Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Donald Trump a dévoilé ses batteries pour la conquête d’un nouvel ordre dominé par Washington

La méthode qu’entend employer Donald Trump pour rendre sa «grandeur à l’Amérique», s’annonce brutale et lourde de périls. Elle affiche ouvertement l’ambition de chambouler l’ordre politique et économique internationale pour conforter ou rétablir la suprématie des États-Unis et de leurs firmes. 

La valse des annonces ultras et autres décrets présidentiels tonitruants depuis l’accession du nouveau Président au pouvoir et la ligne nationaliste déroulée devant le congrès le 28 février lors de son premier discours sur l’état de l‘Union - avec toute la conformité qui sied à l’exercice et donc l’évidente recherche induite de banalisation – sont l’illustration d’une même approche stratégique particulièrement redoutable. On y retrouve une détermination à changer d’époque et à bouleverser le monde. Des risques majeurs se profilent ainsi tant sur les équilibres intérieurs et la démocratie aux États-Unis même que sur le reste de la planète. Nombre de citoyens l’ont bien compris outre atlantique. Des résistances multiples au nouveau Président émergent. Elles sont d’autant mieux venues que Trump semble réussir, de son côté, à souder ses partisans  au sein d’une société qui apparaît très divisée.

Cette entrée en fanfare intervient dans un environnement économique plutôt incertain, voire médiocre. La croissance US a ralenti au 4ème trimestre 2016 à 1,9% en rythme annuel. Et le déficit commercial s’est creusé à nouveau dans des proportions record pour dépasser les 45 milliards de dollars (41 milliards d’euros). Pour Trump, la source essentielle de ces mauvais résultats est à chercher dans « le caractère déloyal» du comportement des concurrents des États-Unis qui profiteraient des structures d’un système international dont ils  seraient finalement le «dindon.» Le rétablissement de la grandeur de l’économie états-unienne ne saurait donc attendre. Et Trump veut agir vite. Tant il est redevable de retours rapides  sur ses promesses populistes aux électeurs des classes moyennes précarisés et désorientées qui le soutiennent. L’offensive passe par un brutal et agressif changement de pied au plan intérieur comme sur la scène internationale. Les secousses s’annoncent  rudes  d’autant plus rudes que la mise en œuvre au pas de charge de la ligne national-libérale n’ira pas sans faire surgir elle-même d’énormes contradictions.  

Les oligarques de Wall Street à la fête

Wall Street est le grand timonier de la stratégie économique de Donald Trump. On sait que les oligarques de la finance sont traditionnellement très intégrés aux décisions des exécutifs états-uniens. Mais dans le nouveau cabinet, leur place prend une dimension jamais vue. L’un des premiers décrets présidentiels vise à torpiller les timides tentatives de régulation de l’administration Obama au lendemain du krach financier de 2007/2008. Il ordonne un démantèlement des lois Dodd Frank et de la règle dite Volcker. Sont visés les contraintes des banques en matière de fonds propres et surtout les contrôles, les recours potentiels d’un bureau de protection des consommateurs. Il avait été créé pour tirer enseignement des formidables manipulations dont ont été victimes ces centaines de milliers de souscripteurs de crédits dits subprimes qui se sont recrutés le plus souvent dans les milieux populaires  et dont beaucoup ont fini ruiné, et souvent expulsés de leurs logis.

Gary Cohn, ex-numéro deux de la banque Goldman Sachs et conseiller économique en chef de Trump, justifie : « il s’agit d’être un joueur sur le marché mondial, où nous devons, pouvons et serons en position dominante dès que nous cesserons de nous encombrer avec la régulation.» Modification du cadre pour mieux dominer les marchés mondiaux, la réflexion possède le mérite de synthétiser ce qui fait le fond du national-libéralisme promu par l’équipe Trump. Gonflé d’aise le Dow Jones célèbre le «trumpisme» en battant record sur record. Il a dépassé les 21.000 points, un niveau jamais atteint dans son histoire, le 28 février au moment où Trump confirmait ses choix stratégiques au Capitole. On mesurera combien cette hypertrophie financière inégalée peut ainsi prendre une dimension plus menaçante encore qu’au milieu des années 2000.

Les autres choix du Président obéissent à une logique analogue. De somptueux cadeaux fiscaux sont promis aux grandes entreprises. L’impôt sur les sociétés devrait ainsi être ramené de 35% à 15%. Pour faire bonne mesure les classes moyennes bénéficieraient également d’un certain rabais fiscal. Sans qu’on en connaisse cependant encore la traduction concrète. Ces choix sont présentés comme compatible avec une réduction drastique des déficits et d’un endettement public considérables. Le manque à gagner pour les caisses publiques, argumente l’équipe Trump, pourra être largement compensé par un boom de la croissance (et donc des rentrées fiscales) provoqué par la stimulation de la demande que susciterait les réductions d’impôts. Du coup, ces mesures seraient parfaitement compatibles avec l’objectif proclamé d’«assainir les comptes fédéraux.»

On pourra toutefois être d’autant plus sceptique sur la portée de la manœuvre que la nouvelle administration a mis aussi à son programme une nette augmentation des dépenses publiques à travers le lancement de grands travaux pour la rénovation des infrastructures dans le cadre de partenariats publics/privés. Généralement très profitables pour les « investisseurs privés » et très coûteux pour le public, le montant global de cette enveloppe, a dit Trump devant le congrès, serait de 1000 milliards de dollars (960 milliards d’euros ).

Surtout le poste dépenses de la nouvelle administration serait fortement sollicité par un gonflement « historique » du budget de l’armée, en conformité, on va le voir, avec un choix stratégique affirmé d’intégrer plus nettement encore que par le passé la puissance militaire comme arme de « transaction » et donc comme paramètre de la compétitivité du site de production états-unien.

Pour tenter de tenir cette drôle d’équation, il faudra des coupes à la hache dans les dépenses publiques, à un moment où le nombre de fonctionnaires fédéraux a déjà été considérablement réduit. Jusqu’à atteindre dès aujourd’hui un niveau qui le rapproche de l’étiage du «small government » de… Ronald Reagan. L’assurance maladie réformée (l’obamacare) est dans le collimateur. « Nous voulons son abrogation et son remplacement » a lancé Trump dans son allocution devant les parlementaires. L’offensive anti-sociale qui se dessine est à l’aune de l’agressivité évoquée précédemment pour stimuler le rayonnement des banques et des firmes US. Elle est déjà relayée par une attaque en règle contre les syndicats avec la mise à l’ordre du jour, à la mi-février, par la majorité républicaine du Congrès d’une bien mal nommée loi «right to work » (droit au travail). Ce texte priverait, de fait, des syndicats déjà très affaiblis, de ressources financières pour négocier le renouvellement des conventions dans les entreprises ou les administrations où ils sont présents.

L’aide au développement (USAID) et les quelques investissements consentis par l’administration Obama dans la lutte contre le réchauffement climatique seront aussi les victimes de cette austérité compensatoire de la débauche de dépenses militaires. Au nom d’un engagement ouvertement pro-hydrocarbures (qu’ils soient conventionnels ou de schiste) la nouvelle administration laisse par ailleurs clairement comprendre qu’elle entend s’asseoir sur toutes les recommandations internationales pour limiter les émissions de CO2. 

« Might makes right », la puissance fait le droit

Les États-Unis et leurs entreprises sont empêchés de donner toute la mesure de leur puissance. Car ils sont contraints par un cadre international qui les pénaliserait injustement. Il faut revoir cette «donne insupportable» en profondeur », clame Steffen Bannon, stratège en chef de la Maison-Blanche intégré au conseil de sécurité national. L’homme, membre du premier cercle de fidèles du Président, ex-cadre dirigeant de l’inévitable Goldman Sachs et ex-leader du groupe de media d’extrême droite (Breitbar), apparaît comme l’un des penseurs du national-libéralisme. Il théorise contre «le parti de Davos» dont il affirme qu’il jugulerait la puissance états-unienne et appelle de ses vœux un ordre mondial nouveau.

La nouvelle administration entend faire feu de tout bois dans une guerre économique d’un nouveau genre, une régulation de la mondialisation capitaliste dont le modus vivendi résulterait de moins en moins de négociations multilatérales et de plus en plus de deals bilatéraux avec Washington. Selon un fonctionnement fondé davantage encore sur les rapports de force et réputé donc bien plus avantageux pour l’hyperpuissance. « Might makes right (la puissance fait le droit), est le seul principe qu’il nous faille reconnaître », pontifie Bannon. Invité récemment d’un séminaire co-organisé par la Banque de France et le collège de France, l’économiste de Berkeley, Barry Eichengreen, confirme et alerte : Trump «représente, souligne-t-il, la plus grande remise en cause de l’ordre économique et politique mondial bâti après la seconde guerre mondiale. »[i].

Pour mettre en œuvre la régulation désirée, l’équipe du Président oligarque est déterminée à décliner la guerre sur tous les thèmes. D’abord sur le front commercial pour réduire un déficit chronique qui, on l’a vu, a atteint de nouveaux sommets. Trump n’a pas tardé à dégainer l’arme protectionniste. Il a signé l’acte de décès du traité de libre échange transpacifique qui devrait, en toute bonne logique, être suivi de celui de son homologue transatlantique. Il a annoncé une vaste renégociation de l’ALENA (traité de libre échange nord-américain), en désignant le Mexique comme responsable du « vol du travail » (sic) des ouvriers de l’industrie automobile états-unienne. Et il menace d’instaurer de super droits de douanes à 35% sur les productions de véhicules ou de pièces détachés mexicaines réimportés vers les États-Unis. En pleine cohérence avec un discours xénophobes qui fait des migrants, singulièrement mexicains, les responsables de la « mal-vie » des travailleurs de la « rust belt », la ceinture industrielle rouillée du pays.

Qu’on ne s’y trompe pas cependant : Trump veut du libre-échange, beaucoup de libre-échange ... Simplement il entend en redéfinir le cadre et le recentrer sur les États-Unis à l’aide de traités bilatéraux. Comme celui qu’il veut conclure avec la Grande-Bretagne de Theresa May (voir chapitre suivant). 

Même si quelques tweets retentissants ne laissent aucun doute sur le fond de la démarche esquissée, un déploiement en grand de cette stratégie pourrait s’avérer pour le moins compliqué. Tant une coupure des circuits existants entre des «partenaires» très interdépendants, pourraient mettre à mal certaines productions. Et avoir, au final, de nouvelles conséquences funestes sur l’emploi aux États-Unis. D’autant qu’il n’est pas question de substituer à la régulation existante le moindre système de coopérations mutuellement avantageuses. Trump veut tout au contraire, on l’a vu, donner aux marchés financiers états-uniens encore davantage de moyens de dicter les normes de la compétitivité. Tout passe par l’amélioration du rendement du capital des Ford, General Motors et autres industriels.

Trump veut doubler, en toute bonne logique, cette guerre de conquête à l’assaut de l’espace commercial mondial, d’une guerre fiscale. C’est le sens qu’il faut donner aux réductions d’impôts programmées. Elles vont sont présentées comme le moyen, souligne le Président à la tribune du Congrès, « de permettre à nos entreprises de concurrencer n’importe qui et de prospérer n’importe où. » Une guerre monétaire pourrait également être mise à l’ordre du jour. Tant le nouveau président insiste sur « l’avantage déloyal » que fournirait aux firmes chinoises une prétendue « sous évaluation du yuan ». Et il se montre à peine moins vindicatif quand il évoque le yen japonais ou même l’euro.

L’armée doit constituer une pièce maîtresse pour façonner ce remodelage du monde, désiré par les stratèges du national-libéralisme. Trump a annoncé une « hausse historique » de 54 milliards de dollars (51 milliards d’euros ; + 9%) des dépenses militaires. Il s’agira de « la plus grande montée en puissance de l’armée de l’histoire de l’Amérique, » a lancé Donald Trump en en présentant les modalités lors de son discours sur l’état de l’Union (l’humanité des 28 février et 2 mars). L’opération est censée constituer « un événement majeur », souligne le président, révélant à la face du monde «la force et la détermination de l’Amérique. » L’économiste Barry Eichengreen ne cache pas l’inquiétude immédiate que lui inspire de tels choix pour la relation Washington/Pékin : « je crains, lâche-t-il, un affrontement entre nos deux flottes en mer de Chine

L’union Européenne et… l’Allemagne dans le collimateur

L’Union Européenne (UE) fait partie des cibles revendiquée de l’administration Trump. Elle constituerait l’un de ces cadres relationnels « déloyaux » qui ont contribué à affaiblir les positions commerciales de l’oncle Sam. Aux yeux des stratèges du national-libéralisme de la Maison-Blanche, il serait de l’intérêt des États-Unis de pousser à sa dislocation. « Pour le dire ouvertement, affirme Ted Malloch qui devrait prochainement occuper la fonction d’ambassadeur de Washington auprès de l’UE à Bruxelles, les États-Unis sont bien plus à leur avantage (quand ils traitent) avec chacun des États en bilatéral.» «Je crois fermement au libre-échange », a lancé Trump dans son discours sur l’état de l’union du 28 février. Mais à condition, a-t-il ajouté qu’il soit « équitable ». Traduisez : recentrer autour de l’hyper puissance, dans des négociations en tête à tête où celle-ci pourra jouer de tous ses muscles dans la bataille concurrentielle.

La cohérence de cette stratégie du nouveau pouvoir à Washington se retrouve dans l’appui affiché au Royaume-Uni de Théresa May et aux forces qui ont impulsé le Brexit. Elle apparaît dans les convergences affirmées avec toutes les forces nationalistes en ascension dans les autres pays du vieux continent. On la reconnaît dans le tropisme «trumpiste» avéré d’un Front National qu’une «banalisation-normalisation» du leader nationaliste de la Maison-Blanche (l’humanité du 2 mars) ne pourrait naturellement que renforcer dans sa course à l’élection présidentielle française. Quant à Gerd Wilders, le leader xénophobe et anti-musulman du parti de la liberté, formation d’extrême-droite favorite du scrutin législatif prévu à la mi-mars au Pays-Bas, il fut l’un des invités étrangers remarqués de la convention républicaine qui adouba, l’été dernier, Trump comme candidat du Great old party à la présidence.

L’Allemagne est la première visée par l’offensive des nationaux-libéraux de la Maison-Blanche. Avec la Chine et le Mexique, elle est l’un des pays qui affiche les plus forts excédents commerciaux sur les États-Unis. Elle est devenue en 2016, le premier partenaire de l’oncle Sam, doublant la France. Son excédent commercial s’élève à plus de 50 milliards de dollars (47 milliards d’euros). Dans l’entretien accordé à Bild Zeitung et au Times à la mi-janvier dernier, Trump s’en est pris ouvertement aux importations de berlines allemandes, regrettant dans son style si faussement direct et vraiment populiste, qu’il y ait « tant de mercedes et de BMW sur la cinquième avenue ». Et de dégainer encore, à cette occasion, la menace d’une hausse de 35% des tarifs douaniers.

L’éclatement d’une guerre commercial soulève les pires craintes Outre-Rhin, dans un pays si fortement structuré par le tout à l’export. Au point que ces inquiétudes figurent aujourd’hui tout en haut du débat économique et politique local. « Trump est un risque pour le modèle économique allemand », relève ainsi Michael Hütter, dirigeant de l’IWK (Institut für Wirtschaftforschung Köln), l’un des principaux instituts de recherche économique germanique. Le patron de la plus influente des organisations patronales, le BDI (fédération de l’industrie allemande) n’hésite pas, lui, à tirer le signal d’alarme : « Notre prospérité est en danger. Plus qu’à tout autre moment durant les 60 dernières années », a-t-il déclaré à l’occasion d’une réception officielle en janvier.

Le moins qu’on puisse dire est que la première réponse qui s’ébauche Outre-Rhin à l’agressivité affirmée de l’administration Trump, n’est pas de nature à contrer ses desseins ouvertement anti-Union européennes. Si l’on en croit la presse conservatrice, proche de la chancelière l’Allemagne n’aurait d’autre choix, en réponse au dumping fiscal et au protectionnisme de Washington que de se lancer dans une fuite en avant dans la baisse des impôts, des coûts sociaux et une plus grande dérégulation des marchés. Le renforcement des contraintes de l’ordo-libéralisme est présenté comme la seule planche de salut pour la compétitivité allemande et …européenne.  

Le problème c’est que ce type de réponse reviendrait en fait à accepter le nouvel ordre que cherche à imposer Trump. Soit l’entrée dans un chacun pour soi mortifère. Tant l’obsession du respect de la contrainte ordo-libérale nourrit les forces centrifuges qui minent aujourd’hui l’UE[ii]. Il est temps pour l’Allemagne, développe un éditorialiste de Die Welt, quotidien réputé le plus proche de la chancellerie, de « devenir plus consciente de sa puissance et de poursuivre ses propres intérêts.»[iii]

De la même façon l’augmentation des budgets militaires, présentée face au Brexit comme un moyen de serrer les rangs européens, voire de «mettre en œuvre une Europe de la défense», ne saurait déplaire au Président nationaliste des États-Unis. Washington veut  «soutenir avec force l’Otan », a-t-il déclaré devant le congrès, tout en se réjouissant d’avoir obtenu de ses alliés européens qu’ils prennent «mieux» après des « discussions fortes et franches » leur part du fardeau en décidant d’augmenter sensiblement leurs dépenses militaires.

Il est évident que si l’Europe maintenait ces «caps»,  elle courrait à sa perte. L’acuité des menaces doit l’inviter au contraire à se transformer radicalement et à réviser fondamentalement ses vieilles «normes». Si l’on veut éviter les régressions nationalistes, appelées de leurs vœux par Donald Trump et ses semblables européens et réellement sauver l’UE d’une désintégration aux conséquences terribles, il n’est d’autre moyen que de promouvoir les principes de coopération et de solidarité européennes, si sous-développés ou si fortement mis à mal aujourd’hui au nom des normes austéritaires. Les besoins de rapprochements, de mutualisations diverses ou de financements communs pour la recherche, le climat ou les services publics n’ont jamais été aussi importants. Il y va des intérêts les plus concrets, les plus vitaux des peuples européens. Mais c’est peu dire qu’il y a urgence.

 

 


[i]Interviewé par l’hebdomadaire Le point du 20.01.2017

[ii]« Europe état d’urgence », la régresssion nationaliste, consécration de l’ordo-libéralisme, Bruno Odent , le temps des cerises 2016

[iii]In Die Welt du 18.01.2017

 

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