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Le cheminement idéologique et politique de l’égalité des sexes : L’expérience française

L’égalité des sexes constitue un enjeu de portée révolutionnaire. Inscrite dans la grande lutte pour l’émancipation des peuples, cette lutte portée par le mouvement révolutionnaire et qui a accompagné les victoires sociales sur la bourgeoisie est encore loin d’être gagnée.  Le texte de Yves Saint-Jours en dresse le portrait à travers les âges.

Sous le régime du matriarcat, période préhistorique où les femmes exerçaient une autorité prépondérante du fait que la filiation, étant comptée en ligne féminine, les enfants appartenaient à la tribu de la mère. Avec la découverte du cuivre, du bronze et du fer, la fabrication des armes et outils en métal, la guerre était devenue la source principale de subsistance et de profits. Il en résulta un bouleversement de l’ancienne division du travail en faveur des hommes, lesquels reléguèrent au second plan les besognes domestiques de la femme. Devenus possesseurs des armes, des outils, des troupeaux et des esclaves, les hommes accumulèrent des richesses dont ils revendiquèrent la propriété afin de les transmettre par héritage à leurs descendants directs et non à la tribu de la mère. Dès lors, ils s’efforcèrent d’enlever aux femmes leur hégémonie et durant des siècles ils combattirent pour s’assurer de leur primauté. Les récits mythologiques des luttes guerrières soutenues par les Amazones semblent se rattacher à la résistance armée que les femmes opposèrent parfois, en ces temps très anciens, aux prétentions des hommes2. Ceux-ci, tenant surtout à ce que leur situation sociale corresponde à leur rôle économique, finirent par l’emporter.

La filiation féminine et la vocation héréditaire maternelle furent abolies. Le mariage monogamique que seul l’homme pouvait rompre se substitua au matriarcat. La famille patriarcale fondée sur la domination de l’homme lui permettait de léguer ses biens aux enfants dont sa paternité était incontestée. Ce fut « la grande défaite historique du sexe féminin » 3. Désormais, sa suprématie établie, l’homme considéra la femme comme un instrument de travail et de procréation. Depuis lors, les femmes n’ont jamais cessé d’être globalement et à des degrés divers rejetées dans un état d’infériorité et parfois d’oppression, à travers les régimes esclavagistes, féodaux et actuellement capitalistes.

L’objet de cette chronique ne consiste pas à en retracer l’histoire, mais plus humblement à saisir le cheminement idéologique et politique, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, de l’égalité des sexes qui peine toujours à s’imposer dans la réalité des faits. Les propos suivants font l’objet de deux parties distinctes. La première partie correspond à la période féodale englobant dans son acception la plus large, le Moyen Âge allant de la chute de l’Empire romain en 476 à la fin de la guerre de Cent ans (1453), mais dont la plupart des privilèges survécurent, malgré les effets novateurs de la Renaissance, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime où ils furent abandonnés définitivement la nuit du 4 août 1789. La seconde partie recouvre la période qui s’étend de la Révolution bourgeoise de 1789 à nos jours et que l’on peut, à cet effet, qualifier de contemporaine. Elle est caractérisée par une forte empreinte du féminisme révolutionnaire pour la reconnaissance de l’égalité des sexes. Celle-ci figure désormais au plan international, parmi les droits fondamentaux de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies (ONU). Mais son application concrète sur l’ensemble de la planète demeure toujours subordonnée aux aléas des luttes sociales des populations concernées.

La période féodale

Depuis les temps les plus lointains, aucun document faisant état de l’égalité des sexes ne paraît avoir existé. Au contraire, depuis la disparition du matriarcat, c’est l’infériorité de la femme qui n’a jamais cessé d’être confirmée. La période féodale n’a pas dérogé à cette règle. Mais malgré toutes les précautions prises à cet effet, elle n’a pu s’opposer à l’éveil du féminisme en faveur de l’égalité des sexes.

L’état d’infériorité de la femme

De l’Antiquité, aucun indice de l’existence d’un mouvement féministe en réaction à l’état d’infériorité dont les femmes ont été victimes, ne semble avoir été découvert. Cela contrairement aux révoltes des esclaves ayant éclaté respectivement, en 112 et 73 avant J.-C., en Sicile et à Rome où celle, conduite par Spartacus, avait tenu en échec l’armée romaine pendant deux ans avant d’être écrasée par les consuls Pompée et Crassus. Au-delà des récits mythologiques précités des Amazones, on doit à Aristophane d’avoir imaginé au Ve siècle avant J.-C., en pleine guerre du Péloponnèse et en vue d’être mise en scène, « Lysistrata » une Athénienne audacieuse, pour convaincre les femmes des cités grecques de mener une grève du sexe à l’encontre des guerriers, sous le mot d’ordre « Faites l’amour, pas la guerre. »4 Cette prise en considération positive des femmes et de leur pouvoir virtuel n’était pas, à cette époque, le lot commun des penseurs grecs et romains.

Les religions et les législations primitives ont confirmé, sauf à quelques rares exceptions, l’état d’infériorité des femmes vouées à la perpétuation de l’espèce humaine sous la suprématie des hommes. Le christianisme n’a pas dérogé à cette règle. Certes à son origine, se présentant comme la religion des pauvres, il avait fait naître un immense espoir d’affranchissement aux esclaves et aux femmes. Espoir assez vite déçu car le christianisme, comme les autres religions, notamment monothéistes, fut utilisé idéologiquement par les classes dominantes afin de mieux maîtriser les classes dominées. Saint Paul avait résumé ainsi la doctrine chrétienne à l’égard des femmes par référence à Dieu : « Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur » et de préciser, « l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. »

Au début du Moyen Âge Clovis, devenu roi des Francs en 481 va, après avoir vaincu en 486 à Soissons le dernier gouverneur romain de la Gaule, s’attacher à libérer le territoire de ses envahisseurs : les Alamans en 496 et les Wisigoths en 507. À cet effet, il s’était appuyé sur la christianisation du royaume en épousant en 493 Clotilde, une princesse chrétienne, et s’était fait baptiser en 496 dans l’église de Reims par le pape Rémi. Des milliers de guerriers l’ont alors acclamé et ensuite imité. Fort de cet appui, Clovis n’hésita pas à étendre, sur tout le territoire du royaume, la loi salique propre aux Francs saliens dont il est issu et qui excluait les femmes de la succession à la terre des ancêtres. Le premier concile, c’est-à-dire l’Assemblée des évêques et théologiens catholiques, réuni en 1123 à Latran siège du palais des Papes, avait dans le même sens interdit le mariage des prêtres, interdiction qui perdure encore de nos jours. De telles exclusions et interdictions discriminatoires et contre nature finissent parfois par rebondir de façon cruelle ou à rebours des effets recherchés, comme l’Histoire en fournit bien des exemples.

En 1328 Charles IV le Bel meurt sans laisser de descendance directe. Deux de ses neveux sont susceptibles de lui succéder au trône de France. L’ainé Édouard III est déjà roi d’Angleterre, mais il lui est opposé la loi salique excluant toute succession fondée sur une lignée féminine, ce qui est son cas. C’est donc Philippe VI de Valois de lignée masculine qui est couronné à Reims. Pendant plus d’un siècle, jusqu’en 1453, ce sera la guerre de Cent ans durant laquelle les Anglais, pour se venger, vont tenter de conquérir la France en envahissant et pillant son territoire. En 1420, Henri V, roi d’Angleterre, avait réussi à s’emparer de la couronne de France et à s’installer à Paris où il décéda le 21 octobre 1422. Le roi Charles VI, déjà à demi-fou, le précéda dans la mort, deux mois plus tôt à Bourges où il avait été contraint de s’exiler. C’est à son fils, Charles VII, surnommé « le petit roi de Bourges » qu’il appartenait désormais de reconquérir le royaume de France. Ironie de l’Histoire, il le fera sous l’impulsion et l’aura d’une femme : Jeanne d’Arc.

Jeune paysanne de Domrémy, à peine âgée de 17 ans, elle s’est (ou a été mise) au service du roi, rêvant à le faire sacré roi de France afin qu’il puisse ainsi bouter les Anglais hors du pays. Reçue par le roi en résidence à Chinon, elle participe en mai 1429 à la bataille pour libérer Orléans assiégée par les Anglais et y fait preuve d’une stratégie victorieuse. Placée à la tête d’une petite armée, elle remporte des succès qui ouvrent la route de Reims où Charles VII sera enfin sacré roi de France le 17 juillet 1429. Capturée le 24 mai 1430 lors du siège de Compiègne, elle est traduite en 1431 devant un tribunal de l’Inquisition à Rouen. Accusée de sorcellerie, d’hérésie et de relaps par l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon, elle est condamnée à être brûlée vive. Le 31 mai, le bûcher installé sur la place du marché sera allumé et consumé. Mais son courage, son audace, son sacrifice suprême vont émouvoir l’opinion publique. Elle sera réhabilitée en 1456 après être devenue pour longtemps le symbole de l’éveil du féminisme dans notre pays. Elle a été canonisée en 1920, l’Église se rendant à l’évidence de l’absurdité du mythe de l’infériorité de la femme, sans toutefois en avoir tiré la conclusion la plus élémentaire notamment à propos du mariage des prêtres.

L’éveil du féminisme et ses limites

La réhabilitation de Jeanne d’Arc était vraisemblablement inhérente au fait que durant la guerre de Cent ans, la haute société était passée des mains des prêtres à celles des princes. Ceux-ci durent craindre que son martyre favorise un mouvement féministe dans le sillage de l’œuvre poétique de Christine de Pisan5. Celle-ci, née à Venise, était fille d’un médecin réputé appelé à la Cour du roi Charles V dont elle fut le biographe. Les deux vers suivants, écrits par Jehan de Meung en 1285 en supplément du Roman de la Rose6 : « Toutes êtes, serez ou fûtes/De fait ou de volontés putes » lui firent prendre profondément conscience que « l’inégalité de l’homme et de la femme n’était pas un fait de la nature, mais un fait de la culture. » Elle en fit la règle de ses actions féministes et dédia à sa jeune contemporaine son œuvre poétique intitulé « Ditié de Jehanne d’Arc. »

Pour rétablir le royaume de France que la guerre de Cent ans avait rendu exsangue, Louis XI encouragea le développement de l’agriculture, du commerce, de la production minière, l’introduction de l’imprimerie… Ce fut le point de départ du capitalisme qui prendra son essor au xvie siècle. François 1er, stimulé par la Renaissance italienne dont il soutenait l’influence en son royaume, fut surtout attiré par l’institution d’une monarchie absolue prenant appui sur l’alliance du clergé et de la noblesse et fondée sur le droit divin.

Depuis le Moyen Âge, le royaume était caractérisé par une économie rurale fondée sur le servage. Le paysan sans terre dépendait du maître de la terre à laquelle il était attaché et auquel il devait un quantum de travail (corvées) et le cens (redevance en principe en nature). À la différence de l’esclave, le serf n’était pas directement considéré comme un meuble appartenant à son maître, mais comme un meuble « meublant » vendu avec la terre sur laquelle il travaillait. À cette époque, même les hommes libres travaillaient dans un état de vassalité à l’égard du seigneur, leur suzerain, qui leur concédait soit une terre à exploiter dite « tenure », soit un « fief » en contrepartie de services rendus. Les suzerains constituant la classe dominante devaient assurer leur protection avec l’aide des guerriers. Eux-mêmes étaient vassaux du roi dont ils tenaient leur pouvoir et leur droit de propriété, que le roi détenait fictivement du droit divin.

Cette situation caractéristique de la société féodale, même si elle n’a pas cessé de décliner sous les effets du développement du capitalisme, n’en n’a pas moins perduré jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le sort des populations laborieuses ne s’améliora guère. Certes, l’essor du commerce et de la petite industrie avait eu pour effet de drainer des femmes dans des activités professionnelles distinctes de leurs activités familiales. Elles y étaient souvent en concurrence avec des hommes. Surtout plus mal rémunérées qu’eux au prétexte de leur infériorité, elles servaient aussi d’alibi pour justifier les bas salaires. Si elles venaient à acquérir les capacités professionnelles requises à cet effet, elles étaient rejetées des corporations. Au mieux, si les circonstances le permettaient, elles étaient contraintes de constituer des corporations féminines, lesquelles étaient généralement mal vues. En définitive, ce n’est que dans la haute société que les femmes purent accéder aux agréments de la vie : s’instruire, se cultiver, affirmer leur personnalité.

Au Moyen Âge, autour de l’an 1235, s’était formé un courant de pensée, impulsé par le Roman de la Rose précité : l’amour courtois, c’est-à-dire propre aux gens de la Cour. À partir du xvie siècle, la haute société féodale avait commencé à établir des relations étroites avec une fraction de la bourgeoisie dotée à la fois d’une aisance financière et d’une plus grande ouverture d’esprit acquise sous l’influence de la Renaissance. Désormais les femmes appartenant aux classes les plus élevées s’intéressèrent aux arts, à la littérature, à la philosophie, voire aux disciplines scientifiques. Quelques-unes s’aventurèrent à ouvrir des salons littéraires, lieux de discussion, de réflexion et de mixité en vue de rénover la pensée intellectuelle en faveur des femmes. Dans ce contexte, Mlle de Gournay publia en 1617 un ouvrage sur L’égalité des hommes et des femmes en réponse à l’Alphabet de l’imperfection et malice des femmes. En 1673, Poulain de la Barre avait défendu dans son Traité de l’égalité des deux sexes que les hommes et les femmes sont doués d’une même raison et aptes à exercer des activités professionnelles similaires et des métiers libéraux : barreau, médecine, enseignement.

Au xviiie siècle, la philosophie des Lumières s’était surtout focalisée sur la potentialité révolutionnaire de la bourgeoisie sans trop s’appesantir sur le sort de femmes. Certes, Diderot les avait plaintes en ces termes : « La cruauté des lois civiles se réunit contre les femmes à la cruauté de la nature. » D’Alembert et Helvétius attribuaient leur infériorité à leur éducation et aux lois tout en les considérant comme égales à l’homme. Rares furent les réformateurs éclairés qui envisagèrent leur réhabilitation au-delà des structures familiales. Ni Montesquieu, Voltaire ou Diderot… n’étaient suffisamment instruits des réalités populaires pour envisager la réhabilitation des femmes sous l’angle économique. Seul ou à peu près, L.S. Mercier dans son Tableau de Paris 7 publié en 1782 avait dénoncé les privilèges que les vieilles corporations et jurandes réservaient aux hommes alors que les femmes étaient contraintes de s’épuiser dans les travaux les plus rebutants. Beaumarchais abonda dans le même sens introduisant dans des pièces de théâtre8, des personnages du peuple comme Marceline et Figaro, révoltés par les abus de l’Ancien régime. Ils furent ainsi les premiers à souhaiter des lois protégeant le travail et l’instruction des femmes afin de les préserver de la misère et de la prostitution. Au plan des droits politiques, Condorcet9 fut le seul à avoir préconisé, dans un essai sur les assemblées provinciales, la participation des femmes, au moins propriétaires, en ces termes : « Décrétons que les femmes, comme les hommes pourront jouir du droit de cité, dans des conditions à peu près semblables à celles des hommes. » C’était en 1788, il ne pouvait encore s’agir que d’une ébauche théorique du suffrage universel. L’année suivante, elle fut mise à l’épreuve révolutionnaire. Le chantier n’est toujours pas terminé comme nous pourrons le constater par la suite. zzz

 

1. Professeur de droit social, retraité, Université de Perpignan.

2. Edith Hamilton, La mythologie, édition Marabout-Vervier 1978 p. 359 (Mythes brefs).

3. F. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’état, éditions Costes,1946, p. 53. Réédition avec la Préface de 1884, éditions Sociales, 1954.

4. Aristophane, Lysistrata, éditions Arléa (diffusion Le Seuil), 2014.

5. V.R. Pernoud, Christine de Pisan, éditions Calmann-Lévy, 1982.

6. La première partie du Roman de la Rose avait été écrite entre 1230 et 1235 par Guillaume de Lorris.

7. Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, (nouvelle édition corrigée et augmentée), Amsterdam 1782.

8. Il s’agit plus particulièrement du Mariage de Figaro et du Barbier de Séville.

9. E. et D. Badinter, Condorcet, un intellectuel en politique, éditions Fayard, 1988.

 

 

 

 

 

 

 

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