l’orthodoxie néoclassique tend même à phagocyter ces différents champs et à en nier la spécificité. Un des enjeux de l’hétérodoxie est l’articulation de ces champs, dits disciplinaires, des sciences sociales.

3. Pour des raisons de simplification des données et des calculs, on traite séparément de la fiscalité, comme d’un coût en soi, et non comme venant modifier le coût d’usage du capital.

4. Les SIFIM (services d’intermédiation financière indirectement mesurés) constituent, conceptuellement, une partie des intérêts payés, mais sont considérés comme une « vraie » consommation intermédiaire de services et donc cette part est sortie des intérêts. Elle est estimée indirectement et elle est noyée dans les consommations intermédiaires de services par les entreprises.

5. Depuis la base 2010, la FBCF comprend la R & D, en sus de l’investissement en capital matériel fixe.

Dans les comptes nationaux en base 2005, les chiffres et évolutions sont différents, tout particulièrement pour les dividendes (surtout pris en net). À l’occasion de la mise en place d’un groupe de travail spécifique du CNIS (conseil national de l’information statistique) sur ce sujet du coût du capital, réclamé tout particulièrement par la CGT, la discussion s’est un peu nouée avec l’Insee pour comprendre ces révisions. Un point a été semble-t-il omis de ce début de débat : le traitement des dividendes et pertes exceptionnels, ainsi que des plus-values et moins-values en capital. Ceux-ci apparaissent dans les comptes publiés par les groupes ou les entreprises, comme un profit exceptionnel au compte de résultat. En revanche, la comptabilité nationale traite plutôt ces flux comme des consommations ou des gains en capital. Ils sont donc absents des flux agrégés des entreprises présentés dans le tableau 1 et, probablement, répercutés dans les comptes de patrimoines, comme variation de patrimoine des entreprises.

6. À noter que, pour nous, ce Kondratiev est totalement a-typique : sa seconde phase dite phase B ou phase D (de tendance aux “D” ifficultés) s’étendant de façon indéfinie, du fait des transformations systémiques profondes auxquelles le système a à faire face et qui influent radicalement sur les éléments de durée et de périodisation : technologie, démographie, au moins.

7. Pour les intérêts, la problématique est différente, puisque c’est la source essentielle de revenu des banques. Il n’y a donc pas de prélèvement significatif d’intérêts sur les entreprises financières, ce sont elles au contraire qui prélèvent des montants considérables sur les entreprises non financières… et ils viennent alimenter les dividendes que ces mêmes entreprises financières reversent ensuite à leurs actionnaires.

8. Il s’agit des intérêts tels qu’ils apparaissent dans les documents comptables de l’État, pas dans la comptabilité nationale qui, elle, retire les SIFIM.

9. Sur cette notion de « dépenses de développement », voir notamment l’avis du Conseil économique social et environnemental, adopté le 15 mars 2017 intitulé Les PME/TPE et le financement de leur développement pour l’emploi et l’efficacité.

10. Les comptes des « sociétés non financières » (SNF) sont la composante des comptes des « entreprises non financières » (ENF) suffisamment détaillée pour la problématique « coût du capital » : ils excluent les comptes des entreprises individuelles (EI), pour lesquelles d’une part l’Insee ne dispose pas d’un détail suffisant (notamment ni dividendes, ni charges financières) et pour lesquelles d’autre part la distinction statistique entre profit et revenu du travail du petit patron est si conventionnelle que l’Insee publie un « revenu mixte », l’Institut n’étant pas tenu de partager celui-ci entre profit (ou rémunération du capital) et rémunération du travail.

11. Provisionnés dans l’entreprise, mais qui peuvent être gonflés par rapport aux besoins de remplacement. Les amortissements participent à la base de calcul de ses prix par une entreprise, et constituent ainsi un prélèvement sur l’économie au service du capital.

12. Comme les paiements pour services d’intermédiation financière que les banques perçoivent parfois indissociablement des intérêts (les SIFIM, services d’intermédiation financière indirectement mesurés) et que l’Insee compte dans les consommations intermédiaires des entreprises non financières.

13. Il s’agit des coûts au niveau macro-économique, c’est-à-dire additionnés en éliminant certains doubles comptes. On parle de coûts « agrégés ».

14. La CCF n’est cependant disponible dans les comptes nationaux français qu’à partir de 1978.

15. « La consommation de capital fixe représente la dépréciation subie par le capital fixe au cours de la période considérée par suite dusure normale et dobsolescence prévisible », elle inclut aussi les « coûts du transfert de la propriété dactifs non produits » (brevets, marques, etc.).

16. Cette notion de profits bruts s’apparente à celle d’EBIT ou EBITDA (earnings before interest and taxes depreciation and amortization), utilisée dans les grands groupes.

17. En tout cas dans un référentiel de gestion d’entreprise capitaliste. Car du point de vue théorique économique abstrait rigoureux, qui n’est pas celui de la gestion, la notion de capital immatériel est discutable.

18. Rappelons que la mécanique d’estimation des stocks de capital, dans les comptes de patrimoine de la comptabilité nationale, n’utilise pas les bilans des entreprises, mais des cumuls glissants de flux d’investissements et de différentes dépenses, selon une approche dite « d’inventaire permanent ».

19. En outre, les bénéfices ré-investis, pris en compte ici dans le coût du capital, au titre de revenus de la propriété, mais l’estimation faite par les comptes nationaux (CN) utilisée ici, fait apparaître un écart non négligeable avec les estimations publiées par la Balance des paiements (en 2015, dernière année où ces estimations se stabilisent : un excédent de +0,2 Md€ d’après les Comptes Nationaux contre -2,8 Md€ d’après la Balance des Paiements).

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Faut-il parler d'un excès du coût du capital ?

Au-delà des évolutions, la question importante est celle d’un excès ou non du coût du capital. C’est la démarche centrale d’études comme celle de Cordonnier et alii, qui met en avant un « surcoût » du capital et en propose un indicateur. D’autres économistes contestent cette idée parce qu’elle engage dans un jugement normatif (pas nécessairement moral) désignant quel est le coût « normal » du capital. Certains auteurs nient la notion même de coût du capital (C. Durand 2014, par exemple). Cette controverse, sur l’excès ou pas de coût du capital, est en réalité fondamentale. Elle traverse une grande partie de l’histoire de la pensée économique, notamment le pan qui concerne l’analyse des crises. Elle a des ramifications théoriques avec la notion de surinvestissement des keynésiens ou le concept de suraccumulation des marxistes. En effet, au coût du capital correspond une dépense en capital, qui peut amener un excès d’investissement, ou un excès d’accumulation.

Pour parler d’excès, il faut comparer : à une norme, à d’autres coûts ou dépenses, ou à un effet.

On peut ainsi comparer le coût du capital aux dépenses d’investissement, ou bien aux dépenses salariales, ou encore aux dépenses salariales « élargies » (salaires + cotisations sociales), aux dépenses passées accumulées en capital, etc. On peut aussi comparer le coût du capital aux effets liés à l’utilisation du capital : le profit dégagé ou, à l’opposé, toute la valeur ajoutée produite. La relation entre coût du capital et profit dégagé renvoie alors à des ratios liés à la rentabilité et implique la notion de « norme de rentabilité », notion au cœur du régime capitaliste d’accumulation et dont l’évolution observée depuis le début des années 1980 a renforcé, voire restauré, le rôle et exacerbé sa dimension financière (voir notamment Plihon, 2016, Aglietta-Rebérioux, 2004 ou encore Morin, 2006, mais aussi P. Boccara, 2013-2014).

Cela renvoie aux théories analysant la crise, soit des deux façons unilatérales comme un excès d’épargne ou comme un excès de consommation, soit de façon dualiste par un excès d’investissement (ou par une insuffisance d’emploi) ; cette dernière vision correspond à l’approche de Keynes et de nombreux keynésiens avec la notion de surinvestissement, particulièrement mise en avant dans les années 1970-1980 (voir par exemple Barrère, 1981). On peut avoir une analyse plus synthétique en s’attachant à la régulation du système et au rôle joué par la rentabilité, comme régulateur. Il s’agit tout particulièrement de l’analyse en termes de suraccumulation à la Marx et ses développements (cf. P. Boccara, 2013). Sous cette influence conjointe de Keynes et de Marx, un certain nombre de travaux statistiques et théoriques avaient ainsi, très tôt dans la crise systémique, mis au cœur de leur analyse « l’efficacité du capital », dont le rapport VA/C (valeur ajoutée sur capital) est un indicateur. On pense en particulier à la Fresque historique du système productif élaborée à l’Insee (Insee, 1974) mais aussi à d’autres travaux comme ceux de Ph. Sigogne, à l’Insee ou à l’OFCE, insistant sur le déficit d’efficacité du capital de la France par rapport à l’Allemagne (dès Sigogne, 1981), ou encore aux travaux de Maarek et Levy-Garboua (1985) ou à ceux du Cepii (Unal-Kesenci, Freudenberg, 1994). à présent, après un recul de l’intérêt pour l’analyse de l’efficacité du capital et pour sa relation avec la rentabilité, en lien avec l’influence progressivement prédominante de l’école parisienne de la régulation parmi les travaux hétérodoxes, un renouvellement d’intérêt pour la dialectique efficacité/rentabilité est ainsi à l’ordre du jour, de façon renouvelée bien sûr, tenant compte de l’hyper-financiarisation du capital et de sa mondialisation.

De fait, dans le débat social et politique qui a commencé à se nouer sur le coût du capital, celui-ci est jugé, soit par rapport à l’investissement (considéré insuffisant), soit par rapport aux disponibilités sur lesquelles le coût du capital pèserait, soit par rapport à ses effets en termes de répartition, ou encore, plus rarement, en termes d’efficacité de la production. On le juge parfois aussi par rapport à une norme de rentabilité (taux de rentabilité « normal », évoquant le taux d’intérêt naturel de Wicksell).

Pour certains, entrer dans une discussion sur la possibilité d’excès de coût du capital amènerait à une vision par trop « morale » qui n’aurait pas à voir avec l’économie selon laquelle il y aurait un bon capital d’un côté et un mauvais capital de l’autre. Encore une fois, cela dépend. Si l’on en restait à des implicites, et donc à des généralités, cela poserait en effet problème. Ainsi d’une approche qui consisterait à dire : « le coût en capital financier, voilà l’excès », sous entendant que les dépenses en capital matériel sont toujours une bonne chose. Il est préférable de dire en quoi c’est une bonne ou une mauvaise chose : l’excès d’accumulation et de dépenses en capital matériel peut peser sur la croissance, évincer l’emploi, comme elle peut alimenter un type de croissance fondé sur les gâchis matériels anti-écologiques et la sur-consommation de matières, ou la surexploitation des salariés.

Il est préférable d’expliciter les critères de jugement : l’économie reste, qu’on le veuille ou non, une science sociale et « morale ». Ainsi, la notion d’excès nous semble déterminante car, comme heuristique, elle pousse précisément à des explicitations jusqu’à des recommandations d’action économique (gestion, politique économique) pour des réglages et des actions sur les régulateurs qui peuvent aller jusqu’à modifier la régulation elle-même, comme on va le voir peu après. Mais, il s’agit de « déplier » cette notion, de l’expliciter. Plus précisément, on peut certes mettre en avant la théorie de la suraccumulation-dévalorisation du capital qui est, dès 1971, explicitement une théorie de la « régulation du capitalisme », par crises débouchant sur des transformations « structurelles » modifiant le jeu du régulateur, à travers une créativité sociale liée aux luttes politiques et sociales (P. Boccara, 1971). Mais on préfère donner d’abord ici quelques éléments objectifs, posés dans la crise, présentés de façon empirique et statistique, marqués par des concepts mixtes issus de la comptabilité nationale, souvent néo-keynésiens.

De fait, le coût du capital doit être comparé à l’investissement matériel, mais aussi aux dépenses qu’il évince (salaires, formation, R & D…) dans une optique de « dépenses de développement » qui élargit et dépasse la notion de seul « investissement » au sens de la FBCF (Formation brute du capital fixe) (cf. Boccara, 2017). Cela renvoie au fait que ces dépenses ont leur efficacité propre, mise en balance avec l’efficacité des dépenses pour le capital. Le coût du capital peut donc être aussi comparé à des effets (VA, consommation de matières, pollutions, etc.).

Cela renvoie au fait qu’il faut une théorie qui indique à quoi sert le capital. Soulignons que dans l’approche néo-classique, le capital produit lui-même des richesses, tandis que le travail en produit d’autres. C’est la conception de la fonction de production néo-classique, avec séparabilité des facteurs de production1. Elle est partagée par de nombreux auteurs, parfois même implicitement (par exemple Piketty2). Au contraire, dans l’analyse marxiste, le capital ne crée pas de valeur, mais il contient le travail passé accumulé dont il transmet un quantum aux marchandises produites3 et d’autre part, lorsqu’il correspond à des machines, il démultiplie la puissance créatrice du travail humain. Et au total, ce qui « justifie » le profit dans une analyse marxiste, et régulationniste, c’est le besoin de dépenses pour développer le capital. D’où l’intérêt de comparer coût du capital (qui contient ici le profit brut) et FBCF. D’où, aussi, l’interrogation sur le dépassement de la régulation capitaliste actuellement dominante dans la mesure où le besoin d’autres dépenses de développement que celle pour le capital pourrait commencer à dominer, avec les transformations en cours des forces productives sociales (notamment la technologie), comme on va le voir peu après.

De fait, le coût du capital représente plus que la FBCF des entreprises en France. Si l’on y ajoute la CCF (consommation de capital fixe), on atteint à peu près le double de la FBCF. C’est considérable. Mais aussi – et peut-être surtout – il n’en a pas toujours été ainsi. Cette proportion commence à augmenter depuis le début des années 1970, tournant de longue période vers la longue phase de difficultés et de crise systémique, indiquant ainsi une difficulté du système à résorber ce qui apparaît alors comme un excès. On observe ensuite une augmentation par paliers, rythmée par les crises intermédiaires, de type Juglar, jusqu’au dernier épisode de 2008-2009.

On peut alors parler d’excès du coût du capital au sens où ces dépenses empêchent les dépenses de développement, dont la FBCF est une composante. Lorsqu’elles en représentent moitié plus (150 %) voire le double, le doute est difficilement permis. D’autant plus que l’accroissement de cette proportion (à partir de 1967-1970) a coïncidé avec les débuts de la crise systémique et structurelle.

1. Celle-ci est concrétisée dans l’existence de dérivées partielles indépendantes pour le travail et le capital, comme l’a remarqué Keynes il y a déjà longtemps dans la Théorie Générale (1936).

2. Cf. une critique dans F. Boccara 2014b.

3. Raisonnement que l’on retrouve dans la notion d’amortissement, ou plutôt dans celle de consommation de capital fixe.

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Ce qu'il faut combattre : la logique dont est porteur le capital

Le coût du capital constitue un prélèvement sur les richesses créées. D’ailleurs, les dividendes et les charges financières sont des revenus pour d’autres « agents économiques » détenteurs de capitaux, les banques et actionnaires (les actionnaires pouvant être d’autres entreprises). Et ce sont des revenus, comme les salaires sont aussi des revenus.

Mais dividendes et charges financières sont de plus en plus parasitaires puisqu’elles évincent de plus en plus les dépenses de développement, y compris en capital matériel. Alors que les dépenses en cotisations sociales, ou en salaires, tout en étant des dépenses, n’ont pas le même caractère parasitaire. Elles sont même indispensables1.

Deuxièmement, on peut s’intéresser aux autres dépenses excessives en capital, y compris en capital matériel dont on a vu l’importance et l’excès possible. Certains omettent de le faire, et ne les dénonçant pas, ils considèrent qu’elles ne peuvent pas être excessives. C’est le classique débat où serait « méchant » le seul capital financier tandis que le gentil capitalisme serait le capitalisme du capital « réel »… avec pourtant ses cadences infernales, les conditions de travail dont il est porteur, bref toute sa tendance à la surexploitation du travail.

Mais suffit-il de baisser les coûts du capital ?

En d’autres termes, s’agit-il uniquement d’un problème de répartition ?

Ce coût du capital, si élevé et accru, exprime et traduit, trois choses.

– C’est l’expression d’un prélèvement sur les richesses créées par les entreprises, comme on l’a dit. Un prélèvement qui s’oppose à d’autres dépenses, d’autres coûts si l’on veut. Tout particulièrement les dépenses salariales ou pour les qualifications, la formation, ou encore les dépenses de recherche et développement (la R & D). Un syndicaliste de Dassault aviation, Pascal Borelly, avait coutume de dénoncer Noël Forgeard, PDG d’Airbus, se félicitant d’avoir économisé 1 milliard d’euros de R & D… pour satisfaire ses actionnaires !

– C’est l’expression d’un pouvoir. Le capital, à travers le capital financier qui en est une forme particulièrement élaborée2, impose ses vues, ses décisions (licenciements, investissements), sa logique, à l’activité des entreprises et, partant, à une grande part de l’activité économique.

C’est l’expression enfin d’un type de croissance : celui qui respecte les exigences de la rentabilité. On produit d’abord pour rentabiliser le capital, le reste est second. Ce critère de rendement du capital se traduit (1) en pression pour la productivité apparente du travail la plus élevée, et sur les conditions de travail, (2) il se traduit par un certain type de décisions d’investissements et de production, (3) il se traduit, comme on l’a déjà dit, par un refus de certaines dépenses de développement, ou leur insuffisance, surtout s’il s’agit de dépenses en salaires et en développement des capacités humaines ou des services publics.

Bref, il s’agit ainsi de la domination du capital financier sur les gestions, sur la production, sur le travail et sur toute la société.

Interprétation en termes de régulation : le taux de profit, régulateur central du capitalisme

Au fil des crises systémiques précédentes de longue période, le jeu du taux de profit, régulateur central du capitalisme, a été transformé, déterminant des changements de régime d’accumulation en liaison avec des transformations structurelles très importantes. Ainsi par exemple les nationalisations d’après guerre ont fait reculer le taux de profit de certains secteurs, tandis que de nouvelles institutions monétaires ou de protection sociale ou de services publics, modifiaient les règles et réglages de l’économie (P. Boccara 2013 et 2014).

Une autre régulation s’est en effet progressivement instaurée, dans une créativité sociale liée aux luttes socio-politiques et aux nouvelles conditions technologiques et démographiques, avec le CMES (capitalisme monopoliste d’État social). Dans ses principes généraux, disons que cette autre régulation repose à la fois sur une limitation du critère du taux de profit et sur la promotion positive de dépenses sociales, en particulier celles de sécurité sociale et celles pour les services publics. Elle a été théorisée par Paul Boccara comme une dévalorisation structurelle (ou systémique) du capital au sein de sa théorie de la suraccumulation-dévalorisation du capital. Cela a été, jusqu’ici, une solution aux suraccumulations systémiques successives. Dévalorisation signifie : mise en valeur du capital à un moindre taux, voir à un taux zéro. Celle mise en place après la seconde guerre mondiale est structurelle, ou plutôt systémique, car elle s’exerce par le biais d’institutions mises en place à cet effet – nationalisations, Sécurité sociale, etc. Elle permet une sortie des difficultés de longue période, sur une base nouvelle avec une remontée de l’efficacité, par opposition avec des dévalorisations conjoncturelles (destructions de capital lors des crises financières ou avec la mise au rebut d’usines entières, etc.), qui peuvent être des solutions très transitoires et/ou individuelles (ces dernières reportent les difficultés sur d’autres et peuvent nourrir des cercles vicieux, notamment d’insuffisance de la demande débouchant sur une crise d’efficacité renforcée).

Cette théorie permet d’interpréter les précédentes sorties de crise de longue période (1945, 1890-96 ou 1848-51). Ce concept de dévalorisation, développé par P. Boccara dans les années 1960, est différent de celui utilisé par M. Aglietta (1973) pour qui « dévalorisation » signifie perte de valeur du capital, et non pas une moindre mise en valeur, incluant certes des destructions et pertes de valeur mais pas uniquement. Il est à la base de la théorie de la régulation systémique, par crises de suraccumulation-dévalorisation du capital (Boccara, 1971).

Le retournement du cycle long entre 1967 et 1974 a été analysé en France, notamment avec les travaux de l’Insee (1974), sous double influence keynésienne et des travaux marxistes liés à cette école de « la régulation systémique », comme correspondant à des difficultés de rentabilité, un recul de l’efficacité du capital (approché par sa productivité apparente) et une montée de la financiarisation. Il s’accompagne de transformations technologiques majeures.

Le regain d’intérêt pour le coût du capital doit être resitué dans cette perspective théorique et empirique.

Plus généralement, la théorie de la « régulation systémique » considère l’évolution du système économique, de sa structure et de ses opérations en relation décisive avec sa régulation, qui comprend des règles – comme les règles du marché, et plus généralement celles liées aux institutions –, des régulateurs – comme le taux de profit et les taux d’intérêt – et des réglages – politiques économiques et gestions d’entreprises (voir P. Boccara, 2013 et 2014).

La rentabilité du capital, norme ou critère, est au cœur de la régulation des économies capitalistes. Rapportant le flux de profit au stock de capital avancé, nous l’analysons comme le régulateur central de ces économies à travers des crises de suraccumulation et de dévalorisation du capital. Son rôle de norme ou de critère central est aujourd’hui exacerbé et il est questionné comme jamais par la crise financière, écologique, sociale, ainsi que par la révolution technologique informationnelle3 (voir aussi Plihon, El Mouhoud, 2009, Weinstein, 2010).

Il faut tâcher pour cela de savoir où nous en sommes du point de vue des indicateurs de rentabilité en France. On peut donner en ce sens quelques indications, bien qu’en France la lecture des évolutions soit rendue difficile par la mondialisation et le poids relativement très élevé des FMN4, ce qui implique une part importante de capital et/ou de profits localisés à l’étranger. Deux ensembles d’estimations de la rentabilité agrégée des entreprises en France font apparaître des difficultés nouvelles depuis le début des années 2000, renforcées par la crise de 2008-2009 (graphiques 6a et 6b).

Ces difficultés apparaissent bien sûr après la remontée des années 1980 consécutive à la crise du début des années 1970, remontée liée aux réponses à cette crise, par la politique économique et les gestions – dérégulation financière, soutien public renforcé aux grands capitaux, déflation salariale, « modernisation » par investissement contre l’emploi. Mais on peine à retrouver le niveau de rentabilité au milieu des années 1980. Cela renvoie bien entendu à des probables intenses contradictions entre les capitaux au sein des entreprises françaises, ainsi qu’à l’internationalisation. Ce constat est révélateur de difficultés à emporter l’ensemble du tissu économique français vers une amélioration de la rentabilité globale, au-delà de remontées pour certaines entreprises, surtout les grands groupes dominants.

Par hypothèse, compte tenu de ce que nous observons sur la montée des coûts du capital, cela ne révélerait pas seulement un problème de répartition salaires/profits, mais aussi un problème sur la production et son efficacité. Cela renvoie au poids de la norme de rentabilité et à une régulation au service de la rentabilité : une régulation où l’on « compense » les difficultés par une fuite en avant dans l’accumulation du capital, y compris et notamment la financiarisation et l’internationalisation5, ainsi qu’en accélérant les transformations technologiques et leur mise en œuvre dans les entreprises, selon un certain « biais » et en pesant sur la demande.

L’efficacité du capital permet de se faire une idée de la façon dont ces deux ensembles de transformations permettent une amélioration sous-jacente ou pas. Elle exprime en effet l’efficacité de l’offre (et on pourrait dire l’efficacité des équipements et des avances), avec un type de technologies mises en œuvre et un type de relations sociales6. La décomposition fondamentale ci-dessous illustre cette relation :

Taux de profit = Partage de la VA x Efficacité du capital. Ou encore, avec des notations évidentes :

Ainsi il ne suffit pas de « gagner » sur la part des profits dans la valeur ajoutée pour redresser le taux de profit. Si pour ce faire, on est amené à investir beaucoup plus de capital, y compris avec des dépenses en capital immatériel, ou si ce capital a une forte composante financière, ré-évaluée sans cesse en bourse à une valeur plus élevée, cela va peser dans l’autre sens sur le ratio d’efficacité du capital. Mais aussi, si pour accroître la part des profits dans la valeur ajoutée, on met en cause les qualifications, ou l’on précarise trop, se posent alors des problèmes d’efficacité au travail, c’est-à-dire d’efficacité de mise en œuvre de la combinaison productive. Ces problèmes peuvent passer par toute une série d’éléments, y compris qualitatifs, mais finissent par se traduire d’une façon ou d’une autre en tirant à la baisse l’indicateur synthétique d’efficacité du capital. Cela peut inverser sur le taux de profit les efforts faits sur la part des profits dans la valeur ajoutée. Du point de vue théorique, cela renvoie aux problèmes de suraccumulation, et l’efficacité du capital peut s’interpréter comme un indicateur renvoyant à l’inverse de la composition organique du capital7.

Après un tournant de longue période (1964-1974), puis un redressement durant la seconde moitié des années 1980, il semblerait bien que l’efficacité du capital – agrégée – connaisse d’importantes difficultés depuis le début des années 2000 (graphiques 7a et 7b), en lien celles observées sur le taux de profit agrégé. Plus précisément, après un redressement de 1982 à 1987-1989, l’efficacité du capital fixe brut en France aurait plafonné, ne retrouve pas son niveau d’avant le tournant de longue période, et commencerait à reculer depuis les années 2000, la crise de 2008-2009 amenant une accélération de ce recul. Dans le même temps, du début des années 1990 jusqu’au tournant de 2008-2009, les revenus purement financiers et les dividendes (y compris ceux en provenance de l’étranger) auraient permis de « compenser » ce recul pendant un temps (graphique 7b). Par ailleurs, de façon sous-jacente, on observerait une amélioration de l’efficacité des équipements matériels plus marquée durant la seconde partie des années 1980, puis une détérioration beaucoup moins forte, tandis que la composante « immobilière » du capital des entreprises vient fortement peser sur cette amélioration et l’amplifie, dès le début des années 2000. Si l’on avait ajouté la composante « capital financier » (disponible seulement à partir de 1995, dans les séries Insee), la détérioration serait encore amplifiée.

Sous domination de la norme de rentabilité, un recul de l’efficacité du capital peut en outre générer des « cercles vicieux » : la baisse de l’efficacité du capital incite à encore plus augmenter la part des profits dans la VA, et donc le coût du capital en % de VA, mais peut aussi renforcer les difficulté d’efficacité du travail humain. En effet, elle amène une insuffisance des dépenses en faveur des salariés (salaires, formation…), pouvant améliorer leur efficacité au travail, ainsi qu’une insuffisance de la composante salariale de la demande globale.

La révolution technologique informationnelle bouleverse la donne

Nous sommes restés très allusifs sur les transformations technologiques. La caractéristique de la période est que le changement en cours serait un changement du « type » technologique lui-même que nous caractérisons comme une « révolution informationnelle », par opposition avec la révolution industrielle. La révolution informationnelle (P. Boccara 1991) porte une logique qui tend à être profondément différente de celle de la révolution industrielle : on fait effectuer par des machines remplaçant les êtres humains certaines opérations du cerveau humain ; ce qui est différent du remplacement de la main humaine maniant l’outil, au cœur de la révolution industrielle, avec les machines-outils. Une information, ce sont par exemple les spécifications techniques pour réaliser un médicament8. Elles deviennent directement agissantes lorsqu’elles sont intégrées dans un ou des programmes informatiques qui pilotent les machines industrielles (voir F. Boccara 2014a).

Or d’une part une information, cela se partage, au contraire de l’appropriation exclusive d’un produit matériel ou d’une machine ; d’autre part cette importance nouvelle des informations dans tout le travail humain change radicalement la donne. Elle fait saillir de nouvelles exigences sur les capacités humaines et le besoin que leur développement commence à prédominer. Cela a des conséquences sur les exigences concernant à la fois les dépenses des entreprises, où il faudrait que lesdépenses humaines commencent à prédominer (ce qui pousse à un renversement de la logique), et les dépenses pour les services publics, qui deviennent de plus en plus décisives pour l’efficacité économique elle-même.

Cette « révolution informationnelle » est une révolution « technologique » et sociétale, mais elle ne s’accompagne pas, pour l’instant, d’une révolution de la régulation, ni des rapports sociaux de production et de consommation dominants. Ainsi se développent des cercles vicieux très profonds.

Elle amène en même temps une insuffisante absorption des profits par le capital matériel dont les coûts chutent : d’où certains cercles vicieux d’explosion de la croissance financière9. On peut alors comprendre la nature relativement nouvelle des difficultés d’efficacité, ou plus exactement la nature profonde des changements de régulation systémique qu’elle exige et auxquels elle renvoie : non pas seulement limiter la rentabilité (abaisser la norme, l’assouplir…) mais avancer vers une autre logique – institutionnelle et fonctionnelle – d’autres normes, qui favorisent progressivement les capacités humaines et le partage des coûts comme des ressources.

1. Indépendamment de leur excès éventuel.

2. On entend par capital financier le capital sous forme de titres financiers négociables, détenant directement ou indirectement le capital d’une entreprise (ou d’un groupe d’entreprises). Le terme est utilisé par R. Hilferding, il en a développé l’analyse, reprise ensuite par Lénine. C’est une sorte de « capital au carré », quasiment réduit à une valeur – du moins en apparence – il est la plus pure expression du capital, son essence dirait Marx. Loin d’être déconnecté du capital physique et des moyens matériels de production, il y est très connecté par ses revenus et les pouvoirs qu’il exerce (même si ses détenteurs n’en sont pas toujours systématiquement conscients), mais il a une forte autonomie vis-à-vis de telle ou telle branche, secteur d’activité ou entreprise, car il a une grande possibilité de s’en désengager pour aller s’investir ailleurs, d’autant plus que les marchés financiers sont développés, liquides et « profonds ». Il est une forme de capital qui se rapproche le plus du A cherchant son A’= A + ΔA, décrit par Marx.

3. Dont la révolution numérique est un aspect et un moment.

4. Relativement plus élevé en France qu’aux États-Unis ou même qu’en Allemagne, voir Boccara, Picard, 2015.

5. Mais l’internationalisation, lorsqu’elle prend par exemple la forme d’IDE nécessite une avance de capital financier, qui se reflète tout de même en France, au moins partiellement, dans le capital de la tête de groupe française de la FMN qui investit à l’étranger.

6. Les relations sociales comprennent non seulement l’organisation du travail, mais aussi le mode de régulation des revenus – pas seulement le salaire mais les dépenses publiques de recherche, de formation, les services publics, les dépenses de formation professionnelle – ainsi que le type de productivité du travail et aussi le type de développement des qualifications ou la relation d’emploi (précarité versus sécurité, etc.)

7. On confond ordinairement la composition organique avec la composition « technique » c/v. Or la composition organique peut s’estimer par c/v Õ v + p, simplifié en c/v + p (qui est en correspondance avec K/VA, inverse de l’efficacité du capital), car la composition organique traduit la relation entre capital, sous forme de travail mort avancé, (c) et travail vivant étant pris, pour Marx (Livre 3 du Capital), comme l’expression de l’ensemble du travail mis en œuvre et donc v + p, et pas seulement v (ce qui est exprimé par la flèche : v Õ v + p).

8. Les informations ne doivent pas être confondues avec le brevet, qui est une forme institutionnelle supportant souvent ces informations, protégeant leur copie et établissant un monopole temporaire et/ou une possibilité de vente de l’usage des informations. Les brevets peuvent être eux-mêmes encapsulés dans des titres financiers, jusqu’au goodwill. On a donc une sorte de gradation Information/Brevet/Actif financier/Goodwill.

9. Bien entendu, la vague mondiale d’IDE cherche à dépasser ces difficultés par un “partage” monopoliste sur une échelle étendue, en développant un nouveau type de FMN, la FMN de la révolution informationnelle partageant certains coûts fixes informationels sur une base très large (voir ma thèse de doctorat).

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Une autre régulation est possible

L’exigence d’un taux de profit maximal est l’autre face du coût du capital, coût qui exprime tout à la fois un besoin objectif – financer le développement des moyens matériels de production – et un élément « subjectif » du système – la norme de rentabilité la plus élevée possible pour répondre aux exigences de profit portées par les acteurs et institutions dominantes (capitalistes actionnaires, banques, fonds de pension, marchés financiers) qui tendent à monopoliser le pouvoir sur l’utilisation des fonds. De nos jours, la justification historique et économique de ce besoin de taux de profit est posée, ou plutôt la justification de sa domination dans la régulation, avec la crise systémique et avec les principes dont sont porteuses les révolutions – informationnelle et écologique – à l’œuvre dans les forces productives sociales.

Au lieu d’une régulation par la rentabilité, quelle régulation autre ? Quelle régulation nouvelle ? Quels éléments s’agit-il donc de faire monter ?

Il s’agirait de « marcher sur deux jambes » : faire d’une part baisser le coût du capital pour d’autre part financer autre chose, d’autres dépenses, qu’on peut appeler des dépenses « de développement », ou encore des dépenses d’expansion sociale. Cela renvoie à des transformations sociales de portée profonde, radicale, même si elles peuvent être en partie graduelles.

Le coût du capital (et le « financement de marché ») empêcherait un vrai développement efficace, car il empêche d’autres dépenses, de développement des capacités humaines et des territoires. Or il faut engager d’autres « dépenses de développement » que les seuls investissements matériels : recherches, salaires, qualifications, services publics, protection sociale. Et ces dépenses, tendraient à devenir décisives tant avec la révolution informationnelle qu’avec les révolution écologique. Il s’agit ainsi d’aller vers un nouveau « mix » de dépenses humaines et matérielles1.

Cela, tout en stimulant la demande par les revenus salariaux et d’activité, peut amorcer une transformation sociale et économique fondamentale et réussie de l’offre, à la fois contre le chômage et vers un autre système productif, économe en moyens matériels, développant les hommes et les femmes, appuyé sur des services publics en expansion. C’est aussi une transformation du contenu de la demande, vers une tout autre demande sociale, de services publics et immatériels, de produits économes en matières (donc en capital), etc. Une demande tirée par le développement humain, subsidiairement matériel (en tendance), plutôt que comme actuellement par le développement matériel et financier, subsidiairement humain.

La stimulation de la demande est indispensable. Mais la politique de l’offre ne doit pas être laissée à l’approche néo-libérale ou schumpétérienne. L’hétérodoxie doit s’approprier une politique de l’offre, d’une autre offre, complémentaire d’une politique de demande ambitieuse.

Ceci devrait aller de pair avec des transformations démocratiques profondes des institutions : particulièrement les pouvoirs des salariés et des intéressés, à travers le suivi de l’utilisation des financements, des gestions, etc. Car un suivi, avec des pouvoirs d’interpellation, est absolument nécessaire pour s’assurer que les dépenses exigées vont bien développer l’emploi, les qualifications, les richesses créées dans les territoires. Il s’agit de pouvoirs de suivi, d’interpellation, pour des sanctions éventuelles, se répondant entre salariés des banques, salariés des entreprises et habitants des territoires. C’est-à-dire de nouvelles institutions territoriales et d’entreprises, y compris au plan européen voire international, pour impulser une nouvelle régulation économique et sociale.

Tout en étant profondément refoulée par la logique dominante du système, cette logique de nouvelles dépenses de développement, monte pourtant de l’intérieur même de celui-ci, utilisée, tordue et récupérée par lui, y compris par la forme de capital financier (la technologie comme un actif financier.) bien que porteuse de contradiction profonde avec lui.

On en évoquera ici trois aspects complémentaires, imageant à la fois l’importance des dépenses humaines, leur refoulement et l’opposition qui se joue : (1) la montée des dépenses humaines de développement (2) leur montée progressivement moins vigoureuse que celle des dépenses pour le capital (matériel et financier2) à partir de la fin des années 1980, (3) mais, en proportion de la VA des entreprises, une nette inversion de courbe en défaveur des dépenses humaines.

On retient deux indicateurs simples de dépenses des entreprises :

– Pour les dépenses en capital : la FBCF dont on retire la partie « salaires » de la R & D (environ 60 % de la R & D).

– Pour les dépenses humaines de développement : la variation des cotisations sociales (y compris cotisations sociales de formation) + la variation des salaires.

Plus généralement, changer la régulation implique des transformations des trois composantes complémentaires de la régulation : les régulateurs (taux de profit, taux d’intérêt…), les règles (règles de marché, traités internationaux de commerce et d’investissement, DPI…) et les réglages (politiques économiques, gestions). C’est pourquoi de nouvelles idées sont nécessaires, et donc un débat constructif entre hétérodoxes, allant jusqu’à la discussion de principes nouveaux, mais aussi d’institutions nouvelles et de propositions économiques précises.

Portée et enjeux

Au-delà de simplement « baisser les coûts du capital », il s’agit de libérer les activités de la domination du capital, définie comme la domination d’une logique : celle de l’argent utilisé pour faire de l’argent. Cela implique des institutions et des transformations du système de pouvoirs. C’est un défi de société et même de civilisation. Le défi est celui de la maîtrise de l’argent et des moyens matériels pour tirer parti de leur efficacité, afin de développer toutes les capacités humaines, et non pour que le capital asservisse chaque jour toujours plus de salariés et de gens.

Principes de nouvelles institutions et nouveaux critères possibles

Il s’agit de baisser le coût du capital avec des conditions « orientées » pour d’autres dépenses :

– Par un nouveau crédit sélectif et bonifié (selon la contribution des prêts à la VA, l’emploi, l’écologie).

– Par de nouveaux critères de gestion des entreprises.

– Par une nouvelle fiscalité (pénalisation/incitation) et une autre « critérisation » de la dépense publique et des aides aux entreprises, à l’inverse de celle qui, avec les exonérations de cotisations sociales pour bas salaires, recherche la baisse du coût du travail.

Cela renvoie aux institutions que sont les entreprises dans lesquelles il faudrait modifier la structure des pouvoirs, mais aussi aux institutions financières, nationales, européennes (euro et BCE), mondiales (FMI et monnaie commune mondiale à partir des DTS, traités de commerce et d’investissement).

Les principes de ces nouvelles institutions : pratiquer une nouvelle régulation, au sens du suivi et de la correction des actions économiques.

Nouvelles institutions de suivi de l’utilisation des fonds.

Selon d’autres critères (les fonds ne fonctionnant pas alors comme du capital).

Décentralisées (mais rendues communes et systémiques, par les règles, la logique et la culture, logique dont la Banque centrale et l’état sont des vecteurs majeurs.

En reliant banques et entreprises.

En repensant les services publics existant pour qu’ils fonctionnent aussi en appui à cette régulation, notamment par un appui aux acteurs décentralisés (travailleurs, population).

Il s’agit d’amorcer un nouvel âge de la démocratie. Ce qui implique de nouveaux pouvoirs des salariés et des populations.

Ainsi, on agirait en aval, par des prélèvements sur le capital (ce qui renvoie à des réformes pour une fiscalité nouvelle et des prélèvements sociaux nouveaux). On agirait aussi en amont, en promouvant une autre logique.

Quelques propositions précises

J’insisterai particulièrement sur le crédit bancaire et sur les entreprises.

Le cœur d’un nouveau crédit bancaire, ce n’est pas seulement de baisser le taux d’intérêt. C’est une nouvelle sélectivité en faveur des investissements qui développent l’emploi et le sécurisent. Il pourrait s’agir de réaliser un crédit :

– pour les investissements matériels et de recherche ;

– à taux faible ;

– d’autant plus abaissé (jusqu’à 0 %), que ces investissements développent les emplois et la formation, créent une bonne valeur ajoutée.

Il peut être pratiqué au niveau local ou régional à partir de différentes institutions démocratisées : fonds régionaux publics (y compris depuis des luttes dans les municipalités), des banques publiques nationales, dont la BPI (banque publique d’investissement), ou au niveau national un fonds public national finançant la bonification bancaire, et au niveau européen la BCE peut impulser la pratique d’un tel crédit par les banques elles-mêmes en utilisant le levier du refinancement des banques, rendu lui-même sélectif, à travers un fonds de développement démocratique, européen solidaire, social et écologique à créer.

Ce crédit d’un nouveau type pousserait à la baisse du coût du capital de deux façons : des charges d’intérêts plus faibles, une lutte contre l’excès d’accumulation matérielle. Il pousserait aussi à d’autres dépenses, celles d’emploi et de formation.

Il ne constitue pas, loin de là, une subvention aux profits. Au contraire, il oblige les profits à rembourser ce crédit, et à être ainsi utilisés pour des investissements qui développent l’emploi et qui sont efficaces. Il oblige les banques à utiliser tout autrement leur épargne et leur création monétaire. Mais cela nécessite un suivi de l’utilisation des crédits, et donc des droits de suivi aussi bien par les salariés (des banques et des entreprises concernées) que par les populations des territoires (via leurs élus). Ces propositions, on l’a vu, portent jusqu’à la BCE et l’Europe, en passant par l’État national.

Pour la gestion des entreprises, on peut faire aussi le lien avec des propositions sur les licenciements.

En cas de suppressions d’emploi on pourrait avoir (a) un droit de moratoire sur les suppressions d’emploi ; (b) pour examiner la situation et tout particulièrement d’autres solutions que la diminution des emplois, à savoir baisser le coût du capital et effectuer des dépenses de recherche, de formation, bref de développement des capacités humaines, avec un projet de développement de l’activité ; (c) il faut un droit d’appel au crédit bancaire à l’appui de ces propositions éventuelles ; (d) et bien évidemment un droit de suivi de l’utilisation de ces crédits par l’entreprise et de sa gestion.

C’est la grande question de l’irresponsabilité sociale et territoriale des entreprises qui est posée. Il s’agit de les réorienter radicalement dans le sens du bien commun, de l’efficacité pour la sortie de crise, à partir du cœur de la mise en cause de cette société : la contestation des pouvoirs du capital et de sa logique.

Conclusion

L’idée d’une régulation nouvelle porte loin sur l’idée d’une société nouvelle, d’une nouvelle civilisation, à partir de la situation actuelle, dans une conception de la transformation à la fois radicale et graduelle, ne s’enfermant pas dans l’économicisme, mais en mettant en cause la logique et en exigeant de nouveaux pouvoirs face aux pouvoirs existants, actuels, du capital, en lien attentif aux luttes sociales et à leur contenu.

Cette nouvelle régulation aurait aussi une dimension européenne, avec l’exigence d’un autre euro, à partir de l’existant et en transformant profondément la BCE et son rôle. Elle aurait aussi une dimension plus internationale (relation avec le Sud, l’Est, les pays émergents) et une dimension mondiale (FMI, biens communs).

Cette question des coûts du capital peut orienter une unification de tout le salariat. Les cadres, avec leur conscience des besoins d’efficacité et leurs idées, leur créativité pour cela, mais aussi leurs exigences de qualifications et leur capacité à participer à la formulation de propositions… mais dans une radicalité à favoriser. Les plus exploités, avec leurs revendications sur l’emploi, sa sécurité, et en leur donnant confiance parce que l’on démasque l’énormité des coûts du capital. Et ceux appartenant aux deux pôles à la fois, qu’on range dans la catégorie « précariat ».

Il s’agit aussi de pousser les alliances, avec les indépendants, artisans ou encore avec les TPE voire les PME, écrasées par le comportement des banques, des grands groupes et des actionnaires, qui constituent autant de coût du capital pesant sur elles, qui les pressurent et les empêchent de réaliser de nombreuses dépenses de développement (emploi, qualification, recherche, investissement).

Et enfin, il s’agit de prendre en compte l’exigence d’une expansion nouvelle des services publics, ainsi que celle de leur liaison aux entreprises, dans un souci de développement du territoire, et non d’une prédation de l’entreprise sur les services publics au détriment des territoires et des gens.

 

1.  Sur cette notion de “dépenses de développement”, voir S. Michel, D. Valade (2007), voir aussi “Les PME/TPE et le financement de leur développement pour l’emploi et l’efficacité économique”, F. Boccara, avis du CESE (conseil économique, social et environnemental) dont l’adoption à une très large majorité exprime aussi le progrès culturel de cette notion.

De l’analyse empirique

des coûts à la théorie marxiste

Pour aider à clarifier les choses, on peut proposer un rapprochement entre l’analyse – empirique – des coûts présentée ici et l’analyse théorique marxiste.

Dans l’analyse marxiste, on a

– Premièrement des avances : le capital matériel (fixe et circulant), C, et des salaires, V (les salaires sont payés avant que toute la production soit vendue, voire même avant qu’elle soit entièrement effectuée) : notons C + V = K

– Deuxième temps, la production : les salariés produisent l’ensemble des richesses nouvelles, la valeur ajoutée VA, en correspondance avec V + P (si on note p la plus-value). Ils font cela en utilisant le capital fixe (les machines) et le capital circulant (les consommations intermédiaires de matières premières, d’énergie, ou de produits intermédiaires). Le capital C ne peut que reproduire sa valeur, les machines voient la leur transmise par morceau d’un cycle de production à l’autre, les consommations intermédiaires transmettent intégralement le leur.

– Troisième temps, après coup (ex post), on voit toutes les dépenses, et on peut les analyser comme des coûts. C’est ce qu’on retrouve, plus ou moins dans l’analyse empirique :

• Des dépenses (ou coûts) qui ont reproduit leur valeur, en une fois (les consommations intermédiaires) ou en plusieurs fois (les équipements et machines)

• Des dépenses (ou coûts) qui ont permis de créer de la valeur : les salaires (qui rémunèrent les salariés qui eux créent la valeur ajoutée = salaires + profits)

• Des dépenses (ou coûts) qui peuvent démultiplier la capacité humaine à créer de la valeur par la technologie. À savoir :

         – Investissements matériel (dominants dans le passé)

         – Recherche, formation, qualifications (qui pourraient

       commencer à prédominer)

• Des dépenses (ou coûts) de prise sur les richesses créées, devenant de plus en plus des dépenses de prédation : comme les intérêts bancaires ou les dividendes versés aux actionnaires (s’accumulant à un capital situé ailleurs).

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