Cet ouvrage souligne avec justesse l’ampleur des dégâts économiques et sociaux provoqués car cette fraude c’est autant d’argent qui ne va pas non seulement aux budgets publics mais aussi aux salaires, à l’emploi. Il décrit un fléau qui, malgré les intentions déclarées par les plus hauts responsables politiques de la planète, prolifère sans cesse : les paradis fiscaux. Une gangrène que les auteurs décryptent à partir de scandales récents et de témoignages de lanceurs d’alertes d’élus nationaux ou européens, de magistrats ou autres acteurs de la société civile.
Les mécanismes de fraude ou encore d’évasion fiscale, les deux ont les mêmes pratiques et les mêmes fins - il s’agit simplement d’une adaptation de langage pour rendre ces opérations plus présentables au commun des mortels - sont parfaitement démontrés. Est également souligné la très grande implication des cabinets de conseil dans ces processus, leur activité favorite, l’optimisation fiscale, étant une troisième dénomination pour désigner les mêmes comportements. Sauf que la pratique de ces cabinets à laquelle il faut ajouter celle des banques au rôle considérable, s’appuie sur des législations permissives construites sous la pression des lobbies financiers, phénomènes à mon sens insuffisamment soulignés.
La question centrale qui traverse tout cet ouvrage et qui, je le répète, mériterait d’être plus largement mise en exergue, est comment lutter contre un fléau qui a partie lié à la fois avec la domination des marchés financiers sur les États, les institutions européennes et mondiales et l’acceptation, l’accompagnement, voire l’encouragement par ces derniers de tels agissements. Comment casser et inverser une logique dangereuse qui met en cause les équilibres mondiaux, en niant les peuples, en les opposant les uns aux autres au risque de faire courir les pires périls aux populations et à l’environnement ?
Sur le fond je pense en effet qu’on ne peut expliquer l’existence de telles pratiques fiscales et de tels havres financiers autrement que par le fait que lorsqu’on laisse la loi de l’argent s’appliquer, celle-ci est impitoyable. Elle n’a en effet d’autre but que d’utiliser pour l’accumulation l’argent qui échappe aux prélèvements fiscaux et sociaux, c’est-à-dire aux investissements utiles au développement humain et qui avec les nouvelles technologies très économes en moyens et de la globalisation financière, représente des sommes colossales.
C’est pourquoi cet argent nomade a besoin de trouver quelques nids douillets où d’une part il ne sera pas soumis à des prélèvements fiscaux autres que symboliques et où de l’autre, il pourra continuer à se reproduire en utilisant sans frein le panel de possibilités que constituent les pratiques spéculatives. Et pour cela au moins deux complicités sont nécessaires : celle des États et de diverses institutions européennes et mondiales (Commission, BC, ONU, OMC, FMI…) et celle des banques proposant une multitude de produits et mettant à dispositions diverses filiales expatriées. C’est exactement le rôle des paradis fiscaux qui sont un dispositif essentiel de ces pratiques d’évitement largement entretenues par les banques. Les paradis fiscaux ne sont pas comme une certaine vision romancée voudrait nous les présenter, des entités lointaines, floues et anonymes mais souvent des pays, des lieux très identifiables (City de Londres, Suisse, Luxembourg, Irlande, USA, Belgique et diverses îles… Une énumération que l’ouvrage aurait gagné à compléter de la France qui ainsi, tout près de nous, est devenue aux yeux de nombreux analystes fiscaux et économiques un véritable nouveau paradis pour les entreprises depuis l’entrée en vigueur du CICE, la transformation du CIR et du régime des plus-values.
Comment s’y prendre donc pour contrer cette dérive et changer les critères d’utilisation d’un argent qui coule à flot mais dont une très grosse partie ne sert plus à financer les activités humaines utiles et productives de la valeur ajoutée?
Les rédacteurs de « Sans Domicile Fisc » avancent plusieurs pistes comme celle d’une COP fiscale mondiale dont le but serait de parvenir à une harmonisation et à une justice fiscales mondiales. Cette proposition phare est accompagnée de plusieurs autres pistes comme la transparence et la transmission des informations fiscales et bancaires entre pays, une remise en cause du rescrit, la précision des lieux d’imposition, la suppression des trusts, une régulation des prix de transfert. Un dispositif d’ensemble qu’un récent avis du CESE(2) propose d’approfondir, restant par ailleurs prudent s’agissant du sort du « verrou de Bercy ». Cette pratique dite le « verrou de Bercy » suppose que seul le Ministère des Finances peut donner le feu vert aux poursuites pénales suite à fraude fiscale avérée. S’il est juste de remettre en cause cette sorte de fait du prince en proposant que ce pouvoir revienne à la représentation parlementaire nationale, il s’agit en effet de ne pas brocarder l’ensemble du droit fiscal français sur lequel sont construites nos méthodes de contrôle. Celui-ci représente malgré d’énormes défauts, une garantie d’indépendance des personnels et permet une pratique du contrôle qui bien que décriée est loin d’être la moins efficace en Europe (rapport Strainchamps1)) même si aujourd’hui la législation, les pratiques, les moyens et la formation des personnels méritent une profonde actualisation afin de combattre les nouveaux procédés et outils de fraude.
La recherche d’une harmonisation de la fiscalité au plan européen est un autre axe largement avancé. Les auteurs semblent vouloir mettre en avant deux impôts, l’ISF et de l’IS, sur lesquels travaille d’ailleurs la commission européenne depuis plusieurs années avec notamment pour l’impôt sur les sociétés, un projet de création d’une assiette commune et consolidée. Si les voies ouvertes méritent un réel intérêt, il semblerait pour le moins qu’elles doivent être approfondies, complétées et passées au crible d’une critique constructive.
Je relèverai en effet que cet ouvrage ne fait aucune place à des propositions précises en matière de fiscalité des entreprises au plan national et local pas plus d’ailleurs qu’à propos de l’ISF ou de la fiscalité du capital. Si un besoin sérieux d’harmonisation ou plus exactement de convergence des politiques fiscales existe notamment en Europe, il s’agit de la construire en cohérence avec des politiques fiscales nationales offensives et d’éviter le piège du fédéralisme fiscal. Le choix fédéraliste est celui des technocrates bruxellois. Il pourrait être lourd de conséquences pour les politiques budgétaires et publiques nationales et le devenir de la souveraineté des peuples européens.
Enfin je me permettrai également de faire remarquer que si le montant de la fraude et/ou de l’évasion fiscales est énorme et si sa récupération représente un considérable levier pour sortir les budgets publics du déficit et du joug de l’austérité, il convient d’observer que cela ne peut pas pour autant régler la question de la dette publique. En tout cas la régler ne signifie pas sa disparition. La dette c’est en effet le crédit des États qui en ont besoin pour couvrir le décalage entre leurs recettes et leurs dépenses et soutenir leurs investissements qui dans une période marquée par de considérables défis: services publics, environnement, industrialisation, énergie, transports, exigent la mobilisation de sommes considérables. Sauf à considérer que les recettes fiscales permettraient de couvrir toutes ces dépenses, le recours au crédit et aux banques est nécessaire selon des critères précis d’efficacité sociale et sous le contrôle des salariés. Ce qui, dans l’actuelle de crise de système permettrait de mobiliser les banques et leur politique du crédit pour le développement des potentiels humains et la protection de l’environnement aux fins de les désintoxiquer, c’est-à-dire de les soustraire aux tentations spéculatives et ainsi de stopper la propagation des paradis fiscaux. Un enjeu que n’ignorent sans doute pas des représentants de la nation qui ont entre autre, la responsabilité du développement économique et social du pays.
(1) Rapport Strainchamps : rapport rendu en novembre 2001 au Directeur Général des Impôts de l’époque M. Villeroy de Galhau aujourd’hui, gouverneur de la Banque de France. Ce rapport qui comparait les pratiques de contrôle dans divers pays développés dont la France, l’Allemagne, le Japon, les États-Unis, le Royaume-Uni, etc, n’a connu qu’une publicité restreinte au motif de ne pas divulguer les pratiques des autres pays….
(2) CESE : comité économique, social et environnemental, avis rendu le 16 décembre 2016 sur les mécanismes d’évasion et d’évitement de l’impôt.
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