Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un Fonds de développement européen pour les services publics : refonder radicalement l’Europe

Les aspirations populaires des Européens se heurtent à un obstacle : la Sainte-Alliance des financiers et des institutions européennes. Que faire, face à cette violence nue du capital et des institutions à son service ? On ne peut pas esquiver le combat pour refonder l’Union européenne. Mais comment s’y prendre ? Une renégociation à 27 ou 28 prendra des années. Et plutôt que changer l’Europe par le haut, si on se battait pour la changer par en bas ?

En finir avec le carcan du « pacte de stabilité », avec les politiques de baisse du coût du travail, avec le « toujours plus » pour les multinationales et la finance, « toujours moins » pour les services publics, les salaires, l’emploi, l’environnement… Ces aspirations, largement partagées en Europe, se heurtent à un obstacle : la Sainte-Alliance des financiers et des institutions européennes. Nul ne peut l’ignorer depuis le coup de force des dirigeants européens contre la Grèce en juillet 2015. Nul ne peut ignorer non plus qu’elle est l’« arme atomique » qui a permis, en l’occurrence, de fouler aux pieds l’exigence exprimée par 61 % des Grecs quelques jours auparavant par voie de référendum : le pouvoir monétaire de la Banque centrale européenne. La BCE est en effet la seule institution capable de dire à un gouvernement : si vous n’appliquez pas les mesures qui vous sont dictées ici, je prononce l’arrêt de mort de vos banques, et je prive ainsi votre économie de tout moyen de fonctionner.

Que faire, face à cette violence nue du capital et des institutions à son service ? Jeter le manche après la cognée et « sortir » de l’euro, de l’Union européenne ? Ce serait lancer les peuples d’Europe dans la surenchère des dévaluations compétitives, avec leur cortège de baisse du pouvoir d’achat, d’enchérissement des dettes publiques et privées, et les exposer, plus encore qu’aujourd’hui, à la tyrannie des marchés financiers, à la domination allemande sur l’Europe et à celle du dollar sur le système monétaire international. Sans parler de l’encouragement que cela donnerait aux pulsions nationalistes et réactionnaires dont la campagne pour le Brexit a donné un triste échantillon, mais qui se manifestent aussi en Allemagne, en Europe centrale, et de façon particulièrement dangereuse en France avec la montée du Front national.

Espérer qu’un jour, à Bruxelles, à Francfort, à Berlin, à Paris, des dirigeants raisonnables s’entendront pour imposer, d’en haut, des politiques progressistes à l’échelle de l’Union ? Mais les bases mêmes de la construction européenne actuelle sont conçues pour l’empêcher, tout particulièrement l’euro et la Banque centrale européenne au service des profits financiers, et non de la création de richesses et du développement des êtres humains en Europe.

On ne peut donc pas esquiver le combat pour refonder l’Union européenne. Il faut changer les traités. Mais comment s’y prendre ? Une renégociation à 27 ou 28 prendra des années, à quoi s’ajouteront les délais et les aléas des ratifications dans chaque pays… Encore un tel scénario suppose-t-il qu’une majorité politique en faveur d’une autre construction européenne se structure dans les différents pays de l’Union. On n’en est pas là. Et pourtant, il y a urgence à refonder l’Europe car les politiques actuelles ne sont pas tenables. Elles conduisent aujourd’hui à la stagnation économique, à la déflation, et demain à des cataclysmes financiers et à des convulsions politiques aux conséquences incalculables. Les gouverneurs de la BCE en sont conscients plus que n’importe quels autres dirigeants européens, mais ils continuent leur course à la catastrophe.

Et si, au lieu de tenter de changer l’Europe par en haut, on se battait pour la changer par en bas ? En rassemblant les citoyens dans les entreprises, les quartiers, les régions, autour d’objectifs concrets : mettre à niveau le service public ferroviaire en Europe, sortir de la misère les hôpitaux, les écoles, les universités, les centres de recherche, les institutions culturelles, mettre en place les moyens d’accueillir dignement les réfugiés en Grèce et partout en Europe, redonner aux collectivités territoriales les moyens d’investir ?

Ces propositions ont un point commun : elles reposent sur un développement tout à fait nouveau des services publics. Qu’il s’agisse d’environnement et de transition énergétique, de sécurité, de justice, de santé, de formation, de recherche, ou de tout ce qui concourt au développement des capacités humaines, la réalisation de ces objectifs exige un développement considérable de l’emploi public et de la formation des agents chargés des services publics, ainsi que des investissements matériels et de recherche qui doivent l’accompagner.

Pour faire tout cela, il faut de l’argent. Justement, il y a une institution en Europe qui a le pouvoir de distribuer l’argent sans limite : la Banque centrale européenne. Et elle se sert de son pouvoir ! 548 milliards prêtés à 0 %, voire -0,4 %, aux banques, 1 500 milliards déversés sur le marché financier sous forme d’achats de titres depuis 2007. Mais ni les chômeurs, ni les salariés, ni les élus étranglés par l’austérité budgétaire n’ont jamais vu la couleur de cet argent. Même les patrons de PME qui veulent investir n’osent plus s’adresser à leur banque tant ils sont sûrs de se voir fermer la porte au nez.

Si la BCE était confrontée à des demandes précises de financement, pour des projets porteurs de créations d’emplois, de sécurisation des emplois précaires, de formation, de création de valeur ajoutée dans les territoires et de contributions à la transition écologique, au nom de quoi pourrait-elle refuser de les financer plutôt que les opérations financières perverses qu’elle continue d’encourager par sa politique monétaire ?

C’est dans les luttes pour ces objectifs que pourrait se forger la majorité politique, en Europe, capable d’imposer, à terme, un changement complet des traités. Mais dès à présent, ces luttes peuvent trouver leur traduction dans des institutions qui viennent concrétiser et appuyer leurs exigences.

C’est en ce sens que nous proposons la constitution d’un Fonds de développement économique, social, écologique solidaire européen. Géré selon un principe de démocratie et de décentralisation, par les représentants des citoyens et des acteurs sociaux des pays de l’Union européenne, il financerait des projets de développement des services publics, soigneusement sélectionnés selon des critères économiques, sociaux et écologiques. Doté du statut d’établissement de crédit ou, à défaut, adossé sur les banques publiques de développement européennes (Banque européenne d’investissement) ou nationales (Caisse des dépôts, BPI France, Kreditanstalt für Wiederaufbau en Allemagne…), il aurait ainsi droit, sans attendre un changement des traités, à un refinancement à taux très faible par la BCE. Son action aurait ainsi une tout autre ampleur, et une tout autre portée, que le dérisoire plan Juncker. Elle s’articulerait à une nouvelle sélectivité de la politique monétaire pour orienter les crédits des banques en faveur des entreprises qui créent des emplois et de la valeur ajoutée dans les territoires, et elle ouvrirait une brèche dans le carcan du Pacte budgétaire.

Cette proposition s’articule ainsi à toute la cohérence d’une alternative à la dictature des marchés financiers et des politiques d’austérité à leur service, matérialisée par des propositions comme celle du Parti communiste français pour une loi de sécurisation de l’emploi et de la formation.

Elle peut être portée devant les instances communautaires par un ou plusieurs gouvernements dans une démarche conjointe pour sortir des impasses actuelles de la construction européenne en contribuant à la refonder. Répondant de façon réaliste aux exigences qui naissent de la crise sociale, elle peut contribuer à rassembler des forces importantes en France et en Europe, et à donner aux luttes sociales et politiques la force d’imposer une alternative radicale et réaliste aux politiques néolibérales d’austérité, en ouvrant une nouvelle voie de progrès partagé.

Elle fait l’objet d’une présentation détaillée dans une note accessible sur le site de la revue Économie et politique (http://www.economie-politique.org/92873).

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