Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’ubérisation de la société est de retour par la fenêtre dans la loi travail

Il existe deux façons principales de casser les droits des salariés afin de baisser le coût du travail. On peut d’abord clairement s’attaquer aux droits contenus dans le Code du travail, c’est ce à quoi se consacre la loi travail. La seconde méthode est plus insidieuse, elle consiste par des artifices à exclure de l’application du Code un nombre croissant de salariés, c’est ce que fait aussi la loi travail.

Pour mettre en œuvre cette seconde méthode on peut recourir à un moyen tout bête : on prend des travailleurs qui n’ont que leur force de travail à vendre, on leur demande de s’inscrire à la chambre de commerce, à la chambre des métiers ou de s’inscrire à l’Urssaf et on décrète qu’ils sont des travailleurs indépendants et que par conséquent le Code du travail ne leur est plus applicable.

Pour conforter cette pratique les politiciens de droite, toujours aux ordres du Medef, ont de la suite dans les idées. Qu’on en juge :

Ce fut d’abord l’ultra libéral Madelin qui dans une loi du 11février 1994 instaura une présomption de «non salariat» pour les travailleurs inscrits à la chambre de commerce, des métiers ou à l’Ursaaf.

Sur proposition communiste, la Loi Aubry II du 19janvier 2000 abrogea cette dangereuse présomption.

Mais trois ans plus tard Fillon rétablit la loi Madelin le 1eraoût 2003.

L’invention en 2008 des «auto entrepreneurs» est venue élargir considérablement le nombre de travailleurs concernés par la prétendue indépendance.

En janvier2004 Michel de Virville, DRH Renault et activiste du Medef, remet son rapport et 50 propositions dont une consistant à offrir aux travailleurs le «libre choix» du statut, salarié ou indépendant. Nous y sommes avec la loi travail actuellement en débat à l’Assemblée nationale.

Voyons comment le gouvernement s’y est pris.

Dans l’avant-projet de loi tel que paru dans Le Parisien du 17février, un article23 disait les choses brutalement : les travailleurs qui recourent aux plate-formes ne sont pas dans un lien de subordination donc ils sont privés de Code. Aussitôt la CGT monte au créneau contre cet article, Danielle Simonet, conseillère de Paris, publie dans Marianne un texte cinglant contre cette tentative de légaliser l’Ubérisation.

Craignant sans doute une réaction trop vive et se sentant fragile sur ce point le gouvernement transmet pour avis son projet de loi au Conseil d’État, sans l’article23. Curieusement cependant, lorsque la ministre fait la liste des points sur lesquels elle a reculé elle ne cite pas le retrait de l’article23.

On comprend maintenant pourquoi. Un coup tordu était en préparation qui a donné lieu à une opération enfumage le 7avril en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale conclue par l’adoption d’un nouvel article27 bis.

Détail de la manœuvre :

– Une dizaine de députés du Parti socialiste, dont l’ultra droitier Christophe Caresche, déposent trois amendements identiques.

Ces amendements sont présentés comme offrant quelques garanties aux travailleurs qui passent par des plates-formes numériques pour travailler : quand c’est la plate-forme qui fixe les prix des prestations c’est elle qui doit payer les cotisations accident du travail, reconnaissance du droit à la formation, droit syndical, droit de grève.

Mais rien n’est dit à propos d’une ligne assassine de ces amendements : « Les articles L.7411-1 et suivants ne leur sont pas applicables» (aux travailleurs des plate-formes). Or que dit cet article ? Que le Code du travail s’applique aux travailleurs à domicile. En vertu des amendements cet article ne concerne pas les travailleurs sur plate-forme qui sont donc par cette pirouette exclus du Code du travail.

Au demeurant, si on pensait à quelque ambiguïté le doute serait levé parce que dire que quelques dispositions du Code s’appliquent signifie clairement a contrario que toutes les autres ne s’appliquent pas.

Et puis dans la vidéo de la séance de la commission on entend Chritophe Caresche vendre la mêche quand il dit que finalement ce nouveau 27 bis c’est le retour de l’article23 de l’avant-projet. Qu’il le fallait parce que sinon les contentieux vont se multiplier et qu’il faut sécuriser les contrats de «travail» lâche-t-il dans un élan incontrôlé.

Voilà tout est dit. C’est sans doute la pire disposition de tout le projet.

Si cette loi est adoptée l’ubérisation va s’étendre. Des travailleurs de nombreux secteurs sont concernés : livraisons, restauration, maintenance, services de toutes sortes aux particuliers et aux entreprises, même des fonctions intellectuelles peuvent être concernées. Des millions de travailleurs peuvent ainsi se retrouver sans droits, sans smic, sans durée légale du travail ni heures supplémentaires, sans congés payés, sans règles sur le licenciement, sans droits au chômage, sans rien, exactement comme au 19e siècle.

Ces plate-formes de type Uber retournent à leur avantage les aspirations de nombreux jeunes à l’indépendance et leur goût pour les outils modernes de communication. Mais au lieu de l’indépendance c’est une étroite dépendance qui s’étendrait puisque les plate-formes tendant à phagociter le marché, même des artisans sont maintenant conduits de s’adresser à elles pour trouver des clients subissant alors la contrainte des prix et des notations. C’est finalement la tendance séculaire du capitalisme à la concentration et à la domination de toute la société qui s’exprime avec l’ubérisation.

Quel député de gauche peut voter une telle infamie ?

À l’opposé signalons aux lecteurs que dans l’avant-projet de loi sur la sécurisation de l’emploi ou de la formation la commission économique du Parti communiste il est proposé une définition des travailleurs et employeurs soumis à l’ensemble du Code du travail empêchant toute manœuvre d’exclusion. Les députés sincèrement de gauche seraient bien inspirés de soutenir cette proposition plutôt que l’inique article 27 bis du gouvernement. zzz

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Par Chicote Sylvian , le 08 juillet 2016

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