Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Salaire à vie : Back to the URSS ?

Beaucoup a déjà été écrit sur les thèses de Bernard Friot et de son salaire à vie. Utopie, confusion dans le maniement d’un certain nombre de concepts marxistes, etc. Mais un autre point de vue intéressant concerne la nature des processus et des institutions qui devraient être mis en place pour réaliser cette utopie. Par bien des aspects ils nous rappellent les mécanismes économiques en vigueur en URSS jusqu’aux années Brejnev. Une relecture du « Manuel d’économie politique » de l’académie des sciences d’URSS ne peut que contribuer à nous en persuader.

Bien que se réclamant, un peu abusivement et du bout des lèvres, de certaines « catégories » du marxisme, la réflexion de B. Friot est très éloignée de l’analyse économique marxiste. En particulier, elle se préoccupe peu des conditions de production des richesses qui constitueront la valeur ajoutée. Elle se focalise essentiellement sur la répartition de cette valeur ajoutée supposée « déjà-là » et d’un niveau suffisant pour répondre aux besoins de la société. Le lecteur le plus attentif aura du mal à trouver chez B. Friot autre chose que des généralités sur les conditions de travail, l’efficacité productive, la qualité, etc.

La proposition centrale de B. Friot est de prélever la totalité de la valeur ajoutée créée par les entreprises, le PIB, sous forme de cotisation versée par les entreprises à des caisses chargées d’assurer le versement des salaires, le financement de l’investissement et la fourniture gratuite de services tels que santé, logement, etc. Cette vision de l’économie est parfaitement conforme aux mécanismes en vigueur en Union soviétique tels qu’ils sont explicités dans le « Manuel d’économie politique » de l’académie des sciences d’URSS :

«… l’ensemble du revenu national de la société socialiste se divise en fonds de consommation et fonds d’accumulation. Le fonds de consommation est la partie du revenu national qui sert à satisfaire les besoins matériels et culturels croissants des ouvriers, des paysans et des intellectuels. Il est constitué avant tout par le produit pour soi créé par les travailleurs de la production. »

« Une fraction importante du fonds de consommation est en outre fournie par l’État, les kolkhoz, les associations coopératives ; il s’agit du produit pour la société consacré aux besoins sociaux et culturels. » (On retrouve là le fonds de « gratuité » préconisé par B. Friot)

« Le fonds d’accumulation est la partie du revenu national de la société socialiste qui sert à développer et à perfectionner la production socialiste à la ville et à la campagne, à accroître les fonds improductifs culturels et sociaux, y compris le fonds d’habitations, ainsi qu’à créer des réserves. Il assure de la sorte les conditions matérielles d’un essor et d’un perfectionnement de la production socialiste sur la base d’une technique supérieure. »(1)

Seule différence, dans la pensée de B. Friot, ces fonds seraient administrés par des « caisses » comparables à la Sécurité sociale (caisse de salaires, caisse d’investissement, caisse de gratuité), alors qu’en Union soviétique, ils l’étaient par le budget de l’État. La différence est ténue et dépendra essentiellement des mécanismes de contrôles démocratiques à établir. Qu’on le veuille ou non, B. Friot nous dépeint un système très centralisé, avec un risque bureaucratique évident.

Ce rappel n’est pas anecdotique. Tous les communistes se veulent porteurs de propositions crédibles pour dépasser le capitalisme et construire une société socialiste, puis communiste. Et je ne doute pas que B. Friot et ses soutiens ont sincèrement cet objectif en vue. Mais avant de tracer les contours d’une hypothétique société socialiste, encore faut-il avoir une vision claire des causes de l’échec de la première expérience de société socialiste : l’URSS, ne serait-ce que pour ne pas les reproduire. Or, par bien des aspects, les propositions de B. Friot contiennent en germe tous les mécanismes qui ont conduit l’URSS à la stagnation puis à l’effondrement économique : une administration centralisée et bureaucratique de l’économie, un retard dans la modernisation de l’outil de production, un système de prix administrés conduisant à la pénurie, au marché noir et à la démotivation. Examinons donc ces idées, au regard des pratiques en vigueur en URSS dans les années 1960 à 80.

Commençons par les prix. B. Friot est bien conscient que son système de cotisation généralisée pose un problème majeur : celui de l’évaluation de la valeur ajoutée créée par l’entreprise qui doit servir de base à la cotisation. Comme il l’écrit lui-même, « À partir du moment où l’entreprise ne paiera plus ses salariés, ne versera plus de dividendes, n’aura plus d’emprunt à rembourser, d’impôts à payer, puisque c’est par cotisation que tout le PIB sera réparti, le calcul des prix posera questions.

À la limite, le prix pourrait n’inclure que celui des consommations intermédiaires, mais alors la valeur ajoutée serait nulle… On pourrait décider que tout prix soit la multiplication par 1,25 du prix des consommations intermédiaires. » (2)

Étonnant raisonnement. D’abord parce qu’il contient une erreur grossière : si les prix des marchandises ne peuvent pas être établis, ils ne peuvent pas non plus l’être pour les consommations intermédiaires nécessaires à la production de ces marchandises. À quoi donc appliquer ce coefficient de 1,25 ? Mais au-delà de cette bourde, ce raisonnement trahit une vision administrative et non économique des prix, vision qui prévalait en URSS jusqu’en 1985. Dans le système soviétique en effet, les prix de gros étaient calculés sur la base d’une estimation des coûts de production, auxquels on imputait une marge de profit, qui pouvait être négative dans certains cas. Ils étaient publiés dans des listes, les preiskuranty, fixées à l’échelle nationale, quelquefois locale. Les prix de détails en découlaient par application d’une marge de distribution. L’extrait ci-dessous du manuel d’Économie politique donne une idée du caractère bureaucratique de la fixation des prix et des distorsions auxquelles ils donnaient lieu.

« Le prix de gros de l’entreprise est égal au prix de revient prévu par le plan plus le revenu net de l’entreprise. Quant au prix des produits fournis par les branches produisant des moyens de production, il est généralement établi au-dessous de la valeur… Cela assure un prix relativement bas des moyens de production employés dans l’industrie… et entraîne une réduction correspondante du prix de revient de la production. » (1)

Ces méthodes administratives, instaurées dans les années 1930 par Staline, de gestion de l’économie ne touchaient pas seulement les prix, mais toutes les composantes de l’activité économique. Dans son livre « Perestroïka », l’économiste soviétique et académicien A. Aganbeguian analysait ainsi les mécanismes de l’économie stalinienne : « À partir du début des années 1930… on a assuré la supériorité des impératifs de production et subordonné le rôle de consommateur. La réforme financière de l’époque a supprimé le crédit commercial et effacé pratiquement la différence entre le financement direct et le crédit. Les méthodes budgétaires de financement l’ont emporté… Les prix n’avaient plus grand sens et descendaient au-dessous des coûts dans certaines branches. Les différences étaient alors compensées par des dotations budgétaires d’État. » (3)

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre ces pratiques économiques staliniennes et les conceptions de B. Friot en matière de crédit et de financement des investissements. B. Friot propose en effet de « supprimer le crédit et de financer l’investissement en dehors de tout lien avec la propriété lucrative. » Comment ? « Il s’agira d’affecter une partie du Pib… à une cotisation économique dans des caisses de subvention de l’investissement .» (2)

On est bien dans la logique dénoncée par Aganbeguian de substitution de financement budgétaire direct au crédit. Même si, dans l’esprit de Friot, ce financement est assuré par une caisse de gestion de type Sécurité sociale et non directement par l’État comme en URSS. Mais le risque de centralisation bureaucratique est le même. Car dans le système de B. Friot, ce sont ces caisses qui seraient en charge de prendre les décisions d’investissement sur la base de projets déposés par les entreprises. (2) Les entreprises, elles, même « copropriété des salariés », n’auraient qu’une autonomie réduite, en ne maîtrisant que la moitié des fonds destinés à l’investissement. On est plus près du Gosplan que de l’autogestion.

Cette phobie du crédit est bien en phase avec l’idée du crédit développée dans le Manuel : « Contrairement au régime capitaliste, l’économie socialiste ignore le capital de prêt ; dans sa majeure partie, l’argent mis à la disposition du système de crédit est propriété sociale [Friot parle, lui de part socialisée du salaire], et le reste est la propriété personnelle des travailleurs. »

De même : « Le crédit commercial, c’est-à-dire la vente mutuelle de marchandises à crédit par les entreprises, n’existe pas en URSS. La pratique du crédit commercial affaiblirait le contrôle exercé par les banques sur l’activité économique des entreprises… La banque accorde une avance à l’entreprise pour des mesures économiques déterminées, tels le stockage saisonnier de matières premières, la constitution de stocks temporaires de produits finis ou semi-ouvrés. Ainsi est assurée la liaison directe du crédit bancaire avec les processus de production et de circulation. » (1)

Ce que montre cet extrait, c’est qu’en URSS, le crédit accordé aux entreprises était pratiquement limité au crédit à court terme visant à leur fournir la liquidité nécessaire aux avances de trésorerie d’exploitation. Le crédit à long terme, lui, qui aurait été nécessaire à l’investissement productif de développement et de modernisation, était quasi inexistant.

Les conséquences de ce mécanisme promu par B. Friot limitant le niveau d’investissement à une fraction fixe du revenu national en renonçant à l’anticipation permise par le crédit bancaire sont prévisibles. Dès lors que le revenu national stagne, l’investissement stagne entraînant à son tour une chute du revenu national.

C’est ce qui s’est produit dans les dernières années de l’ère brejnévienne. Ainsi, A. Aganbeguian constate : « Pendant ces 10 dernières années, le rythme de croissance des investissements s’est brusquement réduit… À titre d’exemple, dans les branches civiles des constructions mécaniques de l’URSS, on n’a renouvelé que 9 % des équipements au sein des usines, contre 40 % prévus. » (3)

B. Friot est d’ailleurs conscient de ce risque. Mais il prétend le résoudre d’une manière tout à fait surprenante : en cas d’insuffisance du montant du fonds d’investissement, les caisses d’investissement seraient amenées à créer de la monnaie. Le mécanisme décrit par Friot est le suivant : « Une cotisation économique de 15 % irait par ailleurs aux caisses d’investissement qui disposeraient donc de 300 milliards. Supposons que ces caisses reçoivent des projets d’investissement à hauteur de 500 milliards. Elles pourraient par exemple estimer que 100 milliards de ces projets ne sont pas recevables, mais que 400 milliards seraient à subventionner. Or elles n’auraient que 300 milliards en caisse. Elles créeraient donc 100 milliards de monnaie, non pas sous forme de prêt, mais de subventions. » (2)

Étrange et dangereuse conception de la création monétaire. Car dans le cas de la création monétaire par le crédit bancaire, le surplus de masse monétaire créée par le crédit initial est progressivement détruit au fur et à mesure des remboursements du crédit. Elle n’entraîne donc pas sur le long terme d’inflation de la masse monétaire.

En revanche, si la monnaie créée est la contrepartie d’une subvention, donc non remboursable, elle est créée de manière pérenne. Et même si B. Friot jure ses grands dieux que sa création monétaire ne sera pas inflationniste, on ne peut que s’interroger sur le sérieux d’une proposition qui favoriserait une création monétaire continue sans contrôle. Les caisses d’investissement de B. Friot, c’est la fusion du Gosplan et de la Gosbank !

L’économie de l’URSS avait largement usé de ce mode de financement de l’activité lors des années de stagnation brejnévienne. En témoigne le rapport de M. Gorbatchev au Plenum du comité central de juin 1987, qui avait souligné que la masse monétaire en circulation avait été multipliée par 3,1 entre 1971 et 1985 alors que le volume des biens disponibles sur le marché augmentait seulement de deux fois. (4)

Enfin, dans une économie administrée comme la décrit B. Friot, face à une stagnation voire un recul du revenu national, la tentation est grande de maintenir le niveau du fonds des salaires et du fonds d’investissement au détriment du troisième fonds, le fonds des dépenses sociales, celui que B. Friot appelle le fonds de gratuité. C’est ce qui s’est passé durant la stagnation brejnévienne : « Au cours des 15 ou 20 dernières années se sont manifestés les processus négatifs évoqués plus haut, le freinage de la croissance et de l’efficacité ont particulièrement affecté le développement social. Ainsi, à titre d’exemple, la part des investissements économiques attribués à la construction de logements est passée de 23 % en 1960 à 14 et 15 % en 1981/1985. Les dépenses d’enseignement qui représentaient 10 % du revenu national en 1950 sont descendus à 7 % ces dernières années. De même, moins de 4 % du revenu national sont consacrés au secteur de la santé, alors que dans d’autres pays les taux sont de huit à 12 %. » (5)

Venons-en maintenant à sa proposition de qualification à la personne comme fondement du salaire à vie. Est-elle si différente de ce qui prévalait en URSS ? Relisons le Manuel : « La différenciation des salaires selon la valeur professionnelle des travailleurs est établie en vertu d’un barème. Les ouvriers sont divisés en catégories d’après leur niveau professionnel. L’ouvrier non qualifié est rangé dans la première catégorie et son salaire est pris comme unité. Plus l’ouvrier est qualifié, et plus élevée est la catégorie à laquelle il appartient, plus son salaire est élevé. Un système de tarifs correct permet de réglementer les salaires de telle façon qu’ils stimulent l’élévation de la productivité du travail et intéressent les travailleurs à obtenir une qualification plus élevée… » (1)

On parle donc bien de qualification personnelle. Et on décrit une approche bureaucratique et centralisée d’établissement de cette hiérarchie des qualifications. B. Friot, lui, imagine plutôt un ensemble d’épreuves d’examens, de jurys, sans préciser vraiment les critères qui prévaudront à l’évaluation. Est-ce moins bureaucratique ? Pas sûr, puisqu’il propose que les jurys soient composés de personnes étrangères aux entreprises où exercent les salariés à qualifier. Il faudra donc bien qu’existe là aussi une sorte de barème pour garantir un minimum d’équité.

D’ailleurs, reconnaissons-lui une certaine lucidité sur la nature bureaucratique de ses propositions puisqu’il écrit : « Il faudra affronter les risques de bureaucratisation des institutions de gestion des carrières ou des investissements, en veillant à la permanente liberté d’interventions de leur personnel. » (2)

Mais la conséquence la plus inquiétante est qu’avec les mécanismes de l’emploi à vie, les entreprises auraient la faculté d’embaucher sans payer les salaires puisqu’elles n’auraient à verser que la cotisation au fonds des salaires assise sur sa valeur ajoutée. Le salaire n’étant plus le régulateur de l’emploi, les entreprises les plus attractives pourraient donc sans risque recruter massivement les salariés les plus qualifiés quand d’autres secteurs moins prestigieux ou plus pénibles pourraient se trouver dans une situation de pénurie de main-d’œuvre. C’est un phénomène qu’on a pu réellement observer dans l’URSS des années 1980. « On constate des désaffections pour certains types d’emplois… désaffection très sensible pour de nombreuses qualifications agricoles et ouvrières… mais aussi pour certains métiers intellectuels… en revanche, d’autres professions sont désormais très courues, certains métiers des services, comme réparateur ou vendeur, secteur santé et professions utilisant les langues étrangères. » (5)

Venons-en enfin à ce qui constitue « l’originalité » essentielle de la vision de Bernard Friot : la valeur économique et son lien ou son absence de lien avec les conditions concrètes de sa production. Les écrits de B. Friot montrent que la production concrète n’est pas sa préoccupation première. Les questions d’efficacité productive, de qualité ou même seulement d’adéquation de la production aux besoins populaires sont à peine abordés. Tout ça sent peut-être un peu trop le cambouis et nous fait descendre du paradis pour un difficile retour sur terre. B. Friot renvoie tout ça avec une pointe de mépris au « travail concret » qui ne l’intéresse pas vraiment. Pourtant, ce lien entre valeur et travail concret est essentiel. Comme s’amuse à le rappeler Marx « Comparons maintenant la production de valeur avec la production de valeur d’usage… Celle-ci consiste dans le mouvement du travail utile… La force de travail doit fonctionner dans des conditions normales. Si, dans le milieu social donné, la machine à filer est l’instrument normal de la filature, il ne faut pas mettre un rouet entre les mains du fileur. De plus le coton doit être de bonne qualité et non de la pacotille se brisant à chaque instant. Sans cela, le travailleur emploierait dans les deux cas plus que le temps nécessaire à la production d’une livre de filé, et cet excédent ne créeraient ni valeur ni argent » (6). En d’autres termes, pas de valeur économique sans une production de valeurs d’usage efficace. C’est ce que B. Friot néglige, et c’est pourtant ce qui a constitué une des causes essentielles de la stagnation brejnévienne de l’URSS.

Car non seulement B. Friot dédaigne complètement cette préoccupation, mais il préconise des mécanismes et des institutions qui reproduisent les travers de l’économie soviétique des années Brejnev. Nous nous en tiendrons à deux exemples : l’introduction des technologies nouvelles et la motivation au travail.

C’est un constat qu’ont pu faire tous les observateurs économiques avisés de l’URSS dans les années 1980, notamment J. Radvanyi : « Alors qu’elle s’est hissée parmi les premiers pays pour les dépôts de brevets et que la qualité de sa recherche théorique est admise dans le monde entier, l’état de son propre potentiel productif laisse beaucoup à désirer. La lenteur de la diffusion de ses propres découvertes, sans parler des technologies acquises à l’extérieur, dans son tissu productif est unanimement critiquée. » (5)

A. Aganbeguian cite un exemple saisissant : « Les Japonais ont été les premiers à acheter à l’URSS la licence de la coulée continue d’acier et actuellement, ils réalisent plus de 90 % de leur acier avec ces installations, alors qu’en URSS, moins du quart des laminés est produit de cette manière. » (3)

Outre l’insuffisance d’investissement dont nous avons déjà parlé, deux causes principales étaient pointées du doigt : « La première, une insuffisance de formation initiale et continue, notamment des cadres. Ce qui avait conduit M. Gorbatchev à développer un système de formation et de recyclage pour les cadres financé par l’État. (3) Cette question, pourtant essentielle, de la formation des salariés pour les mettre en capacité de maîtriser et d’intégrer le progrès technologique, ne préoccupe absolument pas B. Friot. Pire, il voit dans la revendication d’une formation tout au long de la vie un « rideau de fumée ».

La seconde, « la dévalorisation des métiers de chercheurs et d’ingénieurs dans le système éducatif et dans la production : alors qu’en 1940 le rapport entre le salaire des ingénieurs chercheurs et techniciens et celui des ouvriers était de 215/100 il passe à 145 à 100 en 1965 et 111/100 en 1984. L’écart s’est même inversé dans certains secteurs » (5). Est-ce que le rapport de un à quatre dans l’échelle des salaires préconisée par B. Friot sera suffisant pour éviter les déboires de l’économie soviétique ? Est-ce que, comme il le propose, l’attribution arbitraire du premier niveau de qualification à tout jeune quel que soit son niveau d’éducation est de nature à valoriser les professions scientifiques et techniques ? Là encore, c’est une question de « travail concret » qui ne semble pas l’intéresser.

Avec son salaire à vie, B. Friot nous décrit plus qu’une utopie, un paradis. C’est sans doute pour cela qu’il a soulevé un réel engouement. Avant lui, Jésus Christ avait aussi attiré ses disciples en leur promettant le royaume des cieux. Mais, on vient de le voir, le paradis de B. Friot ressemble plus au paradis soviétique qui s’est écroulé sous les coups de boutoir de l’adversaire impérialiste, mais aussi sous le poids de sa propre inefficacité. Les Soviétiques avaient de l’humour et de la lucidité. Pour caractériser cette inefficacité, ils avaient coutume de se moquer d’eux-mêmes par cette plaisanterie qui pourrait être la devise du salaire à vie : « Ils font semblant de nous payer et on fait semblant de travailler. »

------------

Bibliographie

(1) Manuel d’économie politique de l’académie des sciences d’URSS, 1955.

(2) B. Friot, émanciper le travail, La Dispute, 2014

(3) A. Aganbeguian, Perestroika, le double défi soviétique, Economica, 1987.

(4) Cité par J. Radvanyi, L’URSS en révolution, Messidor, 1987.

(5) J. Radvanyi, L’URSS en révolution, Messidor, 1987.

(6) K. Marx, Le Capital, Livre 1, Chap. 7.zzz

 

 

 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.