« Génération stagiaires » titrait il y a peu un grand hebdomadaire français. C’est vrai, les stages ont désormais une place centrale dans nos formations. Qu’ils soient plutôt destinés à nous aider dans notre orientation et notre projet professionnel, à nous enseigner la mise en œuvre concrète des connaissances et méthodes apprises en cours, ou à réaliser notre première entrée dans le monde du travail. Ou bien souvent, les trois à la fois. Mais les stages sont au cœur des contradictions qui pèsent sur la relation entre l’enseignement supérieur et le monde du travail. Si leur potentiel émancipateur est immense, il est trop souvent gâché par l’organisation actuelle du marché du travail, qui laisse toute latitude aux employeurs. C’est donc une urgence que de mettre fin à ce gâchis et de répondre enfin à cette aspiration d’une jeunesse qualifiée qui ne demande qu’à travailler, créer, innover et que ce travail soit enfin reconnu.
Les stages : une place croissante dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR)
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche l’a annoncé au mois de décembre 2015 : ce sont désormais 760 000 étudiants qui vont en stage chaque année, soit un tiers des effectifs estudiantins. Au total, 70 % d’entre nous seront stagiaires au moins une fois durant leur cursus universitaire. Selon les prévisions, ce chiffre grimpera à 80 % dans les années à venir.
Ce nombre de plus en plus important se concentre dans les filières les plus professionnalisantes : 79 % de stagiaires chaque année parmi les élèves de licence professionnelle, 73 % chez les futurs ingénieurs, 63 % parmi les inscrits en DUT. Ceux d’entre nous qui poursuivent des cursus plus généraux ne sont pas en reste du mouvement. Là où quasiment aucun étudiant en licence générale n’allait en stage il y a une décennie, ils sont dorénavant 15 % à le faire chaque année. Surtout, c’est désormais le cas de 55 % des étudiants en master.
Une conséquence de la « professionnalisation » de l’Enseignement supérieur
En lien avec les évolutions en cours des forces productives (informatisation, nouvelles méthodes d’encadrement, développements technologiques, révolution numérique…) l’Enseignement supérieur et la Recherche (l’ESR) s’est massifié. Ceci pour répondre aux nouveaux besoins en matière de qualification et donc former les techniciens, cadres administratifs, enseignants, ingénieurs… de demain. Cette massification a été accompagnée de ce que l’on a appelé la « professionnalisation » et d’une extension massive du temps passé par les étudiants dans le monde du travail pendant leurs cursus. Ce qui explique en partie l’augmentation croissante du nombre de stages chaque année.
Si ces changements structurels étaient menés au service du monde du travail et de l’intérêt général, ils pourraient permettre l’émergence de nouveaux modèles coopératifs, de nouvelles socialisations via de nouvelles libertés professionnelles. Or ce n’est toujours pas le cas. La « professionnalisation » en cours a un nom trompeur. Quand, selon l’UGICT-CGT, 30 % des stages obligatoires se résument à imprimer des copies et faire des cafés, quand au lieu de nous apprendre un métier, les cours pré-stages se résument à faire de « l’automarketing », on peut plutôt parler de déqualification ou même de « déprofessionalisation ».
Une place qui compte dans l’économie française.
La place centrale des stages dans nos formations n’est donc plus à démontrer. Au-delà, c’est leur place dans l’économie du pays qui se fait de plus en plus forte. Des entreprises entières, des secteurs entiers de l’économie dépendent des stagiaires. On peut citer notamment le secteur bancaire, celui de la communication, mais aussi les cabinets d’avocats, régulièrement accusés de remplacer de véritables emplois par des stages. Si bien que le CESE estime que ce sont 100 000 emplois qui sont détruits chaque année par l’utilisation des stages abusifs, principalement dans les secteurs évoqués précédemment.
On peut le dire, le « haut patronat » a bien compris l’avantage de mettre à profit cette massification des qualifications, des techniques et des savoir-faire. Et ce, bien entendu avec les stages : le travail des stagiaires représente un moyen de créer de la richesse en rémunérant pas ou très peu l’étudiant qui la produit (rémunération à 3,60 euros nets de l’heure), et d’utiliser des compétences toutes fraîches, en grande partie mises à disposition par l’enseignement et la dépense publics.
Nos compétences peuvent par ailleurs être utilisées de manière tout à fait malléable, étant donné le nombre de dispositifs possibles : apprentissage, alternance, stage de fin d’année, nombreux sont les dispositifs qui permettent de répondre aux exigences immédiates du grand patronat. C’est là qu’apparaissent d’immenses gaspillages, quand ce dernier reprend à son profit de formidables aspirations étudiantes, celles des salariés qualifiés en formation qui ne demandent que plus de libertés professionnelles : pouvoir lancer des projets, créer, participer au monde du travail, et ce dès leur période d’étude.
La pression grandissante des employeurs
Pour un acte 2 de la loi Khirouni
Si pendant des années le législateur s’est refusé à modifier la situation des stagiaires, la loi Khirouni du 10 juillet 2014 a en partie répondu à nos attentes. En récoltant notamment 28 000 pétitions sur les campus, les étudiants communistes ont réussi à obtenir un certain nombre d’avancées : augmentation de quasiment 100 € de la gratification mensuelle minimum, passage de trois à deux mois de stages pour l’obligation de rémunération, taux maximum de 15 % de stagiaires dans une entreprise afin d’éviter les abus, etc.
Si cette loi s’est avérée positive, elle ne comporte aucune modification structurelle. La situation des stagiaires dépend d’ailleurs entièrement du Code de l’éducation et n’est pas mentionnée dans le Code du travail, ce qui paraît totalement aberrant, étant donné… qu’ils travaillent ! C’est pourquoi la situation des stagiaires reste fondamentalement la même : ils voient leurs envies et leurs compétences gâchées par un système obsolète où des bac+5 se retrouvent à faire des cafés et où les possibilités de mobilités se trouvent totalement soumises aux employeurs.
De plus, la loi a mis en exergue l’ambiguïté qui subsiste dans certaines filières quant au système actuel de rémunération. Cela peut paraître tout à fait contradictoire, mais les étudiants en travail social se sont durablement mobilisés contre l’augmentation de la rémunération minimum : un certain nombre de collectivités ne peuvent en effet plus les prendre en stage, ce qui pèse sur la validation de leurs années. Si on peut regretter que l’analyse des conditions d’exécution de ces stages n’ait pas été poussée jusqu’à la revendication d’une augmentation de la dépense publique qui leur est affectée (et donc de son financement), visant une remise en cause des politiques d’austérité, cette lutte des étudiants n’en reste pas moins révélatrice des enjeux du moment. Il y a en effet urgence à mettre en place une nouvelle proposition de loi qui donne une nouvelle dimension au système français de stage, notamment en matière de rémunération.
De nouvelles garanties pour les stagiaires
Les étudiants sont prêts à travailler dur pendant leurs stages, ils ont des connaissances toutes fraîches qui peuvent être utiles au monde du travail, tout autant que les stages doivent contribuer à enrichir leurs cursus. Il faut donc permettre l’émergence de ces potentialités.
Nous proposons un statut social pour l’ensemble des salariés en formation. Ce statut social, possible via l’ouverture d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale, est l’outil qui permettrait de révolutionner le système actuel des stages en offrant de nouvelles libertés professionnelles aux stagiaires. L’objectif de ce statut social sécurisant et nouveau offrirait la liberté d’être en maîtrise de sa mobilité, en maîtrise de son travail pendant le stage, mais aussi d’avoir l’opportunité de stages intéressants, liés à notre parcours d’études et au corps de métier auquel nous nous destinons. Pour les stages de fin d’études, si ceux-ci se sont bien déroulés, nous devrions également avoir l’opportunité de poursuivre notre travail en étant embauchés en CDI dans la structure. Enfin, il paraît essentiel de reconnaître le travail du stagiaire par un salaire (et non plus une gratification), évalué en fonction de la qualification du stagiaire et de son emploi (et non plus sur l’arbitraire du patronat à partir du seuil minimum inadmissible de 3,60 € de l’heure).
Nous lançons donc une bataille pour un statut social offrant un socle de quatre garanties, quatre nouvelles libertés professionnelles pour les stagiaires :
1. La garantie d’être rémunéré
Tout travail mérite salaire. Il faut en finir avec la crise de reconnaissance. Dans le contexte actuel, cela peut passer par la revendication immédiate pour de fortes augmentations de la gratification minimum du stagiaire, payée par l’employeur. Mais à terme, notre proposition est de rémunérer les étudiants via un salaire étudiant pendant les périodes de stages. Ce salaire, dépendant d’une nouvelle branche de la Sécurité sociale, serait financé via une nouvelle cotisation sociale patronale payée par l’ensemble des employeurs. C’est le moyen de sortir les stagiaires de la mainmise des employeurs et du marché du travail. En s’appuyant sur la grille salariale revendiquée historiquement par la CGT, il s’agit là de reconnaître réellement le travail des stagiaires et des étudiants en les payant à hauteur de leurs qualifications, et de leur faire payer des cotisations ouvrant le droit à la retraite et à la protection sociale.
2. La garantie de trouver un stage
De la même manière que la loi doit mieux encadrer le recours abusif aux stagiaires (il est urgent de passer de 15 à 10 % de stagiaires maximum dans les effectifs permanents de l’entreprise), la puissance publique devrait garantir aux étudiants l’accès à une offre diversifiée de stages. Un quota minimum de stagiaires fixé par la loi pour les entreprises et autres structures de plus de 50 salariés est donc nécessaire.
3. La garantie de la qualité pédagogique du stage
Il est nécessaire de renforcer le contrôle pédagogique du stage par les équipes enseignantes de nos établissements, afin d’éviter les stages « bidons » trop souvent imposés aux étudiants. Ce contrôle du programme du stage et l’échange permanent avec les tuteurs de stage permettraient à chaque stage de gagner en qualité et en utilité. Bien sûr, pour cela il faut réinvestir dans l’enseignement supérieur, afin notamment d’embaucher des professionnels pour suivre et gérer ces stages.
4. La garantie d’embauche
Une fois le stage terminé et le diplôme obtenu, l’étudiant devrait se voir proposer une embauche dans la structure, afin d’y mettre en œuvre ses savoirs et savoir-faire appris en cours et en stage. zzz
1. Secrétaire national de l’Union des étudiants communistes.
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