Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Une exigence dans la France de notre temps : mener la bataille des idées

Il n’est plus possible d’y échapper, les cheminots en ont fait la démonstration en pratique.

Pour ouvrir à la concurrence le réseau public ferré, le gouvernement a lancé une campagne idéologique et médiatique en cherchant à enfermer le débat public sur le terrain du statut des agents et du manque de rentabilité des lignes régionales. Les syndicalistes, CGT en tête avec son projet Ensemble pour le fer, ont répondu par une campagne d’idées expliquant la perte d’efficacité de la SNCF par le manque d’investissements sur l’ensemble du réseau, en particulier régional, et par les difficultés financières de l’entreprise publique liées à sa dette et à son coût usuraire. Appelant à développer le service public du rail tout en refusant le statut quo et le simple maintien des acquis, ils ont fait la démonstration que le développement de l’entreprise publique était hypothéqué avant tout par les 2,7 milliards d’euros annuels de prélèvements financiers sur le résultat de l’activité qui empêche tout investissements nouveaux d’envergure sur le réseau. Et ils ont gagné la première manche de la bataille. Dans les têtes des français, le statut des cheminots ne justifie plus la réforme.

Et si le débat parlementaire laisse croire le contraire, le gouvernement a été obligé de changer de terrain idéologique pour ré-attaquer le service public du rail. Il s’appuie désormais sur une revendication de l’intersyndicale pour poursuivre son offensive, en annonçant une reprise partielle de la dette de la SNCF dans le budget de l’État à hauteur de 35 milliards d’euros sur les 54 milliards de dette totale. C’est une nouvelle victoire dans la lutte, même si ce geste de conciliation apparente est pervers. La Cour des comptes a rappelé que cette part de la dette est déjà inscrite au chapitre de la dette de l’État au sens de Maastricht et la mesure ne s’attaque pas à son coût. Cette « reprise de dette » ne changera donc rien à la situation financière de l’entreprise publique. D’ailleurs Matignon l’a clairement affirmé, ce « geste » de l’État devra s’accompagner d’un effort de productivité supplémentaire des agents. En bref, agents et usagers continueront de subir la pression financière exercée sur la SNCF par le coût de sa dette.

La lutte est donc loin d’être gagnée, mais elle est tout aussi loin d’être perdue. La seconde phase du conflit nécessitera de hausser le niveau de la bataille idéologique en faisant œuvre de pédagogie sur les leviers concrets d’un financement du service public ferroviaire à coût nul pour l’entreprise, comme pourrait le faire la Caisse des dépôts et consignations sur la base de son refinancement à taux zéro par la Banque centrale européenne. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la CGT en soutenant la pétition « Dette de la SNCF : l’argent de la BCE pour le service public, pas pour la finance ! » lancée il y a quelques semaines à l’initiative de plusieurs économistes et intellectuels, notamment du PCF, et qui rassemble déjà plus de 5 000 signataires.

Cette bataille d’idées est donc plus que jamais essentielle dans le combat contre la politique de E. Macron, afin d’ouvrir des voies nouvelles de progrès. C’est elle qui peut construire la convergence des luttes et ouvrir une perspective politique à ces luttes.

Pourtant elle manque dans la bataille générale pour des services publics adaptés aux besoins et aux défis du xxie siècle. Elle manque pour l’hôpital et les EHPAD, alors que la question du service public de santé est la même que celle de la SNCF : mobiliser l’argent des banques pour financer le développement de l’emploi et de la sécurité sociale, et financer les investissements hospitaliers. Elle manque pour unifier la bataille des personnels de santé avec celle des cheminots, et de toutes les luttes dans les services publics. Alors qu’elles ont les mêmes sources : une politique d’austérité qui cherche à répondre à la crise d’efficacité du capital en réorientant la dépense publique et sociale vers les profits financiers ; et qu’elles impliquent les mêmes moyens : la mobilisation de la création monétaire pour l’emploi et le développement des capacités humaines, et la mobilisation de pouvoirs nouveaux pour le faire. Et elle manque aussi pour unifier les luttes dans les services publics avec les luttes dans le privé, alors qu’elles ont la même racine : l’utilisation de la richesse produite dans l’entreprise pour la rémunération du capital ou pour financer le développement des capacités humaines.

Or personne ne peut sérieusement penser aujourd’hui, eu égard à l’état du rapport des forces politiques dans le pays, qu’un rassemblement contestataire de la politique menée par le Président des riches suffira à forger une alternative crédible à cette politique. Qu’il puisse constituer un socle pour faire grandir la colère populaire sans doute, mais pas une alternative politique. La multiplication des espaces de rassemblements, quels qu’en soient le niveau, est une impasse si n’est pas traité dans le même temps l’enjeu des contenus de ces rassemblements.

Et cela, E. Macron et consorts le savent bien. Malgré l’arrivée imminente d’une crise financière de très grande ampleur qui l’oblige à aller vite dans les réformes parce qu’elle pointe les contradictions des politiques menées, le désastre à gauche après la dernière séquence électorale qui a traduit en acte l’échec des réponses sociale-démocrates à la crise économique et sociale systémique autant que l’incapacité des forces progressistes de transformation sociale, dont le PCF, à se servir des outils et de la cohérence d’analyse du marxisme vivant pour bâtir les rassemblements politiques, lui laisse un espace de liberté peu commun pour poursuivre le travail de refondation sociale exigé par le Medef et la finance internationale. Après la refonte du code du travail et du cadre institutionnel des politiques publiques, il s’attaque à la refondation de l’entreprise.

Élément essentiel de cette stratégie, la loi PACTE combine une double ambition. D’abord, répondre à la critique grandissante d’une conception de l’entreprise tournée vers les seuls intérêts des actionnaires en promouvant l’idée d’une entreprise comme communauté d’intérêts de ses acteurs afin d’éteindre la lutte des classes dans l’entreprise. Ensuite, porter le plus loin possible l’ambition patronale d’une intégration volontaire des salariés aux logiques de profit de l’entreprise, mais sans leur donner de pouvoirs nouveaux sur la gestion de l’entreprise. Au final, il s’agit de donner un statut politique particulier nouveau à l’entreprise qui en fasse un pivot de la République libérale.

Certes, l’idée n’est pas nouvelle. Mais la volonté d’institutionnaliser ce principe l’est et marque ainsi une volonté de bascule culturelle du pays qui paradoxalement prend appui sur une réalité vécue par les salariés au travers de gestions qui poussent au maximum la flexi-précarité de l’emploi et l’aliénation au travail. Or il ne peut y avoir de réponse progressiste sérieuse à cette visée hégémonique de l’entreprise sur la société sans bataille idéologique sur la logique de fonctionnement de l’entreprise, et tout particulièrement sur les critères de gestion qui lui sont appliqués aujourd’hui par le capital faisant du taux de profit le régulateur de son activité. La loi PACTE oblige a réinscrire dans le débat public l’enjeu d’autres critères de gestion de l’entreprise.

Au fond, la stratégie macronienne de dépassement de « l’ancien monde » exige du mouvement social et progressiste qu’il relève un double défi pour la combattre. Celui de l’unification des luttes sociales sur des objectifs sociaux communs et celui d’une redéfinition du cadre culturel de cette unification, dont la reconstruction de la gauche et la définition de la base théorique de cette reconstruction. Une tâche qui dépasse largement n’importe quel appel à un nouveau « tous ensemble » sans véritables contenus dominé par des ambitions hégémoniques à gauche.

Pour aider les luttes sociales et sociétales, il semble donc essentiel de réhabiliter la bataille des idées et les enjeux de classes au cœur de la reconstruction de la gauche, afin de permettre l’appropriation populaire des leviers tangibles et radicaux par lesquels peut s’opérer concrètement et réellement la transformation sociale, comme par exemple les pouvoirs nouveaux à conquérir et les moyens financiers à maîtriser. C’est vital à la dynamisation des luttes et à leur convergence. Mais c’est aussi la condition d’un rassemblement majoritaire qui permettra de gagner la bataille de la SNCF, celle des services publics et de l’emploi, mais aussi les batailles électorales à venir… C’est-à-dire qui ouvrira des perspectives de transformation sociale effective. 

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