Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L'évolution de l'apprentissage de l'économie au lycée en question*

L’absence de pluralisme dans l’apprentissage de l’économie à l’université risque de se retrouver aussi au lycée.

 

Dans une tribune parue dans le journal Les échos en 20171, Éric Le Boucher, journaliste et directeur de rédaction des Enjeux-les Échos, affirme que l’absence de culture économique des Français ne leur permet pas de comprendre les réformes portées par Emmanuel Macron.

Pire encore, l’apprentissage de l’économie leur en donne une vision tronquée !

Il affirme : « La vérité est que le lycée n’apprend pas l’économie aux Français, il lui apprend à se méfier de l’économie. Voilà pourquoi les Français ne comprennent rien aux réformes macroniennes et les “politisent” de façon caricaturale. Il faudra que le président de la République s’en préoccupe. »

Quel est donc l’apprentissage actuel de l’économie des jeunes qui les pousse tant à « politiser » les réformes et quelle direction semble prendre la rédaction des futurs programmes d’économie au lycée ?

État des lieux de l’apprentissage de l’économie au lycée aujourd’hui

Avant l’université ou les autres établissements d’enseignement supérieur, l’économie est étudiée pour la première fois au lycée. Les élèves peuvent l’aborder dès la classe de seconde en enseignement exploratoire et poursuivre en première et en terminale avec un bac ES (économique et social).

Ce bac est aujourd’hui choisi par de nombreux lycéens (33 % des bacs généraux en 2017), ses effectifs sont aussi en augmentation.

Les sciences économiques et sociales (SES) existent au lycée depuis 1969 (premier bac « B »).

Une place importante avait été faite à l’interdisciplinarité, les programmes avaient une approche par objet et par questionnement (par exemple concernant la notion d’inégalité : comment peut-on analyser les inégalités ?), l’économie ET la sociologie étaient alors mobilisées afin de traiter un chapitre. Les inégalités pouvaient être par exemple analysées en termes de revenus mais aussi d’inégalités d’accès à des positions de pouvoir.

En 2011, une réforme des programmes de SES a commencé à remettre en question cette logique d’interdisciplinarité. Le principe d’une séparation plus nette entre économie et sociologie a été acté, l’approche interdisciplinaire n’ayant lieu que dans quelques chapitres périphériques (les « regards croisés »), un certain recul de la sociologie a aussi été entériné.

N’en reste pas moins que les SES ont aujourd’hui une place importante au sein du bac économique et social avec un nombre important d’heures de cours ainsi qu’une diversité des thèmes abordés en classe (croissance, commerce international, développement durable, place et rôle de l’État dans l’économie, monnaie, marché etc.) permettant aux lycéens d’être formés aux sciences sociales, préparés aux études supérieures et d’être formés de manière critique à la citoyenneté.

L’apprentissage de demain : en marche vers un catéchisme libéral ?

Depuis 2017, le ministre Jean-Michel Blanquer met en place à marche forcée une réforme du lycée. Sans rentrer dans une description de cette réforme et au-delà des changements d’heures attribués aux SES ; la rédaction de nouveaux programmes devrait officiellement commencer à être discutée dès octobre 2018 (en effet, il est prévu que, dès 2020, le nouveau bac soit mis en place).

L’écriture de ces programmes risque d’être influencée par des lobbys pro-patronat parmi lesquels l’académie des sciences morales et politiques (ASMP) présidée par Michel Pébereau (ex PDG de la BNP Paribas).

Pour l’ASMP, l’enseignement actuel des SES « témoigne d’une ambition encyclopédique démesurée, illusoire, et finalement néfaste ». Les propos lors de l’un de ses colloques organisé le 30 janvier 2017 laissent entrevoir toutes les passions suscitées par l’idée que Marx puisse encore être étudié par des lycéens :

« Doit-on parler de Marx ? Pourquoi ne pas le laisser au programme d’histoire ? Qui parle encore aujourd’hui de classe sociale ? La précarité peut arriver à tous. »2

L’ASMP propose de réduire les programmes à des « concepts fondamentaux », de se recentrer sur la micro-économie3, et de parler davantage du fonctionnement de l’entreprise et des mécanismes de marché.

On apprendrait donc à des élèves à mieux gérer leur budget, à utiliser des modèles simplistes de fonctionnement d’une entreprise et surtout à en avoir une vision positive.

Dans la continuité de l’enseignement supérieur, une place plus importante serait faite à l’usage des mathématiques en économie.

Inquiétant car l’ASMP, malgré son absence de poids au sein des professeurs de SES, a l’oreille du ministre. Pierre-André Chiappori et Georges de Ménil, deux correspondants de l’Académie des sciences morales et politiques feraient partie du groupe d’experts chargé de rédiger les nouveaux programmes. Pour n’en présenter qu’un, Pierre-André Chiappori réprouvait que les manuels de SES présentent les risques sur les marchés financiers, quelques semaines avant que n’éclate la crise des subprimes !

Ne pas idéaliser la situation actuelle

Si le programme de SES actuel aborde de nombreuses notions et débats économiques, il ne faudrait pas non plus croire qu’un pluralisme idéologique y est présent. Si pluralisme il y a, c’est un pluralisme limité ; les débats économiques se résumant souvent à un face à face entre économistes keynésiens et néoclassiques.

Il est ainsi révélateur d’observer que la notion de capitalisme est inexistante dans les programmes actuels. Les analyses de Marx sont uniquement abordées en sociologie (analyse des classes sociales) mais jamais dans leur dimension économique. On peut d’ailleurs faire la même remarque en ce qui concerne l’université. Les libéraux qui prétendent défendre le pluralisme opèrent donc en réalité un contrôle très poussé de l’apprentissage de l’économie.

Une part très importante du programme de première et terminale est actuellement consacrée aux mécanismes de marché et laisse peu de place (et surtout de temps !) à l’étude de visions alternatives.

Conclusion

L’absence de pluralisme dans l’apprentissage de l’économie à l’université (rappelons que le programme de licence correspond au programme de pensée des économistes néoclassiques) risque donc d’arriver dans l’enseignement secondaire.

Cela est révélateur du fait que la bourgeoisie mène aussi la lutte sur le terrain des idées, il faut que les lycéens aient pour unique grille de lecture du monde le marché.

Il faut aussi rapprocher ces évolutions des attaques très violentes des économistes ayant une approche historique et politique (on peut notamment penser au débat ayant fait suite à la parution de l’ouvrage de Pierre Cahuc et André Zylberberg4 visant à disqualifier tous les économistes n’ayant pas leur méthode de travail en déniant la qualité scientifique même du travail des économistes hétérodoxes).

Il faudra donc être vigilant, se mobiliser pour un apprentissage de plusieurs grilles de lecture en économie au lycée. Ce sont bien les économistes marxistes et postkeynésiens qui avaient alerté de l’imminence d’une crise en 2008 quand les néoclassiques vantaient les mérites des marchés autorégulateurs, leur absence de culture économique se paie encore aujourd’hui.

Une seule certitude, c’est la mobilisation et la lutte qui paieront. L’APSES (association des professeurs de sciences économiques et sociales, de très loin majoritaire chez les professeurs de SES) avait appelé à un rassemblement le 11 avril 2018 devant le ministère de l’éducation nationale, initiative réussie mobilisant des centaines de professeurs de SES de toute la France, espérons que les mobilisations à venir. zzz

 

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* Pour plus d’informations concernant l’évolution de l’enseignement de l’économie au lycée, consulter la première partie de l’ouvrage de Marjorie Galy, Erwan Le Nader et Pascal Combemale, Les Sciences économiques et sociales, La découverte, 2015, pages 22 à 52.

** Professeur de sciences économiques et sociales.

1. « Macron face à l’inculture économique des Français », Les Échos, 2 novembre 2017.

2« SES vs Académie : Premier round », article du site café pédagogique, 31 janvier 2017.

3. « Même si elle est utile, la macro-économie est encore trop présente aujourd’hui dans l’enseignement, alors que beaucoup de problèmes macro-économiques contemporains sont trop compliqués pour des lycéens. D’ailleurs, ils ne font pas l’objet d’un consensus », interview 2017 de Pierre-André Chiappori.

4. Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le Négationnisme économique, Flammarion, 2016.

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