Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Revenu de base ? Mauvaise réponse à de vraies questions (Dossier)

« Mais la quantité de valeurs d’usage produites dans un temps donné, donc aussi pour un temps donné de surtravail, dépend également de la productivité du travail. La richesse véritable de la société et la possibilité d’un élargissement ininterrompu de son procès de reproduction ne dépendent donc pas de la durée du surtravail, mais de sa productivité et des conditions plus ou moins perfectionnées dans lesquelles il s’accomplit. En fait, le règne de la liberté commence seulement là où l’on cesse de travailler par nécessité et opportunité imposée de l’extérieur ; il se situe donc, par sa nature, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. De même que l’homme primitif doit lutter contre [ou affronter] la nature pour pourvoir à ses besoins, se maintenir en vie et se reproduire, l’homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire quels que soient la structure de la société et le mode de la production. Avec son développement s’étend également le domaine de la nécessité naturelle parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s’élargissent les forces productives pour les satisfaire. En ce domaine, la liberté possible est que l’homme social, les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature, qu’ils la contrôlent ensemble au lieu d’être dominés par sa puissance aveugle et qu’ils accomplissent ces échanges en dépensant le minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la nécessité. C’est au-delà que commence le développement des forces humaines comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s’épanouir qu’en se fondant sur l’autre royaume, sur l’autre base, celle de la nécessité. La condition essentielle [ou de base] de cet épanouissement est la réduction de la journée de travail. »

 

K. Marx (1894), Le Capital, Livre 3, traduction Mme Cohen-Solal et G. Badia, page 742 de l’édition de 1976, Editions Sociales.

 

Le « revenu de base », ou quel que soit son nom, fait partie de ces fausses bonnes idées pour résoudre les vraies questions du chômage et de la précarité. L’idée est simple en apparence : fournir un revenu mensuel à chaque individu, indépendamment de son activité productive et de ses autres revenus, juste parce qu’il existe.

Si ses sources idéologiques et théoriques sont multiples, elles reposent toutes sur un socle commun : elles postulent implicitement que l’on peut distribuer un revenu sans se soucier de sa production préalable. Or un revenu ne se distribue que s’il existe ! C’est un principe de réalité, avec des conséquences.

Un, il place la bataille pour la maîtrise sociale de la production de richesses et l’efficacité de cette production au cœur de celle de la répartition des richesses. Pour paraphraser Marx, disons qu’il rappelle que la maîtrise sociale de la sphère de la nécessité est la condition du règne de la liberté.

Deux, il pose la question de la validation sociale de la redistribution des richesses. Les défenseurs du revenu de base considèrent que tout acte social, par sa contribution à la richesse collective, a une valeur économique qui justifie le revenu universel. Mais une heure de pétanque a-t-elle socialement la même valeur qu’une heure de travail en entreprise ?

Trois, en déplaçant l’objectif d’une équité devant l’emploi vers celui d’une égalité devant un revenu social, le revenu de base entérine la logique du capital. D’abord, parce qu’un revenu social distribué à chacun sans conditions accentuerait la déresponsabilisation sociale des entreprises. Pourquoi en effet augmenter les salaires, ou même conserver un SMIC, si les salariés bénéficient déjà d’un revenu déconnecté de tout véritable emploi ? Et pourquoi accroître les prélèvements sociaux sur les profits au bénéfice d’une prise en charge sociale et collective élevée des besoins sociaux, si chacun a prétendument les moyens de contractualiser individuellement sa prise en charge ? Ensuite, parce que l’institution d’un revenu de base opérerait un double abandon : celui de la lutte pour l’emploi contre le chômage et celui de la lutte pour un dépassement du capitalisme. En effet, le revenu de base est généralement défini comme l’outil permettant d’accompagner les effets néfastes des mutations économiques que sont la montée du chômage et des précarités liées à la révolution numérique, et de libérer ainsi du travail aliénant. Pourtant, accompagner les effets néfastes de ces mutations et non les contrer, c’est traiter le symptôme et non la maladie, et faire du revenu de base l’outil du renoncement à la bataille pour l’emploi et sa sécurisation. Entériner cela, ce serait faire l’impasse sur le besoin de coopération collective qu’exigent les productions modernes, coopérations de travail et d’investissements, et de développement pour soi-même, permettant de construire l’efficacité sociale commune.

Disposer d’un revenu permettant de participer aux activités sociales créatrices et dans le même temps éradiquer le chômage demande un objectif bien plus révolutionnaire et ancré dans la réalité, tant celle-ci est marquée par la nécessité humaine des moyens réels d’existence qu’il faut maîtriser pour assurer la conquête de nouvelles libertés. Cela nécessite de révolutionner les conditions dans lesquelles s’effectue la production de richesses afin de permettre à tous d’y participer, avec de nouveaux droits, et d’en bénéficier. Ce qui renvoie, non à l’accompagnement des mutations de l’économie française, mais à une nécessaire maîtrise sociale et démocratique de ses évolutions.

 

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