Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’Amérique latine face à la contre-offensive néolibérale

Au sortir des années 1980, il n’est pas passé inaperçu pour de nombreux progressistes que l’Amérique latine, sous le joug d’un néolibéralisme effréné, a fait un virage vers une nouvelle époque. C’est sans nul doute l’élection d’Hugo Chávez au Venezuela en 1998 qui a marqué le pas à de nombreuses mobilisations populaires et politiques mettant à mal les droites latino-américaines amenant la gauche au pouvoir dans les principaux pays de ce continent.

A ce moment-là, l’on assistera à d’importantes avancées sociales, politiques et économiques, sur des bases de souveraineté, d’autonomie et de dignité. Dans la période, c’est la hausse des matières premières qui sera le socle permettant le développement d’une richesse qui dégagera des marges pour un réinvestissement dans le « buen vivir » (bien-vivre) des peuples latino. En parallèle, la mise en œuvre de politiques redonnant la parole aux plus modestes, des perspectives aux plus pauvres, des droits aux travailleurs, de la dignité aux paysans, tout comme s’attaquant au pouvoir des banques, des médias et des vieux partis, a réveillé une contre-offensive sans précédent des tenants du capitalisme, adoubés par un pouvoir états-unien voyant ses terres de prédilection lui échapper.

S’appuyant sur un contexte économique international défavorable né de la crise financière de 2008 et de la récession qui s’ensuit, un effet d’aubaine va s’ouvrir pour une stratégie réactionnaire d’ensemble sur le continent latino-américain, articulée autour d’arguments portés dans la bataille idéologique et médiatique, comme quoi le modèle économico-social de la gauche n’était pas tenable et aurait échoué, tout comme les pouvoirs progressistes seraient corrompus et démontreraient ainsi leur absence de moralité. C’est de là que naîtront les contre-offensives néolibérales sur le continent dès le début du XXIe siècle : coup d’État (raté) contre Chávez en 2002, tentatives de déstabilisation contre la Bolivie (2008), le Honduras (2009), l’Équateur (2010) et le Paraguay (2012) avec le coup d’État institutionnel contre Fernando Lugo. S’ensuivra un véritable retournement du cycle économique en cours ouvrant la porte à un tournant conservateur bénéficiant d’un soutien international, avec à l’appui d’importants financements étrangers et une ingérence sans limite contre les souverainetés populaires.

Depuis  2014, cette contre-offensive n’a plus de limites et c’est sans états d’âme que s’organisera dans la période l’étouffement économique du Venezuela, le coup d’État parlementaire au Brésil, la judiciarisation de la politique, avec les menaces contre les anciens présidents Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) et Cristina Fernández de Kirchner (Argentine), tout comme contre le vice-président Jorge Glas en Équateur ; ou encore, la falsification des résultats électoraux au Honduras, les diverses sanctions ou blocus de la part des pays occidentaux comme l’Europe et les États-Unis, où des institutions comme le FMI. Contre-offensive qui amenuise le nombre de gouvernements progressistes sur ce continent, engendrant un danger de déstabilisation de toute la région et menaçant les coopérations et souverainetés construites ces dernières années.

Avec ce contrecoup, l’on assiste là à une contradiction, au moment même où la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes des Nations unies démontre que près de 94 millions de personnes sont sorties de la pauvreté pour rejoindre la classe moyenne au cours de la dernière décennie, grâce aux politiques des gouvernements de gauche. La gauche latino-américaine est confrontée à un défi de taille et à faire son autocritique tout en gardant confiance en ses capacités et celles des forces populaires. Face aux attaques incessantes des forces réactionnaires, des élites et des médias, qui n’hésitent pas à utiliser la moindre de leurs erreurs pour semer le doute, son principal enjeu est peut-être aujourd’hui de prendre à bras-le-corps les contradictions et erreurs qui ont sillonnées les différents processus politiques et surtout en ne renonçant pas.

De nouvelles batailles s’annoncent avec les différents processus électoraux qui vont cadencer l’année 2018 sur le continent, où la question du rassemblement populaire majoritaire, qu’il soit social et politique, démocratique, environnemental et pour la paix sera sans nul doute la clé de voûte pour repartir à la conquête de l’émancipation humaine.

Laurent Péréa
membre du Conseil national du PCF
responsable-adjoint des Relations internationales
article paru dans Communistes du 7 février 2018