Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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EADS : La loi de la finance ou le choix de la promotion des salariés

le 13 novembre 2006

Avril 2005, l'industrie aéronautique et spatiale fait la Une de tous les médias. Nous sommes en pleine campagne sur le référendum portant sur la constitution européenne. Les photos du 1er vol du gros porteur A 380 s'étalent en couverture de tous les journaux. Les chefs d'Etats entourent le berceau du dernier né de la gamme Airbus qui est présenté par les partisans du OUI comme le fruit de la construction européenne et montré comme l'exemple à suivre dans tous les domaines.

Un an plus tard, plus rien ne semble fonctionner !

Des dirigeants de premier plan d'EADS sont au centre de l'affaire Clairstream, Arnaud Lagardère et le groupe Allemand Daimler annonce la vente d'une partie de leurs actions, le Conseil d'administration du groupe européen réuni à Amsterdam annonce la fermeture de la Sogerma filiale spécialisée dans la maintenance. Plus de 1000 emplois directs et 5 000 emplois induits sont concernés. Des retards de livraison de l'A 380 s'ajoutent aux retards déjà annoncés. Le projet initial de l'avion A 350 est déclaré mort né faute d'insuffisance de recherche et développement notamment sur les matériaux composites. Noël Forgeard empêtré dans une sale affaire de vente d'actions est débarqué. Louis Gallois, qui vient de passer plus de 10 ans à la SNCF, est nommé Co-Président.

Octobre 2006 : Le Conseil d'Administration du groupe européen annonce un vaste plan d'économies et de restructurations. Comment en est-on arrivé là ?

Certes les carnets de commandes d'Airbus sur l'A320 et ses dérivés ainsi que sur l'A340 sont copieusement garnis. De même s'agissant du groupe EADS qui possède Airbus industrie : elles s'élèvent pour l'année 2005 à 92,251 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires de 34,206 milliards d'euros. Alors que des profits considérables ont été dégagés par la filiale Airbus, que son savoir faire est performant et que des perspectives commerciales semblent ouvertes pourquoi une telle crise, comment une telle machine a-elle pu s'enrayer au point de compromettre son développement et son avenir même ?

Quelles sont les causes de cette situation ?

En premier lieu elles sont à rechercher dans la fuite en avant vers la privatisation et l'entrée dans le capital de Fonds ayant pour seule exigence la rentabilité financière.

Aujourd'hui le capital « flottant » représente plus de 40%.

Il est important de rappeler que les succès technologiques et commerciaux ont été possibles en grande partie grâce à la recherche et aux investissements faits par le groupe nationalisé français Aérospatiale dans les années 80 et 90 et au GIE (1) Airbus. Cette structure de coopération mise en place 20 ans auparavant, avait su concevoir et engager l'essentiel des projets de la famille Airbus, y compris celui de l'A380 qui était déjà dans les cartons du groupe français.

C'est donc une volonté politique déterminée et un groupe nationalisé visant d'autres buts que 1a rentabilité financière qui sont à l'origine de ses succès.

Mais le choix de l'ouverture du capital de l'entreprise nationale Aérospatiale en 1999, décidé par le gouvernement de L. Jospin, puis la fusion avec Matra, puis celle avec le groupe allemand DASA ont engagé l'industrie aéronautique et spatiale dans une autre logique. Cette décision prétendait être une réponse aux défis nouveaux d'efficacité, de financement, de coopération et de partage des coûts, que le seul maintien des structures et procédures anciennes ne permettait plus affronter.

L'impasse du tout financier

En réalité cela a fait prédominer plus encore la rentabilité financière et la satisfaction des actionnaires et des banques du groupe, contre l'emploi, la recherche et développement et de véritables coopérations de co-développement. Tout cela en aggravant les pressions sur l'emploi et les conditions de travail des salariés, ponctionnant et étranglant les sous traitants et les collectivités territoriales chargés de supporter les risques à la place des actionnaires.

C'est cette politique qui mène dans l'impasse. Alors que les actionnaires Lagardère et Daimler ont largement profité de la rente de l'A320, produit arrivé, désormais, à maturité, ils refusent maintenant de s'engager dans les efforts de promotion des capacités humaines de l'entreprise que nécessite le lancement d'une nouvelle génération d'avions comme l' A380. Noël Forgeard résumait à merveille cette politique entièrement vouée à la rentabilité financière : « Je me réjouis d'avoir économiser 1 milliard sur les investissements pour satisfaire les actionnaires ».

Mais cette politique a rationné gravement les dépenses de développement des capacités humaines, notamment l'emploi et la formation, tout en développant très insuffisamment les organisations du travail et les outils de partage de l'information, des coûts et des charges de travail au sein de l'entité pluri nationale. D'où un aiguisement des rivalités de puissances, notamment entre intérêts français et intérêts allemands au lieu d'une véritable coopération.

De même ces choix avaient un corollaire : l'absence totale de transparence et de démocratie dans l'entreprise, l'autisme des directions incapables d'entendre les multiples alertes des ouvriers, des techniciens et des cadres sur la situation ; 4 ans plus tard la sanction est là ! Retards successifs - dus en premier lieu à l'économie faite sur l'emploi, la qualification et les études - sur les premières livraisons de l'A380 avec des pénalités massives à la clé. On estime que le manque à gagner total s'élèvera à 6, 3 milliards d'euros d'ici 2010 (2).

Cela a conduit les agences de notation financière internationales à déclasser la signature d'EADS. La contrepartie en est une augmentation du coût de la dette et de l'accès aux marchés financiers.

Ces difficultés interviennent dans des conditions de guerre économique avec l'américain Boeing qui s'est restructuré et dispose de l'arme du dollar. Le billet vert sert en effet de monnaie de facturation mondiale dans l'aéronautique. La chute actuelle de ses cours par rapport à l'euro, produit conjugué d'une politique américaine agressive et du dogme monétariste de la BCE, impacte le chiffre d'affaire d'Airbus dont les salaires sont payés en euros. Cette situation concerne, au-delà, les sous-traitants de 1er et 2ème rangs d'Airbus-industrie puisque les transactions se font entre eux aussi en dollars.

A ces difficultés, s'ajoutent des besoins de financement trés importants pour le nouvel avion A 350 dont le projet doit être complètement remis en chantier faute de moyens mis dans la recherche pour atteindre ses objectifs en terme d'innovations technologiques (3) lui permettant une percée commerciale satisfaisante.

Face à cette situation, on voit bien que les solutions se contentant une fois de plus de traiter l'emploi comme une variable d'ajustement ne feront qu'envenimer les problèmes au lieu de les traiter au fond.

Une grande conférence européenne sur l'industrie de l'aéronautique et de l'espace

Mais n'est-il pas légitime, dans ces conditions, d'exiger un moratoire pour faire rechercher d'autres solutions que les suppressions d'emplois sur l'ensemble des projets de restructuration prévues chez Airbus industrie ?

De même ne serait-il pas nécessaire d'organiser une grande conférence européenne sur l'industrie de l'aéronautique et de l'espace avec l'enjeu de coopérations intimes nouvelles favorisant une restructuration dans un but de sécurisation de l'emploi, de la formation et de la recherche dans cette filière ?

Mais c'est aussi, sur les gâchis financiers de capital, qu'il faudra se pencher pour réaliser les économies nécessaires (sur les dividendes versés par Airbus à EADS, sur les stockoptions dont le scandale Forgeard a révélé l'ampleur, sur les prélèvements bancaires (intérêts, commissions,… sur lesquels il faut faire toute la clarté).

Il faudra aussi examiner les économies à réaliser sur les moyens matériels afin de les rendre plus efficaces et cela tout autrement qu'en supprimant des emplois, en fermant des sites ou en externalisant des productions ou des services. Mais, au contraire, il faut les rendre plus efficaces en formant, en qualifiant les salariés, en recherchant toutes les coopérations, les partages, permettant d'en abaisser les coûts relativement à la valeur ajoutée qu'ils contribuent à produire. Cela appelle d'autres critères de gestion que ceux de la rentabilité financière des capitaux , des critères d'efficacité sociale visant à maximiser la valeur ajoutée disponible pour les salariés et les populations. Cela pose aussi la question de la réorientation de la Banque centrale européenne afin de faciliter le financement de grands programmes européens d'investissements par crédit à très bas taux d'intérêt conditionné à des engagements chiffrés d'emplois et de formations.

Exiger une totale transparence et des droits décisionnels des salariés

Dans l'immédiat un rapprochement entre les salariés de tous les sites d'Airbus en France et en Europe, et au-delà, d'EADS apparaît indispensable pour exiger une totale transparence sur la structure des coûts, le partage des charges de travail, les financements et leur utilisation avec un réel pouvoir de contre-propositions pour les salariés et leurs organisations et institutions représentatives.

Ce qui suppose que l'on écoute et prenne en compte les propositions et les suggestions des salariés, que des pouvoirs d'intervention leur soient accordés sur les décisions depuis l'atelier et le bureau jusqu'aux questions stratégiques de l'entreprise. Il s'agit ainsi de desserrer l'étau de la rentabilité financière sur tous les choix qui ont mené aux résultats actuels.

Il faut donc à partir des comités d'entreprise, du comité central d'entreprise, du comité de groupe existant et dans des structures nouvelles à inventer, chercher à aller au-delà des droits d'information et de consultation ou de droit de retrait qui ne sont dans les faits, que des droits défensifs pour passer à de véritables droits décisionnels sur tout ce qui fait la vie de l'entreprise, des gens au travail.

De la stratégie industrielle à l'organisation du travail en passant par l'emploi et les financements. De leur expérience, de leur histoire, des collectifs de travail existants et à partir des objectifs affichés, les salariés sont le mieux à même de déterminer le nombre et la nature des emplois (recherche, études, production, maintenance, etc.), des investissements, ainsi que l'organisation du travail indispensable pour mener à bien un projet industriel.

Avec des coopérations et des alliances nouvelles

L'enjeu n'est pas seulement français et européen, il est mondial. On ne saurait s'enfermer dans la seule rivalité de puissance avec les États-Unis et entre l'euro et le dollar. La nécessité de coopérations et d'alliances très nouvelles avec la Russie, désormais partie prenante, la Chine, les pays émergents se pose avec force pour sortir de ce face-à-face et faire reculer durablement l'hégémonie des États-Unis en cherchant à répondre aux besoins de développement de toute la planète. -

Pascal Borelly

(1) : Groupement d'intérêt économique (2) : Air et Cosmos n°2046 (06/10/2006) (3) : En effet, cet avion de nouvelle génération était au départ prévu pour être 100% carbone. Faute de dépenses de recherche il ne le sera qu'à 50%. Ce qui met sa consommation de carburant 20% au dessus de son concurrent américain 7E7.

Source : ECONOMIE ET POLITIQUE 624-625 JUILLET-AOUT 2006