Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Le transfert du poids de la fiscalité des entreprises sur les ménages : un fait avéré et inégalé ! Jean-Marc Durand

Phénomène engagé depuis une vingtaine d’années maintenant, le transfert de fiscalité des entreprises sur les ménages s’est particulièrement accéléré après la crise des « subprimes » comme le montre une récente étude de l’OFCE parue en octobre 2015. C’est N. Sarkozy qui, pourrait-on dire, a dynamisé ce processus, prolongé et accentué par son successeur.

Un choix profond

Ainsi depuis 2010, le coût des politiques d’ajustement structurel et de réduction des déficits a été supporté dans une large mesure par les ménages. Pas d’ambiguïté à ce propos malgré les lamentations et les jérémiades du Medef et de son chef P. Gattaz. Le pacte de responsabilité et de solidarité mis en œuvre depuis 2014 en constitue même un accélérateur. Les baisses d’impôt sur le revenu annoncées à cette occasion pour les ménages modestes ne sont que des leurres. Elles sont en effet largement compensées par les hausses de fiscalité indirecte (TVA, TICPE), des impôts locaux et de la CSG par exemple pour les retraités.

Au cours de la période 2010-2016, en intégrant les mesures proposées par le Projet de loi de finances 2017, les prélèvements obligatoires sur les ménages, auront subi une augmentation de 65 milliards d’euros, soit +3 points de PIB. Par contre ceux des entreprises n’auront progressé que de 8 milliards d’euros, soit +0,4% du PIB. Le constat est limpide. Le taux des prélèvements obligatoires sur les ménages va atteindre fin 2016 un niveau historique, à 28,2% du PIB, tandis que les prélèvements sur les entreprises retrouveront un niveau de 16,4%, inférieur à celui d’avant la crise de 2008. Une telle décrue des charges des entreprises est un phénomène qui n’a pas de pareil dans l’histoire récente des prélèvements obligatoires.

Des proportions jamais atteintes

Et cette dérive ne va visiblement pas s’arrêter en si bon chemin. En 2017, avec la suppression totale de la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés), la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés à 28%, soit (-5 points) et le plein effet des remboursements liés au CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), le poids de la fiscalité des entreprises devrait encore baisser de 10 milliards d’euros pour se traduire par un des plus bas montants de rentrées fiscales perçues au titre de l’impôt sur les sociétés soit 29milliards d’euros. L’entrée en vigueur de ces dispositions aura pour effet de ramener le taux des prélèvements obligatoires des entreprises à son plus bas niveau depuis l’année 2000. Du pain béni pour les entreprises qui n’auront jamais connu une telle réduction de leur contribution fiscale et sociale alors que celle des ménages aura atteint des sommets.

Les éléments retenus pour établir la comparaison entre l’évolution des prélèvements obligatoires des entreprises et ceux des ménages sont pour les ménages: les prélèvements directs (impôt sur le revenu, CSG, CRDS, taxe d’habitation), les impôts indirects (TVA, TICPE…), les impôts sur le capital (ISF, taxe foncière…) et les cotisations sociales. Pour les entreprises, les prélèvements pris en compte sont: les impôts sur la production et l’activité, les impôts sur les salaires et la main-d’œuvre, les impôts sur les sociétés et les cotisations sociales patronales.

La seconde moitié de la deuxième décennie du xxie siècle sera certainement celle du plus grand choc fiscal subi par les ménages depuis la seconde guerre mondiale. Après une augmentation globale du taux des prélèvements obligatoires entre2010 et2013 de 3,7% dont 2,4% à la charge des ménages et 1,3% à celle des entreprises, un profond décrochage entre le sort des ménages et celui des entreprises s’est opéré dès 2014 se traduisant cette année-là par une réduction de 0,2% de PIB pour les entreprises et une augmentation de 0,4% de PIB pour les ménages.

En 2015, cette tendance s’est accélérée sous l’effet conjugué de la montée en charge du CICE et des premières mesures du pacte de responsabilité soit 11,9 milliards d’euros qu’il faut réduire de 1,7 milliards d’euros au titre de la réforme des retraites. Au global, les prélèvements sur les entreprises auront baissé de 10 milliards d’euros alors que ceux des ménages auront augmenté de 4,5 milliards d’euros d’euros, soit +0,2 point de PIB et cela malgré la suppression de la première tranche d’impôt sur le revenu.

En 2016, ce processus aura suivi son cours avec une nouvelle baisse globale des prélèvements obligatoires des entreprises de 5,9 milliards alors que les ménages supporteront une hausse de 4,1 milliards d’euros, malgré la baisse programmée de 2 milliards d’euros l’impôt sur le revenu.

Pour 2017, une réduction de 1milliard d’euros de l’impôt sur le revenu, soit une baisse de 20% pour 5millions de ménages des couches moyennes, est prévue. Pour autant, cela ne change pas fondamentalement la tendance à une distorsion toujours plus grande entre l’évolution de la fiscalité des particuliers et celle des entreprises. Ainsi, l’année prochaine les particuliers verront leur charge d’impôt sur le revenu baisser de 1milliard, mais ils vont tous subir une hausse de la redevance TV, certes de 2euros supplémentaires, et surtout de leurs impôts locaux notamment de la taxe foncière avec les hausses pratiquées par les agglomérations mais aussi de la taxe d’habitation dans de nombreuses villes, cela venant après des augmentations significatives les années précédentes. Quant aux entreprises, elles enregistreront une nouvelle baisse de leur contribution fiscale globale, cette fois-ci d’un montant de 5milliards d’euros.

L’urgence d’un changement de cap!

Il est urgent et salutaire pour tout le monde de mettre rapidement fin à une telle dérive. Comment en effet ne pas voir que l’accroissement du poids des prélèvements obligatoires sur les ménages, qui s’ajoute à des niveaux de salaires anormalement bas et à un chômage de masse, constitue un frein massif à la consommation? Et qui dit consommation en berne, dit activité des entreprises léthargique, production faible et chiffre d’affaires stagnant avec au bout du compte des résultats faibles et des bénéfices qui ne permettent pas les réinvestissements nécessaires à la modernisation de l’outil de travail et au soutien de l’emploi et de la formation. Contrairement au discours officiel le choix d’une telle politique de l’offre est mortifère pour les entreprises elles-mêmes. Il faut en finir avec cette gangrène qui ronge toute la société. Il est nécessaire de retrouver le cercle vertueux de la responsabilisation sociale des entreprises, et d’une relance de la dépense sociale et publique.

C’est pourquoi les entreprises doivent retrouver le chemin d’une contribution fiscale et sociale efficace. Ce retour passe, d’une part, par une réforme de leur fiscalité, notamment en instaurant un impôt territorial assis sur le capital matériel et financier des entreprises, et un nouvel impôt sur les sociétés, progressif et modulé en fonction de l’utilisation de leurs bénéfices pour des investissements porteurs ou non de créations d’emplois, d’actions de formation et de protections de l’environnement. D’autre part il faut arrêter de sortir l’entreprise du financement de la protection sociale en soumettant ses revenus financiers au même taux de prélèvement que les salaires et en augmentant puis en modulant les cotisations patronales en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée, selon les branches professionnelles. Enfin il faut que les banques utilisent autrement l’argent dont elles disposent et qui provient pour une large part des dépôts des citoyens. Cet argent doit servir à proposer aux entreprises des crédits à très faible taux, voire à 0% ou en dessous en fonction de la nature des investissements de ces dernières, cela sous le contrôle des salariés disposant de nouveaux pouvoirs d’intervention et de décision dans la gestion. Ainsi les entreprises pourront investir, réaliser de nouvelles productions et vendre. Au final la base de leurs prélèvements fiscaux et sociaux augmentera, permettant aux budgets publics de retrouver équilibre et efficacité et de booster l’ensemble de l’activité économique. 

 

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