Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La sécurité d’emploi ou de formation : un projet radical et rassembleur

Dans une France meurtrie par la crise et les surenchères sécuritaires, mais aussi marquée par la volonté de combattre les régressions sociales et rechercher de nouveaux chemins qui remettent la promotion des êtres  humains et la préservation de la planète au cœur d’un projet de société et de civilisation, le PCF pousse le débat sur sa proposition de Sécurité d’emploi ou de formation  (SEF) visant un dépassement du capitalisme et contribuant à une  sécurisation et une promotion de tous les moments de la vie pour une civilisation nouvelle. Elle fait écho aux dénonciations fortes et courageuses du Pape François des dégâts d’un capitalisme gangrené par la perversion de l’argent pour l’argent et la  soif de domination, appelant à la conscience des hommes.

En Europe et en France, le fiasco des réformes structurelles du marché du travail, supposées régler la question du chômage de masse et de la précarité, souligne l’urgence de s’attaquer tout autrement à ces maux. Ces réformes, initiées depuis une décennie dans tous les pays européens, prétendaient que l’introduction d’une « flexisécurité », censée concilier souplesse et sécurité des travailleurs, était la solution. En réalité, elle a fait prédominer une flexibilité de l’emploi et une extrême facilitation des licenciements, avec des sécurités salariales très limitées, voire nulles.

Le bilan de ces réformes est partout calamiteux comme en témoignent deux dirigeants syndicaux européens1 :

– En Espagne, pour Ignacio Fernandez Toxo, dirigeant des Comisiones Obreras, les 2 réformes initiées successivement par le PSOE et par la droite ont abouti à ce que, malgré une baisse de la population active suite à l’immigration de ses jeunes, le taux de chômage reste un des plus élevés en Europe. 6 millions de travailleurs sont aujourd’hui dans la pauvreté. L’écart salarial hommes femmes a grandi. Les négociations sociales sont au point mort. Résultat : l’organisation syndicale espagnole demande l’abrogation de ces réformes et exige un nouveau Code du travail rétablissant et élargissant les droits des travailleurs.

– En Allemagne, Annelie Buntenbach, responsable du DGB – Confédération allemande des syndicats-, explique la baisse du chômage par la démographie déclinante et les excédents du commerce extérieur, mais en rien par les réformes Hartz. En revanche, l’analyse de la syndicaliste montre que ces réformes allemandes du marché du travail ont conduit à une segmentation du marché du travail, fait reculer les protections des chômeurs, multiplié les mini emplois et amplifié les cercles vicieux freinant la croissance.

Même Pierre Moscovici, dans son article « Ne laissons pas l’Europe aux défaitistes » du Monde du 17 août, ne peut que constater l’échec de la doxa économique européenne avec son appel à « définir une approche rénovée de la « flexibilité » remettant en cause la doctrine implicite de la dévaluation interne à la seule réduction du coût du travail, qui a longtemps prévalu en Europe »… Un phénoménal aveu d’échec ! Qui ne l’empêche cependant pas de présenter des propositions en ligne avec les dogmes les plus libéraux.

La SEF : vers une autre société, pour un progrès de civilisation

Face a un tel échec, de multiples propositions ont émergé témoignant de la force des aspirations au changement. Mais, même à gauche, elles sont généralement marquées par une certaine résignation face à la crise comme les projets fondés sur le partage du travail et des salaires. Elles se cantonnent à l’illusion d’une meilleure redistribution sans se soucier du besoin de produire avec d’autres critères que celui du profit. Elles minimisent l’importance de changer l’utilisation de l’argent et le rôle de banques et de la BCE, ou elles n’ambitionnent que de s’y attaquer en réformant la fiscalité ou en la moralisant. Elles ignorent le caractère systémique de la crise et des alternatives à construire pour en sortir, et de fait souffrent d’un manque de radicalité comme de crédibilité.

Tout autre est la démarche de sécurisation de l’emploi et de la formation qui comme le formule Paul Boccara propose « […] d’avancer partout, par des mesures graduelles (comme un progrès décisif d’une indemnisation des chômeurs et de leur insertion dans l’emploi, la généralisation de mises en formation avec la conservation du salaire en vue du reclassement des licenciés, de nouveaux contrats sécurisés, des conférences régionales et nationales de programmation de soutien des emplois et formations, l’affiliation de chacun à un service public d’emploi et de formation depuis la fin de la scolarité), vers un système de sécurité d’emploi ou de formation. Ce dernier, pleinement réalisé, assurerait à chacune et à chacun, soit un emploi soit une formation rémunérée, pour revenir par la suite à un meilleur emploi, et avec une continuité de bons revenus et droits, et avec des passages d’une activité professionnelle à une autre, des rotations emploi/ formation maîtrisées par les intéressés. »2

Une telle éradication du chômage modifierait les conditions du salariat et même permettrait son dépassement :

– La précarité fondamentale du salariat et du marché du travail, où l’on achète ou non la force de travail en faisant du chômage, serait supprimée.

– La formation rémunérée qui tiendrait une place considérable s’opposerait à l’échange du salaire contre du travail.

– Le monopole des pouvoirs patronaux dans l’entreprise serait battu en brèche avec les pouvoirs d’intervention des travailleurs dans les gestions et leurs droits de saisine d’institutions de crédit nouvelle.

Avec le dépassement du marché du travail, du salariat, « Il s’agirait même de tendre à dépasser le travail lui-même, comme forme historique aliénée des activités créatrices, qui sont le propre des êtres humains, pour des activités sociales de créativité maîtrisée par chacun. »3

En s’appuyant aussi sur le système de protection sociale et l’essor des services publics cette avancée contribuerait ainsi, au-delà de la sphère économique, à une sécurisation et une promotion de tous les moments de la vie.

En mettant le développement des êtres humains au cœur de son projet, la SEF dessine un nouveau projet de société et une avancée de civilisation.

La SEF : une cohérence de projet

Dans son projet, la SEF articule ses objectifs sociaux avec les moyens financiers et les pouvoirs pour les salariés et les citoyens permettant sa réalisation. Cette proposition révolutionnaire de SEF reprend pour l’amplifier la démarche des grandes réformes de la Libération qui se sont appuyées sur la même cohérence systémique entre objectifs de progrès, moyens financiers et pouvoirs pour les travailleurs.

Ainsi, la construction de la Sécurité sociale a-t-elle tenté et partiellement réalisé dans un même mouvement :

ses objectifs sociaux d’une sécurité pour tous contre la maladie, la vieillesse, les accidents du travail et renforcé la protection et la promotion de la famille ; avec la cotisation sociale (salariales et patronales) prélevée sur les richesses créées par l’entreprise, la Sécu s’est donné les moyens de financer son système de Sécurité sociale;

– la création de la caisse de sécurité sociale, avec de nouvelles institutions créés pour sa gestion dont leur direction a été assumée par des représentants élus des salariés majoritaires dans les conseils d’administration. Une telle conquête de nouveaux pouvoirs pour les travailleurs a été décisive pour la réalisation de cette avancée sociale.

Cette construction non marchande novatrice a permis un développement sans précédent des hommes, de leur santé, de leur éducation, de leur qualification favorisant une croissance soutenue et un renouvellement permanent de la force de travail.

Elle a aussi permis des avancées sociales et sociétales sans précédent, et de résister aux forces du capital qui n’ont cessé depuis 70 ans de la fragiliser en réduisant en premier lieu les pouvoirs des travailleurs par son étatisation et en s’attaquant tant à ses missions sociales qu’à son financement.

Des moyens financiers au service de l’emploi

Pour se donner les moyens de financer ses objectifs sociaux, la SEF propose, elle aussi, de se doter d’outils efficaces avec la création :

1. des Fonds régionaux et nationaux pour l’emploi et la formation, alimentés par des fonds publics régionaux et nationaux (notamment les 25 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales patronales et les 35 milliards d’aides aux entreprises des collectivités locales). Ces fonds impulseraient et soutiendraient des programmes nationaux et régionaux d’emploi. Ils prendraient en charge tout ou partie des intérêts des crédits accordés aux entreprises pour des investissements matériels et de recherche. Le taux d’intérêt de ces crédits serait d’autant plus abaissé pour chaque entreprise qu’elle programmerait de l’emploi efficace et de la formation pour un meilleur emploi ;

2. d’un pôle financier public, qui, en partenariat avec les Fonds régionaux et national pour l’emploi et la formation, serait chargé de développer une nouvelle grande mission de service public du crédit pour sécuriser l’emploi et la formation. Et la France agirait pour que la BCE « refinance » massivement, par création monétaire, les crédits sélectifs à taux très abaissés pour les investissements des entreprises en fonction du nombre et de la qualité des emplois programmés. Et que les taux d’intérêt soient relevés pour pénaliser les placements financiers.

Des pouvoirs d’intervention pour les travailleurs et les citoyens

Les salariés et leurs représentants verraient leurs pouvoirs d’interventions renforcés notamment dans la gestion, dans les institutions paritaires existantes tant dans les entreprises, les branches et au plan national que dans les nouvelles institutions qu’elles créeraient ( conférences régionales et nationale annuelles de sécurisation de l’emploi et de la formation, fonds régionaux pour l’emploi et la formation, Pôle public financier), notamment avec un droit de saisine de ces institutions pour leur financement.

De nouveaux pouvoirs des citoyens et de leurs élus seraient aussi institués, notamment pour responsabiliser les entreprises et les banques à partir de leurs bassins d’emploi.

De cette manière, la SEF permettrait de s’engager sur la voie d’un dépassement des limites de la construction novatrice d’après-guerre, en permettant de faire prédominer, dans une mixité marchande/non marchande, les critères favorisant le développement des êtres humains contre ceux de la rentabilité financière et de l’accumulation capitaliste.

La SEF : des idées pour rassembler

Avec la SEF, il s’agit aussi de contribuer à renforcer le rassemblement des travailleurs et des jeunes, qui se sont majoritairement mobilisés hier contre le projet de loi travail et continuent de se mobiliser aujourd’hui, après son adoption à coups de 49-3, pour son abrogation, en soutenant et en nourrissant les idées de sécurisation et de promotion de l’emploi au cœur des propositions alternatives portées par les organisations syndicales.

à la veille de la présidentielle, consolider avec des idées novatrices, radicales et crédibles les contours d’une force majoritaire à gauche que la lutte contre la loi travail a commencé à dessiner, et qui, comme aux États-Unis avec Sanders, en Angleterre avec Corbyn, veut vraiment tourner la page d’un social-libéralisme aligné sur le grand patronat et la finance, l’enjeu a son importance.

Cette proposition de SEF actualisée et enrichie vient d’être publiée par économie et Politique (mars avril 2016) dans un fascicule intitulé « Contre la dictature des marchés financiers. Pour de nouveaux progrès de civilisation. Pour l’éradication progressive du chômage. Une proposition de loi pour la sécurité d’emploi ou de formation à discuter. » Un débat s’est engagé dès le printemps avec les représentants syndicaux et associatifs de la jeunesse, des syndicalistes, des avocats et experts auprès des CE et CHSCT, des médecins et inspecteurs du travail… Il a fait l’objet de plusieurs rencontres publiques cet été. D’autres initiatives sont programmées pour la rentrée pour un débat en grand au cœur de la campagne présidentielle.

La SEF, sans cesse enrichie par les luttes et le débat, peut être au cœur d’un nouveau projet de société et de civilisation que la crise actuelle impose. Le projet est ambitieux, sa concrétisation ne se fera que dans les luttes sociales et politiques, par des avancées partielles et progressives, mais ô combien motivantes. zzz

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1. Voir site <cgt.fr>.

2. Paul Boccara. La crise systémique : une crise de civilisation, Le Temps des cerises, p.  32.

3. Idem, p. 33.

 

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