Dans la préparation de la loi de finances 2017, une question occupe une place centrale : le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu en 2018. Présenté comme une simplification du paiement de l’impôt sur le revenu et le moyen d’assurer une meilleure régularité des rentrées fiscales pour l’état, le prélèvement à la source ne serait-il pas le cheval de Troie d’une refonte de l’ensemble de la sphère des prélèvements fiscaux et sociaux ?
Un fait tend à valider cette hypothèse, c’est la confusion qui entoure les modalités d’application de ce prélèvement. Les « usines à gaz » servent souvent d’écran de fumée à des projets encore inavouables. « Derrière le flou il y a un loup » disait M. Aubry. Ainsi, à propos de la confidentialité des revenus autres que salariaux il serait possible de conjuguer divers types de paiement : un prélèvement à la source par l’employeur ou un prélèvement « à l’ancienne » ou exécuté par les banques. Et il y a le taux neutre. C’est le contribuable qui le proposerait à son employeur pour ne pas révéler ses autres sources de revenus ou ceux de son conjoint. Cela reviendrait à ce que chacun déclare pour lui seul. Il y a également le Medef qui fait grise mine : projet trop compliqué, trop de charges de travail, dit-il ! Enfin il vient d’être découvert que ce mode de prélèvement s’accommoderait mal de la pratique du crédit d’impôt… Une seule chose serait quasi certaine à ce jour, l’année 2017 serait une année fiscale blanche s’agissant de l’impôt acquitté sur les revenus salariaux et assimilés.
bIl est bon de le répéter : en matière de simplification, de sécurité et de régularité du recouvrement des rentrées fiscales, l’administration dispose avec la déclaration pré-remplie et la mensualisation d’outils efficaces. Sur 17,5 millions de contribuables imposés à l’IR, 10,4 sont mensualisés.
Alors cherchons l’erreur ou plus exactement le véritable moteur de cette réforme. Un objectif qui n’est d’ailleurs pas un secret, c’est la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG. Le président Hollande lui-même en a fait un objectif reprenant en cela le projet initial du père de la CSG, M. Rocard. En fusionnant un impôt progressif et un impôt proportionnel on ferait entrer dans un nouvel impôt sur le revenu des milliers de contribuables jusque-là non imposables car disposant de trop faibles revenus, devenus ainsi captifs face aux aléas des hausses de taux et/ou des variations de tranches. Mais c’est aussi le moyen de franchir un nouveau pas vers la fiscalisation des recettes de la protection sociale, notamment de la branche santé, et donc d’accélérer le désengagement du patronat de ce financement. Dans un premier temps, ce sont 25 millards d’euros, montant des allégements de cotisations sociales patronales, que le gouvernement souhaiterait « barémiser »1 et, de la sorte, graver dans la loi de financement de la protection sociale, préparant ainsi le terrain à un passage des cotisations sociales sur les entreprises à des prélèvements fiscaux sur les individus. Une telle « barémisation » poussant à une évolution de la CSG vers un barème progressif représenterait un atout supplémentaire pour engager sa fusion avec l’IR.
Là ne s’arrêtent pas les évolutions sous-tendues par le prélèvement à la source. Même si aujourd’hui seul l’impôt sur les revenus salariaux entre dans cette épure, d’autres comme les impôts locaux, notamment la taxe d’habitation, déjà très souvent mensualisés pourraient suivre. Au-delà c’est l’architecture de l’impôt sur le revenu et les fondements de la politique familiale qui pourraient être très fortement chamboulés. Derrière le taux neutre, donc la possibilité pour chaque membre du foyer fiscal de choisir son type d’imposition, s’ouvre la voie à une remise en cause de la notion de foyer fiscal et avec lui des quotients conjugal et familial. Cela fait de nombreuses années qu’à divers prétextes, y compris de l’égalité femme/homme et de l’équité fiscale que les notions de quotient conjugal et de quotient familial sont attaquées. Même s’il est nécessaire de réfléchir aux moyens de préserver y compris sur le terrain fiscal, l’égalité femme/homme et d’agir pour mieux mettre à contribution les hauts revenus, il est un fait avéré. La suppression du quotient conjugal entrainerait une augmentation globale de l’impôt sur le revenu payé par un couple et celle du quotient familial rendrait perdants plus de 9 millions de foyers fiscaux (rapport des services de Bercy de 2013).
Enfin, si le Medef rechigne à appliquer ce système c’est surtout de pure forme ! Qui mieux que lui connaît les liquidités supplémentaires dont les entreprises pourront ainsi momentanément disposer ? Soit une somme de plus de 70 milliards d’euros, produit de l’impôt sur le revenu. Selon leur taille, les entreprises reverseront en effet l’impôt collecté au Trésor public, soit huit jours, soit quinze jours, soit trois mois après le versement du salaire. De quoi constituer un joli fonds de roulement pour certaines PME et PMI qui en manquent cruellement. De quoi permettre à leurs donneurs d’ordres, des multinationales essentiellement, de continuer à les pressurer sans vergogne puisque leur fonctionnement quotidien sera pris en charge par de l’argent public prélevé sur le dos des contribuables.
Plus globalement le fait de rendre les entreprises collectrices d’un second impôt, le premier étant la TVA, n’est pas sans interroger quant à la célérité avec laquelle celles-ci respecteront les délais de reversement impartis. La fraude à la TVA évaluée en France à 13,5 milliards d’euros en 2015, soit plus de 10 % du montant de TVA collectée, donne un avant-goût de ce qui pourrait advenir des reversements d’impôt sur le revenu.
à l’aune de cette réalité peut ainsi être mesuré le peu de validité de l’argument gouvernemental s’agissant d’assurer une meilleure régularité des rentrées fiscales. Les modalités proposées aux entreprises n’offriront aucun avantage tangible supplémentaire par rapport aux formes de prélèvement actuel.
Et par-dessus tout, le Medef n’a certainement pas oublié que Bercy avait évalué il y a quelques années, à 1,5 milliard d’euros le coût de la gestion de l’IR2. Le Medef, jamais en reste lorsqu’il s’agit de faire main basse sur quelques milliards d’euros d’argent public, a ainsi chiffré le coût de la gestion du prélèvement à la source par les entreprises à 2 milliards d’euros. La convoitise d’une telle manne risque fort de se transformer en une nouvelle campagne de lobbying du patronat auprès du gouvernement qui comme on le sait, ne résiste jamais très longtemps en pareil cas.
Par contre il y a fort à parier que le gouvernement prenne prétexte de cette réforme pour à nouveau réduire les moyens de fonctionnement, notamment en personnels, de l’administration fiscale. Pour 2017, 1 200 suppressions d’emplois sont déjà programmées ce qui porte à 36 000 les suppressions d’emplois au ministère des Finances en 15 ans. Or la retenue à la source n’allégera en rien le travail des services de gestion de la fiscalité des personnes. Au contraire il risque de le complexifier. D’une part parce que les contribuables devront continuer à remplir une déclaration d’impôt et qu’il faudra vérifier les montants déclarés et les montants payés. D’autre part parce que vont perdurer divers types de paiement de l’impôt et qu’il faudra répondre aux demandes de régularisation de situation fiscale des contribuables qui arriveront en cours d’années et qui devront être traitées trimestriellement. Cela vient d’ailleurs justement nous rappeler que le prélèvement à la source n’est qu’un acompte sur l’impôt dû et que, contrairement aux effets d’annonce gouvernementaux, les contribuables vont dans de très nombreux cas continuer à accorder des avances au Trésor public. Notamment du fait que le montant du prélèvement fiscal sera calculé sur le montant perçu le premier mois de travail ou sur le premier mois de l’année et qu’il se poursuivra sans pouvoir être rectifié, sur une période qui risque d’approcher les 12 mois.
Placé sous le sceau de la modernité le projet gouvernemental de prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu n’est en France pas vraiment nouveau. Déjà en 1991 alors que la CSG naissait, cette perspective était évoquée. Antérieurement, l’idée de retenue ou de prélèvement à la source avait pris forme concrète sous un aspect proche de celui dont il est question aujourd’hui. Cela se passait en 1940, année de sinistre mémoire qui ne renvoie pas forcément à une période de progrès et d’expansion. Cette expérience devait finalement prendre fin en 1948. Le procédé se nommait « stoppage à la source » ; consulter à ce propos le rapport du Conseil des PO3 de 2012.
Enfin sans doute que le gouvernement a voulu donner un nouveau gage de bonne conduite à la Commission européenne en s’alignant sur le système majoritairement en vigueur au sein de l’UE. Un pas supplémentaire serait ainsi franchi dans la construction du fédéralisme fiscal. Cela, bien évidemment en passant au-dessus des particularités de notre impôt sur le revenu, de sa structure et de son mode de calcul. De là à penser que certains verraient derrière cette unification le moyen d’instaurer un revenu universel européen, il n’y a qu’un pas qu’ils n’hésiteraient pas à franchir surtout si cela permettait de redorer un blason européen bien terne.
Si une chose est certaine c’est que cette question va occuper les débats des prochaines échéances électorales. Ce sera alors l’occasion pour les communistes de faire la clarté sur le contenu d’une réforme fiscale progressiste alliant justice sociale et efficacité économique et environnementale. C’est-à-dire adossant la mise en œuvre d’une nouvelle politique fiscale à une réforme en profondeur du rôle des banques et de la politique du crédit ainsi que du rôle et de l’intervention des salariés dans la gestion de leur entreprise, qu’elle soit privée ou publique, de production ou de service.
1. « Barémiser » : établir un barème intégrant, c’est-à-dire inscrivant comme un principe général, l’existence de plusieurs taux de cotisations sociales patronales en fonction du niveau des rémunérations servies.
2. Selon le CPO (conseil des prélèvements obligatoires), le coût pour les employeurs pourrait représenter entre 1,3 % et 3,5 % de la valeur des impôts collectés.
3. Conseil des PO : Conseil des prélèvements obligatoires.
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