Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les trois leçons à tirer de la mesure d’audience syndicale

Un cycle électoral mesurant la représentativité syndicale vient de s’achever. Les chiffres donnent la CGT en tête de l’audience tous secteurs confondus, mais désormais en seconde position dans le privé, au profit de la CFDT devenue première. Certains y voient un affaiblissement du syndicalisme de classe et une adhésion des salariés du privé au réformisme syndical. C’est aller un peu vite en besogne...

Le cycle électoral de 4 années destiné à mesurer la représentativité des organisations syndicales dans les entreprises de plus de 10 salariés s’est achevé au 31 décembre 2016. Les chiffres officiels ont été annoncés le 31 mars 2017 : la CGT conserve sa place de première organisation en termes d’audience (secteurs privé et public réunis) mais perd sa place de numéro un dans le privé. En passant de 1 355 927 voix (26,77 %) en 2013 à 1 302 778 voix (24,85 %) au 31 décembre 2016, la CGT perd donc un peu plus de 53 000 voix (presque 2 %). Avec un gain de 65 000 voix, par rapport à 2013, la CFDT avec 1 382 646 fin 2016 (26,37 %) arrive en tête. « Un séisme » dans le monde syndical, titraient de nombreux journaux, voyant dans ce résultat une adhésion des salariés au syndicalisme d’accompagnement prôné par la CFDT. Oubliant de noter que lors d’une élection dans les entreprises, un salarié ne peut voter que pour un syndicat présent dans l’entreprise et non choisir parmi les sigles syndicaux. Comme c’est le cas dans les élections TPE (entreprise de moins de 10 salariés). Or, la CFDT s’est adressée à un électorat supérieur de près de 500 000 électeurs potentiels à celui des listes présentées par la CGT. Car la CFDT s’implante beaucoup plus facilement dans le secteur privé, bénéficiant d’une plus grande… bienveillance patronale.

Les élections dans les TPE, quelques mois après la mobilisation contre la loi Travail, mettent à mal l’argument d’un vote sanction contre le syndicalisme contestataire. Si la CGT est en recul, elle continue de devancer de 10 points la CFDT, cantonnée à 15 %. Et lorsque la CGT est présente à une élection elle enregistre le plus souvent de meilleurs résultats que ses homologues syndicaux.

L’autre explication à ces résultats est l’évolution de la composition sociologique du salariat et sa réorganisation. « Les reculs de la CGT résultent non seulement d’une baisse du poids relatif des ouvriers dans la population active (de 40 à 20 % de la population en emploi en un demi-siècle), conséquence de la désindustrialisation, mais aussi de leur invisibilisation liée à leur relégation croissante vers la sous-traitance et les petites entreprises, où la présence syndicale est beaucoup plus faible et l’emploi plus précaire (ceci expliquant cela) note Karel Yon, chercheur CNRS spécialisé sur le syndicalisme. La CFDT a par exemple des résultats meilleurs que la CGT chez les cadres. Dans beaucoup d’endroits la CGT réalise ses bons scores chez les ouvriers et les employés même si sa présence est non négligeable chez les ingénieurs et cadres dans les entreprises à statut chez EDF ou à la SNCF. Mais historiquement les sections CGT dans l’industrie se sont construites en s’implantant chez les ouvriers et les employés et aujourd’hui la démographie des entreprises évolue, il y a de plus en plus de cadres. Par exemple chez Renault, qui a été un bastion cégétiste, la première organisation aujourd’hui est la CFE-CGC alors que cette dernière n’est même pas présente dans le collège ouvrier où la CGT, elle, fait plus de 40 % ! Les grosses boîtes deviennent des boîtes d’ingénieurs… Or, malgré l’action de l’UGICT (la branche cégétiste chez les ingénieurs, cadres et techniciens), beaucoup de sections rechignent encore à s’adresser aux cadres ; la CFDT a toujours bénéficié d’une présence plus homogène dans les diverses couches du salariat, ce qui s’illustre par ses bien meilleurs scores électoraux chez les cadres..

Ainsi, en novembre 2016, chez EDF SA, maison mère d’EDF où quelque 69 000 salariés étaient appelés à voter, la CGT a perdu trois points avec 34,76 % des voix contre 37,5 % lors des dernières élections en 2013. Elle est restée toutefois en tête, avec neuf points d’avance sur la CFE-CGC qui, alliée à l’UNSA, a conforté sa deuxième place, décrochée en 2013, avec une progression de deux points (25,41 % contre 23,26 %).

Au niveau national, il faut noter que les syndicats qui progressent le plus, en voix et en pourcentage, sont la CGC (+1,24 %) et l’UNSA (+1,09). Or, ces deux syndicats ne sont pas toujours… alignés aux positions de la CFDT. C’est ainsi que l’UNSA, par exemple, était extrêmement partagée sur la loi Travail. Et que la CGC, parfois classée dans le pôle « réformiste », est plutôt en évolution très critique, mais pas non plus sur les mêmes bases que la CGT ou FO.

De plus, « la CGT a aussi plus de mal à s’adapter à la “PME-isation” de l’économie, qui oblige les organisations syndicales à faire un important travail de terrain pour animer des équipes dans des entreprises de petite taille », analyse de son côté Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne, spécialiste du syndicalisme.

Reste que le dispositif de mesure d’audience de la représentativité syndicale, institué par la loi de 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale » repose essentiellement sur les résultats des élections aux institutions de représentation du personnel (IRP). Or ces élections ne se font pas sans une influence directe des chefs d’entreprise sur le scrutin. « Chez Monoprix (15 000 salariés), raconte le syndicaliste CGT Karl Ghaz, une note interne de la direction, datée de 2013, recommandait de “cranter” la CGT, alors majoritaire avec 52 % des voix. Aux élections de 2016, la CFDT est passée devant. En multipliant les listes dans des magasins où elle n’était pas présente auparavant, elle a progressé mécaniquement, alors que la CGT restait largement en tête là où elle présentait des listes, mais en nombre plus restreint. » Les enjeux se formuleraient sans doute autrement si les salariés étaient appelés à voter, par exemple, à l’échelle de toute une branche. 

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