Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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« NOUS SOMMES ENTRÉS DANS UNE PHASE TOTALITAIRE DU CAPITALISME »

Entretien avec Monique Pinçon-Charlot, réalisé par Selim Derkaoui et Nicolas Framont pour le site "Frustration"

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S : A vous entendre, on a le sentiment que tout a changé à une vitesse énorme.

M.P-C. : Exactement. Vous êtes jeunes tous les deux, donc vous ne vous êtes pas rendus compte de ce qui s’est passé entre 1983 et 2007, mais cela a été un tsunami, une révolution conservatrice incroyable, une révolution totale, totalitaire même.

     Évidemment, avec Emmanuel Macron, et sous François Hollande tout de suite après Sarkozy, cela a continué. Il n’y a pas eu de rupture, sauf que le grand bond en arrière s’est accentué avec Macron. On baigne, non seulement dans une aliénation idéologique, mais on est passé à quelque chose de beaucoup plus grave encore : une aliénation de la conscience sociale avec une aliénation neurologique et psychologique qui fait perdre la conscience d’appartenir à une classe sociale exploitée.

     C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les tenants du néo-libéralisme utilisent les outils de la psychanalyse et des neurosciences pour trafiquer nos cerveaux !

     Le livre "Propaganda ou Comment manipuler l’opinion en démocratie", d’un neveu de Freud, Edward Bernays, est pour cela très intéressant (édité chez Zones en 2017). On voit comment la mobilisation des puissants s’est mise en place pour instrumentaliser et détourner les outils de la psychanalyse au profit d’une propagande cruelle mais insidieuse, car arrimée sur des concepts comme celui du « principe de plaisir », qui détourné sera au service de la destruction du citoyen et de sa reconstruction en consommateur selon le principe qu’un consommateur ne se rebelle pas tant qu’on l’excite à consommer toujours davantage.

     Nous sommes entrés dans une phase totalitaire du capitalisme. Tous les secteurs de l’activité humaine, mais aussi animale et végétale, sont « marchandisés ».

     Tout le vivant est aux mains de ces oligarques qui portent l’entière responsabilité du dérèglement climatique qui risque de faire disparaître la moitié la plus pauvre de l’humanité, mais qui, pour qu’un tel crime contre l’humanité ne soit pas perçu comme tel, doit s’arrimer à une démocratie pseudo-représentative et à un processus de déshumanisation et d’esclavagisme en transformant les travailleurs en coûts et en charges intégrés comme tels dans les normes comptables des entreprises.

     La déshumanisation rend plus acceptable la mort humaine.

 

S : Mais comment, concrètement, a-t-on pu passer du président des riches au président des ultra-riches ?

M.P-C. : D’abord, c’est l’ampleur des cadeaux fiscaux qui ont été faits aux plus riches par Macron, tout de suite après son arrivée à l’Élysée. Le bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy [qui plafonnait à 50 % le niveau d’imposition du contribuable, et profitait de fait aux plus riches], c’était un milliard d’euros, et déjà on hurlait. Aujourd’hui, on compte cela en dizaines de milliards d’euros. C’est un pognon de dingue, c’est quelque chose d’incroyable !

     Je donnerai deux exemples : la suppression de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), qui est un cadeau fort parce qu’en plus de l’avantage financier, il y a une force symbolique et idéologique indéniable qui disparait !

     La suppression de l’ISF représente 4,6 milliards d’euros de manque à gagner chaque année dans les caisses de l’Etat, c’est à dire plus que le budget annuel du CNRS, qui est de 3,3 milliards d’euros.

     Mais là où Macron a été malin, c’est qu’il n’a pas supprimé tout cet impôt, il a conservé la partie immobilière avec la création de l’IFI (impôt sur la fortune immobilière). Donc, de l’ISF, il a extrait seulement les valeurs mobilières, c’est-à-dire les actions, les obligations, les produits dérivés, tous ces produits financiers qui représentent plus de 90 % des patrimoines des 100 plus riches de l’ISF ! C’était donc bien un cadeau aux ultra-riches. Les pauvres millionnaires qui possèdent 3 ou 4 appartements dans Paris, eux vont payer le nouvel IFI.

S : En plus de l’ISF, il y a la Flat Tax ?

M.P-C. : En effet, dont on a très peu parlé, mais qui est essentielle : Macron crée pour la première fois dans l’histoire, au moins de celle de la Vème République, et sûrement depuis le début de la lutte de classe entre le capital et le travail, un impôt forfaitaire pour le capital.

     Tous les capitalistes, que ce soit Bernard Arnault, ou vous si vous avez quelques actions mises de côté, vous payez désormais à la même hauteur : 12,8 %, tous pareils ! Or, 12,8 %, c’est moins que la première tranche d’imposition de fait des salaires, soit 14 %. Est-ce que vous vous rendez compte de la révolution néo-libérale que cela représente pour les capitalistes ?

     Les estimations du manque à gagner pour les recettes fiscales sont variables, l’économiste Gabriel Zucman pense qu’il n’est pas impossible qu’il soit de l’ordre de 10 milliards d’euros. De nombreux dirigeants payés en salaires mirobolants ont désormais bien intérêt à être payés en dividendes, puisque ceux-ci sont désormais imposés de manière forfaitaire à 12,8 %, alors que l’imposition des salaires commence à 14 % mais finit à 45 % !

     Mais le plus fort du plus fort dans cette histoire, c’est qu’ils ont menti. Aujourd’hui, on est face à un État néo-libéral au service exclusif des plus riches qui ont fait du mensonge leur seul mode de communication avec le peuple. Comment avons nous compris que cet impôt forfaitaire sur le capital, appelé Flat Tax n’était que de 12,8 % alors que tous les chiens de garde des médias des milliardaires parlaient de 30 % ? Moi, au début, je ne comprenais rien, j’avais bien vu que c’était 12,8 %, mais lorsque je passais à la télévision, on me disait : non, c’est 30 %, qu’est-ce que vous racontez ?

     Alors nous nous sommes fait aider par un économiste de gauche, Liem Hoang Ngoc qui nous a expliqué que quand il s’agit des revenus du capital, les capitalistes et leurs valets intègrent le prélèvement social, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie et le prélèvement de solidarité (la CRDS et la CSG) soit 17,2 %, ce qui fait bien 30 % avec les 12,8 % de Flat Tax. Si je les enlève, je retrouve bien mes 12,8 %. Par contre, dès qu’il s’agit des impôts des travailleurs, on ne compte pas la CSG ni la CRDS, ce qui permet d’affirmer que la première tranche d’imposition est à 14 %, alors qu’en les intégrant cela fait 24 % ! Un tel niveau de prélèvement ferait hurler dans les chaumières ! Le mensonge est omniprésent sur toutes les chaines de télévisions. C’est honteux de nommer un impôt forfaitaire sur le capital qui fait disparaître la progressivité de l’imposition des plus riches mais en maquillant cette régression sociale sous l’anglicisme de Flat Tax.

     Nous avons également utilisé l’expression « ultra-riches », de manière impertinente pour renvoyer l’ascenseur à ceux qui traitent la moindre contestation du système capitaliste « d’ultra-gauche, d’ultra-anarchisme… ».

     Avec Macron, on est passé à un niveau supplémentaire dans la violence de classe, dans les mots, dans le mépris, dans la violence avec la mutilation des corps notamment envers les gilets jaunes qui ont subi des violences policières insensées par un État désormais aux services des grandes fortunes.

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« NOUS SOMMES ENTRÉS DANS UNE PHASE TOTALITAIRE DU CAPITALISME »

le 08 janvier 2020

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