Environnement et énergie, le livre d’Amar Bellal, s’est donné pour ambition de donner des clés pour comprendre les enjeux énergétiques. Bien que d’une grande rigueur scientifique – son auteur est agrégé de génie civil et ancien élève de l’ENS Cachan – cet ouvrage n’est pas un manuel de plus sur l’énergie. Il vise plutôt à apporter des explications, à remettre en cause des idées reçues et à réintroduire un peu de rationalité dans des débats trop souvent marqués par l’irrationnel ou la mauvaise foi. Il est donc tout sauf un traité écrit en chambre. Il est le résultat de dizaines d’heures de débats publics et contradictoires auxquels l’auteur a personnellement participé. Il est donc le reflet des interrogations qui sont dans la tête de nos concitoyens ou qui y ont été mises par les médias dominants ou les lobbys de tous poils.
L’idée qui sous-tend le livre est la suivante : « Le réchauffement climatique reste, avec les pollutions globales (acidification des océans, accumulation de métaux lourds dans la biosphère…), la pire menace qui pèse sur l’humanité. » Son questionnement est donc : « Comment répondre aux besoins d’une planète dont la population se stabilisera à 12 milliards d’humains en 2100 tout en limitant les rejets de CO2 à un maximum de 15 milliards de tonnes par an, soit ce que la biosphère est capable d’absorber ? »
Pour s’en sortir, écrit Amar Bellal, il n’y a pas de solution miracle, c’est bien la conjonction de plusieurs mesures qui permettra de résoudre l’équation énergétique. Il faut à la fois agir avec des mesures de maîtrise de la consommation d’énergie et développer des énergies dé-carbonées, parmi lesquelles le nucléaire doit avoir toute sa place. L’apport essentiel du livre est de situer clairement quelle peut être la place plausible de chacune de ces mesures.
Dans une première partie, l’auteur propose d’entrer dans la problématique énergétique au moyen de 13 clés.
Les trois premières clés donnent une image de la réalité énergétique de la France, et des émissions de CO2 de notre pays et du monde. Elles visent à la prise de conscience des véritables ordres de grandeurs sans lesquels la porte est ouverte à toutes les illusions.
La première de ces illusions est celle du tout électrique tout nucléaire dont souffrirait notre pays. L’examen du bilan énergétique de la France que nous présente le livre rappelle que la part de l’électricité dans l’énergie est à peine plus de 20 %. Près de 80 % de l’énergie consommée en France n’est pas électrique (carburant pour le transport, bois, gaz de chauffage…). On comprend dès lors qu’un débat sur l’énergie qui ne tournerait qu’autour des systèmes de production d’électricité ne pourrait qu’être complètement biaisé.
La deuxième illusion est celle de l’efficacité des énergies renouvelables et notamment de l’éolien.
C’est oublier qu’il faut 4 500 éoliennes d’environ 100 m de haut pour produire l’équivalent d’un seul réacteur nucléaire. On est très loin d’une énergie petite et légère. Ainsi rapportées à la production d’électricité, ces énergies nouvelles consomment en réalité plus de matériaux (environ 4 fois plus) et occupent bien plus d’espace que les quelques hectares d’une centrale classique.
Enfin, autre illusion et pas des moindres, le mythe des pays exemplaires que seraient l’Allemagne, le Danemark ou les Pays-Bas. Bien que les énergies renouvelables soient très développées en Allemagne, les émissions de CO2 par habitant y sont deux fois plus élevées qu’en France. Songeons qu’en Allemagne ces énergies représentent, en puissance installée, l’équivalent du parc électronucléaire Français, ce qui est gigantesque ! Et c’est un point qui est mis en avant dans tous les débats afin de démontrer le « retard » français dans ce domaine. Mais on oublie de dire que la production n’est évidemment pas la même car seule une faible part de la puissance est mobilisée sur l’année. Parce qu’il y a un obstacle technique redoutable : l’intermittence de ces énergies qui ne sont pas produites lorsqu’il n’y a pas de vent, c’est-à-dire 75 % de l’année. La part de ces énergies atteint donc difficilement, selon les années, 15 % de la production totale d’électricité. Le reste doit être produit à partir de gaz et de charbon.
Trois autres clés abordent la question des risques que font peser la production et la consommation d’énergie sur le climat, l’environnement, la santé et la sécurité des populations. Là encore, aucun aspect n’est éludé, notamment la question des déchets nucléaires à vie longue. Mais à l’opposé de bien des ouvrages sur le sujet, le livre d’Amar Bellal ne se focalise pas sur les seuls risques liés à la production nucléaire. Pour permettre au lecteur de disposer d’éléments de comparaison, il dresse un panorama solidement argumenté des pollutions de toutes natures générées par la production et l’utilisation des hydrocarbures solides, liquides ou gazeux, et des risques industriels liés à leur mise en œuvre. Et la comparaison mérite qu’on s’y arrête.
Tout d’abord, il y a les rejets d’oxyde d’azote, de souffre, d’ammoniaque, de composés organiques volatils (COV), qui ont essentiellement lieu lors des processus de combustion. Tous ces éléments se retrouvent dans l’atmosphère et participent à l’acidification des lacs et des mers. Il y a aussi les métaux lourds : en France, les rejets de mercure (4,7 t/an), d’arsenic (6,5 t/an), de plomb (128 t/an), de cadmium (2,5 t/an) se retrouvent dans la biosphère, contaminent la chaîne alimentaire et sont extrêmement nocifs. Mais si, pour les déchets nucléaires, il existe bien une exigence de traitement et d’étude autour du choix d’un site d’enfouissement, pour les métaux lourds quotidiennement rejetés dans la nature et qui contaminent toute la chaîne alimentaire, il n’y a pas l’ombre d’une préoccupation comparable à ce qui se fait dans le nucléaire civil !
Pour résumer, ce qui est souvent critiqué et mis sous les projecteurs des médias, le traitement des déchets nucléaires, devrait plutôt servir d’exemple à généraliser pour toutes les autres pollutions chimiques. Or autour des pollutions chimiques, d’un volume cent fois plus important, c’est le silence complet…
Cette dangerosité des déchets d’hydrocarbure a d’ailleurs été confirmée par une étude commandée par la Commission européenne dans le cadre du programme « Externe » produite en 2000 : « Électricité, Santé, Environnement ». Le lecteur en trouvera les principaux résultats dans le livre. Le nucléaire y apparaît comme l’énergie qui a le moins d’impact sur la santé. En effet, si, dans l’opinion, c’est une des énergies les plus dangereuses et les plus polluantes, en réalité, rapportée à la quantité d’électricité produite, c’est bien une des énergies les moins impactantes pour l’environnement et la santé des populations.
Enfin, le livre s’attache sans tabou à la question de la sûreté. Dans le domaine de l’énergie, le risque d’un accident nucléaire est l’argument le plus fort pour l’arrêt du nucléaire civil. C’est peut-être l’objection la plus sérieuse à l’utilisation de cette énergie, beaucoup plus sérieuse que le problème des déchets. Le livre ne cache pas que « le risque qu’un accident majeur se produise en France existe bel et bien et ne peut être écarté ». Il rappelle les mesures qui sont prises en France pour minimiser ce risque : dispositifs techniques de confinement et de filtration, autorité de sûreté indépendante et évolution de la conception des réacteurs vers des réacteurs plus sûrs tels que l’EPR. Mais il rappelle aussi qu’aucune activité industrielle n’est exempte de risque, ni la production de gaz ou de pétrole, ni l’extraction de charbon, ni la chimie. Doit-on pour autant « sortir » de toutes ces activités sous prétexte qu’elles présentent des risques souvent plus graves que le nucléaire, si l’on se souvient des catastrophes de Bhopal et de Seveso où des milliers de morts dans l’histoire de la production de charbon. Et Amar Bellal de conclure : « Tous ces éléments doivent être débattus démocratiquement. Car, après tout, si les citoyens en ont conscience et qu’ils décident malgré tout de “préférer” les risques et pollutions quotidiennes liés aux énergies fossiles plutôt que le risque nucléaire, c’est la démocratie qui s’exprime, et ce sera alors une décision légitime. Par contre, ce qui est illégitime, c’est de mettre en avant uniquement les risques du nucléaire, de faire peur en taisant les problèmes que posent les autres alternatives. »
Enfin, les autres clés de lectures abordent les enjeux, les scénarii et les mesures nécessaires pour y faire face.
Il est d’abord rappelé à juste titre que le niveau de développement des pays est conditionné par la disponibilité de l’énergie et que la consommation est très inégalement répartie dans le monde. Un indicateur synthétise cette dépendance entre développement et disponibilité de l’énergie, c’est l’espérance de vie. On constate que dans les pays où la consommation est inférieure à 2 tep par an et par personne, l’espérance de vie est significativement plus faible que dans les autres pays. Pour des raisons compréhensibles : en l’absence d’électricité, pas de conservation des aliments, pas de soins médicaux, pas d’eau potable, etc. En revanche, un Américain du Nord dépense deux fois plus d’énergie qu’un Européen, et pourtant il ne vit pas deux fois plus longtemps. On est bien là devant une consommation excessive, qui pourrait être diminuée par des mesures d’économie.
Ces simples chiffres montrent l’ampleur du défi mondial. Même si les pays riches engageaient des scénarii drastiques d’économie d’énergie avec un bouleversement des modes de vie, la simple entrée légitime dans le développement de milliards d’êtres humains et l’accroissement démographique font qu’on devra malgré tout passer d’une production actuelle de 13 milliards de tep à 19 milliards de tep ! On peut donc, pour le cas de l’énergie, oublier l’idée de décroissance, à moins d’intérioriser l’idée qu’une bonne partie de l’humanité devra vivre dans la misère la plus complète. Ajoutons à cela qu’il faut non seulement produire plus d’énergie, mais qu’il faut la produire autrement, avec moins de rejets polluants et moins d’émission de CO2.
Un scénario mondial doit s’accompagner d’ordres de grandeur tenant compte de la réalité des besoins, de l’accroissement démographique, des techniques à disposition aujourd’hui et à moyen terme, mais aussi du niveau technologique de chaque pays ainsi que de ses particularités. C’est seulement ainsi qu’on peut tenter de construire un scénario énergétique mondial crédible, compatible avec la nécessité de contenir les pollutions, de limiter le réchauffement climatique et de prévoir l’épuisement des ressources. L’AIE a ainsi élaboré un scénario mondial s’appuyant sur des mesures d’économie et d’efficacité énergétique, qui comprennent notamment la rénovation énergétique des bâtiments, l’adoption de nouvelles normes, de nouveaux systèmes de chauffage, des investissements visant au remplacement de vieilles centrales ainsi que la mobilisation des énergies à bas carbone : les énergies renouvelables, les biocarburants, et le nucléaire.
Pour décliner en France un tel scénario, Amar Bellal suggère un objectif central : la réduction des énergies carbonées et trois principes pour atteindre cet objectif.
Le premier principe est la modération de la consommation énergétique. Mais, rappelle-t-il, il convient d’être prudent et réaliste. Un vaste programme de rénovation énergétique des bâtiments, la généralisation des principes de l’économie circulaire, une modification des règles d’urbanisme, raccourcissant les trajets domicile-travail par exemple, ou une offre plus importante de transports collectifs doivent permettre de maîtriser la consommation. Mais dans le même temps, la démographie, le besoin de réindustrialiser le pays, l’éviction de la précarité énergétique en France, vont demander de l’énergie en supplément. Comment ces deux tendances vont-elles coexister ? Un long développement est alors consacré aux conditions indispensables pour mener une politique d’efficacité énergétique : solutions techniques mais aussi dispositif législatif et réglementaire adéquat, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, formation aux nouveaux métiers, développement d’une filière industrielle mise en place des circuits de financement nécessaires.
Deuxième principe : une part plus grande de l’électricité. Au-delà de l’incertitude sur le niveau de baisse de la consommation énergétique qu’on peut vraiment atteindre, il est certain en revanche que la part de l’électricité dans cette consommation devra augmenter ! Du fait des nouveaux usages tels que le digital, les véhicules électriques, l’exploitation de la chaleur renouvelable grâce à des pompes à chaleur électriques, une réindustrialisation avec des process industriels reposant de plus en plus sur l’électricité. Certes, objectera-t-on, cette augmentation de la consommation électrique exigerait des moyens financiers importants pour investir dans des nouveaux moyens de production. Amar Bellal n’élude pas la question. Pour la relativiser, il cite l’exemple du développement des véhicules électriques : si on remplace le quart des voitures à pétrole d’ici à 2030 par exemple, cela conduirait à prévoir 50 TWh d’électricité supplémentaire par an en France. La capacité des centrales électriques actuelles, sous-utilisées la nuit et pendant certaines heures de la journée, permettrait de fournir ce surplus.
Troisième principe : augmentation de la chaleur renouvelable parce que les énergies renouvelables ont un très bon rendement dans la production de chaleur, mais faible dans la production d’électricité. Il faut donc savoir utiliser les énergies renouvelables là où elles sont les plus efficaces.
Le livre aborde également clairement les questions économiques, celles des coûts de production, d’importation et des besoins financiers liés à la transition énergétique.
Enfin, dans une dernière partie, Amar Bellal tord le cou à un certain nombre d’illusions ou d’arguments de mauvaise foi qui polluent le débat.
« Small is beautiful » est la première de ces illusions. Ce qui est petit serait forcément écologique, « décentralisable », et donc prédisposé à une maîtrise démocratique, au contraire des systèmes centralisés, lourds, bureaucratiques, coûteux pour la collectivité et qui échappent aux citoyens. Amar Bellal démonte cette illusion avec l’exemple de l’éolien et du solaire. Ainsi, pour remplacer un réacteur nucléaire, il faut 4 500 éoliennes donc infiniment plus de béton, d’acier et de cuivre que pour ce réacteur. Il faut environ 3 à 4 fois plus de lignes haute et moyenne tension, de pylônes… pour relier tout le système et transporter l’électricité issue de production diffuse et décentralisée… Et le livre multiplie les exemples de ce type.
Deuxième illusion, les solutions simplistes du type « sortir de » et notamment sortir du nucléaire. Le problème de ces solutions, c’est qu’elles ne nous disent pas dans quoi il faudrait entrer, ou n’osent pas le dire. Aux questions que suscitent ces solutions, on a quelques slogans en guise de réponse, mais rien de vraiment fondé sur le plan scientifique et technique, aucun scénario sérieux faisant appel à des techniques connues ou qui ne propose pas une décroissance drastique autoritaire avec une chute très nette du niveau de vie (rappelons que le seul pays en Europe qui a diminué fortement sa consommation énergétique est la Grèce…). Et on ne pourra pas « sortir de tout » ! Il faudra bien entrer dans quelque chose. L’Allemagne a choisi de sortir du nucléaire, mais pour entrer dans des solutions infiniment plus polluantes : elle ouvre en même temps de gigantesques mines de lignite et importe massivement du charbon des États-Unis, tandis que les centrales au gaz tournent à plein régime.
Enfin, le mythe de la « bulle autonome » des éco-quartiers qui pourraient se passer complètement d’énergie. En réalité, les performances énergétique de ces quartiers sont souvent sur-estimées parce qu’elles ne tiennent pas compte des multiples interactions avec le reste du monde : transports, communication, enseignement, culture. Et contrairement aux apparences, la vraie efficacité se réalise souvent dans la mutualisation d’équipements collectifs de grandes dimensions, qui se révèlent au final, au regard des services rendus à un grand nombre de foyers, plus économes, plus efficaces sur tous les plans qu’une multiplication de petites solutions. En fait, on se rend compte qu’on a besoin de ses voisins. On a beau éventuellement essayer de les cacher, les nier, les mépriser : rien n’y fait, on a besoin d’eux, on est lié au reste de la société, au reste du pays, et même à l’appareil productif mondial : cachez-moi cette usine polluante qui consomme de l’énergie que je ne saurais voir ! On découvre alors que cette quête de la bulle autonome est complètement vaine.
En conclusion, dire que le dernier livre d’Amar Bellal est salutaire dans ce débat éternel sur l’énergie et en particulier sur l’énergie nucléaire est un euphémisme. Il n’élude aucun sujet, il répond même directement à 56 objections directes telles qu’elles lui ont été présentées dans les nombreux débats qu’il a animés, sur des sujets aussi divers que le nucléaire bien sûr, déchets, risques, lobby, coûts…, mais aussi la recherche, l’indépendance énergétique, les scenarii de décroissance, la voiture électrique et même… le moteur à eau. En bref, il introduit de la rationalité dans un débat trop souvent biaisé par la peur irraisonnée, l’ignorance du dossier, la mauvaise foi ou les lobby. Et ça c’est inestimable...zzz
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