Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Que faire pour Alstom et le transport ferroviaire ?

à Alstom, après que la direction a annoncé son intention de fermer le site de Belfort, la mobilisation a permis un sauvetage, à court terme, des emplois au prix d’une nouvelle commande discutable de TGV par la SNCF. Cela permet de sauver des emplois et de préserver l’avenir car le site a un rôle clé. Mais cela ne fait pas le poids. à moyen terme proche les menaces sont toujours importantes. Le site de Belfort, avec ses 480 salariés, est en effet un site historique et décisif car c’est le seul en France où l’on construit des motrices de TGV. C’est aussi un site d’innovation majeur pour la filière ferroviaire française, la troisième du monde en termes de ventes.

Il faut absolument entrer dans une tout autre logique pour cette entreprise, pour la filière ferroviaire en France, mais aussi pour le développement de la demande et de la coopération européenne en matière de transport : infrastructures, concurrence entre producteurs et entre modes de transports. L’austérité est insupportable. Elle ôte toute crédibilité aux engagements écologiques.

Alstom est un cœur de toute l’industrie française, tant pour l’emploi que pour la production et pour une véritable reconversion écologique. L’État, principal actionnaire (20 % du capital) et pourvoyeur de multiples aides publiques (CICE, crédit d’impôt recherche, etc.), garant de l’intérêt général, doit agir. Il en a les moyens.

L’irresponsabilité sociale, voire économique, de la direction et des actionnaires privés est criante. Ils ont dépecé, ou laissé dépecer le groupe durant des années tout en y pompant de juteux profits. Ils laissent péricliter l’innovation technologique dans le groupe : à peine 156 millions de dépenses de R&D pour 7 milliards de chiffre d’affaires. C’est ridicule ! Comment peut-on oser ainsi prétendre préparer l’avenir et parler du TGV du futur ? Ils ont fragilisé le groupe en le rendant mono-activité, pour empocher une juteuse plus-value, en vendant la branche « énergie » à General Electric. Ils délocalisent à tout va. Leur sacro-saint principe de « concurrence libre et non faussée » conduit la SNCF à accepter dans une filiale partagée avec un groupe allemand de commander 44 locomotives à un constructeur allemand. Ils concluent des contrats juteux pour eux (états-Unis, Inde.), mais sans aucune condition pour l’emploi en France et dans les territoires où ils sont installés. Du coup les productions sont presque entièrement réalisées dans les pays clients. Ils sont capables de déplacer les brevets, bien commun de tous, hors de portée des travailleurs qui les ont conçus et de les utiliser pour pomper les ressources des filiales françaises. Ils organisent sciemment la mise en difficulté du site de Belfort avec, pendant des années, la passivité de l’État et du gouvernement français. Leur but, expliquent-ils, c’est d’augmenter les marges de 5 % à 7 % des ventes en 2019-2020 soit + 40 % en 4 ans ! Au mépris des besoins sociaux et écologiques, de l’emploi et des richesses réelles créées dans les territoires.

Pourtant les moyens existent, à commencer par le pactole financier tiré de la vente en 2014 de la filière énergie à l’américain General Electric (GE), les compétences sont inégalées, de même que la qualité des productions réalisées jusqu’à présent, ainsi que la qualité du tissu industriel d’entreprises qui peuvent coopérer à la production et la qualité des donneurs d’ordre-concepteurs que sont la SNCF et les autres compagnies ferroviaires d’Europe, ou encore les entreprises de transport urbain comme la RATP.

Objectifs de fond

– On ne peut pas laisser faire cela. L’État doit intervenir dans le but de sécuriser l’emploi durablement ainsi que les ressources des territoires et de répondre aux exigences sociales et écologiques de transport du xxie siècle, aussi bien ferroviaire (fret et passagers) que tout autre transport non polluant qui reste à inventer. Cela implique de tout autres dépenses de R & D et des investissements matériels à la hauteur.

– Il faut vraiment inverser la vapeur. Obtenir, comme le gouvernement vient de le faire, de nouvelles commandes pour Alstom en contrepartie d’un sauvetage temporaire des emplois à Belfort et de l’activité sur le site, nécessaire mais qui ne règle pas les questions de fond et d’avenir d’autant plus que le site peut continuer d’être vidé de sa substance par des frais de brevet inéquitables, à travers des prix conventionnels de transferts. En outre, il ne serait pas normal qu’Alstom surfacture ses trains et motrices à la SNCF, sous prétexte de garantir l’emploi. Il faut donc la transparence sur les coûts. Il faut enfin une tout autre façon de faire en Europe concernant tant la concurrence que les perspectives et les infrastructures.

Immédiatement : agir et préparer l’avenir

– Les suppressions d’emploi doivent être suspendues (moratoire) dans tout le groupe. Si pour cela l’État doit augmenter sa détention des parts de propriété dans le groupe, cela doit être fait.

– La situation doit être examinée par une table ronde multipartite (salariés, État, représentants des territoires, banques) appuyée par les services publics, du point de vue financier et du point de vue économique. Elle doit examiner d’une part l’industrie ferroviaire, d’autre part le transport ferroviaire lui-même, ainsi que le transport urbain. Elle devrait formuler des propositions alternatives immédiates (coûts, répartition mondiale de l’activité dans le groupe, formations) et de moyen terme (nouvelles productions), ainsi que de coopérations nationales et internationales en ce sens.

– Les coûts du capital et prélèvements bancaires sur la SNCF (2,9 milliards d’euros prélevés en seules charges financières en 2015, d’après la Commission des comptes des transports de la Nation), la RATP et les transporteurs urbains doivent être examinés, dans l’objectif de les abaisser jusqu’à zéro, en contrepartie d’engagements d’investissements (matériels et recherche) s’accompagnant de créations d’emploi, de meilleurs salaires et de mises en formation. La BCE doit être mobilisée pour abaisser ces prélèvements, en refinançant plus, et moins cher, les banques qui s’engagent à renégocier les dettes en ce sens.

– L’État doit réunir une table ronde sur le transport ferroviaire du futur (TGV, fret, trains inter-urbains, tramways, métros, etc.) avec les différents acteurs de la filière (salariés, patronat, chercheurs, ministères des Transports et de l’écologie, de l’éducation nationale, régions, banques…).

– Les contre-propositions formulées par la table ronde doivent être examinées et discutées afin que soient retenues celles qui sont le plus favorables à l’emploi, en quantité et en qualité, à l’écologie et aux richesses disponibles dans les territoires.

– Les banques publiques et l’État actionnaire doivent financer ces contre-propositions (dépenses de R&D, investissements matériels), avec un crédit à taux proche de zéro et des dividendes très faibles pour l’État et les autres actionnaires, en y mettant le respect de conditions d’emploi et de production dans les territoires.

– La table ronde doit pouvoir suivre au fil du temps le respect des engagements pris.

Leviers publics à actionner

L’État doit exercer son rôle d’actionnaire public, qui défend les intérêts de ses mandants : l’intérêt des populations et de l’économie française.

– Pour exercer un véritable pouvoir et mettre en œuvre une logique différente de celle des actionnaires égoïstes et prédateurs actuels, l’État doit monter au capital d’Alstom, au moins jusqu’à 30 % (minorité de blocage) voire à la majorité du capital. L’objectif est celui d’une appropriation sociale, avec une nationalisation, une nouvelle gouvernance comprenant des droits nouveaux des salariés, un pôle public financier du transport.

– L’État doit être appuyé pour cela par les banques publiques (qui peuvent lui prêter des fonds à taux proche de zéro) et par des entreprises publiques du pôle ferroviaire français, tout particulièrement la SNCF.

Transparence

– Les comptes et tous les coûts doivent être mis à plat : non seulement les coûts salariaux mais aussi les coûts du capital (dividendes, intérêts bancaires, amortissements, investissements, achats d’entreprises à l’étranger, placements financiers, utilisation de la trésorerie du groupe) et aussi les montants des royalties payées pour les brevets par les différents sites et filiales. Une renégociation de tous les coûts non salariaux doit être entamée, y compris avec les banques. La localisation par pays des actifs immatériels (brevets, etc.) doit être examinée.

– La clarté doit être faite sur deux autres choses : à quoi ont servi les aides publiques reçues ? à quoi a été utilisé le pactole reçu de la vente de la filière énergie à GE ?

Avenir

– Un véritable plan de R&D ambitieux et d’investissements, une programmation d’embauches, de formations, branchés sur le transport ferroviaire de l’avenir doit être élaboré, concernant non seulement les trains et locomotives, la signalisation et les systèmes, la maintenance, mais aussi les différents modes de transport (fret, voyageurs, TGV, Inter-urbain, métro, tramway…). Il doit expliciter ses effets sur l’emploi et sur l’écologie. En particulier, doivent être sérieusement développées des technologies dites « pendulaires » pour le TGV, économes en développement de nouvelles infrastructures et porteuses d’emploi.

– Un grand plan de développement des infrastructures ferroviaires doit être élaboré, notamment concernant le fret en lien avec la nouvelle répartition géographique de la production française et mondiale de marchandises. Il doit s’articuler avec un plan européen urgemment nécessaire et la BCE doit contribuer à le financer pour tous les pays de l’UE, avec une partie des 80 milliards d’euros qu’elle crée chaque mois.

– Un allégement des frais financiers du système ferroviaire doit être engagé, par une renégociation de la dette bancaire. Actuellement, les seuls frais financiers de la dette du système ferroviaire étouffent son développement, s’élèvant à près de 3 milliards d’euros (2,9 milliards d’après les comptes des transports), soit 1/3 de la masse salariale ou 30 % des investissements.

International

– Au niveau européen, il faut un plan de développement des services publics ferroviaires (fret et voyageurs, et aussi transport urbain) pour maîtriser la concurrence, développer la coopération et pour une véritable transition écologique. Il doit viser le développement et la sécurisation de l’emploi et de la formation, à travers des investissements sélectivement financés par un Fonds européen solidaire de développement des services publics abondé à 0 % par la BCE.

– Plus généralement, le dossier des politiques de mise en concurrence à outrance favorisant de fait le transport routier, sous le vocable de « libéralisation », doit être ré-ouvert pour être mis en cause. Il faut non seulement viser une coopération entre services ferroviaires, mais aussi une ré-intégration entre gestion des infrastructures, transport et commercialisation, mais avec une réelle transparence et un rôle nouveau des usages et des salariés. La coopération doit concerner les différents modes de transport, qui doivent contribuer à l’effort de développement les uns des autres, tout particulièrement le transport routier et les grands ports européens.

– Le gouvernement français doit lancer la négociation de traités de maîtrise des échanges internationaux ferroviaires et d’investissements pour le codéveloppement, au lieu de traités de concurrence et de libre-échange (Tafta, Ceta…). Au niveau européen, comme avec des partenaires importants tels l’Inde, la Chine ou les États-Unis, ce type de traité encadrerait les échanges et la production internationale dans la filière ferroviaire : le principe serait que le développement de l’emploi, des richesses réelles et des biens communs (santé, écologie) dans les différents pays partenaires primerait sur le commerce international au moindre coût et sur le libre-échangisme. Le lancement de ce chantier ouvrirait concrètement celui d’une alternative au libre-échangisme généralisé et aux traités internationaux de type Tafta. En Europe, il ouvrirait la voie à un « Airbus du ferroviaire » sur une base de progrès commun et partagé. 

 

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