Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Élections européennes : pour une campagne offensive portée par l’alternative à l’ordo-libéralisme de Bruxelles comme à sa consécration nationaliste

L’élection européenne de 2019 revêt un enjeu crucial. Pour le Parti communiste français (PCF) il ne faut pas se cacher qu’il peut être existentiel. Reculer devant les populismes serait mortel. Le PCF ne s’en sortira qu’en faisant la clarté, en affichant sa différence. Il n’y va pas que de lui mais de l’avenir du mouvement progressiste français. Cela passe par une campagne des élections européennes, capable d’entraîner une mobilisation inédite. Avec des partenaires dont les énergies et les ressorts sont aujourd’hui sous-utilisés, passés à l’arrière-plan dans un débat médiatique friand de raccourcis démagogiques ou (et) politiciens.

Les communistes doivent jouer de leurs propositions originales pour alimenter une dynamique d’ensemble, ouverte, fondée sur une alternative européenne de progrès et de coopération. Ce choix vise une vraie refondation de l’UE et s’oppose résolument à une dislocation, forcément synonyme de régressions. Ce qui suppose de porter très haut les valeurs et les atouts du PCF. En plaçant sur le même plan ses combats, antilibéral et antinationaliste.

Il ne s’agit pas seulement d’exprimer des positions de principe et des valeurs fondamentales que les communistes ont su porter durant leur histoire. La fusion de ces engagements (de l’antilibéral avec l’antinationaliste) est cruciale au stade actuel de l’évolution de la mondialisation capitaliste pour faire grandir les alternatives révolutionnaires qui arrivent à maturité.

L’acuité de l’affrontement de classe croise la montée des périls liés à une tentative d’adaptation national-libérale qui menace l’Europe de dislocation. Quand la soumission aux logiques de puissance et de concurrence gagne toujours plus de terrain contre celles du partage et de la solidarité, quand la célébration du génie individuel entrepreneurial va de pair avec celle du repli identitaire, quand l’unilatéralisme revendiqué de la première puissance mondiale sape le multilatéralisme de l’ONU et s’efforce de torpiller toute idée de coopération échappant au marchandage d’un deal du fort au faible.

Une banalisation des nationalismes est en marche

La fuite en avant dans l’édification d’un système ordo-libéral dominé par Berlin reste l’option majoritairement privilégiée par les classes dominantes du continent. Mais elle est confrontée à un rejet populaire croissant, instrumentalisé par les démagogues de l’extrême droite. Il n’est qu’à considérer les progressions que les partis de cette obédience ont enregistrées partout en 2017 dans des scrutins majeurs : en seconde position aux législatives des Pays-Bas, au deuxième tour de la présidentielle française, capable d’entrer en force au Bundestag allemand, de bouleverser le paysage politique transalpin et même de se tailler un poids considérable avec des ministères régaliens clés au sein d’une majorité droite/extrême droite à Vienne.

Une préoccupante banalisation de ces forces nationalistes est en marche. Elle s’illustre par le silence ou même la complaisance dont elles bénéficient dans les medias ou de la part des formations politiques dominantes. Le phénomène est au moins aussi révélateur d’une usure politique et éthique des partis « traditionnels » que de leurs convergences croissantes avec ces forces nationalistes sur le respect de l’orthodoxie libérale. Les classes capitalistes, placées sur la défensive, lorgnent de plus en plus sérieusement sur l’option national-libérale, la tenant encore en réserve mais n’en excluant plus l’usage.

Il est ainsi de plus en plus difficile de faire passer pour une simple parenthèse l’arrivée d’un président nationaliste à la Maison-Blanche. Et d’ignorer combien Wall Street et une bonne partie des milieux dirigeants US sont en train de passer au stade d’une expérimentation franche du national-libéralisme avec Donald Trump, en dépit des multiples travers du personnage. Tout comme le font, sur le vieux continent, les classes dirigeantes polonaises, hongroises, tchèques ou slovaques.

Ce serait donc un terrible contresens, la pire des erreurs de diagnostic que de considérer l’hostilité à « l’establishment » formulée par les populistes de la mouvance nationaliste comme un premier pas antisystème. Quand, totalement soumis aux logiques capitalistes, ils ne cherchent qu’à en renforcer une mythique efficience nationale, y compris en s’appuyant sur des méthodes très autoritaires qui vise à saper toujours plus dangereusement la démocratie, la justice ou (et) les acquis sociaux.

De la même façon les succès de ces forces ne traduisent en rien une mise en cause du modèle capitaliste qui régit l’Union Européenne. Ils sont tout l’inverse : un aboutissement, une consécration de sa loi du plus fort1. Les formats monétaristes et libéraux, la concurrence débridée sur le marché mondial ou européen sont au cœur des stratégies de Trump et de ses semblables européens.

Les périls de la fuite en avant « macronienne »

Le modèle ordo-libéral ne saurait se faire passer pour un « moindre mal », lui qui constitue une machine à fabriquer du nationalisme. Et l’alternative à l’euro-libéralisme que prétendent incarner les nationalistes, ne résiste pas à l’examen de leurs programmes ultralibéraux. Le culte invoqué du bon vieil état-nation est une pure légende. Elle se nourrit toujours d’un passé glorifié en ignorant les évolutions globales et celles de la société moderne. Ce qui permet d’évacuer les immenses besoins de changements qui se font jour. Comme un usage élargi des technologies numériques ou un développement inédit des services publics pour qu’ils bénéficient réellement au plus grand nombre. Ce qui suppose de stimuler les solidarités et la coopération dont une UE refondée pourrait être le vecteur.

La xénophobie est la constante essentielle des forces nationalistes, leur mobile clé. Et leur besoin de surenchérir sur ce thème ne va cesser de grandir. Tant il s’agira pour elles d’amplifier les vindictes, les rejets et les haines identitaires, de trouver les boucs émissaires (l’étranger, le réfugié, le musulman etc.), pour créer un écran de fumée sur leurs soumissions aux ressorts libéraux les plus convenus ; comme pour masquer leur alignement sur une logique monétariste qui requiert une discipline de fer et des « sacrifices sociaux ».

Une Europe de la coopération et de nations associées est indispensable à l’heure où Donald Trump fourbit ses armes dans la guerre économique (big bang fiscal US engagé fin décembre 2017, offensive douanière contre la Chine début 2018). Le président étasunien avance sur une stratégie qui place ouvertement le multilatéralisme comme la dislocation de l’Union Européenne dans son collimateur, afin de renforcer la domination ébranlée de l’empire US et de ses multinationales.

L’UE et la France ne résisteront pas à cette offensive en pratiquant une fuite en avant « macronienne » dans les réformes de structure ordo-libérales2. S’arrimer sur ces choix-là, c’est se condamner, à terme, à dévaler une pente autoritaire et fédéraliste qui déboule aussi surement, au plan hexagonal, sur une plongée vers la régression nationaliste qu’au plan mondial, sur un renforcement de la domination des forces du capital et de l’impérialisme étasunien.

Le préoccupant choix stratégique de Jean-Luc Mélenchon

Se montrer à la hauteur de des responsabilités dans ce lourd contexte, c’est se montrer capable d’orchestrer la mobilisation de tous les progressistes de l’UE. Leur campagne des européennes prendra une dimension cruciale, voire vitale, pour l’avenir du continent et de chacun des pays membres. Elle ne saurait souffrir la moindre complaisance à l’égard de la mouvance nationaliste. Sous peine de sombrer dans l’inconsistance et de renforcer la crédibilité du courant national-libéral.

À ce titre, en France, la stratégie d’un Jean-Luc Mélenchon est plus que préoccupante. Désireux d’évidence de « draguer » une partie de l’électorat protestataire influencé par la droite et l’extrême droite nationales, il puise dans l’argumentaire d’un François Asselineau, partisan du frexit, pour déplorer que la France ait un solde négatif auprès de l’UE qui la conduit à verser quelques 8 milliards pour financer « les ponts roumains ou les autoroutes baltes. » 3 Et de renvoyer de façon explicite et assumée, au fameux « I want my money back » de Margareth Thatcher dont la position de repli, fondée sur le dogme monétariste qui interdit formellement tout versement solidaire dès lors que l’on s’éloigne, chez soi, de l’équilibre budgétaire.

Outre-Rhin l’Alternative pour l’Allemagne (AFD), le tout jeune parti d’extrême droite qui vient d’entrer au Bundestag, s’est construit sur une logique monétariste analogue. À son lancement en 2013 il a prospéré sur le refus de toute « Union de transfert » exigeant un germanexit : c’est-à-dire le retour à un Deutsche Mark plus fort que l’euro actuel. Les nationalistes allemands y voient le moyen de renforcer la domination des groupes germaniques sur le grand marché européen en leur fournissant, grâce à la monnaie nationale restituée (ou à un « euro du nord ») une force de frappe capitalistique décuplée. Et ils veulent empêcher le moindre versement solidaire, disqualifié comme une « prime au laxisme », vers la Grèce et les zones les moins développées du continent.

La démarche de Jean-Luc Mélenchon qui s’empare ouvertement de certains des thèmes revendiqués par les nationalistes, n’est pas seulement dommageable dans sa dimension politicienne. Elle donne, sur le fond, du crédit à des nationalistes, prêts à rajouter un dumping monétaire (sortie de l’euro) aux dumpings social, fiscal et environnemental déjà en cours.

Pour que les partisans de « base » de la France Insoumise, les progressistes français ne se retrouvent pas piégés par cette manœuvre à très haut risque de l’ex ministre de François Mitterrand, le besoin d’une clarification politique émerge. Celle-ci passe forcément par l’affirmation aux prochaines européennes d’un PCF et d’une force de gauche aussi résolument antilibérale qu’antinationaliste. Selon une cohérence maximum puisque, on l’a vu, ces deux combats sont si voisins qu’ils peuvent être « fusionnés ».

C’est dire combien il est crucial pour le PCF d’aborder le scrutin de 2019 avec la plus grande autonomie à l’égard de Jean-Luc Mélenchon. Ses atouts et ses propositions, souvent sous-utilisés dans la période récente, doivent être d’autant plus largement déployés qu’ils constituent aussi ses meilleurs arguments pour rassembler.

Le PCF ne gagnera pas seulement sur sa détermination à ne rien lâcher à gauche sur le rejet du nationalisme. Mais en faisant une démonstration de ce que les peuples français et du vieux continent auraient à gagner de la mise en œuvre d’une solidarité européenne concrète. Il est plus urgent que jamais de faire vivre des propositions et des exigences de transformation de l’UE.

Parmi ces propositions, citons en quelques-unes parmi les plus saillantes à travailler et à développer avec d’autres :

L’appel à transformer le «quantitativ easing» de la Banque centrale européenne (BCE). Pour financer avec les crédits gratuits que la BCE déverse aujourd’hui sur les marchés financiers (30 milliards d’euros par mois début 2018 après 60 milliards en 2017) les investissements indispensables dans les services publics, la recherche, la lutte contre le réchauffement climatique. Et en soutenant tout particulièrement les pays aujourd’hui les plus exsangues de la zone euro comme la Grèce. La création d’un fonds ad hoc de développement social et environnemental européen comme relais pourrait permettre de réagir immédiatement et donc de répondre à l’urgence sans avoir à attendre un hypothétique changement de statut de la BCE.

Un appel lancé en France sur ce thème pourrait être largement relayé dans nombre d’autres pays, membre de la zone euro (comme l’Allemagne) ou de l’UE (Italie, Espagne, Portugal, Irlande).

Une pétition contre le dumping social et fiscal pourrait constituer également un outil d’action majeure au sein de toute l’UE. En lien avec des propositions communes pour harmoniser vers le haut les droits sociaux et l’instauration d’un véritable SMIC européen. On peut trouver là encore d’immenses convergences (et pourquoi pas des grands meetings communs) avec les forces de gauche antilibérales et antinationalistes d’Europe. Et non des moindres sans doute avec le labour du britannique Jeremy Corbyn. Comme l’illustra la forte présence de ses représentants au forum européen de Marseille en novembre 2017.

Il faudrait également approfondir un travail commun avec les associations de défense des droits des migrants. Et pourquoi ne pas proposer à l’une de ses figures françaises de « candidater » en position éligible sur la liste présentée par le PCF.

Le combat contre les démontages des codes du travail peut constituer également un socle de rassemblement des gauches antilibérales et antinationalistes. Si l’on prend bien soin de s’appuyer sur des perspectives alternatives fortes (comme le souhaitent, par exemple, de plus en plus ouvertement nombre de syndicalistes allemands qui ont fait la douloureuse expérience « Hartz » et ne veulent plus s’en laisser compter par le SPD au plan politique, singulièrement quand il s’englue dans une nouvelle grande coalition avec la CDU d’Angela Merkel.

On peut passer à l’offensive et changer radicalement de logique en branchant les réformes non plus sur les intérêts du « happy few » capitaliste mais sur celui de l’immense majorité des citoyens. Il s’agit de répondre aux besoins, partout aussi objectifs que lancinants, de sécurisation des parcours professionnels et de promotion des formations tout au long de la vie. Il s’agit, en même temps, d’aller au devant des aspirations diffuses des mêmes citoyens à une nouvelle qualité de démocratie au sein de laquelle ils puissent eux, qui sont à la fois le plus grand nombre et les premiers concernés, piloter souverainement leur avenir économique comme celui de leur entreprise et en finir avec une soumission d’un autre âge.

 

 

 

1. Europe, état d’urgence, La régression nationaliste consécration de l’ordo-libéralisme, Bruno Odent, Le temps des cerises, 2016.

2. « Le national-libéralisme et l’Europe », Bruno Odent, La Pensée, décembre 2017.

3. Interview de Jean-Luc Mélenchon au quotidien Les Échos du 11.12.2017

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