Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Programmes présidentiels : quelles logiques face à la dictature de la finance ?

Mon ennemi, c’est la finance ! avait proclamé François Hollande mais toute son action à l’Élysée a été commandée par une obsession : gagner les faveurs des marchés financiers en allant au-devant de toutes leurs exigences. à quel prix pour ceux qui avaient espéré que l’avènement d’un président de gauche rendrait possible la fin de l’austérité !

À la veille des échéances de 2017, la France se retrouve devant la même question. Faut-il accepter la dictature de la finance ? La contester ? Mais alors, avec quels moyens concrets ? La crédibilité des différents candidats à l’élection présidentielle dépendra pour une bonne part des réponses qu’ils proposeront à ces questions. Même si la plupart de ces candidats n’ont pas encore fait connaître leur programme complet, il est possible dès à présent de se faire une idée de la logique dans laquelle se placent plusieurs d’entre eux.

Front national : les dangers du nationalisme économique et monétaire

On ne détaillera pas, dans ce numéro, le programme économique de Marine Le Pen, non que les projets réactionnaires que la démagogie sociale du Front national tente de masquer ne méritent pas d’être analysés et dénoncés, mais parce que le parti d’extrême-droite s’est bien gardé, jusqu’à présent, de publier l’intégralité de ses propositions pour 2017, craignant sans doute qu’un peu trop de clarté ne porte un coup à la crédibilité de sa candidate. Ce qu’on sait en tout état de cause1, c’est que ce programme repose sur trois piliers économiques principaux : des économies fantasmées (40 milliards d’euros en cinq ans) sur le coût supposé de « l’immigration », un « protectionnisme intelligent », et le retour au franc. Les partisans de la sortie de l’euro, à l’extrême-droite comme à gauche, s’inspirent d’un même argumentaire, celui qui avait été mis en circulation en 2013 par les économistes Jacques Sapir, Cédric Durand et Philippe Murer2 (depuis lors, ce dernier a rejoint officiellement le Front national).

La logique économique d’une sortie de l’euro est celle d’une dévaluation : les prix en euros des productions nationales deviendraient moins chers, occasionnant des gains de compétitivité dont on attend un surcroît de demande pour ces productions ; mais il y à cela plusieurs conditions. En particulier, il ne faut pas que des hausses de salaires viennent compenser, pour les travailleurs, la hausse des prix en monnaie nationale des produits importés. Une dévaluation réussie suppose donc un surcroît d’austérité salariale.

Au moins, répondent les partisans d’un « indépendantisme français » en matière monétaire, le retour à la monnaie nationale permettrait à l’Etat de réquisitionner la Banque de France et le pouvoir de création monétaire illimité dont elle dispose en théorie, pour financer un programme de relance. En pratique, les choses seraient beaucoup plus compliquées. Imaginons qu’une majorité ayant inscrit la sortie de l’euro à son programme gagne des élections en France. Son accession au gouvernement se ferait dans un déchaînement de spéculation (rappelons-nous les attaques contre le Système monétaire européen à la veille du référendum sur Maastricht, à une époque où le pouvoir des marchés financiers n’était pourtant pas encore aussi écrasant qu’aujourd’hui). Concrètement, les taux d’intérêt payés par l’État, les entreprises ou les particuliers grimperaient à des niveaux capables de décourager tout projet d’investissement. Le premier soin du gouvernement devrait donc être d’instaurer un contrôle hermétique des mouvements de capitaux, de façon à isoler l’économie française du reste de la planète financière, comme la tentative en avait été faite, vainement, en 1981. Mais comment contrôler les trésoreries délocalisées en euros des banques et des firmes multinationales ?

En résumé, une sortie de l’euro, à supposer qu’elle soit politiquement concevable, n’a de chance de réussir qu’au prix d’une étatisation très poussée et très autoritaire de l’économie et d’un renforcement de l’austérité salariale. En réalité, la pression des marchés sur l’économie française s’accroîtrait à un degré qui ne tarderait pas à devenir insupportable, d’autant que le franc ressuscité se retrouverait en position de faiblesse face au dollar et à ce qui resterait de l’euro. Ce serait tout le contraire d’une émancipation vis-à-vis des marchés financiers !

Il est vrai que le Front national n’a jamais eu cette intention. Pour les forces multiples qui ont favorisé son ascension, il est là pour imposer un jour par la force le programme des multinationales et des marchés financiers au cas où les partis traditionnels adeptes du libéralisme ou du social-libéralisme n’y parviendraient pas dans le cadre républicain actuel. Mais ces forces ne risquent-elles pas d’être à leur tour débordées, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, par l’exacerbation de crise politique qui permet à l’extrême-droite de capter la colère populaire ?

Elles n’ont toutefois pas dit leur dernier mot et c’est elles, pour l’instant, qui donnent le ton de la campagne présidentielle.

À droite, c’est clair

Dans le programme de François Fillon3, les marchés financiers ne sont évoqués qu’à un seul propos : l’inscription de l’équilibre des finances publiques, y compris les finances sociales, dans la Constitution : « ce sera un gage fort  vis-à-vis  de nos  partenaires  européens  et  des  marchés  financiers  qui détiennent notre dette », argumente le candidat de la droite, sans envisager un instant de réduire cette dépendance de l’économie française envers les capitaux à la recherche de rentabilité dans la mondialisation financière.

De là découle la logique d’ensemble de son programme. Alors que le besoin de développer de nouveaux services publics monte de façon irrépressible – pour la santé, l’éducation, la protection de l’environnement… – les marchés financiers n’aiment pas cela. Ils n’y voient pas les gisements de rentabilité qu’ils exigent et ils réservent leurs faveurs aux gouvernements qui réduisent les dépenses publiques. C’est ce qu’annonce François Fillon ‒ 100 milliards en cinq ans – grâce à l’abandon d’une partie des missions de l’État et des collectivités publiques, à diverses formes de privatisation de la Sécurité sociale, à la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires et à la dégradation des horaires et des conditions de travail de ceux qui resteront. Mais ce que veulent les financiers avant tout, c’est que la puissance publique mette tout en œuvre pour favoriser la rentabilisation des capitaux, qu’ils soient investis dans une multinationale, dans une start-up, ou tout simplement placés en titres financiers. François Fillon n’oublie rien de ce qui peut combler ces désirs : licenciements facilités, mise en cause des droits syndicaux dans l’entreprise, réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, suppression de « 15 milliards de taxes diverses pesant sur les entreprises », allégement des cotisations sociales patronales et, pour les ménages, allégement de la taxation des revenus du capital, suppression de l’ISF et des droits de mutation à titre onéreux mais immédiate de deux points du taux normal et du taux intermédiaire de la TVA…

Tout cela au nom de la compétitivité des entreprises dans la mondialisation capitaliste. Mais aucune mesure n’est proposée pour remédier à la cause majeure des faiblesses de l’économie française : le coût du capital qui dissuade les entreprises d’investir dans la recherche-développement et dans l’embauche et la formation de personnel qualifié. On cherche en vain, dans le programme de François Fillon, la moindre mise en cause des banques et de leur réticence à s’engager pour les projets favorables à l’emploi, à la création de richesses dans les territoires, à la préservation de l’environnement. Tout au plus serait-il demandé à la Banque européenne d’investissements – dont l’action dans ce domaine n’est déjà pas négligeable – d’orienter davantage ses opérations vers les PME.

Sur le terrain européen, précisément, le candidat de la droite peut donner l’impression d’une tonalité moins néolibérale. Il se prononce pour une rivalité de puissances avec les États-Unis (et la Chine), associée à des mesures de tonalité protectionniste. L’objectif serait de « faire de l’euro une monnaie de réserve et de règlement à égalité avec le dollar américain ».

Prenant soin de rappeler son opposition de jadis au traité de Maastricht, il va même jusqu’à souhaiter – quelle audace ! – que « la politique monétaire de l’euro » ne soit « pas seulement une arme contre l’inflation mais aussi une arme pour la croissance et l’emploi ».

Pour y parvenir, il propose de confier la conduite de la politique monétaire, « avec la Banque centrale européenne », à un « directoire politique » de la zone euro composé des chefs de gouvernement.

Dans la même veine, François Fillon propose également la création de toute une série de nouvelles institutions pour affirmer le rôle des gouvernements nationaux face aux institutions communautaires : un gouvernement économique de la zone euro, « d’abord au niveau des ministres des Finances mais aussi à celui des chefs d’État et de gouvernement », un « Secrétariat Général de la zone Euro complètement autonome de la Commission », et un Trésor européen avec une mise en commun des dettes. Toutefois, la création de cette dernière institution n’interviendrait qu’« une fois la convergence fiscale achevée ». Dans un premier temps en effet, il envisage un creusement du déficit public (4,7 % en 2017), mais pour mieux parvenir à l’équilibre en 2022.

En effet, l’écart apparent et temporaire vis-à-vis de l’orthodoxie financière que comporte cette inflexion étatiste de la construction européenne n’est envisageable que si tous les gages possibles sont donnés aux marchés et aux partenaires européens de la France, en premier lieu l’Allemagne. D’où l’enthousiasme pour les « réformes structurelles », et le programme d’austérité budgétaire qui font la substance des propositions de François Fillon.

C’est donc tout le contraire d’une politique de développement des services publics, et d’une nouvelle sélectivité de la politique monétaire pour l’emploi, la formation et la création de valeur ajoutée.

Il est frappant d’observer que cette adhésion à l’austérité budgétaire conduit pratiquement aux mêmes préconisations que celles d’un candidat qui, loin de toute velléité protectionniste, ne tarit pas d’éloges sur la mondialisation capitaliste et sur l’orthodoxie monétaire et financière libérale : Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron, bon élève de la mondialisation néolibérale

La citation suivante, avec ses références à la pensée économique la plus réactionnaire des années quatre-vingt, mérite d’être reproduite intégralement tant elle semble ignorer tous les démentis que lui a apporté l’expérience acquise depuis la crise de 2007-20124 : « l’idée qu’il est préférable que la banque centrale dirige la politique monétaire indépendamment des autorités gouvernementales est bien ancrée dans la théorie économique. Les travaux de Kydland et Prescott (1977), Barro et Gordon (1983) et Rogoff (1985) montrent qu’ainsi les banques centrales évitent le biais inflationniste, que provoquent les gouvernements nationaux de façon intéressée. L’indépendance des banques centrales a permis à celles-ci de maîtriser efficacement l’inflation et de la maintenir à un bas niveau : il est amplement prouvé que plus le degré d’indépendance est élevé, plus l’inflation est faible. C’est en ce sens qu’Emmanuel Macron rappelle que la BCE est indépendante et fait tout ce qui est nécessaire pour remplir son mandat. »

Emmanuel Macron propose en premier lieu la création d’un « gouvernement économique européen fort ». Son soutien à l’idée d’une relance budgétaire serait associé à la création d’« une capacité d’emprunt propre de la zone euro ». Dans son cas, à la différence de François Fillon, ces préconisations se revendiquent explicitement d’un fédéralisme européen accru, venant réduire les prérogatives des États membres :  le « gouvernement économique européen » serait doté de son propre budget et il « serait tenu d’agir dans le seul intérêt de l’ensemble de la zone monétaire ».

Mais tout cela rejoint finalement les recettes bien connues du Medef et de la droite : « donner plus de flexibilité aux entreprises », prolonger les dispositions les plus réactionnaires de la loi El Khomri (plafonnement des pénalités prud’homales en cas de licenciement abusif, disparition du principe de faveur… « Cela suppose que les organisations syndicales s’adaptent à l’évolution de leurs responsabilités », ne craint-il pas d’ajouter !), réductions des dépenses publiques à 50 % du PIB en 2022 (François Fillon vise 49 % à la même date) avec « un débat de fond sur le périmètre d’intervention de l’État, sur sa place dans l’économie mais aussi sur le statut des fonctionnaires par exemple ». Où est la différence avec le programme de la droite ? Pour Emmanuel Macron comme pour François Fillon, « réduire les dépenses publiques est une des conditions pour déclencher l’investissement et attirer les investisseurs étrangers, car cela permet de redonner confiance en un État-stratège gestionnaire et rigoureux, et plus globalement dans l’ensemble de l’économie française. »

Pas davantage que chez François Fillon, on ne trouve dans les propositions d’Emmanuel Macron la moindre interpellation des banques sur la façon dont elles ont abandonné leurs responsabilités en matière de financement de l’économie. Au contraire, l’ancien associé de la banque Rothschild se prononce, sur le modèle anglo-saxon, pour réduire la part du financement de l’économie qui passe par ces intermédiaires que sont les banques et les assurances » ! Il s’agirait donc non seulement d’« orienter l’épargne française » (notamment celle qui est collectée sur les contrats d’assurance-vie) « vers le financement en fonds propres », beaucoup plus exigeant en termes de rentabilité, et de développer l’actionnariat salarié, mais, très explicitement, de « développer des fonds de pension à la française » ! On sait ce que cela signifie pour le financement de la Sécurité sociale : « « Je transformerai le CICE en allègements de charges et je déciderai d’autres allègements ou suppressions de cotisations sociales patronales. Des économies sur la dépense publique et une fiscalité plus incitative, notamment sur la pollution ou la consommation, seront décidées pour financer cela. »

Emmanuel Macron peut être considéré comme le représentant par excellence des politiques vouées à la satisfaction des exigences des marchés financiers dans ce qu’elles ont de plus pervers et de plus contraire aux exigences qui montent dans la société en matière de lutte contre la précarité, de préservation des services publics, de réduction des inégalités de revenus et de patrimoine. Que ce choix politique, largement partagé par le pouvoir actuel et ses représentants dans la campagne présidentielle, puisse être revendiqué par des forces se réclamant de la gauche est l’un des traits les plus étranges et les plus inquiétants de la situation présente.  Pourtant, cette doctrine néolibérale, appuyée sur toute la puissance des marchés financiers et des banques centrales, a une force : elle est parfaitement cohérente avec les myriades de décisions décentralisées, dans les entreprises et dans les banques, qui soumettent la gestion de l’économie aux critères de gestion capitaliste.

Par contraste, les velléités de résistance opposées à cette logique par des forces se réclamant de la gauche ont conduit régulièrement à de cruelles déceptions, et à une crise politique et idéologique profonde, précisément parce qu’elles se contentaient de s’en remettre à l’État pour tenter d’obtenir une redistribution des richesses, sans s’attaquer aux causes profondes des dégâts sociaux du capitalisme financiarisé en crise, qui se trouvent précisément dans les décisions régissant la création des richesses dans les entreprises et dans les services publics.

Les travailleurs et les citoyens sont en droit d’attendre autre chose d’une politique de gauche ; mais cela suppose de dire quels moyens on compte prendre pour surmonter l’obstacle que le pouvoir de la finance oppose à la réalisation d’objectifs sociaux et écologiques. C’est ce que le PCF s’attache à faire en plaçant l’objectif de prendre le pouvoir sur l’argent en tête des axes de rassemblement qu’il propose.

Les propositions du Parti communiste : une stratégie concrète pour prendre le pouvoir sur l’argent

L’argent dont nous voulons changer l’utilisation, c’est :

‒ l’argent des entreprises (les profits), qui doit être investi pour sécuriser l’emploi, la formation et la création de richesses dans les territoires ;

‒ l’argent des banques (le crédit), aujourd’hui détourné vers les placements financiers, les OPA, les délocalisations, qui doit financer avec de faibles taux d’intérêt (0 % ou moins) les investissements favorables à la sécurisation de l’emploi et au développement maîtrisé des territoires ;

‒ l’argent public (impôts, cotisations sociales et leur utilisation par l’Etat, les collectivités territoriales et la sécurité sociale), qui doit servir à un développement tout à fait nouveau des services publics. Il doit également cesser d’inonder le patronat d’aides dont les effets pervers sont démontrés et être au contraire utilisé sélectivement pour inciter les banques et les entreprises à changer l’orientation du crédit et celle des profits.

Dans cet ensemble, le plus stratégique est la bataille pour prendre du pouvoir sur le crédit bancaire. En effet, parce qu’elles créent 90 % de la monnaie qui circule dans nos économies (les 10 % restants étant créés par les banques centrales), les banques disposent d’un pouvoir sans équivalent : mettre à la disposition de l’économie les avances de fonds qui permettent, soit d’engager des créations d’emplois et de richesses, soit d’alimenter le « cancer financier ». Elles sont au cœur du pouvoir des marchés, et donc au cœur de la crise de la mondialisation capitaliste. Peser sur ces décisions, c’est exercer un pouvoir décisif sur l’économie, et sur l’ensemble de la société.

Toutes les propositions du PCF pour prendre le pouvoir sur l’argent (voir encadré) présentent trois caractéristiques : prises ensemble, leur réalisation créerait les conditions d’une transformation sociale tout à fait radicale ; cependant, chacune repose sur des dispositifs concrets, disponibles dans les institutions existantes ; et lever les obstacles politiques à leur mise en œuvre peut être l’objectif de luttes sociales concrètes, visant à obtenir le financement de projets précis dans les territoires et au niveau national.

En 2012, cette cohérence stratégique avait marqué de son empreinte le programme L’humain d’abord du Front de gauche. Force est toutefois de constater que ce qu’on connaît, pour l’instant, des programmes présidentiels à gauche s’inscrit en recul par rapport à l’état du débat il y a cinq ans. C’est plutôt la vieille conception sociale-démocrate qui prévaut, s’en remettant à l’action gouvernementale pour tenter de corriger les méfaits de la mondialisation capitaliste, sans articuler cette action aux mobilisations populaires pour la conquête de pouvoirs sur l’argent dans les entreprises et dans le système financier.

Les timidités de la gauche socialiste

À la date où ces lignes sont écrites, on ne connaît que de façon très parcellaire les programmes des différents candidats de gauche à l’élection présidentielle, tout particulièrement en ce qui concerne le financement de l’économie et l’attitude à adopter face au pouvoir de la finance.

On peut même regretter que l’un des rares sujets ayant donné lieu à des prises de position précises soit un point majeur de convergence avec les programmes de la droite : le remplacement des cotisations sociales patronales par des prélèvements fiscaux. On retrouve une mesure de cette nature jusque chez Benoît Hamon et chez Jean-Luc Mélenchon qui proposent la fusion de la CSG avec l’impôt sur le revenu, contrairement au programme du Front de gauche L’humain d’abord. Pourtant, fiscaliser ce financement, c’est le faire prendre en charge par la collectivité alors que les cotisations sociales patronales sont un prélèvement sur les profits. C’est mettre en péril la Sécurité sociale dans son ensemble comme le montre le résultat des offensives déployées dans ce sens par le patronat et par les gouvernements successifs.

Certaines propositions d’Arnaud Montebourg pour le financement de l’économie5 se veulent plus originales, par exemple, la « nationalisation partielle et temporaire » de certaines grandes banques ou la création d’une « banque d’encouragement au risque » chargée de garantir « 90 % des crédits aux petites entreprises ». Mais ces propositions assaisonnées d’un discours patriotique sur le « redressement productif » de la France ne remettent pas en cause la domination des marchés financiers, d’autant que pour autant qu’on puisse le savoir le candidat à la primaire socialiste ne propose rien de concret pour réorienter la politique de la BCE.

Le seul candidat, à gauche, qui ait publié un programme complet est Jean-Luc Mélenchon, pour qui le PCF appelle à voter6. Toutefois, ses propositions touchant à l’argent et au financement de l’économie se caractérisent par un certain flou.

Il est par exemple question d’« injecter 100 milliards d’euros dans l’économie pour des investissements socialement et écologiquement utiles » : sur quelle période ? s’agit-il de subventions publiques ? dans ce cas, par quoi sont-elles financées ? de crédits bancaires ? dans ce cas la somme apparaît bien modeste en comparaison des 2 700 milliards de crédits figurant à l’actif du bilan des banques.

Il est bien question d’une « politique du crédit sur critères sociaux et écologiques » mais la nature de ces critères sociaux n’est pas explicitée ; surtout, cette mission serait réservée à la Banque publique d’investissement et non pas assignée à l’ensemble du système bancaire. Par exemple, on reste perplexe devant la proposition consistant à confier à un pôle financier public la mission de « financer l’escompte des PME à taux zéro par le pôle financier ». Si Jean-Luc Mélenchon veut parler, plus exactement, du financement des besoins de trésorerie des PME, qui constitue un problème réel, il s’agit là au premier chef d’une mission des banques commerciales : pourquoi un pôle public viendrait-il les en décharger ?

On ne comprend pas bien non plus quelle serait l’articulation entre la BPI dotée d’une « licence bancaire » (c’est déjà le cas de l’une de ses filiales) et le « pôle public bancaire » dont Jean-Luc Mélenchon prévoit la création. Il n’est pas question de nationaliser les deux derniers groupes bancaires privés à base française que sont la Société générale et BNP-Paribas, mais seulement de la « socialisation de banques généralistes » ; proposition d’autant plus énigmatique qu’une autre mesure figurant dans le programme de la « France insoumise » consisterait à « séparer les banques d’affaires et les banques de détail » : que restera-t-il alors comme « banques généralistes » ?

En matière de finances publiques, il est bien question de « transformer les 41 milliards d’euros annuels du Pacte de responsabilité et du CICE pour financer la transition énergétique », mais les transformer en quoi ?

Dès lors que la réorientation du crédit est considérée avec une telle légèreté, il ne reste plus que la « révolution fiscale » prônée de longue date par Jean-Luc Mélenchon pour « mettre l’argent au service de l’intérêt général par l’impôt ». Mais en-dehors d’une « refondation de l’impôt sur les sociétés » qui se bornerait à « favoriser l’investissement plutôt que la distribution des dividendes », sans peser sur les gestions des entreprises pour que leurs investissements répondent à des critères sociaux précis, cette « révolution » se borne à une redéfinition de la fiscalité des ménages qui n’exclut pas un alourdissement des prélèvements sur les classes moyennes.

De façon très traditionnelle, toute la logique du programme de Jean-Luc Mélenchon consiste à renvoyer à l’État national toute l’action économique, exonérant de fait banques et entreprises de leurs responsabilités sociales. Le socle de ce programme est la reconquête d’un financement direct de l’État national par la création de monnaie centrale (BCE ou Banque de France), comme dans les années 1960-70. D’où les discours ambigus sur la succession d’un « plan A » (un ultimatum à l’Allemagne pour renégocier les traités sous la menace d’une sortie unilatérale de la zone euro) et d’un « plan B » (sortie de l’euro et de l’Union européenne qui signifierait une déclaration de guerre, économique au moins, non seulement à l’Allemagne mais aussi aux économies de l’Europe du Sud qui seraient contraintes, à leur tour, à une spirale de dévaluations compétitives). En l’absence de luttes, à partir des exigences de financement de projets concrets, l’un comme l’autre de ces plans apparaissent soit chimériques, soit dangereux, comme on l’a vu à propos des propositions de Jacques Sapir, soutien déclaré de Jean-Luc Mélenchon, sur la sortie de l’euro.

Cette revue provisoire des attitudes face au pouvoir de l’argent dans la campagne présidentielle souligne le contraste entre des programmes néolibéraux qui s’inscrivent pleinement dans la cohérence d’une adhésion aux exigences des marchés financiers, et la relative faiblesse des propositions des différents candidats de gauche. Il reste donc beaucoup à faire pour rendre crédible la possibilité d’une politique anti-austérité aux yeux d’électeurs désabusés après l’échec des politiques menées depuis vingt ans. Cela souligne combien il est maintenant indispensable de mettre en œuvre la décision, adoptée à une majorité de 94 % par les membres du Parti communiste, d’une campagne et d’une expression autonomes, critiques et constructives, dans la campagne présidentielle comme dans toutes les circonscriptions législatives. 

 

Les propositions du PCF pour prendre
le pouvoir sur l’argent

Nos propositions forment un ensemble cohérent, elles se renforcent mutuellement. Elles se déclinent à tous les niveaux où il est possible de conquérir des pouvoirs sur l’utilisation de l’argent.

Au niveau local :

Un droit d’accès des citoyens et des élus à des informations détaillées sur l’activité des banques dans chaque quartier (à l’exemple du Community Reinvestment Act, en vigueur depuis 1976, qui a permis la distribution de plusieurs dizaines de milliards de crédits dans les quartiers déshérités des États-Unis), et sur les aides publiques aux entreprises.

Dans les entreprises :

La proposition du PCF pour une loi de sécurisation de l’emploi et de la formation confère aux comités d’entreprises le droit de suspendre les plans de licenciement et de faire prendre en compte, par une procédure de médiation, des propositions alternatives, obéissant à d’autres critères que la rentabilité du capital ; elle instaure les moyens institutionnels d’obliger les banques à financer ces propositions alternatives.

Dans les régions :

Au lieu des aides publiques actuelles, des fonds régionaux pour l’emploi et la formation distribueraient de façon sélective des bonifications d’intérêts ou des garanties d’emprunts, réservées aux crédits finançant des projets répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée dans les territoires), sociale (sécurisation de l’emploi, de la formation, des salaires) et écologiques (économies d’énergie et de matières premières). L’organisation de ces nouvelles institutions doit instaurer une sélection démocratique des projets aidés, et un contrôle rigoureux, décentralisé, de l’utilisation des fonds mobilisés.

Au niveau national :

Un Fonds national pour l’emploi et la formation, articulé à :

‒ un pôle financier public mettant en réseau les institutions financières publiques existantes (Caisse des dépôts, BPI France, Banque postale, CNP, Banque de France…), les réseaux bancaires mutualistes et de nouvelles banques publiques issues de la nationalisation de BNP-Paribas et de la Société générale. L’action de ces différentes institutions aurait pour objet de peser sur l’orientation du crédit et de l’épargne dans l’ensemble du système financier. Elle tirerait sa cohérence d’une nouvelle mission au service de la sécurisation de l’emploi et de la création de richesses dans les territoires ;

‒ une remise en cause de l’austérité budgétaire pour un nouveau développement des services publics ;

‒ une réforme de la fiscalité incluant en particulier une modulation de l’impôt sur les sociétés pour pénaliser les entreprises qui privilégient la croissance financière et la précarisation des emplois, et l’instauration d’un impôt territorialisé sur le capital pour inciter à économiser les moyens matériels et financiers. Parallèlement, la fiscalité indirecte sur les ménages (TVA, TICPE) serait allégée et la progressivité de l’impôt sur le revenu serait renforcée. Cette politique exclut tout prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et toute fusion de la CSG avec les cotisations sociales.

Au niveau européen :

‒ une nouvelle sélectivité de la politique monétaire de la BCE pour orienter les crédits bancaires en faveur de l’emploi et de l’économie réelle,

‒ un Fonds de développement économique, social et environnemental européen pour financer le développement des services publics, à partir de projets concrets, avec l’argent créé par la Banque centrale européenne.

Au niveau mondial :

Une remise en cause de l’hégémonie du dollar sur le système monétaire international à l’aide d’une monnaie commune mondiale, qui serait développée à partir des droits de tirage spéciaux du FMI et qui servirait à financer des projets de développement des capacités humaines dans tous les pays du monde sous forme de prêts sélectifs à long terme et à très bas taux d’intérêt.

 

1. « Le Front national dévoile une partie de son programme pour 2017 », Le Point, 29 juin 2016, <http://www.lepoint.fr/politique/le-front-national-devoile-une-partie-de-son-programme r-2017-29-06-2016-2050534_20.php>.

2. Jacques Sapir et Philippe Murer avec la contribution de Cédric Durand, Les scenarii de dissolution de l’euro, étude de la fondation Res Publica, septembre 2013.

3. Fillon 2017, #unprojetpourlafrance, <https://www.fillon2017.fr/participez/>.

4. Vision Macron, <http://vision-macron.fr/economie/>.

5. Arnaud Montebourg, discours de Frangy-en-Bresse, 16 août 2016, <http://www.arnaudmontebourg-2017.fr/le-candidat/propositions/>.

6. L’avenir en commun, Seuil, Paris, 2016.

 

 

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