Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Revenu de base : un enfer pavé de bonnes intentions

Sur la proposition de résolution de EELV pour l’instauration d’un revenu de base

Dans le cadre du débat parlementaire, le groupe EELV du Sénat  a déposé sur le bureau de la Haute Assemblée une proposition de résolution visant à la création par le gouvernement d’un revenu de base universel et non conditionné. Cette proposition faisait écho à une suggestion européenne et certaines expérimentations dans certains pays. Rejetée dans le débat parlementaire, cette proposition résume assez bien la philosophie qui sous-tend l’argumentaire des défenseurs du revenu de base.

Revenu d’existence universel : de quoi parle-t-on ?

Il existe trois conceptions principales de l’allocation universelle ou revenu d’existence.

La première est libérale et proche de l’impôt négatif de Milton Friedman. Elle consiste à supprimer le salaire minimum pour abaisser le coût du travail au niveau d’un équilibre de marché et à compléter les bas salaires par un revenu fourni par la collectivité. C’est un nouveau pas sur la voie de la dérégulation du « marché du travail ».

La deuxième est défendue par Van Parijs, Yoland Bresson et André Gorz. Elle ne vise plus à assurer le droit à l’emploi mais uniquement le droit à un revenu, l’individu choisissant de travailler, ou non. Cette déconnexion entre les deux droits est théoriquement intenable car il n’y a aucun revenu monétaire qui ne puisse être engendré sans travail productif.

La troisième est avancée par Alain Caillé et l’école anti-utilitariste en science sociale : le revenu dit de citoyenneté serait versé au-dessous d’un certain seuil de revenu et serait ensuite dégressif. C’est le modèle théorique du RSA.

La caractéristique commune de ces définitions : le revenu de base est déconnecté de la production. Ce qui n’est pas sans conséquences : sans production préalable, d’où pourrait venir le revenu de base distribué sans contreparties ? Car c’est un fait, pour distribuer un revenu, il faut préalablement qu’il existe et donc soit produit…

Dans tous les cas, conçu comme revenu permanent, le revenu de base ne serait qu’une rente versée à des privés d’emploi transformés en rentiers de la misère, prélevée principalement sur les ménages travaillant. Il ne serait rien d’autre que le masque d’une économie capitaliste attendrie mais dans laquelle la logique capitaliste resterait reine. Renonçant aux politiques d’emploi, il entérinerait la coupure définitive entre ceux qui pourraient bénéficier de tous les avantages de la vie sociale et les autres.

En outre, il contribuerait à la déresponsabilisation sociale des entreprises, à la fois, en ne répondant pas à l’objectif de socialisation des profits (seule la fiscalité est envisagée) et en contribuant à accentuer les trappes à bas salaire (pourquoi augmenter les salaires si les salariés bénéficient d’un revenu suffisant pour vivre dont une part est déconnectée de l’activité ?). De fait, il accompagnerait le développement du chômage et de la précarité liés à la révolution informationnelle. L’objet de l’équité est donc détourné : ce n’est plus l’égalité devant le droit fondamental au travail qui est considérée comme essentielle, c’est l’égalité devant son palliatif. Il s’agit d’un adieu à la lutte sociale transformatrice.

Pas étonnant que l’arc de ses défenseurs couvre des sociaux-démocrates (André Gorz et Cynthia Fleury par exemple) aux libéraux (Dominique de Villepin et Frédéric Lefèvre entre autres).

Sur la proposition de résolution d’EELV

Le contenu de la proposition de résolution (PR)

Il s’agit d’une demande au gouvernement de mettre en place « un revenu de base inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, distribué par l’État à toute personne résident sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement ».

Pourquoi cette demande ? Le texte avance 3 raisons principales :

C’est en résonance avec un principe révolutionnaire (référence aux Lumières du xviiie siècle français) et l’article 25 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 qui stipule que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être et celui de sa famille.

Il s’agit de répondre à la précarité sociale des individus, touchés par le chômage résultant des évolutions inéluctables du monde du travail suite à la révolution numérique et aux délocalisations des productions, et aux insuffisances du système de couverture sociale actuel, qui serait trop complexe et non universel et nécessiterait d’être réformé et simplifié. Un objectif est de rendre confiance et dignité au précaire pour faciliter son employabilité.

Il s’agit enfin de rémunérer des activités qui donnent lieu à des valeurs d’usage, notamment dans le sanitaire, social et culturel, mais qui n’ouvrent pas droit actuellement à rémunération.

Éléments critiques de la PR

Sur la racine révolutionnaire de la proposition

L’idée d’inconditionnalité d’un revenu distribué ne vient pas des Lumières mais de l’application progressive de la loi sur les pauvres de 1601 de l’Angleterre élisabéthaine. Qui instaure pour la première fois dans l’histoire un droit à revenu financé par l’impôt et géré par les paroisses du royaume au bénéfice des individus pauvres inaptes au travail et non rattachés à un territoire. Ce qui permet de sortir de la charité. Les pauvres aptes étant eux contraints au travail, parfois même au travail forcé au sein de workhouses. L’objectif était de fixer sur le territoire des paroisses les vagabonds, paysans dépossédés de leurs moyens de subsistance et de leur rattachement à une terre. Entre 1780 et 1792, le système évolue vers une rémunération inconditionnelle des personnes réellement incapables de travailler.

Cette idée d’un revenu inconditionnel n’est donc pas une idée révolutionnaire mais une réponse morale à la misère soucieuse d’un contrôle social des effets de la misère.

Sur son fondement constitutionnel

La référence à l’article 25 est partielle. Elle évacue la suite de l’alinéa 1 de cet article qui fait référence à l’impossibilité pour la personne d’accroître son bien-être faute de revenus tirés du travail. Faire du droit à un niveau de vie décent un droit hors travail, c’est entériner l’absence d’emploi comme un fait acquis et faciliter l’abandon de la bataille pour en avoir un. Ce qui remettrait en cause l’article 5 du préambule à la constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. [...] » !

Sur les arguments économiques énoncés

Dans l’exposé des motifs, le revenu de base est défini comme un moyen « nécessaire pour accompagner dignement les mutations de l’économie française ». Non discutées par ailleurs et prises comme inéluctables, ces mutations sont la montée du chômage et de la précarité liées à la révolution numérique et aux délocalisations de l’appareil productif. Il s’agirait donc d’accompagner les effets néfastes des évolutions conduisant au chômage et à la précarité sociale dans le cadre de la refonte du système des minima sociaux. Et non de contrer les raisons de la précarité et du chômage et de se battre pour développer l’emploi. En traitant donc les symptômes et non les causes de la maladie, le revenu de base conforte le renoncement à la bataille pour l’emploi et sa sécurisation.

Par ailleurs, en faisant de ce revenu inconditionnel un moyen de reprendre confiance et de faciliter l’employabilité de ses bénéficiaires, la PR conforte l’idée pernicieuse d’une responsabilité implicite des chômeurs de leur situation. Alors qu’elle se fonde sur une ambition morale, elle reste ancrée dans une démarche de culpabilisation des chômeurs.

La PR évoque un financement étatisé et ajusté du revenu de base. Or les recettes de l’État sont pour la majeure partie d’entre elles des recettes fiscales assises sur les revenus des ménages. Baisse des charges fiscales et sociales obligent, la fiscalité des entreprises ne contribue effectivement au budget de l’État qu’à hauteur de 20 % (375 milliards pour le budget de l’État, 34 milliards pour l’IS et un montant équivalent pour les autres recettes fiscales émanant des entreprises). Le revenu de base sera donc très principalement financé par les revenus des ménages, eux-mêmes tributaires des politiques salariales et d’emploi des entreprises. Peu dynamique, la source de financement ne permettra pas un ajustement significatif de ce revenu de base aux évolutions.

Sur les ambitions théoriques

C’est un point essentiel du débat. Elles sont de deux ordres.

1. Le revenu de base est prétendu instrument de lutte contre la précarité et le chômage. En réalité, il en est l’idiot utile. En assurant un revenu de la naissance à la mort déconnecté de la production, le revenu de base alimente la trappe à bas salaires en tirant les salaires vers le bas. Pourquoi demander une hausse de salaire, et donc déplacer le curseur du partage salaires/profits en faveur des salaires, si un revenu non salarial de complément permet d’assurer la réponse à ses besoins ? C’est déjà l’effet constaté du RSA activité sur les rémunérations des personnes éloignées de l’emploi en insertion dans l’emploi. Par ailleurs, pourquoi l’employeur augmenterait-il les salaires s’il sait que les salaires distribués complétés d’un revenu de base suffisent à la reproduction de la force de travail ? En vérité le revenu de base pourrait alimenter non pas la fainéantise des salariés, mais la possibilité d’accroître la rémunération du capital.

2. En voulant rémunérer les activités humaines qui génèrent une valeur d’usage, la PR participe paradoxalement à réintroduire le champ des activités libres et non marchandes dans le marché. Mais elle travaille aussi à donner un prix à ces activités déconnectées de la valeur de ces activités humaines correspondant au temps de travail socialement nécessaire à la reproduction de la force de travail qui les produit. Le revenu de base est donc le prix socialisé de ces activités humaines utiles socialement, mais il n’en est pas la valeur. C’est pourquoi le revenu de base reste une allocation et n’est pas un salaire. Mais c’est aussi pourquoi en cherchant à rémunérer l’utilité de ces activités, la PR s’inscrit dans le cadre théorique de l’utilitarisme des libéraux. Et c’est pour cela que cette proposition peut être défendue par un arc de représentants allant des sociaux-démocrates jusqu’aux plus libéraux. Aucun des deux groupes ne s’opposant aux logiques du capital (extorsion de la plus-value produite par la force de travail).

 

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