Au fur et à mesure que s’approche la date de mise en route de ce prélèvement, les masques tombent même si le gouvernement se garde bien de livrer les évolutions réelles que va entrainer ce nouveau mode de prélèvement de l’impôt des personnes. En vérité deux raisons essentielles sont à l’origine de ce projet lancé par F Hollande et repris in-extenso par E Macron dont on connaît par ailleurs la faible empathie pour les réformes progressistes.
Depuis la création de la CSG par Michel Rocard en 1991, l’objectif politique principal à atteindre est de transformer en profondeur la structure des prélèvements sociaux et fiscaux dans notre pays. Il s’agissait de trouver un financement à minima de la protection sociale, notamment de la branche santé, et autrement que par les cotisations sociales, c’est-à-dire par l’impôt afin de faire baisser les prélèvements sur les entreprises, plus exactement sur la valeur ajoutée qui s’y crée. Au sens de Maastricht cela participerait en plus à réduire la dépense publique. C’est pourquoi depuis sa création, il est question de fusionner cette CSG avec l’impôt sur le revenu et le bon moyen politico-technique pour parvenir à cette fusion est le prélèvement à la source qui offre en outre bien d’autres avantages.
En poussant vers la fusion entre un impôt progressif (L’IR) et un impôt proportionnel (la CSG), le prélèvement à la source transformerait des millions de citoyens non imposables car disposant jusque-là de trop faibles revenus, en contribuables de ce nouvel impôt fusionné. Autant de personnes qui deviendraient ainsi captives et soumises aux aléas des hausses de taux de CSG notamment, voir les retraités lors de la loi de finances 2018, et/ou des variations de tranches.
Plus profondément, c’est l’architecture de l’impôt sur le revenu et les fondements de la politique familiale qui pourraient être très fortement transformés. L’objectif est d’en finir avec la notion de foyer fiscal et avec elle mettre fin à l’existence du quotient familial et du quotient conjugal. C’est ce que porte de manière sous-jacente la fameuse déclaration individuelle. Dans la préparation de la loi de finances 2019 il semblerait que figure en bonne place la remise en cause du quotient familial. Est-ce un hasard ?
D’ores et déjà on peut constater que derrière le taux neutre, la possibilité offerte à chaque membre du foyer fiscal de choisir son type d’imposition ouvre la voie à une remise en cause de la notion de foyer fiscal et donc avec lui des quotients conjugal et familial. Cela fait de nombreuses années qu’à divers prétextes, y compris de l’égalité femme/homme et de l’équité fiscale, les notions de quotient conjugal et de quotient familial sont attaquées. S’il est nécessaire de réfléchir aux moyens de préserver notamment en matière fiscale, l’égalité femme/homme et d’agir pour mieux mettre à contribution les hauts revenus, il est un fait avéré que la suppression du quotient conjugal entraînerait une augmentation globale de l’impôt sur le revenu payé par un couple et celle du quotient familial rendrait perdants plus de 9 millions de foyers fiscaux. (Rapport des services de Bercy de 2013). Et naturellement cela ne pèserait pas sur les plus aisés, qui eux, ont organisé la gestion de leurs biens de sorte qu’ils payent le moins possible d’impôts.
Pour autant, là ne s’arrêtent pas les évolutions que peut induire l’installation du prélèvement à la source. Même si aujourd’hui seul l’impôt sur les revenus salariaux entre dans l’épure de ce système, d’autres comme les impôts locaux, mais aussi comme le financement de la protection sociale, pourraient suivre.
À terme rapproché, il s’agit en effet de soumettre à ce type de prélèvement non seulement la fiscalité directe des personnes mais aussi une partie du financement de la protection sociale (branche santé) confirmant la fiscalisation des recettes de la protection sociale et demain, d’y inclure une part de la fiscalité locale. En effet, la suppression de la taxe d’habitation laisserait place à un financement par une sorte de pot-pourri d’impôts d’État (CSG, TVA et taxes écologiques) qui entrerait dans le champ du prélèvement à la source du fait de la fusion qui existerait entre l’impôt sur le revenu et la CSG.
Le prélèvement à la source par la fusion IR/CSG qu’il sous-tend est un moyen de franchir un nouveau pas vers la fiscalisation des recettes de la protection sociale, notamment de la branche santé et donc d’accélérer le désengagement du patronat de ce financement. Dans un premier temps, ce sont 25 Mds d’euros, montant des allégements de cotisations sociales patronales, que le gouvernement souhaiterait « barémiser » et de la sorte graver dans la loi de financement de la protection sociale, préparant ainsi le terrain à un passage de cotisations sociales prélevées sur les entreprises à une contribution fiscale des personnes.
Tout revient à changer la structure des prélèvements fiscaux et sociaux pour continuer à en désengager au maximum les entreprises. C’est ce que renvoie la fiscalisation de la protection sociale par la fusion IR/CSG et c’est ce que prépare une future réforme de la CET (contribution économique territoriale des entreprises : ex TP). En discussion dans le cadre de la préparation de la loi de Finances 2019, la réforme de la fiscalité locale concernerait également les entreprises qui pourraient à nouveau enregistrer une évolution de leurs prélèvements locaux. Le prétexte sera tout trouvé. Une fois la taxe d’habitation supprimée, les personnes physiques ne supporteront plus qu’un seul prélèvement direct local : la taxe foncière. Pourquoi alors les entreprises continueraient-elles à supporter deux prélèvements directs locaux ? La taxe foncière et la CFE une des composantes de la CET avec la CVAE ; une CFE qui, en plus, est très voisine de la taxe foncière ? Sans faire un trop gros effort d’extrapolation, il est aisé d’imaginer l’argumentation qui pourra être développée sur la logique commune qui existe entre la CFE acquittée par les personnes morales et la TH payée par les personnes physiques. Tout cela est actuellement dans les tuyaux.
En matière de simplification, de sécurité et de régularité du recouvrement des rentrées fiscales, l’administration dispose avec la déclaration pré-remplie et la mensualisation d’outils efficaces. Sur 17,5 millions de contribuables imposés à l’IR, 73 % sont mensualisés, nombreux sont également ceux qui ont opté pour la mensualisation de leurs impôts locaux. Mais cette mensualisation résulte d’un choix du contribuable sur lequel il peut revenir quand il le souhaite.
Par contre pourra-t-on en dire autant des versements effectués par les entreprises transformées pour l‘occasion en collectrices de l’impôt. On peut déjà apprécier le sérieux de ces dernières dans les versements de la TVA dont elles sont également collectrices. La fraude à la TVA n’a en effet pas disparu même si le contrôle fiscal mis en œuvre par les services de la Direction Générale des Finances Publiques a largement participé à stopper ces pratiques. Mais vu que le contrôle fiscal est voué à disparaître… En tout cas, lors de procédures de liquidation judiciaire, les entreprises ou leurs mandataires ne s’acquittent quasiment jamais de la TVA due. On peut imaginer qu’il n’en sera pas différemment en ce qui concerne l’impôt sur le revenu.
Un fait est manifeste, la collecte du prélèvement à la source par les entreprises représente un nouveau moyen de mettre à leur disposition de l’argent public. En effet, entre le prélèvement sur le salaire et le versement au Trésor public un délai va s’écouler qui pourrait aller, selon la taille des entreprises, d’une semaine à quinze jours, voire jusqu’à plusieurs mois (3mois pour les TPE). Un moyen comme un autre d’offrir de la trésorerie gratis aux entreprises, par exemple aux PMI et PME très régulièrement rendues exsangues par leurs donneurs d’ordres que sont souvent les multinationales, et pour l’État de se substituer à nouveau au rôle des banques dont la première responsabilité est de soutenir et de développer l’activité économique du pays, en proposant du crédit à très bas coût. Au total cela représente quand même entre 40 et 50 milliards de liquidités qui peuvent ainsi être mises gratuitement et plus ou moins longuement à la disposition des entreprises… Une manière comme une autre de répondre au vœu du Medef de voir les entreprises rétribuées pour gérer le prélèvement à la source !
On mesure ainsi mieux combien l’argument de la régularité des rentrées fiscales est peu fondé et comment les modalités proposées par le prélèvement à la source n’offriront aucun avantage nouveau aux citoyens-contribuable. Pire que cela, cette opération en poursuivant l’objectif de réduction permanente de la dépense publique contribuera à aggraver la situation des citoyens dans l’ensemble du pays.
Cela n’est un secret pour personne. Le gouvernement qui veut encore supprimer 20 000 agents au Ministère des Finances après que 36 000 aient disparu en 15 ans, compte bien utiliser le prélèvement à la source pour réduire la voilure dans les services d’encaissement de l’impôt. Après 1 200 suppressions d’emplois en 2017, 1 648 en 2018, combien sont à attendre en 2019 avec l’entrée en vigueur du prélèvement à la source ? Les trésoreries locales disparaissent à vue d’œil, les emplois fondent comme neige au soleil. Mais une chose est sûre, s’il n’y a plus d’agents pour encaisser l’impôt, cela voudra dire plus de renseignements directs sur toutes ces questions. Cela voudra dire que pour les autres impôts il va falloir se débrouiller pour payer par voie électronique. C’est d’ailleurs pour cela que les paiements par chèque sont de moins en moins recommandés et que ceux en liquide sont quasiment prohibés ! Cela au prétexte d’éviter la triche ! De qui se moque-t-on lorsqu’il s’agit de personnes qui sont interdits bancaires par exemple ou qui ne peuvent disposer d’une carte de crédit ou encore qui ne peuvent avoir à disposition un ordinateur pour effectuer leurs versements ?
Enfin contrairement à ce qui est dit, les actes de gestion de l’impôt sur le revenu ne seront pas allégés par le prélèvement à la source. Ils vont se complexifier. D’une part parce que les contribuables rempliront toujours une déclaration et qu’il faudra vérifier les montants déclarés et les montants payés. D’autre part parce que vont perdurer divers types de paiement de l’impôt ainsi que diverses niches de réduction de l’impôt et d’autre part, parce qu’il faudra répondre trimestriellement aux demandes de régularisation des contribuables, ce qui rappelle utilement que le prélèvement à la source n’est qu’un acompte sur l’impôt dû. Un acompte qui en 2019, risque d’être difficile à digérer pour bon nombre de contribuables qui ne pourront espérer la prise en compte et la régularisation de leurs déduction fiscale qu’au dernier trimestre 2019. Pendant 9 mois certains auront ainsi payer le double d’impôt qu’ils n’auraient dû. Elle n’est pas belle la vie sous le parapluie du prélèvement à la source !
Frappé du sceau de la modernité le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, s’il participe de l’allégeance « macronienne » à la direction de l’UE ou ce dispositif est majoritairement usitée, n’est en France pas vraiment nouveau. Déjà en 1991 alors que la CSG naissait, cette perspective était évoquée. Mais plus concrètement, un mécanisme de prélèvement à la source avait été mis en place en 1940 sous le nom de « stoppage à la source ». Cette expérience devait finalement prendre fin en 1948 (voir le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires de 2012). Outre le triste souvenir que cette période nous rappelle, n’étant pas forcément synonyme de progrès et d’expansion, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec l’acharnement que mettent aujourd’hui les forces du capital financier à plonger l’ensemble de la société dans une crise terrible de civilisation aux issues aussi incertaines que dangereuses.
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