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EDF sorti du CAC 40 : fausse mauvaise nouvelle ou vraie bonne nouvelle ?

Euronext, la Bourse européenne dont la bourse de Paris est une filiale, a décidé de retirer l’action EDF du CAC 40 à compter du 16 décembre 2015. Que signifie cette décision ?
Malgré certains  commentaires  mettant cette sortie au seul compte de la situation financière d’EDF, la réalité est toute autre. Elle est d’abord le résultat de petits arrangements d’Euronext pour, à l’approche de Noël, en quelque sorte, « refaire sa vitrine » pour mieux attirer l’investisseur.
Mais elle est surtout le révélateur de l’aberration qu’a constitué la transformation d’un service public en société anonyme cotée en bourse.

le CAC 40 est un indice boursier, c’est-à-dire un panier d’actions dont les évolutions sont supposées refléter l’évolution moyenne des cours des actions cotées à Paris. Contrairement à une idée reçue, il n’est donc pas une mesure de la santé économique de la France, mais seulement une mesure de la profitabilité boursière sur la place de Paris. Autre idée reçue, il n’est pas composé des actions des 40 valeurs des entreprises les plus importantes de l’économie française mais des 40 valeurs des entreprises françaises pour lesquelles les achats et ventes de titres sont les plus importants (capital « flottant »). Ainsi, Dassault, Thalès, Sodexo ne font pas partie du CAC 40. L’appartenance au CAC 40 n’est donc aucunement une mesure de l’importance économique de la compagnie. C’est si vrai que le cours de l’action EDF a été remplacé, dans le calcul de cet indice, par celui du promoteur immobilier Klépierre, qui fait l’objet d’échanges plus fournis mais dont la capitalisation boursière est loin derrière celle d’EDF, de Dassault, de Thalès, etc.

Une sortie du CAC 40 qui relève plus d’une recherche de profitabilité financière d’Euronext que d’une sous-performance d’EDF

Qu’est-ce qui a motivé ce choix de la part d’Euronext ? Les entrées et sorties de valeurs au sein du CAC 40 sont entre les mains du « Conseil scientifique des indices d’Euronext », qui se réunit dans la plus grande discrétion quatre fois par an. Il prend en compte deux critères majeurs, la taille du capital flottant (capital négociable en Bourse) et le nombre d’échanges enregistrés sur les titres.

Dans le cas d’EDF, l’État reste l’actionnaire principal avec près de 85 % du capital social. La part du capital réellement négociable en bourse est donc de 15 %, très inférieure à la plupart des sociétés cotées en bourse dont le capital est très dilué aux mains de petits porteurs. Ceci explique que les transactions sur les actions d’EDF soient très restreintes, puisque les actions EDF ne représentent plus que 0,8 % des échanges quotidiens sur l’indice phare parisien, contre 8 à 9 % pour les valeurs les plus demandées, telles que Total et Sanofi.

C’est donc une des raisons principales qui ont conduit Euronext à « sortir » EDF du CAC 40. Au point que certains se demandent même aujourd’hui pourquoi, en 2005, EDF avait été introduit en Bourse : « Des caractéristiques qui incitaient d’ailleurs les observateurs à se demander pourquoi EDF avait été coté. Un groupe industriel d’État, qui réalise son business en suivant la politique du gouvernement, n’a rien à faire en Bourse, estime l’un d’entre eux. Seuls les groupes qui y jouent le jeu de la concurrence classique peuvent lever des liquidités auprès des investisseurs. »2

Mais le choix de Klépierre relève de raisons plus prosaïques. Car Euronext, si elle est une place boursière européenne, n’en est pas moins elle-même une société par actions qui fournit des services financiers à des clients qui sont les investisseurs, les boursicoteurs et les spéculateurs de tout bois. Dans un contexte concurrentiel difficile (il existe 6 places boursières concurrentes d’Euronext en Europe, parmi lesquelles Londres, Francfort, Madrid et les bourses suisses et italiennes), il est vital d’attirer l’investisseur par des performances financières attractives. Le CAC 40 est ce qu’il est convenu d’appeler l’indice phare d’Euronext, sa vitrine. L’action d’EDF, qui a perdu près de 40 % de sa valeur au cours de l’année 2015 ,pesait donc lourdement sur les performances de l’indice. Le conseil « scientifique » d’Euronext a donc décidé, à la veille de Noël, de remplacer, dans sa vitrine, EDF par une société boursièrement plus performante. Il aurait pu choisir Hermès, comme le prévoyaient les experts, mais, dans sa grande sagesse boursière, il a préféré Klépierre, deux fois plus petite, mais dont l’action a progressé de plus de 17 % en 2015, beaucoup plus que celle d’Hermès.

La sortie d’EDF du CAC 40 relève donc moins de l’infamie que de la cuisine boursière qui revient pour Euronext à changer les règles du jeu en cours de partie. La présence dans le CAC 40 n’est ni un honneur ni une distinction, c’est un choix d’Euronext dans son seul intérêt commercial. Elle serait même plutôt une bonne nouvelle pour l’entreprise, ainsi moins soumise à la pression des marchés et plus à même de prendre des décisions moins focalisées sur le court terme.

Logique de marché ou logique de services publics ?

Hélas, même en ne faisant plus partie du CAC 40, EDF continuera d’être cotée en Bourse et d’être jugée selon les mêmes critères par les marchés financiers et les détenteurs de capitaux qui écument sans cesse la planète à l’affût des placements les plus rentables. Si cet événement ne change pas fondamentalement les conditions de financement de l’entreprise, il faut garder à l’esprit que la direction actuelle d’EDF, issue de groupes tels que Thalès ou Vivendi, a été élevée dans la soumission aux marchés financiers. Cette éviction du CAC 40 pourrait servir de prétexte pour justifier des mesures destinées à augmenter sa rentabilité financière dont les salariés feraient les frais : suppression et précarisation des emplois, externalisation et sous-traitance, pression sur les salaires et les conditions de travail, atteintes au régime social de l’entreprise.

Il pourrait même servir de prétexte à une réduction de la part de l’État dans le capital, afin d’augmenter le volume des transactions sur le capital « flottant » entre les mains d’actionnaires privés, condition d’un retour au sein du CAC 40.

Les salariés du Groupe EDF ne doivent pas être dupes de cette manipulation. La vraie question est de savoir pourquoi la valeur de l’action EDF a chuté dans de telles proportions et quelles pourraient en être les conséquences pour la mission de service public d’EDF.

En système capitaliste, la valeur d’une action ne reflète absolument pas la valeur de l’entreprise, mais seulement le montant des dividendes escomptés par son détenteur. Si les détenteurs d’actions anticipent des bénéfices substantiels, ils chercheront à acheter plus d’actions, ce qui fera monter le cours. Si, au contraire, ils pronostiquent que l’entreprise ne fera pas les bénéfices escomptés, ils vendront pour acheter d’autres titres plus rémunérateurs. Au passage, ils feront chuter le cours de l’action, contribuant ainsi à leur propre perte. Telle est la dure loi de la Bourse…

Or aujourd’hui, les grandes entreprises de l’énergie ont devant elles des dépenses considérables pour adapter leurs parcs et leurs réseaux aux nouvelles technologies et aux nouvelles exigences environnementales, mais aussi au développement anarchique des moyens de production intermittents généré par la libéralisation du secteur. Les investisseurs redoutent donc qu’elles réservent leurs profits aux investissements plutôt qu’aux dividendes.

Comme le souligne Le Figaro : « Cela ne réjouira pas EDF mais la quasi-totalité des “utilities” en Europe connaissent un parcours très chahuté en Bourse. Au cours des derniers, ces géants de l’énergie éprouvent des difficultés à mettre en œuvre la transition énergétique qui se traduit par des fortes dépenses d’infrastructures - notamment dans le domaine du renouvelable – alors que la consommation d’électricité sur le vieux continent tend à la baisse. »3

Pour sa part, EDF est notamment engagé dans l’opération « Grand carénage » qui devrait l’amener à investir près de 55 Md d’euros dans les 10 prochaines années pour mettre à niveau le parc nucléaire français. En un mot, l’action baisse parce que, aux yeux des spéculateurs, EDF privilégie sa responsabilité de service public plutôt que l’intérêt de ses actionnaires. Faut-il vraiment s’en émouvoir ?

Le journal L’Usine nouvelle est encore plus net : « Le groupe français paye le prix de la structure de son actionnariat. En effet, l’État étant largement majoritaire, la probabilité pour qu’il arbitre en faveur des clients est forte… Et ces décisions sont prises au détriment de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’augmentation des tarifs. »4

Il est difficile d’être plus clair… et plus cynique. L’action d’EDF baisse aussi parce que l’État conserve le contrôle de l’entreprise et de ses tarifs. Certes, en matière de tarifs, les motivations du gouvernement ne sont pas sans arrière-pensées politiques. Mais faut-il se désoler de ce que les petits consommateurs ne soient pas purement et simplement rançonnés pour gonfler les dividendes ?

Désintérêt des investisseurs privés et handicap d’un financement de marchés : cherchez l’erreur stratégique !

Bien plus qu’une situation économique difficile, la chute de l’action d’EDF reflète donc le désintérêt des investisseurs privés pour une entreprise publique qui ne génère pas assez de bénéfices pour ses actionnaires, et qui, malgré toutes les pressions de toutes origines et les dérives libérales du management ces dernières années, continue à attacher plus d’importance à ses missions d’intérêt public et à ses usagers et consommateurs. En cela, elle est révélatrice de l’aberration qu’a constitué l’ouverture du capital de l’entreprise.

Car si nul ne peut nier que la situation financière d’EDF est fragilisée pour de nombreuses raisons (investissements massifs à venir, difficultés de l’EPR, pertes de clients après la fin des tarifs régulés, reprise d’Areva), la cotation en Bourse ne répond absolument pas à ses besoins de financement.

– La Bourse est un mode de financement coûteux qui, comme le soulignait Les Échos, oblige EDF à s’endetter pour verser un dividende à ses actionnaires5.

– Elle pousse à un management entièrement tourné vers la satisfaction de l’actionnaire, au détriment des missions de service public, de la grande masse de ses clients et de l’emploi.

– La chute de l’action donne de l’entreprise une image sous-évaluée qui complique encore ses possibilités de financement.

Cet échec patent des politiques néolibérales conduites depuis plus de 10 ans dans le secteur de l’énergie fait la preuve que le développement du service public ne peut pas être abandonné au marché, trop préoccupé du profit à court terme. Il met encore plus en exergue nos propositions d’appropriation sociale du secteur énergétique à travers un pôle public de l’énergie et de mise en place d’un pôle financier public en charge notamment de financer le développement des services publics par des crédits à taux préférentiels comme ce fut le cas au sortir de la guerre avec le Fonds de développement économique et social. zzz

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1. Secrétaire fédéral FNME-CGT, membre du Conseil économique social et environnemental.

2. <http://bfmbusiness.bfmtv.com/bourse/edf-quitte-le-cac-40-par-la-petite-porte-938513.html>.

3. <http://www.lefigaro.fr/societes/2015/12/07/20005-20151207ARTFIG00346-edf-sort-du-

cac-40.php>.

4. <http://www.usinenouvelle.com/article/edf-cede-sa-place-au-sein-du-cac-40.N367979>.

5. « EDF : Lévy veut améliorer l’équation financière », in Les Échos du 13/02/2015.

 

La Bourse, pompe à Phynance versatile et coûteuse

 

EDF, Établissement public à caractère industriel et commercial, a été transformé en Société anonyme en novembre 2004 par le gouvernement Raffarin. N. Sarkozy, alors ministre de l’Industrie, jura solennellement devant le Parlement que jamais ni EDF ni GDF ne seraient privatisées. Pour GDF, on sait ce qu’il en est.

En octobre 2005, l’action EDF est introduite en Bourse au prix de 32 euros. L’objectif du gouvernement était alors de se défausser de ses obligations de financement du service public en lançant une augmentation de capital qui rapportera plus de 6,4 milliards d’euros, pour l’essentiel apportés par les salariés et les investisseurs institutionnels (assurances, caisses de retraite, etc.).

Dans les mois qui suivent, le prix de l’action monte, inexorablement, au point de culminer, le 20 novembre 2007, au cours de 83,80 € l’action, soit une progression moyenne de 4 % par mois depuis le démarrage de la cotation. C’est l’euphorie. EDF bat tous les records et devient même la première capitalisation boursière de France, devant le groupe Total.

Le succès boursier sera de courte durée. Le cours de l’action baisse, à partir de la fin de l’année 2007, pour toucher le fond fin décembre 2015 avec un prix de cotation de 13,04 € le 4 janvier dernier.

Les premiers pénalisés seront les 126 000 agents EDF et retraités ainsi que les 4,8 millions de petits porteurs qui ont cru dans le mirage boursier. Les institutionnels, eux, auront vendu depuis longtemps.

Est-ce à dire que la valeur patrimoniale de l’entreprise a été divisée par sept en huit ans ? Évidemment non. Au contraire, elle s’est accrue des investissements réalisés dans de nouveaux actifs. Et la plupart des commentateurs boursiers estiment qu’EDF est largement sous-évaluée, même par la Bourse1.

En revanche l’augmentation de capital lancée en 2005 aura coûté cher à EDF, puisque, si elle a apporté 6,4 milliards d’euros, elle a entraîné le versement de plus de 3 milliards de dividendes à ces nouveaux actionnaires depuis 2006. Soit un taux d’intérêt moyen d’un peu plus de 5 % dans une période où les taux d’emprunts obligataires pour les entreprises bien notées n’excédaient guère 2,5 %.

Il est d’ailleurs significatif que depuis 2005, EDF SA n’ait jamais fait appel à la bourse pour faire face à ses besoins de financement, mais ait préféré l’autofinancement et l’emprunt, principalement obligataire.

La bourse ne constitue donc pas, malgré les arguments employés à l’époque, un mode de financement satisfaisant pour une entreprise publique comme EDF puisqu’elle conduit à détourner une partie de ses résultats vers des intérêts privés.

Les experts n’hésitent d’ailleurs pas à mettre en cause sa légitimité, y compris dans le financement des entreprises privées.

Des 2013, Les Échos déploraient que « si l’on regarde les flux entrants et sortants vers le marché français, on s’aperçoit que la Bourse est loin d’apporter de l’argent frais aux entreprises françaises. Pour l’année 2012 [...] les marchés ont [...] permis de lever un peu plus de 9 milliards d’euros en 2012. C’est mieux qu’en 2011 (6 milliards) et 2012 (8 milliards). Mais très loin des montants restitués aux actionnaires par les entreprises, qui, pour le seul CAC 40, ont tourné autour de 40 milliards d’euros chaque année depuis cinq ans [...] » Difficile d’être plus clair.

A. T.

 

1. <http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-125523-plaidoyer-pour-edf-1098310.php>.

2. « La Bourse ne joue plus son rôle d’apporteur de capitaux frais », Les échos 05/02/2013.

 

 

 

 

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